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Le commerce des Phéniciens et des Carthaginois |
Les Egyptiens et les Mésopotamiens n'étaient pas à proprement parler des peuples commerçants; ils ne s'étaient pas fait du commerce une spécialité et attendaient volontiers sur leurs marchés les marchandises étrangères; même pour les Babyloniens, les plus industrieux de ces peuples, la commerce est une industrie accessoire, la navigation maritime n'a pas une importance vitale. ll en est tout autrement des Phéniciens. Ceux-ci nous donnent le premier exemple d'un peuple dont le commerce fut l'affaire principale, dont le rôle fut de servir d'intermédiaire entre les autres peuples. Ils sont doublement intéressants à nos yeux : concurremment peut-être avec les Arabes de la mer Erythrée, ils sont les premiers qui aient donné au commerce maritime une grande extension, dépassant infiniment le cabotage le long des côtes; en second lieu, ils ont servi d'intermédiaires entre les vieilles civilisations asiatiques et l'Europe encore barbare; nous leur devons en grande partie notre civilisation; tels furent les bienfaits du commerce, sans même dire que l'écriture alphabétique dut être inventée pour faciliter les transactions. On trouvera ailleurs l'histoire des Phéniciens. Rappelons seulement que resserrés entre la montagne et la mer, sur une plage étroite, ils furent contraints de chercher sur les flots une nouvelle patrie. Lenormant était disposé à croire que le mobile qui les porta à naviguer au loin fut la recherche de l'étain, indispensable à l'industrie du bronze, et que les caravanes souvent interceptées par leurs voisins de terre ne leur apportaient pas assez régulièrement. De proche en proche, ils allèrent le chercher au fond de la mer Noire, plus tard dans l'océan Atlantique. Ils conservèrent le monopole de ce commerce de l'étain jusqu'au bout, même au temps de la prépondérance hellénique. On a même proposé de considérer dans l'Europe l'âge du bronze comme un âge phénicien, en raison de l'extrême unité de composition intime, de forme et d'ornementation de tous les objets de bronze trouvés depuis l'Espagne jusqu'aux pays scandinaves. Avec les Phéniciens commence le grand commerce maritime. Quand ils se lancèrent sur la mer, leur première étape fut l'île de Chypre dont on sait la richesse agricole et minière, et qui leur fournit autant que les forêts du Liban ces grands approvisionnements de bois de charpente désormais indispensables à tout peuple commerçant pour ses constructions navales. Longeant ensuite les côtes de l'Asie mieure, ils arrivèrent dans les îles de la mer Egée, cette région où la terre est si bien mêlée à la mer qu'on ne la perd jamais de vue. Ils y fondèrent à partir du XVIIe siècle av. J.-C. de nombreux comptoirs sur les côtes et dans les îles où partout on trouve leurs traces. Ils y recueillaient l'argent à Siphnos, Cimolos, l'or à Thasos, sur la côte de Thrace (mont Pangée), le coquillage qui fournit la pourpre à Nisyros, à Cythère. Continuant de s'avancer, les aventureux Sidoniens s'engagèrent dans la mer Noire, et après une longue navigation atteignirent la Colchide où ils trouvèrent de grandes richesses métalliques : l'or des rivières du pays et celui que les caravanes apportaient de l'Oural, le plomb et l'argent, et les métaux ouvrés que fabriquaient les Chalybes, les premiers métallurgistes de cette région du monde, inventeurs présumés de l'acier. Enfin, dans tous ces pays et particulièrement en Grèce, les Phéniciens achetaient ou enlevaient des esclaves. La pittoresque description du marché d'Argos placée au début de l'oeuvre d'Hérodote, les récits de l'Odyssée montrent l'étendue de ce commerce d'esclaves, un des plus anciens et des plus lucratifs de l'Orient. Pour étendre leur trafic, les Phéniciens eurent l'idée de la colonisation commerciale destinée à un si grand avenir. Sur les côtes, au milieu des populations avec qui ils négociaient, ils fondèrent des comptoirs, marchés permanents qui simplifiaient l'oeuvre