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Histoire du commerce
Le commerce dans l'Antiquité
Nous n'avons pas à nous perdre ici dans la nuit des origines, ni à remonter jusqu'aux temps primitifs, où l'échange seul, dans le sens restreint du mot, régnait entre les humains, et où la division du travail, en provoquant la création de la monnaie, donna naissance au commerce proprement dit. Le commerce était primitivement borné à la terre, et il resta tel essentiellement durant la première période et jusqu'à la fin de la seconde, c'est-à-dire jusqu'à la découverte de l'Amérique. Les plus anciens foyers furent l'Asie et l'Afrique; il n'anima l'Europe que plus tard. En Asie et en Afrique, il se développa peu à peu à l'aide des caravanes ou des troupes de marchands qui se réunirent pour se défendre en commun contre les périls du voyage. De là, des routes tracées au milieu des déserts; des stations, des marchés, plus tard des centres de commerce plus ou moins considérables. Au sein de ces solitudes souvent arides, le chameau rendait de grands services, comme bête de somme. Le commerce était avant tout alimenté par des objets d'un transport facile et d'un grand prix, tels que des épices, des parfums, des pierres précieuses. Les trois continents de l'Ancien monde formaient une masse compacte de pays, qui pouvaient communiquer entre eux sans le secours de la navigation. Cependant la navigation surgit à son tour. Elle apparut sur les côtes de l'Asie et de l'Afrique. Elle resta longtemps un simple cabotage, et les peuples eurent beaucoup de peine à surmonter la peur que la mer leur inspirait. La Méditerranée, que les trois continents entourent, offrant sur une étendue relativement médiocre, une multitude d'îles, de baies, de détroits, de presqu'îles et de langues de terre, devint, depuis le détroit de Gibraltar jusqu'au fond de la mer Noire, le théâtre principal du commerce maritime des Anciens. Le golfe Persique, puis l'Océan Indien, élargirent son domaine.

Le commerce, à ses débuts eut à lutter contre des éléments rebelles, il fut paralysé par des guerres incessantes, entravé par un état social défectueux, qui manquait de sécurité; en certains pays régnaient les castes, partout l'esclavage. Le capital était rare, le crédit inconnu. Il était de règle que le marchand accompagnât sa marchandise, et sa profession était généralement vouée au mépris. Cependant, malgré tant d'obstacles , on remarque, dans la voie du commerce, d'heureux efforts de l'intelligence humaine, et de mémorables résultats.

Mésopotamie.
 Les Babyloniens développent très tôt leur commerce; ils exportent des produits manufacturés; ils importent des matières premières, l'or de l'Égypte, l'argent, le plomb et le fer des montagnes du Taurus, le cuivre du Taurus et de l'Élam, les bois de construction, la dolérite, le basalte, le calcaire, des montagnes de Syrie; le lapis-lazuli qu'ils revendent à l'Égypte et le jaspe proviennent de la région à l'est du lac d'Ourmia; les perles et les coquilles sont pêchées dans le golfe Persique et la mer Rouge; les parfums sont achetés en Arabie; les premiers chevaux importés sont originaires des régions montagneuses orientales; des esclaves sont acquis dans les pays voisins, et, par l'intervention des marchands, les soldats babyloniens tombés en captivité sont libérés de la servitude.

La monnaie courante en Babylonie, c'est l'orge; mais, dès l'époque archaïque, on se sert également de métal, de cuivre, puis d'argent, d'or au temps des Kassites. Orge et métaux sont pesés; l'unité de poids est le grain d'orge; 180 grains forment un sicle de 8 grammes 40; 60 sicles, une mine; 60 mines, un talent. Ce système pondéral s'est propagé jusqu'en Grèce et à Rome.

Dans les villes, les marchands se groupent au bazar ou au quai. Aux temps primitifs, c'est au palais et au temple que se font les principales transactions. Dès Hammourabi, des particuliers ou des sociétés exercent la profession lucrative de banquiers, et, à l'époque néo-babylonienne, certaines firmes se chargent de recueillir les impôts d'État. La vente se fait au comptant; un écrit est nécessaire pour toute transaction importante, et les prix maxima sont fixés par l'autorité.

