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La philosophie

Aperçu Divisions de la philosophie La nature du réel Le problème de la connaissance L'action et les fins La valeur de la philosophie

V. Delbos 
c.1900 
Sens et valeur de la philosophie - Qu'est-ce que l'être? Qu'est-ce que le savoir? Qu'est-ce que l'action? Voilà dans leur extrême généralité les trois grands sujets des problèmes philosophiques. Mais il faut ajouter que la philosophie en traite presque toujours avec la pensée d'aboutir à des solutions concordantes capables de former un système. D'ailleurs la solidarité de ces questions apparaît, semble-t-il, de plus en plus interne, à mesure que les questions mêmes sont plus approfondies. Nous avons vu comment le problème de l'être suscite le problème de la connaissance, comment le problème de la connaissance suscite le problème de l'action.

Mais peut-on aller au delà de la conscience de cette solidarité, au delà même de la transposition, parfois requise par les progrès de la pensée, de certains problèmes en problèmes d'un autre ordre? Évidemment si la portée de la philosophie était en rapport avec sa raison d'être, ce qu'elle devrait se proposer ce serait la déduction- a priori de l'univers. A plusieurs reprises, cette déduction a été tentée : mais les oeuvres où elle s'est exprimée ont toujours été dénoncées comme arbitraires et artificielles. Et il se pourrait bien que l'impuissance de la tentative ne soit pas momentanée, ni contingente, mais qu'elle tienne à des causes permanentes et essentielles. Quelque effort en effet qu'accomplisse le travail philosophique d'un humain pour s'égaler à la plénitude d'affirmation et de création de l'absolu, il n'en reste pas moins lié aux conditions de toute intelligence finie, forcé par là même de représenter par des schèmes, des symboles, de pures combinaisons de concepts, ce qui se dérobe à une intuition adéquate. Au fait, le moment principal d'insuccès pour les philosophies de l'absolu, c'est le moment où il s'agit de déduire l'extériorité de l'absolu par rapport à lui-même, si illusoire qu'elle paraisse. La coexistence de l'absolu et du relatif, de l'infini et du fini, voire de la pensée divine et de la pensée humaine, reste toujours dans ces cas le fait présupposé que l'on peut interpréter plus ou moins symboliquement, mais dont la pure raison échappe.

Ce qui serait peut-être plus légitime à poursuivre que cette progression de l'absolu vers le relatif, c'est la régression du relatif vers l'absolu, accompagnée de la conscience du relatif jusque dans l'affirmation de l'absolu. En d'autres termes, que la pensée suppose en un premier principe l'unité de l'être, de la science et de l'action, cela ne fait que marquer l'achèvement de ses tendances : de ce premier principe elle dira tour à tour qu'il est réel ou qu'il est idéal, suivant qu'elle voudra exprimer sa transcendance par rapport au possible ou par rapport à toute existence donnée : elle le supposera comme la vérité suprême de toutes les déterminations positives empruntées, sait à la nature de la réalité, soit à la logique et à la finalité intellectuelles, soit à l'activité morale; mais elle renoncera à déduire ces déterminations les unes des autres; elle n'en expliquera pas absolument la coexistence : elle se bornera à la représenter par des symboles ou des croyances, mais qui seront introduits, sans illusion intellectualiste, comme symboles et comme croyances. Au fait, les preuves de l'existence de Dieu ont toujours uni des attributs hétérogènes en supposant cette unité comme une nécessité de la raison et en laissant à la foi religieuse le soin de représenter cette unité.
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Philosophe.
Philosophe avec un livre ouvert.

Mais entre cette conception, qui est un terme extrême de la pensée et les disciplines positives qui s'appliquent à des objets donnés, quel sera le rôle de la philosophie? Elle a d'abord pour objet d'établir le rapport et l'unité de ces disciplines; elle est la synthèse des sciences en une doctrine de la science (Epistémologie); mais elle remplirait mal ou, pour mieux dire, vainement cette fonction, si elle était un essai de rapprochement des sciences par leur matière et leurs résultats : outre qu'elle ne pourrait aboutir par cette voie qu'à des conceptions confuses, elle risquerait d'enlever à chaque science le sentiment si utile de la spécialité de son objet: seulement il y a un certain nombre de concepts et de principes qui sontt constitutifs des diverses sciences et dont la signification et les rapports peuvent être déterminés en fonction du sujet pensant, c.-à-d. que la philosophie doit être théorie de la connaissance dans le sens que nous avons défini-: c'est sous cette forme qu'elle peut être unité du savoir.

Cependant il ne manque pas d'esprits pour soutenir que c'est là sa fonction unique et qu'elle n'a pas d'autre tâche à poursuivre : elle retournerait pour vouloir autre chose à d'anciennes et inutiles illusions. La distinction de la philosophie et de la science ne serait rien de plus que la distinction de la science moderne et de la science antique : la science antique a prétendu être moins une explication des objets donnés dans le monde qu'une représentation de ce qu'est le monde lui-même. La science moderne n'est et ne doit être qu'une explication des objets, à laquelle s'ajoute une théorie de cette explication : la tendance de la pensée à s'appuyer sur une intuition de la réalité intime des êtres n'est qu'une tendance anthropomorphique que favorise un sens imaginatif et artistique des choses. Des philosophes pénétrés de l'esprit de la science ont pu céder à cette tendance et envelopper leurs conceptions les plus rigoureuses et les plus exactes dans des divinations intuitives de l'essence des êtres; mais le temps et la critique séparent de plus en plus la part positive et la part poétique de leur oeuvre. Il faut prendre nettement conscience de l'inutilité et de l'impossibilité scientifique qu'il y a à découvrir un fond ou un dedans des choses.

