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Le mot système,
du grec systêma, assemblage,
vient du verbe systeô, qui signifie attacher ensemble, entrelacer,
et peut également être dérivé
de syn, avec, et tithêmi, je place. D'après
cette étymologie, un système est un ensemble de parties étroitement
liées ensemble et qui, le plus souvent, se rapportent toutes à
quelque partie plus importante, laquelle prend tantôt le nom de centre
et tantôt celui de principe du système.
Il s'agit là, comme on voit, d'une idée très générale,
extrêmement voisine de l'idée d'ordre
(au sens leibnizien du mot). Leibniz, on le sait,
considérait l'espace et le temps
comme des espèces d'ordres, et il donnait encore comme exemple d'ordre
un arbre généalogique. Il semble que le système soit
un ordre plus défini et plus complexe dont les parties composantes
ont entre elles non seulement des rapports de ressemblance (homogénéité,
affinité, analogie), mais encore des
rapports de dépendance réciproque (coordination et même
subordination). Un système naturel est un système existant
objectivement dans la nature, c.-à-d. un
ensemble de choses réellement existantes et liées entre elles
par des rapports de ressemblance et de dépendance réciproques
: c'est en ce sens qu'on parle du système solaire
(ensemble constitué par le Soleil
et les planètes, elles-mêmes escortées de leurs satellites,
qui gravitent autour de lui), du système nerveux (ensemble des cellules
nerveuses et de leurs prolongements constitué par les nerfs, la
moelle et le cerveau), etc. En géologie (en géologie, on,
appelle système ou terrain l'ensemble des couches qui se sont déposées
pendant une période déterminée de l'histoire du globe),
en minéralogie, en pétrographie, le mot système s'emploie
encore avec cette signification objective,
c.-à-d. pour désigner un ensemble de faits plus ou moins
solidaires les uns des autres et le plus souvent conditionnés par
une cause commune ou par un groupe de causes qui
ont toutes ensemble coopéré à les produire.
Mais on peut aussi entendre par système
le résultat d'une coordination subjective, une oeuvre de l'esprit
humain. Ainsi l'entendait Condillac, dans son
Traité des systèmes, lorsqu'il le définissait
comme :
«
la disposition des différentes parties d'un art ou d'une science
dans un ordre où elles se soutiennent toutes mutuellement, et où
les dernières s'expliquent par les premières ».
Et Condillac ajoutait :
«
celles qui rendent raison des autres s'appellent principes, et le système
est d'autant plus parfait que les principes sont en plus petit nombre :
il est même à souhaiter qu'on les réduise à
un seul ».
Quand les astronomes parlent des systèmes
de Ptolémée, de Tycho-Brahé,
de Copernic, ils prennent le mot système
en ce sens, et c'est encore le sens du mot en botanique, lorsqu'on l'applique
à la classification linnéenne
des végétaux. Il semble cependant que, dans ce dernier cas,
il suggère l'idée d'une coordination artificielle et rigide,
peut-être utile pour des fins pratiques, mais sans conformité
avec les véritables rapports des choses. Du moins les botanistes
opposent volontiers le système de Linné
(ou classification artificielle) à la méthode
de Jussieu (ou classification dite naturelle),
celle ci n'étant nullement arrêtée comme l'autre jusque
dans ses derniers détails à la façon d'une carte immuable,
mais posant seulement quelques jalons et dessinant quelques lignes pour
permettre à la science de suivre et de reproduire avec une approximation
toujours croissante l'infinie variété des rapports
qui se découvriront indéfiniment à elle dans la nature.
En philosophie,
on entend par système un essai d'explication
universelle, la réduction de l'ensemble des choses à un petit
nombre de principes ou même à un principe unique. Le nombre
des systèmes philosophiques n'est très grand qu'en apparence
: en réalité, ils peuvent tous se ramener à trois
ou quatre. Victor Cousin reconnaissait quatre
grands systèmes : le sensualisme ou
empirisme, l'idéalisme,
le scepticisme et le mysticisme;
mais cette classification est, d'une part, trop étroite, puisqu'elle
ne laisse aucune place pour le panthéisme,
qui a cependant une physionomie bien distincte, et, d'autre part; trop
large, puisqu'elle voit un système philosophique dans le mysticisme,
qui est bien plutôt une simple tendance d'esprit, commune à
des philosophes très différents les uns des autres, ceux-ci
idéalistes comme Malebranche, ceux-là
panthéistes comme Spinoza, etc. En se
plaçant, non comme V. Cousin, au point de vue relativement étroit
de l'origine de la connaissance
humaine, mais au point de vue plus large et vraiment métaphysique
de la nature de l'être,
on peut déduire comme il suit la classification générale
des systèmes philosophiques. L'ensemble des choses se rapportant
nécessairement, soit à l'objet (monde
extérieur), soit au sujet (esprit), on bien
l'on cherche dans le sujet l'explication de l'objet (idéalisme,
spiritualisme), ou bien l'on cherche dans
l'objet l'explication du sujet (matétialisme)
ou bien l'on cherche l'explication du sujet et de l'objet dans un tertium
quid qui, sans être actuellement l'un ou l'autre, les contienne
tous deux en puissance (panthéisme,
monisme); ou bien enfin l'on déclare impossible
toute explication systématique des choses, le sujet et l'objet ne
pouvant ni se réduire l'un à l'autre, ni se ramener à
l'unité d'un troisième principe (scepticisme,
phénoménisme, positivisme,
etc.).