commerciale par une division du travail, l'industrie du transport n'étant plus retardée par les échanges. On a dit à l'article les colonies phénicienne l'extrême importance de ces comptoirs phéniciens, dont quelques-uns devinrent de véritables colonies. C'est par eux que la civilisation de l'Egypte et de la Chaldée fut transmise aux riverains de la Méditerranée, spécialement aux Grecs. Le grand commerce maritime des Phéniciens suscitait dans les contrées avec lesquelles ils nouaient des relations un commerce terrestre par caravanes apportant les produits du pays jusqu'au point où on les échangeait contre ceux des Asiatiques. Au fond le la mer Adriatique, vers les embouchures du Pô, on apportait l'ambre recueilli sur les bords de la Baltique, au Sud de la Gaule arrivaient les caravanes chargées de l'étain les îles Cassitérides (Scilly?) que plus tard les Tyriens nièrent chercher sur place. Lorsque Tyr eut hérité de Sidon, et que la mer Egée fut à peu près fermée à ses navires par les Dardaniens, les Cariens et les Grecs, on s'adonna plus spécialement à l'exploitation du bassin occidental de la Méditerranée; suivant la côte africaine, les navires arrivèrent à l'Espagne dont la colonisation fut très lucrative. On y trouva de belles mines d'argent qui fournirent le métal précieux en abondance; on raconte que les habitants y fabriquaient tous leurs ustensiles, et jusqu'aux mangeoires, en argent; la grande fertilité du sol lut mise à profit; le lointain pays de Tarsis fut pour les Phéniciens du Xe siècle ce que fut plus tard pour les Espagnols l'Amérique. Les Tyriens sans doute, certainement les Carthaginois, franchirent les colonnes d'Hercule (détroit de Gibraltar) et s'engagèrent dans l'océan Atlantique malgré la marée et les tempêtes; ils allèrent jusqu'aux îles Britanniques, peut-être jusque dans la Baltique chercher les métaux, l'étain, qu'ils payaient en tissus, armes de bronze, poteries, sel. Leur commerce maritime se doublait d'un commerce terrestre non moins considérable. Il se faisait dans trois directions : au nord avec l'Arménie et le Caucase, au centre avec la Mésopotamie, au sud avec l'Arabie et l'Inde. Des bords de la mer Noire venaient des esclaves, des métaux, cuivre, fer; de l'Arménie, des chevaux, des mulets. Par l'intermédiaire des Syriens, les Phéniciens commerçaient avec l'Assyrie et la Chaldée; la grande route passait par Baalbek (Héliopolis), Damas et Emèse; là, elle bifurquait; on allait en Assyrie par Hamah, Helbon (Alep), Edesse (Urfa) et Nisibe; en Babylonie, par le désert ou l'on stationnait dans l'oasis de Tadmor (Palmyre) avant de gagner Thapsaque sur l'Euphrate où commençait la navigation fluviale. Toutes ces stations commerciales ont prospéré, et la plupart ont conservé jusqu'à l'époque moderne quelque chose de leur ancienne importance. Beaucoup de ces commerces se sont perpétués : c'est très tard qu'on a cessé de demander à la Géorgie et à la Circassie des esclaves; les mines de cuivre, la chaudronnerie nourrissaient encore au début du XXe siècle les montagnards du sud-est de la mer Noire. Mais les magnifiques industries de Tyr et de Babylone ne sont plus qu'un souvenir depuis très longtemps. Dans la direction du sud, les caravanes, formées ou escortées par les tribus arabes du désert (gens de Cédar, Iduméens, Madianites, etc.) gagnaient les pays côtiers de l'Arabie méridionale, Oman, Hadramaout, Yémen. On passait ou bien à l'Ouest par le Moab, Pétra, Médine, la Macoraba (La Mecque) ou Yambo pour se rendre au Yémen, ou bien à l'Est par une ligne d'oasis on se rendait au port de Gerra, sur le golfe Persique. Par là se faisait le commerce avec l'Inde, commerce qui passait par l'Arabie méridionale. Pour en finir avec les Phéniciens, nous constaterons que dans leurs échanges ils ne firent pas l'invention de la monnaie; vis-à-vis des barbares de l'Occident le simple troc suffisait; du côté de l'Orient, ils employaient, comme leurs clients de Syrie et d'Egypte, les lingots métalliques. (A.