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Finalité, Cause finale

La finalité, ou cause finale c'est le but et fin des causes, le pourquoi. La notion de cause finale, et le principe des causes finales, qui est l'expression généralisée du rapport de tous les phénomènes, de toutes les existences possibles, avec leur cause finale (rien n'existe sans but), offrent la plus frappante analogie avec la notion de cause proprement dite et le principe de causalité. Ils ont même nature et même origine; ils naissent et se développent de la même manière. 

Le finalisme consiste à poser l'existence de la cause finale. Il conduit à former l'idée de ce que le but de toute existence ne peut être qu'un dessein formé à l'avance dans une intelligence, l'idée des causes finales amène à ainsi sa suite l'idée de Dieu -Providence, comme l'idée de cause efficiente amène celle de Dieu créateur.

La notion de cause finale figure encore à d'autres titres dans la Théodicée. Comme l'idée de cause, elle fait le fond d'un argument à la fois philosophique et populaire en faveur de l'existence de Dieu, l'argument finaliste ou argument des causes finales, ainsi nommé parce qu'il consiste essentiellement à mettre en évidence le dessein intelligent qui a présidé à l'arrangement de l'univers, par l'appropriation des moyens aux fins. Socrate, Cicéron dans l'Antiquité, la plupart des Apologistes et des écrivains qui ont voulu démontrer l'existence de Dieu, ont fait usage de cet argument.

Toute la première partie du Traité de l'existence de Dieu de Fénelon en est le développement; il a inspiré à Chateaubriand les meilleures pages peut-être du Génie du Christianisme (1re partie, liv. V, Existence de Dieu prouvée par les merveilles de la nature). L'abus qu'on avait fait des causes finales en physique et en métaphysique éloignèrent de cet argument Bacon, Descartes et quelques-uns de ses successeurs. Leibniz , puis Schopenhauer, l'ont réhabilité sous le nom de Principe de la raison suffisante. (B-E).

Le terme de finalité a été tardivement introduit dans la langue philosophique, s'y est vite acquis droit de cité. Il rend, en effet, avec la plus heureuse précision, le mot allemand Zweckmässigkeit, qu'on ne peut bien traduire par aucun autre, même par celui de convenance, dont on s'est beaucoup servi d'abord. Si le mot est relativement récent, l'idée qu'il sert à traduire est, au contraire, aussi vieille que la philosophie, c'est-à-dire que l'esprit humain. On voit partout dans la nature des harmonies, des proportions, des appropriations merveilleuses; de tout temps l'esprit humain s'est demandé si elles résultaient du hasard, de la force des choses, de la nature même de la matière on d'une volonté intelligente, de Dieu. 

On sait que certains, philosophes ont fait de l'argument des causes finales la preuve essentielle de l'existence de Dieu. Dans les sciences physiques, l'abus du point de vue téléologique a amené une réaction : on a fini par ne plus vouloir tenir aucun compte du tout ce qui n'est pas cause ou effet mécanique, et, à l'exemple de Descartes, quoiqu'en un tout autre esprit, les savants modernes tendent à tout remener à des lois mécaniques excluant la finalité. 

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Spinoza :
Négation des causes finales

« Toutes les causes finales ne sont rien que de pures fictions imaginées par les hommes.

Le premier défaut de cette doctrine, c'est de considérer comme cause ce qui est effet et réciproquement; en second lieu, ce qui de sa nature possède l'antériorité, elle lui assigne un rang postérieur; enfin elle abaisse au dernier degré de l'imperfection ce qu'il y a de plus élevé et de plus parfait. En effet, pour ne rien dire des deux premiers points qui sont évidents d'eux-mêmes, il résulte des propos XXI, XXII et XXIII, que l'effet le plus parfait est celui qui est produit immédiatement par Dieu, et qu'un effet devient de plus en plus imparfait à mesure que sa production suppose un plus grand nombre de causes intermédiaires. Or, si les choses que Dieu produit immédiatement étaient faites pour atteindre la fin que Dieu se propose, il s'ensuivrait que celles que Dieu produit les dernières seraient les plus parfaites de toutes, les autres ayant été faites en vue de celles-ci. Ajoutez que cette doctrine détruit la perfection de Dieu; car si Dieu agit pour une fin, il désire nécessairement quelque chose dont il est privé. Et bien que les théologiens et les métaphysiciens distinguent entre une fin poursuivie par indigence et une fin d'assimilation [C'est-à-dire qui a pour objet de rendre la chose semblable à soi], ils avouent cependant que Dieu a tout fait pour lui-même et non pour les choses qu'il allait créer, vu qu'il était impossible d'assigner avant la création d'autre fin à l'action de Dien que Dieu lui-même; et de cette façon, ils sont forcés de convenir que tous les objets que Dieu s'est proposés, en disposant certains moyens pour y atteindre, Dieu en a été quelque temps privé et a désiré les posséder. »
 

(Spinoza. Ethique, I, appendice).