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Quelques
systèmes et attitudes philosophiques
L'empirisme.
C'est
une doctrine qui n'admet comme réalité et comme source de
certitude que les objets de l'expérience. Les faits seuls sont certains;
quand nous tentons de les dépasser, nous contruisons sans doute
des romans ingénieux, mais fragiles et inconsistants. L'expérience
nous donne des phénomè nes psychologiques; nous n'avons pas
a aller au delà pour savoir s'il y a un support qui les soutient,
un être mystérieux d'où ils émanent. Il y a
des faits de conscience; et le moi n'est que leur « faisceau »
ou collection. Toutes nos idées viennent de l'expérience
soit externe soit interne. La liberté, qui est un pouvoir, n'est
pas un fait; donc nous ne sommes pas libres; enfin nous ne pouvons pas
savoir s'il y a un Dieu ou si notre âme est immortelle. Ce sont là
des domaines réservés, et que l'esprit humain, ne saurait
aborder. L'empirisme avec quelques modifications et sous d'autres noms,
devient le sensualisme, le matérialisme et l'athéisme, etc.
Les
grands empiristes sont dans les temps modernes : Locke, Hume, Condillac,
Stuart Mill. Mais il faut bien se garder de croire que la doctrine de tous
ces philosophes soit identique. Il y a une foule de chapelles dans la grande
église de l'empirisme.
Le
matérialisme.
Ce
système de philosophie ne reconnaît que l'existence de la
matière et, dans la question de la connaissance, rattache à
la sensation l'origine de toutes nos idées. Les grands philosophes
matérialistes sont : Démocrite, Leucippe, Epicure, Gassendi,
Hobbes, Helvétius, d'Holbach, Condillac, Büchner, Moleschott,
Charles Vogt, la plupart des positivistes et des psychologues de l'école
expérimentale.
Le
scepticisme.
Le
scepticisme peut être considéré quelquefois comme une
suite de l'empirisme. Si l'esprit humain n'a d'autre source de certitude
que les sens, comme ceux-ci ne nous donnent que des faits particuliers
et individuels, on en conclut facilement que nous ne pouvons nous élever
à la vérité, qui est générale et universelle.
Le scepticisme est surtout une doctrine du doute métaphysique. Nous
ne pouvons pas douter des faits, ni des sensations, et aucun sceptique
n'a jamais poussé l'intrépidité jusqu'à rester
indifférent, comme le croit le fameux médecin de Molière;
aux coups de bâton. L'argument ne vaut pas. On ne réfute pas
un sceptique en le convainquant de la réalité de la sensation,
car il n'en doute pas. Ce dont il doute, c'est de la valeur de ses idées.
Logiquement le scepticisme est irréfutable. Si l'on ne veut pas
faire un acte de foi en la raison, on restera éternellement sceptique.
Mais il faut bien remarquer en revanche que le scepticisme ne prouve rien
contre la raison, puisqu'il n'affirme rien. D'ailleurs, comme Pascal le
disait profondément, si le scepticisme essayait de ruiner la valeur
de la raison, il serait contradictoire puisqu'on ne peut démolir
la raison qu'avec la raison. Les sceptiques ont joué un rôle
fort utile en mettant en garde contre les prétentions orgueilleuses
de l'esprit humain. Le probabilisme est une variété atténuée
du scepticisme.
Le
dogmatisme et le rationalisme.