-M. B). Les Carthaginois. Commerce de l'Afrique. Les Phéniciens avaient couvert la côte septentrionale du continent africain de leurs comptoirs et créé la belle colonie qui devint l'Etat carthaginois. Après la décadence de Tyr, Carthage hérita de sa métropole et domina toute la Méditerranée occidentale; elle eut elle aussi une véritable politique coloniale inspirée de visées commerciales, et lutta avec avantage contre la concurrence des Grecs. Etat essentiellement commercial et de préférence pacifique, elle fut victime au temps des guerres puniques de son esprit mercantile; mais elle en avait tiré d'immenses avantages. Elle avait eu une politique commerciale suivie, comme l'attestent les traités de commerce qu'elle conclut avec les nations italiennes, On connaît par Polybe le texte de deux de ceux conclus avec Rome; le premier, dès le VIe siècle av. J.-C., réserve jalousement à Carthage le monopole du trafic de la Méditerranée occidentale, en Sardaigne, en Afrique, en Espagne. On cite de véritables actes d'héroïsme accomplis pour garder ce monopole : un navire suivi par un navire étranger s'échoue pour l'attirer sur les écueils et ne pas lui révéler le secret de sa route; s'il eût été le plus fort il eût attaqué son adversaire et l'eût fait périr. Les objets d'échange étaient des produits manufacturés à Carthage, et c'est pour avoir le monopole de ces débouchés qu'elle gardait si jalousement l'accès de ses colonies; pour les échanges avec les barbares, le troc suffisait et c'est seulement vers le IVe siècle que Carthage emprunta la monnaie aux Grecs. Le commerce carthaginois était avant tout la centralisation d'un transit entre les contrées européennes avec lesquelles on commerçait par mer et les contrées africaines avec lesquelles on employait concurremment les routes de mer et de terre. Aux Grecs et aux Italiens, les Carthaginois vendaient des esclaves noirs, de l'ivoire, du bois d'ébène, des pierres précieuses, leurs tissus. Ils achetaient les produits du sol, l'huile, le vin, les métaux, revendaient une partie de ceux-ci avec leurs articles manufacturés (poteries, armes de bronze, tissus) aux habitants de Gaule ou d'Espagne en échange de leurs métaux, de matières premières et d'esclaves. L'Espagne resta par ses mines d'argent et sa richesse agricole le grand marché d'exploitation des Carthaginois. Mais ce qu'il y a de plus intéressant dans leur navigation, c'est qu'ils sortirent de la Méditerranée et explorèrent l'Atlantique au Nord et au Sud (expéditions d'Himilcon sur la côte européenne et d'Hannon sur celle d'Afrique). Le commerce intérieur de l'Afrique se faisait par caravanes, et ni les procédés de transport, ni les objets d'échange, ni les routes suivies n'ont dû varier beaucoup. Les caravanes circulent à travers le Sahara entre la côte de la Méditerranée et le Soudan. Les transports se faisaient à dos de chameau. On vendait un peu partout des dattes et du sel, recueillis dans les parages où ils surabondent; de l'intérieur, on amenait des esclaves, de l'or, de l'ivoire, de l'ébène. Hérodote a décrit une route qui, de la haute Egypte, allait au Fezzan par l'oasis d'Ammon, les caravanes qui, de la Cyrénaïque et du littoral des Systes, étaient dirigées par les Nasamons et les Lotophages vers l'intérieur (Fezzan et Bilma) et même une exploration qui atteignit un grand fleuve du Soudan. Le Fezzan ou pays des Garamantes était par lui-même assez riche pour alimenter un trafic important, particulièrement d'esclaves; ce trafic se faisait avec l'Egypte, la Cyrénaïque, mais surtout avec les colonies carthaginoises des Syrtes (Tripolitaine); Leptes la grande (Leptis Magna) paraît avoir été l'entrepôt principal. Les grandes salines du désert étaient particulièrement recherchées des caravanes qui plaçaient facilement ce produit au Soudan. Les Carthaginois gardaient trop soigneusement le secret de leurs routes commerciales pour que nous sachions quelque chose de leur commerce à travers le Sahara occidental. |
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