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Pendant plusieurs
milliers d'années la Mésopotamie
fut le siège de grands empires dont le centre se trouva tantôt au Nord,
tantôt au Sud de cette riche contrée, à Ninive
ou à Babylone. Ces puissances furent militaires
mais aussi commerciales, et la fortune de leurs capitales s'explique en
partie par leur admirable situation. Ninive est placée au centre d'une
contrée fertile et au débouché des montagnes, intermédiaire entre la
montagne et la plaine, entre des pays dont l'altitude exagère le climat
froid et des régions où règne une chaleur presque tropicale. De lÃ
des productions très différentes et des échanges variés; ajoutez qu'en
Assyrie
on trouve le soufre, le bitume, le naphte, le sel, l'alun; Ã quelque distance
l'albâtre, le basalte, toutes les pierres à bâtir, le marbre et plusieurs
métaux que l'on tirait des monts du Kurdistan,
fer, plomb, antimoine, argent, or même; à la fin du XIXe
s. les mines de cuivre d'Argana Manden (près Diyarbekir) suffisaient encore
à la consommation de l'Empire ottoman.
Si la position commerciale de Ninive était
bonne, que dire de celle de Babylone? Mossoul
végète où fut Ninive, tandis que Bagdad
est une grande ville. La Babylonie est
placée au point de contact de l'Asie antérieure
et de la haute Asie, sur deux grands fleuves qui la mettent en communication
avec les pays agricoles et miniers du Nord, avec le golfe Persique ;
sa capitale devint donc l'entrepôt du commerce de terre et de mer de l'Asie
occidentale, commerce maritime avec l'Arabie ,
l'Afrique orientale, l'Inde,
commerce par voie fluviale avec l'Arménie
et les pays du Caucase, commerce par caravanes
avec l'Iran, l'Arabie, la Syrie
et l'Egypte, l'Asie
Mineure. D'une extrême fertilité, son sol portait une population
très nombreuse; à sa richesse agricole s'ajoutait la grande industrie
manufacturière de Babylone; elle pouvait échanger ses tissus de laine,
de lin et de coton, ses robes et ses tapis (fabriqués non seulement dans
la capitale, mais dans les villes environnantes, en particulier à Borsippa),
et tous les articles de luxe, armes ciselées, bijoux, amulettes, cachets
en pierre dure, meubles, eaux de senteur; nous avons déjà fait remarquer
combien les objets de luxe presque
seuls transportables par caravane avaient
dans l'antiquité plus de valeur que de nos jours. En échange de ces produits
manufacturés, Babylone recevait d'Arménie des denrées agricoles et surtout
du vin; de l'Arabie et de l'Ethiopie des
parfums, des épices, de l'or, de l'ivoire, de l'ébène, de l'ambre gris,
des bijoux et des talismans; de la Perse et des contrées orientales, de
la laine brute et aussi des étoffes de laine très estimées (robes de
Médie),
des pierres précieuses, émeraudes et jaspe de l'Asie centrale; de l'Inde
venaient de grands chiens très appréciés, des pierres précieuses, des
matières colorantes.
Plusieurs grandes routes commerciales aboutissaient
à Babylone. Hérodote a décrit la navigation
de l'Euphrate; on y employait des barques ovales qu'on retrouve encore,
à coque de bois et bordages en peaux doublées de joncs; on les gouvernait
avec deux rames, les allégeant avec des outres gonflées d'air quand elles
étaient trop chargées. Arrivés à Babylone, les marchands vendaient
la cargaison et la carcasse de leur barque, chargeaient les bordages sur
des ânes qui les ramenaient au point de départ; ils ne pouvaient en effet
remonter le fleuve. Dans la Babylonie proprement dite, on avait fait les
plus grands travaux pour endiguer l'Euphrate
et plus encore le Tigre ;
tout un réseau de canaux avait été creusé, également utile à l'agriculture
et au commerce. Une route de terre partant de Babylone passait par la Médie
et Ecbatane, franchissait le célèbre défilé
des Portes Caspiennes, descendait dans l'Hyrcanie et, par Hécatompylos,
à la région appelée Asie, vers le point où est Hérat. Là elle bifurquait;
une branche tournait au Nord vers la Bactriane,
un autre à l'Est vers l'Inde par la Drangiane et l'Arachosie en passant
par les villes de Prophthasia, Arachotos et Ortospana. En ce point était
un nouveau carrefour, ce que les anciens appelèrent le trivium de la Bactriane,
une route se dirigeait droit à l'Est vers l'Inde, traversant le Pendjab
par Taxila et gagnant la vallée du Gange
et le grand entrepôt de Palibothra; la seconde route arrivait au même
marché en passant par l'Arachosie (région de Kandahar); la troisième
remontant au Nord gagnait Bactres et de là Maracanda (Samarcande).