C'est
un système qui pense que nous pouvons atteindre à la vérité
par, une faculté qui est en l'humain, privilégiée
: la raison. Cette raison qui pour les uns est un reflet de Dieu en nous
(dogmatisme spiritualiste), pour les autres la simple présence en
nous d'un élément de généralité et d'universalité,
nous permet de franchir le cercle étroit de l'expérience,
de dépasser le monde des phénomènes, de sauter en
quelque sorte du relatif dans l'absolu. A ces hauteurs, on affirme la réalité
du moi comme d'un être distinct, de Dieu, de la liberté humaine,
de l'immortalilé de l'âme, etc. Ce sont là les grandes
thèses du dogmatisme spiritualiste.
La
grande voix du criticisme kantien a trouvé un écho dans la
pensée moderne. Nous ne croyons plus aussi facilement que nous puissions
atteindre l'absolu. Nous critiquons les moyens que nous avons de connaître;
avant de nous demander ce qu'est le monde transcendant des noumènes,
nous posons humblement cette question : « Y a-t-il en nous quelque
faculté assez forte pour nous y porter »? Le criticisme a
tempéré l'orgueil du dogmatisme; nous ne prenons plus aussi
aisément nos rêves et nos conjectures pour des réalités. |
Idéalisme.
C'est
un terme qui a eu en philosophie une fortune des plus singulières.
On l'a employé pour caractériser des écoles très
diverses. Il est très malaisé à définir, On
peut dire, d'une façon générale, que l'idéalisme
est un système qui donne à la pensée un avantage sur
les choses, et qui considère l'esprit, le sujet comme un être
privilégié par rapport au monde, à l'objet. Descartes
a jeté dans les temps modernes le premier germe de l'idéalisme,
en prenant son point de départ dans la pensée. Kant ensuite
a fortement développé ce point de vue, en faisant, suivant
sa fameuse formule, tourner les choses autour de l'esprit. En effet, l'idéalisme
consiste à affirmer l'origine idéale ou idéelle de
toute conception du réel. Les choses n'existent qu'autant que nous
les pensons; sans la pensée elles ne seraient pas; la pensée
est le centre du monde; l'esprit est le soutien de l'univers.
Il
y a d'ailleurs divers degrés dans le système. Certains affirment
(Hegel) que la pensée crée de toutes pièces, ses matériaux
(idéalisme absolu); d'autres se contentent de soutenir que les matériaux
existent indépendamment de l'esprit, qui ne fait que les organiser
(Kant, idéalisme critique). Dans le premier cas, on a un monisme
idéaliste; dans le second un dualisme, idéaliste, puisque
le sujet reçoit d'ailleurs les éléments sur lesquels
il exercera ensuite l'activité de ses catégories.
Panthéisme.
Ce
mot a eu lui aussi les acceptions les plus diverses. Il a très longtemps
été entendu en un sens défavorable (?); il était
jadis de mode d'accuser un philosophe de panthéisme. On a tenu longtemps
Spinoza pour un athée. On est revenu aujourd'hui à des sentiments
plus équitables, c'est-à-dire à une intelligence plus
exacte du mot panthéisme. Le panthéisme dérive du
besoin profond d'unité qui est en chacun de nous. Il est une tendance
à l'unification des choses; nous disons une tendance, car l'unification
n'est ,jamais complète, le monisme n'est jamais absolu.
On
a dit fort justement que la proposition fondamentale du panthéisme
: Dieu ou la nature, est moins une solution que l'énoncé
d'un problème : « Comment Dieu peut-il être la nature
sans cesser d'être Dieu; comment la nature peut-elle être Dieu.
sans cesser d'être la nature? ». On laisse donc toujours subsister
des différences et Spinoza distinguait entre la nature naturante
et la nature naturéé. Seulement il prétend que la
nature naturante ou Dieu n'est pas possible sans la nature naturée
qui est le monde. Nous touchons par là à ce qui est pour
nous, la définition profonde du panthéisme. Il consiste à
affirmer, non pas que le monde est incompréhensible sans Dieu (comme
le soutiennent les théologies (créationnistes), mais que
Dieu est incompréhensible sans le monde. Nous ne croyons pas qu"il
soit possible de donner une autre définition du panthéisme;
il tient tout entier dans ces deux propositions : 1° dépendance
bilatérale de Dieu et du mon de; 2° réduction, sans toutefois
qu'il y ait absorption complète des distinctions et des oppositions
de la réalité à l'unité absolue de l'être.
Mysticisme.