A l'extérieur, le damgarou (commerçant, agent d'affaires) agit pour son propre compte ou pour celui du roi. S'il ne voyage pas lui-même, il prend des employés, et ses rapports avec eux sont réglés par la loi. Les commis s'en vont en caravanes à cause des voleurs de grands chemins, sur des routes formées de simples pistes contiguës, et transportent leurs marchandises à dos d'animaux; en Babylonie même, ils utilisent surtout la berge des canaux et font volontiers des transports par eau.

Egypte.
En Afrique, l'Égypte, soumise à un régime des castes elle aussi, avait, surtout grâce au Nil et à des canaux de toute espèce, le commerce intérieur le plus actif. Mais ses mariniers ne naviguaient que dans ses eaux intérieures; car jusqu'aux temps de Psammétique et de Néco, la superstitieuse Égypte eut horreur de la mer. Elle abandonna son commerce maritime et ses échanges extérieurs aux Phéniciens et en partie aux Arabes. Son commerce de terre suivait, dans l'intérieur de l'Afrique, deux voies principales, l'une qui traversait le désert de Barca, l'autre qui remontait le Nil, puis se dirigeait, par la grande et la petite oasis, vers l'Éthiopie et la côte orientale d'Afrique. Au VIIe s. av. J.-C., l'influence des étrangers commença à se faire sentir en Égypte, particulièrement celle des Grecs. Jusqu'à cette époque, la politique ombrageuse des Pharaons et l'intolérance des prêtres leur avaient hermétiquement fermé l'entrée du pays. Le roi Psammétique, en 656, fut le premier qui fit cesser cet isolement, et le commerce maritime alors se développa, mais par l'entremise des Phéniciens et des Grecs, parce que la contrée manquait de bois propres aux constructions navales.

Phéniciens et Carthaginois.
Sur une lisière étroite de la Syrie, habita le peuple de l'Antiquité le plus habile dans le commerce et dans la navigation. L'histoire des Phéniciens paraît remonter jusqu'à 1800 ans avant J.-C. Elle comprend trois périodes dans la première, Byblos, Berytus (Beyrouth) et Aradus étendent leurs opérations dans la partie orientale de la Méditerranée; dans la seconde, de 1600 à 1200, Sidon (Saïda) se place à la tête des villes phéniciennes qui prennent un nouvel essor, et dont les navires dépassent les colonnes d'Hercule. Dans la troisième enfin, de 1100 à 750, la suprématie passe à Tyr, et la grandeur commerciale de la Phénicie atteint son apogée; mais peu à peu elle décline, et s'éclipse après la conquête perse.

La situation géographique du pays, la possession des bois du Liban et de l'Anti-Liban, la stérilité du sol, le voisinage de l'opulente Asie, portèrent les Phéniciens aux constructions navales et au commerce; ils débutèrent par la piraterie. Sidon est plusieurs fois mentionnée dans l'Ancien Testament. Le prophète Isaïe appelle Tyr « la ville qui distribue des couronnes et dont les marchands sont des princes ». Homère aussi parle souvent des opérations commerciales des Phéniciens et de la ruse qu'ils y déployaient. Les Phéniciens avaient, dès le XIIe s. av. J.-C, fondé des colonies en Afrique; Carthage, le plus célèbre de leurs établissements, date de 818, et vers l'an 1000, le voyage à la côte sud-ouest de l'Espagne était habituel. Les Tyriens occupèrent, dans leur voisinage, l'île de Chypre, qui, indépendamment de son importance comme situation commerciale, devint, par la richesse de ses produits, le grand marché d'approvisionnement d'un littoral aride.