Une autre route reliait Babylone aux rives de la Méditerranée ;
elle remontait au Nord dans la Mésopotamie, passait l'Euphrate vers Anthemusa
et s'enfonçait à l'Ouest. Il est vraisemblable que la grande route royale
de l'empire persan qui aboutissait à Suse avait
repris une ancienne route assyrienne ou babylonienne de l'Assyrie, elle
remontait au Nord vers l'Arménie (évitant les steppes et les brigands
de la Mésopotamie septentrionale), passait l'Euphrate, gagnait le défilé
des Portes Ciliciennes par où elle pénétrait en Cappadoce,
de là en Phrygie et en Lydie.
Au temps d'Hérodote, il y avait tout le long de cette route des maisons
royales ou stations pour loger les voyageurs et leur suite. Ce sont des
caravansérails. Hérodote en comptait onze cents de Sardes à Suse. Cette
voie sera suivie encore pendant des siècles par les caravanes qui iront
de Smyrne à Ispahan.
La navigation du golfe Persique avait une
importance. particulière; la marine babylonienne, qui fut très puissante,
la pratiquait concurremment avec celle des proto-Phéniciens des îles
de Tylos et d'Arvad qui lui vendaient le coton de leurs grandes plantations,
les célèbres cannes de l'île de Tylos et les perles des pêcheries du
golfe; sur la côte d'Arabie, dans la région de Bahrein ,
était le grand entrepôt de Gerra (auj. El-Katif), colonie chaldéenne
dont la prospérité était célèbre dans l'Antiquité. Elle était située
auprès de riches salines, et l'importance du sel est énorme dans les
pays qui en manquent. Ses habitants transportaient dans tout l'Occident
les produits de l'Arabie heureuse et même de l'Inde; en premier lieu,
l'encens et les parfums dont les temples consommaient une si grande quantité.
La Babylonie était le centre de ce commerce, que les Gerréens faisaient
non seulement par Babylone, mais par Opis sur le Tigre. Au sortir de ce
golfe Persique, où tout favorise la navigation, on se ravitaillait dans
la petite contrée d'Ormuz ;
cependant la station commerciale était en face sur la côte déserts d'Arabie
; il y avait là un entrepôt de denrées arabes et indiennes, en particulier
de cannelle.
Ce que nous avons dit de la Babylonie s'applique
en grande partie à l'Assyrie; là aussi
les arts industriels avaient atteint un haut degré de perfection, les
étoffes assyriennes aux couleurs éclatantes, les superbes broderies qui
décoraient les vêtements, les tapisseries qui ornaient les chambres des
palais étaient célèbres; l'élégance des meubles sculptés nous frappe
encore d'admiration; la sellerie et la cordonnerie des Assyriens n'ont
pas été dépassées; le travail des métaux, la céramique émaillée,
la verrerie étaient des industries florissantes aussi bien qu'en Babylonie.
Tous ces produits étaient échangés avec les peuples voisins ou éloignés,
et non pas seulement contre des matières premières; les outils de fer
et d'acier venaient de chez les Chalybes, près du Caucase;
les étoffes teintes en pourpre et en azur de chez les Phéniciens,
ainsi que des verreries et les ivoires sculptés; l'Egypte fournissait
ses mousselines et achetait des meubles en bois sculpté, des objets en
terre émaillée.
Pour les échanges les métaux précieux,
or, argent et cuivre servaient d'étalon; ils circulaient en lingots, le
métal la plus employé était l'argent; les lingots de poids défini étaient
de forme ovoïde un peu aplatie, analogue à celle des premières monnaies.
Les commerçants d'Assyrie et de Babylonie ont presque inventé la monnaie,
car ils ne se sont pas contentés de peser l'argent et l'or employés dans
les échanges, ni même de préparer d'avance des lingots d'un poids défini,
ils ont taillé les lingots d'or sur un poids différent de celui de l'argent
et avec un sicle particulier (8,415 g pour l'or; 11,22 g pour l'argent)
de manière à avoir entre l'or et l'argent un rapport exprimable en nombres
entiers facilitant les calculs; dix sicles d'argent valaient un sicle d'or
et le rapport de valeur à poids égal entre l'or et l'argent était fixe
: un à 13 1/3. On est bien près de la monnaie et même du bimétallisme
moderne avec ces combinaisons. Ce n'est pas tout : la circulation fiduciaire
qui, pour nous, a bien plus d'importance que la monnaie, était connue
et pratiquée en Mésopotamie. Dès huit cents ans avant l'ère chrétienne,
le commerce assyrien connaissait le chèque, rédigé sur tablette d'argile
au lieu de l'être sur papier; on a retrouvé des mandats de paiement tirés
d'une ville sur une autre à soixante-seize jours de date; l'authenticité
du tireur est (à défaut de signature que ne comporte pas cette écriture)
attestée par témoins, mais le mandat est au porteur. Il est incontestable
que le commerce chaldéo-assyrien est l'inventeur de la lettre de change.
la cause a dû être la même que celle qui la fit créer de nouveau au
Moyen
âge, l'insécurité des routes et le danger couru pour de grands transports
de numéraire, mais peut-être aussi la facilité donnée pour la multiplication
des opérations commerciales. (A.-M. B). |
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