Il est bien vrai que l'esprit de l'humain pourrait s'en tenir là s'il n'était qu'intelligence théorique, et ce n'est pas à coup sûr une exigence stricte de l'intelligence théorique que la représentation d'un fond ou d'un dedans des choses. Mais l'esprit discerne en lui, à coté de l'intelligence qui conçoit des objets et les explique par des lois, la volonté d'être et de se réaliser. Respectueux de l'abstraction fondamentale qui isole, dans l'intérêt de la connaissance objective, l'entendement de la volonté, il ne peut cependant affirmer, dès qu'il s'agit de dire ce que sont les choses, qu'elles sont tout entières à la mesure de l'entendement. Si la nécessité est reconnue de chercher l'unité des sciences dans une doctrine de la science, la nécessité est légitime aussi de coordonner la doctrine de la science avec l'idée des conditions, des exigences et des fins de l'action. 

Le rôle de la philosophie n'est-il pas de restaurer l'intégrité du réel? Si l'on traite d'anthropomorphique la disposition à se représenter l'univers, non pas seulement suivant une loi de développement, mais comme un système de sujets en qui par une appétition interne le développement s'opère, il faut rappeler que c'est sous la forme de l'activité humaine que le concret est immédiatement saisi, et qu'il y a aussi des raisons de concevoir l'univers non pas seulement comme le lien de la connaissance, mais comme le lieu de l'action. La seule réserve qui soit légitime, c'est la conscience nette que cette, construction ou cette interprétation du réel sont faites selon l'idée de l'action ou, mieux, selon l'idée d'un rapport de l'action avec l'intelligence, non selon les stricts besoins de l'intelligence. Déjà quand Leibniz restaurait par delà le mécanisme cartésien (Descartes, Cartésianisme) les concepts aristotéliciens (Aristote, Péripatétisme) et scolastiques, quand il supposait par delà les phénomènes bien liés du monde matériel, les monades représentatives de ce monde, il reconnaissait que les lois de l'activité des monades, autres que les lois des phénomènes, ne pouvaient ni suppléer ces dernières, ni en limiter la portée dans leur domaine propre. Plus que Leibniz, il faut marquer le sens hypothétique, par rapport à le science positive, d'une intuition des êtres dans leur intimité; il faut surtout s'avouer que les raisons de cette intuition ont leur origine dons des dispositions et des exigences de l'activité pratique, universalisées par la pensée; et qu'en conséquence toutes les conceptions sur les fins de l'univers, la valeur de la vie, la destinée de l'humain, par cela même qu'elles portent non pas sur le donné strict, mais sur l'idéal et le possible, restent dans leur fond dernier, en dépit de l'élaboration intellectuelle à laquele elles se soumettent des croyances. Mais de ces croyances même la raison doit être fournie, par l'analyse critique de l'action, par le départ de ce qui en elle est immanent à son développement et de ce qui ne concourt avec elle que par relation extérieure et contingente.
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Philosophe.
Philosophe en méditation

On voit par là comment la philosophie peut se rattacher à sa tradition sans se détourner des conditions nouvelles que lui a faites le développement des sciences positives. Elle reste toujours capable de constituer une oeuvre technique; mais ce serait la limiter que de ne l'apercevoir que dans cette oeuvre. Elle est aussi dans cet esprit de curiosité qui ne se lasse pas de s'étonner sur les choses et d'en poursuivre les raisons, dans cet esprit critique qui se refuse à accepter le donné parce qu'il est, dans ce goût des idées générales dont la science, l'art, la vie sont les occasions, et dont la conquête, récompense un des plus nobles efforts de l'humanité. (Victor Delbos).
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La valeur de la philosophie.

Nous tenons à bien faire entendre, en quelques lignes, l'intérêt qui s'attache aux études philosophiques. Nous ne le chercherons pas, comme on le fait quelquefois, dans les parties les plus pratiques de la philosophie, quoique assurément nous ne devions pas rester indifférents aux perfectionnements très réels que l'étude bien faite de la logique et de la morale peut porter dans l'exercice habituel des facultés; mais nous croyons que si le perfectionnement de l'intelligence et du coeur est en effet le but qu'il s'agit d'atteindre, c'est moins par les méthodes et par les règles pratiques que la philosophie nous y conduit, que par les lumières qu'elle projette sur toutes choses, par les horizons étendus qu'elle ouvre à l'esprit, par l'amour de la vérité - ou le désir de sincérité face au monde - qu'elle lui inspire, par les habitudes de réflexion qu'elle lui communique, par la culture désintéressée de la raison. Aristote a supérieurement exprimé ceci :

« Parmi les sciences, dit Aristote, celle à laquelle on s'applique pour elle-même, et dans le seul but de savoir, est plus philosophie que celle qu'on étudie à cause de ses résultats [...] Connaître et savoir, dans le but unique de savoir et de connaître, tel est par son excellence le caractère de la science de ce qu'il y a de plus scientifique. » (Métaphysique, I ,1, 2). 
Ajoutons encore que la philosophie est et doit rester l'oeuvre de la libre réflexion, la science la plus haute à laquelle l'humain puisse s'élever par ses propres forces, mais après tout une science humaine comme les autres; science faillible, discutable dans les solutions qu'elle oppose aux problèmes qu'elle agite. C'est de là que lui viennent le mouvement, la vie et le progrès. (B-E.).
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