| Montfort (Simon de), troisième fils du vainqueur des Albigeois. Il naquit dans les toutes premières années du XIIIe siècle. De son enfance et de son éducation, nous ne savons rien, mais il y a des raisons pour croire qu'il put lire et comprendre le latin. Il entra au service du roi d'Angleterre en 1229. L'intérêt lui conseillait de chercher fortune de ce côté, car les titres héréditaires de comte de Leicester et de sénéchal d'Angleterre appartenaient à sa famille, qui en avait été dépouillée en représailles de la conquête de la Normandie par Philippe-Auguste. Simon obtint de Henri III, qu'on lui rendit la saisine du fief et de l' « honneur » de Leicester (1231); il abandonna les revenus dont il jouissait en France à son frère aîné Amauri, qui lui céda tous ses droits sur le comté de Leicester (1232) et il adopta désormais pour sa patrie le royaume où il tenait ses fiefs. Il servit d'ailleurs fidèlement son nouveau suzerain, qui lui laissa épouser sa soeur Aliénor, veuve de Guillaume de Pembroke (7 janvier 1238). Ce mariage n'était pas très régulier parce que les grands du royaume n'avaient pas été consultés et en outre parce qu'Aliénor avait fait voeu de chasteté après la mort de son premier mari; mais Simon alla lui-même acheter du pape l'absolution du péché commis par sa femme et le roi le protégea contre les murmures des grands. D'ailleurs, la part active qu'il prit à la croisade conduite en Terre sainte par le frère du roi, Richard de Cornouailles (1240), fit tout oublier. Il revint d'Orient juste à temps pour prendre part à la seconde expédition de Henri III en France (1242). Il combattit vaillamment devant Saintes, suivit le roi dans la campagne de 1245 contre les Gallois et fut mis par Henri III à la tête des croisés anglais qui devaient rejoindre les troupes du roi de France en Egypte; mais brusquement il fut destiné à une autre mission, celle de rétablir l'ordre en Gascogne et d'y restaurer l'autorité royale. Le roi l'y envoya muni des pouvoirs les plus étendus qu'il lui conféra pour sept années (1er mai 1248). Simon de Montfort réussit tout d'abord : il vainquit, jeta dans l'exil ou fit prisonniers les chefs de la noblesse rebelle; dans les villes, il triompha en s'appuyant, à ce qu'il semble, sur le parti aristocratique; à la fin de 1251, le pays paraissait pacifié. Les ennemis de Simon, l'archevêque de Bordeaux en tête, allèrent porter leurs plaintes jusqu'au roi et devant le Parlement (mai 1252). Les barons anglais donnèrent gain de cause à Simon qui retourna en Gascogne; mais le roi, fatigué d'une guerre ruineuse et toujours renaissante, irrité contre son beau-frère dont l'insolence et l'orgueil commençaient à lui peser, lui retira son commandement. Pendant les sept ou huit ans qui suivirent, Simon de Montfort ne cessa pourtant d'être employé au service du roi, soit en Gascogne même (1253-1254), soit dans les longues négociations qui se terminèrent par le traité de Paris conclu entre Henri III et Louis IX (1259). Mais l'amitié des premiers temps avait fait place à une défiance réciproque et à d'aigres récriminations: discussions pour affaires d'intérêts, différends sur toute question de politique intérieure ou extérieure. Depuis son retour de Gascogne, Simon était résolument passé au parti d'opposition qui s'était formé depuis que Henri III avait commencé de gouverner par lui-même. Il y avait été amené par ses rapports avec certains membres du clergé, dominicains et franciscains, qui demandaient des réformes dans l'Eglise et naturellement aussi dans l'Etat. Le savant évêque de Lincoln, Robert Grossetête, fut son conseiller très écouté, le véritable directeur de sa vie morale. Plus d'une fois il s'entretint avec lui des principes du bon et du mauvais gouvernement; mais nous ne savons pas exactement si le comte de Leicester avait un plan arrêté quand éclata la guerre civile. Cette guerre eut pour causes l'influence que le roi laissait prendre à des favoris, étrangers pour la plupart, au détriment du Parlement, son gouvernement arbitraire, les aventures et les insuccès de sa politique étrangère. Contre l'avis de ses principaux conseillers, il avait accepté pour son fils cadet Edmond la couronne de Sicile que le pape prétendait enlever au fils de l'empereur excommunié Frédéric Il (1254); il dépensa des sommes immenses pour la conquête de ce lointain royaume et, quand il demanda de nouveaux subsides en 1258, le Parlement l'obligea de consentir à un ensemble de réformes, connues sous le nom de « Provisions d'Oxford », qui limitaient son autorité en lui imposant le contrôle de plusieurs comités composés de grands du royaume. Nous ignorons si le comte de Leicester prit une part personnelle à ces réformes; car, pendant la plus grande partie de cette année et de la suivante, il fut employé aux négociations pour le traité de Paris. Certains l'ont accusé d'avoir accepté la nouvelle constitution avec une résignation maussade, mais dès qu'il l'eut jurée, il y resta inébranlablement fidèle; « comme jadis Simon Macchabée s'était levé pour son frère Judas, il se leva pour défendre jusqu'à la mort les libertés et les droits de l'Angleterre ». C'est après la conclusion de la paix avec la France (4 décembre 1259) que Simon de Montfort, sénéchal d'Angleterre et beau-frère du roi, devint réellement le chef du parti réformateur. Il n'éprouva d'abord que des déboires: le roi avait rapporté de France des subsides considérables, qui lui permirent de tenir la campagne avec succès et même de révoquer les Provisions d'Oxford (2 mai 1262) ; certains barons firent défection; les autres acceptèrent, à la fin de 1263, de soumettre leur cause à l'arbitrage du roi de France. La sentence