Il est permis d'attribuer aux Phéniciens les découvertes géographiques de l'Antiquité, à peu près sans exception. A vrai dire, depuis leurs expéditions jusqu'à celles des Portugais et des Espagnols, la carte de la région méditerranéenne, au moins en ce qui concerne les côtes, n'a pas changé sensiblement. Ont-ils pénétré jusque dans la Baltique pour le commerce de l'ambre jaune? Quoi qu'il en soit à cet égard, au midi leur navigation s'étendit le long du golfe Arabique et de la côte occidentale de l'Inde jusqu'à l'île de Taprobane (Sri Lanka). A l'est, leurs voyages sur terre allaient par Damas, Palmyre et Thapsaque, rejoindre la grande route commerciale qui se prolongeait de là vers Babylone, la Perse et le coeur de l'Asie. Avec l'Égypte ils communiquaient par une route frayée jusqu'à Memphis. Mais ce fut dans la direction de l'ouest qu'ils s'avancèrent le plus; ils ne craignirent pas d'y affronter la haute mer. Selon toute probabilité, l'île de Madère et les Canaries (îles Fortunées) furent non seulement visitées, mais peuplées par eux. Leurs établissements sur la côte occidentale d'Afrique se développaient jusqu'au cap Blanc, sinon jusqu'au cap Vert, et les Carthaginois ne firent que leur succéder dans ces parages. 
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A l'histoire de la Phénicie se rattache étroitement celle de Carthage, la plus puissante et la plus célèbre de ses colonies. Il fut peu question de Carthage dans les premiers siècles de son existence. A l'époque de la soumission de Tyr aux Perses, elle grandit rapidement en richesse, en territoire et en influence. La plupart des colonies grecques et phéniciennes de la côte septentrionale de l'Afrique sont obligées de reconnaître sa puissance, et bientôt nous la voyons franchir le détroit de Gibraltar, acquérir des stations fixes en Espagne, occuper les Baléares, la Corse, la Sardaigne, et clore par la Sicile et Malte le cercle de sa domination. Le théâtre principal de sou activité mercantile était l'ouest de la Méditerranée, où elle se considérait comme l'héritière légitime de Tyr. De toutes ses possessions, l'Espagne fut, surtout après la perte de la Sicile, de beaucoup la plus importante et la plus précieuse. Les riches mines d'argent, découvertes et exploitées par les Phéniciens, étaient le puissant aimant qui y attirait les Carthaginois. Hors du détroit de Gibraltar, ils recueillirent tout l'ancien commerce des Phéniciens et l'agrandirent. Ils trafiquaient aussi directement par terre, au moyen des caravanes, avec l'intérieur de l'Afrique.

Grèce.
Nous arrivons aux Grecs. Les habitants d'une terre que la mer baigne de trois côtés, dont le littoral est parsemé de baies et que des îles nombreuses environnent, durent s'adonner de bonne heure à la navigation, et c'est ce qui eut lieu effectivement. Les Grecs ne furent pas des commerçants aussi habiles et aussi entreprenants que les Phéniciens; mais au point de vue du progrès de la civilisation méditerranéenne, le commerce des Grecs entre eux, bien que circonscrit dans un rayon relativement petit, est de beaucoup le plus intéressant de l'Antiquité. Le tableau animé qu'offrait alors entre les rivages de l'Asie et de la Grèce, et dans les îles innombrables de la mer Egée, le Sud Est de la Méditerranée, est unique dans son genre. L'intelligence commerciale des Grecs est attestée par leurs règlements concernant les assurances, le prêt à la grosse aventure, le nolissement, etc., originaires d'Athènes, et par les lois maritimes de Rhodes, qui sont restées jusqu'au Moyen âge le code des mers.

L'Attique et l'isthme voisin de Corinthe, tel est le théâtre principal où se rencontre le trafic de la Grèce continentale. L'objet le plus important du commerce d'Athènes était le blé nécessaire à la consommation de cette ville, car le sol de l'Attique ne paraît pas avoir été, à cette époque, beaucoup plus fertile qu'il ne l'est aujourd'hui. Ce blé provenait des pays de la mer Noire, et en particulier de la Chersonèse taurique ou Crimée, qui étaient alors, comme de nos jours, des greniers quasi inépuisables. Corinthe mérite aussi une mention particulière. Son commerce fut même plus étendu et plus varié que celui d'Athènes. Elle était le grand entrepôt hellénique.

Le domaine commercial de la Grèce comprend, du reste, non seulement la Hellade, la Thessalie, le Péloponèse et les îles de la mer Egée, mais encore l'Asie mineure, la Basse-Italie ou la Grande-Grèce, la Sicile et les nombreuses colonies du littoral de la mer Noire et de celui de la Méditerranée. Parmi les villes que le commerce fit fleurir dans ces divers parages, à différentes époques, on doit citer Milet, qui prit rang après Tyr, Phocée, Rhodes, Marseille, Alexandrie sous les Ptolémées.