Le
panthéisme, avons-nous vu, ne peut pas arriver à réaliser
l'unité complète. On s'est demandé si le sentiment
ne réussi rait pas où la raison échoue. C'est là
l'origne du mysticisme. On peut dire que panthéisme et mysticisme.
ne sont pas deux systèmes foncièrement différents,
mais bien plutôt les deux expressions d'une même tendance de
l'esprit humain, d'un même besoin : le besoin d'unité. Dans
un cas on cherche à faire l'unité par la raison et on n'y
arrive pas, dans l'autre par le coeur, au risque de quitter les chemins
de la philosophie pour ceux du religieux. Le mysticisme, pourrait-on dire,
est un panthéisme spontané, le panthéisme un mysticisme
réfléchi; ou encore le mysticisme est une introduction au
panthéisme, ou il en est une conclusion c'est-à-dire que
dans un cas on part de la croyance irraisonnée à l'unité
des êtres, du monde et de Dieu pour arriver à la solution
panthéiste; dans l'autre, on part de cette solution, que l'on trouve
insuffisante parce qu'elle n'est pas radicalement monistique, pour arriver
à, l'unité complète dans laquelle on se repose, ou
plutôt l'on s'abîme. Le mysticisme est un panthéisme
qui se cherche ou un panthéisme qui se perd. |
On voit par tout ce qui précède
l'importance de l'idée de système et du rôle que les
systèmes jouent dans la vie intellectuelle de l'humanité.
Elle résulte de ce fait que l'esprit humain tend naturellement à
unifier, partant à systématiser toutes choses. Essayer de
comprendre, d'expliquer les choses, c'est en somme essayer de les faire
rentrer dans un système. L'esprit est, par essence,
ordonnateur, organisateur. Pour lui, penser, comme
agir, c'est systématiser. Voilà pourquoi, non seulement la
métaphysique, mais la science même
et plus généralement tout art, toute création de l'esprit,
sont, à des degrés divers, des systématisations.
Aussi l'opposition qu'on a prétendu
établir entre la métaphysique et la science paraît-elle,
à qui l'examine de ce point de vue, moins spécieuse que superficielle.
On a dit (Ribot, dans sa Préface de la
Psychologie anglaise contemporaine) :
«
La métaphysique n'est pas une science, mais un art, une sorte de
poésie abstraite : ses systèmes sont des poèmes. »
Et sans doute la métaphysique
imagine et construit des systèmes; mais ces systèmes ne sont
pas entièrement arbitraires et subjectifs
ils sont soumis à cette loi essentiellement objective de s'accorder
avec les lois de la raison
et avec les résultats généraux des sciences
proprement dites. En un sens, la science elle-même est un art, une
création : elle ne tombe pas du ciel toute faite; c'est l'esprit
humain qui la fait, et. elle ne consiste, comme la métaphysique,
que dans une coordination d'idées qui se trouve conforme à
l'ordre réel de la nature.
La seule différence, c'est: que, dans les sciences, la systématisation
étant plus étroite, plus spéciale, est plus facile,
et, par cela même, plus prompte et plus stable, une fois faite.
Mais l'unité systématique
n'est pas seulement une loi de notre raison : elle est une loi de la nature
des choses. Il y a des systèmes dans l'univers; l'univers même
est un système. Ce n'est pas, dit Aristote,
une mauvaise tragédie faite d'épisodes sans liens, une sorte
de pièce à tiroirs; la science, qui a pour objet de la reproduire
dans l'esprit humain, doit donc avoir aussi des systèmes : elle
doit, comme disait Schelling, s'efforcer de
repenser la grande pensée de la création.
Aussi l'empirisme, qui prétend la réduire
à la simple accumulation des faits, travaille en réalité
à la réduire. Pas de science sans théories
ou même, dans l'ordre expérimental sans hypothèses,
c.-à-d. sans systèmes au moins partiels et provisoires. Il
n'y a en effet entre une théorie et un système que ces deux
différences qui sont plutôt de degré que de nature
:
1° un
système est plus étendu qu'une théorie : il est un
essai d'explication de l'ensemble des choses; elle est un essai d'explication
d'un ordre particulier de choses;
2° un système
contient une plus grande part d'hypothèse; une théorie peut
à la rigueur se réduire à la coordination des connaissances
acquises (théorie des marées, théorie de la mémoire,
etc.), pourtant il est bien rare que cette coordination puisse se faire
sans l'intervention d'aucune hypothèse.
Enfin, disons en deux mots qu'on appelle esprit
systématique un esprit qui s'efforce de coordonner toutes ses connaissances
et de les ramener à un petit nombre de . principes ou même
à un principe unique; et, dans une acception défavorable,
un esprit qui prétend ramener toutes choses à un système
arrêté d'avance et ne voit pas ou supprime toutes celles qui
ne s'y laissent pas ramener. (E. Boirac). |
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