L'étude de ce fait important et complexe a été faite avec une puissance d'esprit tout à fait supérieure par Kant, dans sa Critique du jugement (deuxième partie). Nous n'avons pas à y revenir ici. Nous nous bornerons simplement a détacher de l'oeuvre d'ensemble les points capitaux qui concernent spécialement la finalité.

D'abord il faut bien distinguer, avec lui et d'après lui, la finalité qu'il appelle intérieure et la finililé relative. La finalité est intérieure dans les objets. que nous ne pouvons concevoir que comme des fins de la nature; elle est relative dans les choses qui n'exigent pas elles-mêmes le concept d'une fin de la nature. Ce second genre de finalité dérive du premier, mais n'en a ni l'importance ni la certitude. On peut, en effet, supposer une foule de rapports et de nexus finalis entre des choses qui, par nature, ne sont pas inévitablement liées l'une à l'autre.

La finalité proprement dite ou finalité intérieure apparaît dans les êtres organisés. Un organisme est un tout disposé de telle sorte que chacune de ses parties existe en vue du tout et n'est possible que par rapport au tout. Dans un être organique, tout est ainsi à la fois fin et moyen; et, en généralisant, la nature tout entière, comme un immense organisme, tend, par une hiérarchie de moyens et de fins, à une fin suprême et universelle. 

Telle est l'opinion qui se présente spontanémotif à l'esprit en face des phénomènes de finalité que présente l'univers. Mais comment expliquer cette finalité universelle? Est-elle objective et matérielle, ou purement subjective et formelle? La logique même de tout son système forçait Kant à se prononcer pour cette dernière hypothèse. Comme toutes les idées transcendantales, le principe téléologique n'a qu'une valent, régulatrice et sert, non à nous faire connaître des réalités mais à nous guider dans leur recherche.
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Voltaire :
Apologie des causes finales

« Si une horloge n'est pas faite pour montrer l'heure, j'avouerai alors que les causes finales ne sont que des chimères ; et je trouverai fort bon qu'on m'appelle cause-finalier, c'est-à-dire un imbécile.

Toutes les pièces de la machine de ce monde semblent pourtant faites l'une pour l'autre. Quelques philosophes affectent de se moquer des causes finales rejetées par Épicure et Lucrèce. C'est plutôt, ce me semble, d'Épicure et de Lucrèce qu'il faudrait se moquer. Ils vous disent que l'oeil n'est point fait pour voir, mais qu'on s'en est servi pour cet usage quand on s'est aperçu que les yeux y pouvaient servir. Selon eux, la bouche n'est point faite pour parler, pour manger, l'estomac pour digérer, le coeur pour recevoir le sang des veines et l'envoyer dans les artères, les pieds pour marcher, les oreilles pour entendre. Ces gens-là cependant avouaient que les tailleurs leur faisaient des habits pour les vêtir, et les maçons des maisons pour les loger; et ils osaient nier à la nature, au grand Être, à l'Intelligence universelle, ce qu'ils accordaient tous à leurs moindres ouvriers.

Il ne faut pas sans doute abuser des causes finales. Nous avons remarqué qu'en vain M. le Prieur, dans le Spectacle de la nature, prétend que les marées sont données à l'Océan pour que les vaisseaux entrent plus aisément dans les ports, et pour empêcher que l'eau de la mer ne se corrompe. En vain dirait-il que les jambes sont faites pour être bottées, et les nez pour porter des lunettes.

Pour qu'on puisse s'assurer de la fin véritable pour laquelle une cause agit, il faut que cet effet soit de tous les temps et de tous les lieux. Il n'y a pas eu des vaisseaux en tout temps et sur toutes les mers; aussi l'on ne peut pas dire que l'Océan ait été fait pour les vaisseaux. Ou sent combien il serait ridicule de prétendre que la nature eût travaillé de tout temps pour s'ajuster aux inventions de nos arts arbitraires, qui tous ont paru si tard; mais il est bien évident que si les nez n'ont pas été faits pour les besicles, ils l'ont été pour l'odorat, et qu'il y a des nez depuis qu'il y a des hommes. De même les mains n'ayant pas été données en faveur des gantiers, elles sont visiblement destinées à tous les usages que le métacarpe et les phalanges de nos doigts, et le mouvement du muscle circulaire du poignet nous procurent.  »
 

(Voltaire. Dictionnaire philosophique. Article Causes finales).