Rome.
Nous passerons rapidement ici sur les Romains, car ils ne peuvent être rangés parmi les peuples commerçants. Cependant ils doivent être mentionnés dans une histoire du commerce par l'immensité de leur empire, qui créait un vaste marché, et par un magnifique système de communications, qui, tout en étant fait pour la guerre et pour l'administration, profitait aussi au transport des marchandises. Sous l'Empire, Rome et l'Italie, dont l'agriculture était ruinée, ne pouvaient vivre que par les importations des provinces et notamment par leurs blés. Après les dévastations des guerres, après les rapines des proconsuls, le travail et le commerce, grâce à une administration régulière, firent renaître la richesse dans les contrées civilisées de l'Orient, en même temps que, sous la domination romaine, ils animaient les contrées jusque-là barbares de l'Occident. Une des places de commerce les plus riches, à cette époque, était Alexandrie, entrepôt du trafic des marchandises de l'Inde, indispensable au commerce des Romains. Mais, avec l'affaissement progressif de l'empire, languissait et dépérissait peu à peu un commerce, que l'invasion des peuples du Nord finalement détruisit.

Le commerce de l'Inde
Dans l'Inde, soumise au régime des castes, les marchands, avec les agriculteurs, et les artisans, formaient les classes inférieures. Les grands pèlerinages vers les lieux saints, tels que Bénarès, Ellora, etc., concentraient le commerce intérieur autour des temples et le rattachaient au culte. En possession d'immenses richesses naturelles et d'une industrie remarquable, l'Inde pouvait se passer des autres pays. Dans son commerce extérieur, elle laissait donc les ennuis et les périls des longs voyages aux étrangers, qui venaient à ses frontières acheter ses produits avec de l'or et surtout avec de l'argent. Mais pour certains produits qui manquaient à l'Occident et dont il ne pouvait se passer, les épices, les matières tinctoriales, le coton, les pierres précieuses, l'ivoire et les bois de prix, l'Inde exerçait un attrait irrésistible. Ses habitants n'étaient pas navigateurs. Les étrangers abordaient à un certain point du littoral occidental.

Les documents égyptiens, hébraïques et autres nous permettent d'affirmer l'existence d'un commerce suivi, dès une époque très ancienne. Ce commerce se faisait par mer en profitant du phénomène des moussons qui rapproche singulièrement les deux rivages asiatique et africain de l'océan Indien. C'est probablement dans ces parages que commença la grande navigation, que l'on se lança en pleine mer, tournant le dos aux côtes, et il est possible que ce soient de leurs ancêtres du golfe Persique que les Phéniciens aient tenu cette audace nautique qui en fit les premiers grands navigateurs de la Méditerranée et de l'Atlantique. Le commerce eut lieu d'abord entre l'Inde et l'Egypte, par l'intermédiaire de l'Arabie. Les bas-reliefs du temple de Déir-el-Bahari nous montrent la reine Hatasou, rapportant du Yémen qu'elle a conquis les produits et les animaux de l'Inde, singes, dents d'éléphant, pierres précieuses, bois de santal, à côté de ceux de Afrique, lions, girafes, bois d'ébène, plumes d'autruche et de ceux du pays, monceaux d'encens.

Dans ce commerce dont l'activité ne se ralentit pas jusqu'à la décadence de l'empire romain, le rôle des habitants de l'Arabie fut toujours celui d'entrepositaires plutôt que celui de navigateurs. Il en était encore ainsi à l'âge sur lequel nous possédons le plus de renseignements positifs, c.-à-d. dans les environs de l'ère chrétienne. C'est seulement dans le port de Muza (aujourd'hui Mauschid) que les auteurs anciens signalent la construction de gros navires capables de faire la traversée de l'Inde. Les bateaux de cuir qu'Agatharchide et Strabon attribuent aux Sabéens ne pouvaient servir qu'à un cabotage peu étendu le long des côtes et n'auraient pas été en état d'affronter la vaste traversée de l'Oman aux bouches de l'Indus. Presque tous les navires qui faisaient cette course hardie appartenaient  à des ports situés au delà du golfe Persique. Agatharchide raconte que beaucoup sortaient de la Caramanie où se trouvait la fameuse échelle d'Harmozia (Ormuz), et Lassen a prouvé (Indische Alterthumkunde, t. II) d'une manière décisive que la grande majorité étaient Indiens. Ainsi dans les relations étroites et constantes qui pendant bien des siècles existèrent entre l'Inde et l'Arabie, c'étaient les Indiens qui venaient commercer dans le Yémen plutôt que les Sabéens dans l'Inde. C'est pour cela qu'une île qui joue dans l'océan Indien un rôle fort analogue à celui de Malte dans la Méditerranée, file de Socotora (Dvipa Sukha tara, Dioscoridis), tour à tour phénicienne, grecque, syrienne, arabe, nous apparaît dans la haute antiquité comme tout à fait indienne.