prononcée par Louis IX à Amiens (24 janvier 1264) leur était si défavorable qu'ils reprirent aussitôt les armes. Simon, qui s'était tenu à l'écart de leurs dangereuses compromissions, se mit aussitôt à leur tête et les mena à la victoire : les troupes royales furent vaincues après un chaud engagement près de Lewes, où l'on admira sa science militaire (16 mai 1264). Le roi prisonnier dut reconnaître à nouveau les Provisions d'Oxford et s'engager à sanctionner les nouvelles réformes que le Parlement proposerait. Cette constitution fut essentiellement aristocratique; elle créa un Conseil royal de neuf membres choisis par un comité de trois personnes; les chefs des grands services publics (justice, finances, chancellerie) devaient être choisis par le Conseil des Neuf; les shérifs choisis parmi les propriétaires nobles domiciliés dans le comté. Cette organisation, qui enlevait le pouvoir effectif au roi et limitait même celui de Parlement, peut être considérée comme l'oeuvre propre de Simon de Montfort, qui composa lui-même le Conseil des Trois avec deux de ses amis et qui figura toujours aussi dans le Conseil des Neuf. Le roi, libre de nom, était en fait sous son étroite dépendance; il disposait à son gré du sceau royal; le prince Edouard était entre ses mains comme otage. Il avait des ennemis nombreux au dedans et au dehors, mais il réussit à empêcher la reine, réfugiée en France, de faire passer le moindre secours en Angleterre et à refouler les partisans du roi vaincu sur les confins du pays de Galles, dont le prince était son allié. Le Saint-Siège l'excommunia; il fit saisir et jeter à la mer les bulles qu'on devait fulminer contre lui. Il distribua à ses fils, à ses amis le commandement des places fortes, confisqua les biens des rebelles et en prit sa bonne part. Cependant sa situation restait provisoire et précaire tant que le roi n'était pas libre; mais le comte voulut lui lier les mains avant de lui rendre son indépendance. Il convoqua (décembre 1264) un grand Parlement où il appela, non seulement comme à l'ordinaire, les prélats et les grands du royaume, mais aussi deux chevaliers élus dans chaque comté et plusieurs députés élus par des cités et des bourgs. C'est la première fois qu'en Angleterre on voit les députés des Communes figurer d'une façon officielle et régulière dans le Parlement. Il ne faut pas s'imaginer pour cela que Simon de Montfort voulait établir un régime parlementaire tel que nous l'entendons aujourd'hui; car ce grand Parlement était, dans la pensée même de Simon, une assemblée exceptionnelle; il revint aux formes ordinaires dans celui qu'il convoqua trois mois plus tard; mais il créa un précédent destiné à faire une brillante fortune. C'est en effet sur ce modèle que furent constitués les Parlements anglais depuis la fin du XIIIe siècle. L'expédient imaginé par Simon de Montfort devint une institution régulière à partir d'Edouard Il, et, s'il est excessif de l'appeler le « Fondateur de la Chambre des communes », on doit reconnaître qu'il fut un des plus actifs promoteurs du gouvernement représentatif en Angleterre. Après une session qui dura environ trois semaines (janvier-février 1265), le grand parlement reçut les serments du roi qui jura, en son nom et au nom de son fils, d'observer les chartes des libertés et la constitution de juin 1264. Mais cette promesse n'était pas sincère et Simon de Montfort, qui le savait, garda le roi sous sa tutelle et le prince Edouard en prison. Cette situation révolutionnaire se dénoua plus tôt qu'on n'aurait cru. Edouard réussit à s'évader et à rejoindre ses amis de la marche galloise qui tenaient toujours la campagne. Le comte de Gloucester trahit la cause des barons. Une armée de secours amenée par un fils du comte de Leicester fut défaite. Simon n'avait plus avec, lui qu'une poignée d'hommes quand il fut enveloppé près d'Evesham. il y périt (4 août 1265) après avoir vendu chèrement sa vie. Simon de Montfort mort garda des admirateurs; pendant plus de dix ans et malgré la défense faite par le roi, on prétendit que des miracles avaient été opérés sur sa tombe. Pour les adversaires de la royauté arbitraire et despotique, il fut l'homme « qui dépense ses biens et sa vie pour délivrer les pauvres de l'oppression, fonder la justice et la liberté ». C'est à ce titre qu'il mérite le respect de l'histoire; on oublie ses défauts, son ambition peu scrupuleuse, son avidité, ses emportements en paroles et en actes; on peut discuter sur l'originalité de ses idées de réforme et de son système de gouvernement; mais c'était un esprit religieux, sincèrement épris du bien public, grand par le caractère, s'il ne l'était pas par le génie. De sa femme Aliénor d'Angleterre, qui lui survécut dix ans dans l'exil (elle mourut dans un couvent de religieuses dominicaines à Montargis), il eut sept enfants : deux filles et cinq fils. L'une des filles mourut en bas âge à Bordeaux; l'autre, Aliénor, épousa le prince de Galles Llewellyn (13 octobre 1278) et mourut en couches peu après (21 juin 1282). Des cinq-fils, un seul, Richard, nous est connu seulement par son nom. L'aîné, Henri, fut tué à la bataille d'Evesham ; il écrivit de sa main le testament de son père (1er janvier 1259), que nous avons encore. Simon et Gui se déshonorèrent en assassinant à Viterbe (13 mars 1271), leur cousin Henri, fils de Richard de Cornouailles, roi d'Allemagne. Le dernier fils, Amauri, entra dans les ordres, mais il reprit l'habit séculier après la mort de son frère Gui (1288), servit de tuteur à ses nièces et mourut sans postérité vers 1295. Avant la fin du XIIIe siècle, il ne restait plus personne de la descendance mâle du comte de Leicester. (C. Bémont). |