En restreignant ce principe à un rôle régulateur, il n'y a plus d'antinomie entre les deux points de vue, l'un qui explique les productions de la nature par le principe du mécanisme, l'autre par le principe de finalité. La finalité est une loi de l'entendement humain que nous appliquons à la nature, mais qui n'a pas pour objet de nous expliquer les faits et les lois de la nature. La téléologie est en nous; la physique, réglée par la causalité, a son domaine en dehors de nous. 

Kant propose de classer les systèmes philosophiques, par rapport à la finalité, de la manière suivante : les uns admettent la réalité, les autres l'idéalité du principe de finalité; c'est-à-dire que les uns mettent la finalité dans l'esprit humain, comme une de ses notions nécessaires et inhérentes, les autres admettent qu'elle existe objectivement et ne dépend pas de l'esprit qui la perçoit sans doute, mais qui ne la crée pas. En admettant l'idéalité, ont arrive ou au système que Kant nomme causalité (c'est celui des philosophes anciens qui font de la cause finale une simple apparence ou coïncidence due au hasard), ou bien à la fatalité qui fait dépendre les phénomènes téléologiques de lois et de forces absolues, mais aveugles et inconscientes. Dans le cas contraire, si la finalité est réelle, on peut admettre l'hylozoïsme, qui attribue à la matière la propriété organisatrice, la propriété de s'approprier à ses fins elle-même, par elle-même ou bien le théisme, qui attribue la finalité a une puissance intelligente et souveraine, indépendante de la matière qu'elle crée et des formes qu'elle établit. Kant se prononce pour ce dernier système, mais dans le même sens où il l'a fait déjà à la fin de ses deux précédentes Critiques, c'est à-dire en lui reconnaissant seulement une valeur pratique et sans admettre qu'il ait une absolue certitude théorique. Aussi est-ce de l'argument éthico-théologique qu'il se sert préférablement à la preuve physico-théologique. Il voit, du reste, dans l'existence de Dieu une conséquence logique, sans doute, et nécessaire de la finalité; mais on ne peut pas donner à cette conclusion de la finalité plus de portée que n'en a la finalité elle-même.

Après Kant, la finalité a été souvent étudiée avec de plus grands détails par les philosophes allemands, particulièrement par Hegel, dont nous ne pourrions développer les idées à ce sujet qu'en entrant dans une exposition étendue de la théorie de l'idée et du devenir. 

Mais c'est surtout dans la seconde moitié du XIXe siècle que l'étude des finalités de la nature a pris un intérêt tout nouveau. Les deux grands ouvrages de Darwin ont transporté la question du domaine métaphysique dans celui des sciences naturelles, et remis en lumière la vieille idée soupçonnée déjà par Epicure et Lucrèce, à savoir que les finalités tant admirées comme marques de la sagesse divine, comme preuves d'un plan un et harmonieux dans l'univers, ne seraient que des effets de l'adaptation progressive des organismes à leurs milieux. Les philosophes ont crut pouvoir déduitre de cela qu'au lieu d'une finalité intentionnelle, il n' y aurait plus que des finalités naturelles et nécessaires, c'est-à-dire des lois de la nature organisée, qui, ne pouvant vivre que dans certaines conditions, se développe ou dégénère, suivant que ces conditions et son milieu lui sont ou favorables ou contraires. Ce point de vue repose sur une mauvaise compréhension de la notion d'adaptation, ou même sur une utilisation abusive et inappropriée de ce terme, puisqu'elle introduit une forme de pétition de principe. 

Quoi qu'il en soit ce malentendu a conduit Paul Janet à affirmer qu'en philosophie la question de la finalité n'est pas supprimée par là, mais simplement reculée; car n'y eut-il plus aucune finalité de détail pour des cas particuliers, il resterait encore cette finalité générale en vertu de laquelle partout et toujours la matière s'adapte, s'accommode et s'approprie à ses fins.  On retrouve alors la même idée qu'avait exprimée Kant, en disant que, si l'on parvenait à faire dériver la pensée de la vie, la vie de l'organisme, l'organisme des forces physiques, il resterait encore, en faisant sortir tous les êtres de la terre elle-même par la force des choses, un problème à expliquer, à savoir comment la terre est propre a cette production des êtres minéraux, végétaux et animaux. (PL).

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