Les ports où les marchandises précieuses de l'Inde étaient apportées étaient : au Yémen, Muza (Mauschid) et surtout Aden, principal foyer de ce commerce, à qui les richesses qui y affluaient valurent d'être appelées spécialement par les Grecs Arabie heureuse, à la frontière du Yémen et du Hadramaout, Cané (aujourd'hui Hisn-Ghorâb); dans le pays de Mahràh, Moscha ou Séfar (Zhafâr). En même temps d'autres vaisseaux partis de l'Inde, ne voulant pas faire une traversée aussi longue, se déchargeaient sur la côte de l'Oman dans le port d'une autre Moscha (Mascate). Il y en avait enfin, et ceux-là étaient spécialement ceux dont la cargaison était destinée à Babylone et à la vallée de l'Euphrate, qui pénétraient dans le golfe Persique; ils allaient dans les îles de Tylos et d'Arvad quand les Chananéens les occupaient encore et n'avaient pas entrepris leur migration vers la Syrie; plus tard, ils se rendirent sur la côte de la province de Bahrein occupée par les Houschites de Dedan. Les principales marchandises que l'on faisait venir de l'Inde étaient l'or, l'étain, les pierres précieuses, l'ivoire, le bois de santal, les épices, poivre et cannelle, et le coton. A côté de ces articles on voyait s'accumuler dans les entrepôts de l'Asie méridionale ceux qu'un cabotage actif, fait cette fois par les Sabéens, allait chercher sur la cote d'Afrique opposée à leur pays et bien peut distante, où Mosyllon (actuellement Ras-Abourgabeh) était le port le plus important c'étaient les aromates qui donnaient leur nom à cette côte, le bois d'ébène, les plumes d'autruche, puis encore de l'or et de l'ivoire. Ajoutez à cela les produits même du sol de l'Arabie méridionale, qui n'étaient guère moins précieux et recherchés, encens, myrrhe, laudanum, pierres dures telles qu'onyx et agates, enfin l'aloès de l'île de Socotora et les perles pêchées dans le golfe d'Ormuz, et vous aurez la liste des articles qui constituaient le commerce de cette contrée. Vous aurez en même temps, par le simple énoncé de cette liste, une idée de ce que devaient être l'importance et l'activité de ce trafic.

De la côte méridionale d'Arabie les marchandises suivaient la voie de terre, car la navigation de la mer Rouge, très dangereuse et difficile, est certainement postérieure à celle de l'océan Indien. Elle fut créée par les Phéniciens à l'instigation de l'Egypte. Les Phéniciens prenaient une grande part au trafic avec l'Inde, et leurs marchands s'établissaient dans les villes du Yémen, du Hadhramaout, de l'Oman, du Bahrein; leurs anciennes îles de Tylos et d'Arvad leur servirent plus tard de comptoirs. Ils y portaient leur huile, leur vin, leurs instruments et armes de bronze et de fer, leurs toiles, leurs tissus teints en pourpre, enfin les lingots d'argent, métal dont ils étaient les grands exportateurs et que leur commerce rendait plus abondant que l'or. La concurrence avec Babylone était plus facile à soutenir en suivant la route de l'Arabie occidentale, et ce dut être le motif qui poussa les Phéniciens à surmonter les périls de la navigation de la mer Rouge. Diminuant les frais du transport par caravane, accroissant l'échange entre l'opulente Egypte , le Yémen et l'Inde, ils réalisèrent d'énormes bénéfices. Lorsque la décadence de l'Egypte et la chute de Sidon eurent suspendu ce trafic, les Phéniciens de Tyr tentèrent de rouvrir, de concert avec le roi d'Israël Salomon, la route maritime vers les fabuleuses richesses d'Ophir. On a soutenu, non sans vraisemblance, que cette fois leurs navires poussèrent directement jusqu'à l'Inde. La décadence des Israélites ne permit pas de continuer ces grandes entreprises. Les relations directes entre l'Egypte et l'Inde ne reprirent qu'au temps des Ptolémées.

Si nous nous plaçons maintenant au point de vue de l'Inde, nous constatons que le commerce intérieur y était très avancé; au temps d'Alexandre les routes étaient bien entretenues et la sécurité suffisante pour que les marchands pussent voyager isolément au lieu de se réunir en caravanes; au transport à dos de chameau ou de mulet ils avaient substitué la traction. L'industrie textile y était prospère ainsi que l'agriculture, et si l'Inde n'exportait ni sucre ni riz, c'est parce que ces produits ne pouvaient payer un transport par caravanes; le monopole des épices, le richesse en pierres précieuses, en perles, en ivoire, en bois précieux, en matières tinctoriales, en coton, assuraient aux Indiens de grands bénéfices dans le trafic; il semble que la balance du commerce se soldait à leur avantage, car sans produire d'or ils en possédaient de grandes quantités, au point que dans l'empire de Perse la satrapie indienne était la seule qui payât son tribut en or, et que plus tard les Alexandrins se plaignaient que l'Inde absorbât continuellement le numéraire, sans le restituer. 

Les principaux entrepôts étaient à l'intérieur Ozène (Oudjein), au midi Tagara et Pluthane; les ports par où se faisait le commerce avec les Occidentaux, Barygaza, Patala (Haïderabad), Muziris (Mangalore), Nelcynda et l'île de Taprobane (Sri Lanka). Cette dernière avait une grande importance commerciale. Il ne semble pas que les Arabes ou Gréco-Egyptiens l'aient dépassée dans l'Antiquité, bien qu'il soit possible qu'ils aient été jusqu'à la presqu'île de Malacca (Chersonèse d'Or).

L'Inde ne communiquait pas seulement avec l'Occident. Elle eut des relations importantes avec la Chine et partant fut un maillon dans le commerce entre le bassin méditerranéen et l'Asie orientale. Le Périple de la mer Erythrée (IIe siècle ap. J.-C.) mentionne « le grand pays de l'Est situé sur l'Océan, dont-les soies brutes et filées ainsi que les étoffes de soie sont apportées par terre à Barygaza, et par eau, en descendant le Gange. » Déjà Ctésias, médecin de Darius, parlait des caravanes qui venaient du pays de la soie. C'est comme producteurs de cette denrée précieuse que la Chine est d'abord connue : on lui donne le nom de Sérique. 

Le commerce de l'Inde avec la Chine se faisait par terre; la route décrite par Arrien devait traverser l'Himalaya et le Tibet. Une autre route contournait le grand massif central asiatique et était commune aux caravanes parties de l'Inde ou de l'Asie antérieure. La première grande étape était Bactres, et dès cette antiquité reculée le Turkestan jouait par rapport aux différents peuples de l'Asie le rôle d'intermédiaire que la Syrie tenait entre l'Egypte, l'Arabie, la Mésopotamie, l'Asie Mineure et la Phénicie. Ses grandes villes doivent leur fortune au commerce. Le trafic entre l'Inde et Bactres était considérable, car une partie des marchandises se dirigeaient vers la Caspienne ou l'Arménie pour gagner les ports de la mer Noire. D'autres routes menaient au Nord et à l'Est.

Le principal passage vers la Chine était signalé dans les montagnes qui précèdent Kashgar, par la Tour des pierres ou Trône de Salomon; il était encore fréquenté au début du XXe siècle. Les caravanes devaient aboutir au nord de la Chine, car outre la soie elles rapportaient des fourrures, des pelleteries et du bétel. D'un texte obscur de Ctésias on peut conclure que les Indiens cherchaient aussi de l'or dans ces pays et que la durée moyenne d'un de ces voyages de caravanes vers la Chine était de trois années. (Lenormant/ A.-M. B.).

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