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Leibniz Bibliographie
Aperçu La vie de Leibniz Doctrine philosophique Mathématiques Géologie
Gottfried Wilhelm, baron de Leibniz est un philosophe et savant, né en 1646 à Leipzig, fils d'un professeur de morale à l'Université de cette ville. Il se distingua de bonne heure par son intérêt pour les sciences; fut reçu docteur en droit à 20 ans, et se fit connaître dès l'âge de 22 ans par une Nouvelle méthode pour l'étude du Droit (1668), et par quelques pamphlets politiques. Le baron de Boinebourg, chancelier de l'électeur de Mayence, l'attacha au service de l'électeur et le fit conseiller de la chancellerie (1669). Tout en remplissant les fonctions de sa place, Leibniz se livrait avec ardeur à l'étude; il rédigea en 1670 la Théorie du Mouvement concret et celle du Mouvement abstrait. Chargé d'accompagner à Paris, en qualité de gouverneur, le fils de Boinebourg, il resta quatre ans dans cette ville (1672 - 1676), s'occupant surtout de mathématiques et fréquentant les plus grands géomètres: il s'y rencontra avec Huygens. Il communiqua à l'Académie des sciences plusieurs découvertes importantes entre autres celle d'une Nouvelle machine arithmétique; l'Académie l'admit dans son sein en 1675. Vers la même époque il visita l'Angleterre où il reçut l'accueil le plus flatteur et fut nommé membre de la Société royale de Londres

L'électeur de Mayence étant mort, le duc de Brunswick-Hanovre s'empressa de l'attacher à son service, et le nomma son bibliothécaire en lui donnant le titre de conseiller aulique. Leibniz vint en conséquence se fixer à Hanovre (1676), où le duc l'employa dans plusieurs négociations. On le vit alors faire marcher de front et avec un égal succès la politique, les mathématiques, la philosophie. En 1683 il fonda à Leipzig le fameux recueil intitulé Acta eruditorum; l'année suivante il publia dans ce journal la plus importante de ses découvertes, celle du calcul différentiel, dont il avait conçu la première idée pendant son séjour à Paris, dès 1675. En 1687 il entreprit, à la prière du duc, une histoire de la maison de Brunswick : il parcourut à cette occasion l'Allemagne et l'Italie, recueillant une foule de documents précieux, qui lui fournirent la matière de plusieurs collections importantes (Codex juris gentium diplomaticus, 2 vol. in-4, 1698; Scriptores rerum Brunsvicensium, 3 vol. in-fol., 1707-11); malheureusement il ne put achever l'histoire du Brunswick. 

En même temps Leibniz entretenait correspondance avec les savants de l'Europe, et il travaillait avec Pélisson et Bossuet à réunir les cultes catholique et réformé; n'ayant pu réussir dans cette entreprise, il espéra pouvoir au moins concilier les diverses sectes protestantes, mais il n'obtint pas plus de succès. En 1700, Leibniz détermina le roi de Prusse à fonder une académie à Berlin : il en fut nommé président perpétuel; il tenta inutilement de former des établissements du même genre à Dresde et à Vienne. En 1710, il publia ses Essais de Théodicée, dans le but de repousser les attaques de Bayle contre la Providence. Il se vit à la fin de sa carrière recherché par le Tsar Pierre le Grand, qu'il détermina à fonder une académie à Saint-Pétersbourg; par l'empereur Charles VI, qui le créa baron et lui fit une pension; et par Louis XIV, qui tâcha mais vainement, de le fixer en France. Il mourut à Hanovre en 1716, à 70 ans.
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Leibniz.
G.-W. Leibniz (1646-1716).

Leibniz fut à la fois jurisconsulte publiciste, théologien, physicien, géologue, mathématicien et historien; mais c'est surtout comme mathématicien et comme philosophe qu'il est aujourd'hui célèbre. Il fit en mathématiques de grandes découvertes; mais, par une singulière fatalité, il se trouve que la plupart de ces découvertes se présentaient en même temps à d'autres savants; c'est ainsi que Newton lui disputa la priorité de l'invention du calcul différentiel. En philosophie il chercha à concilier Platon et Aristote, Descartes et Locke; il imagina aussi un système nouveau : selon lui, tout est composé de monades, substances simples, capables d'action et de perception : l'âme est une monade qui a conscience d'elle-même. 

Dans l'humain, l'âme et le corps n'agissent pas l'un sur l'autre, mais il existe entre ces deux substances une harmonie si parfaite, que chacune, tout en ne faisant que se développer selon les lois qui lui sont propres, éprouve des modifications qui correspondent exactement aux modifications de l'autre : c'est ce que Leibniz appelle harmonie préétablie. Dans sa Théodicée il professe l'optimisme, enseignant qu'entre tous les mondes possibles, Dieu a choisi le meilleur, ce qui ne veut pas dire celui dans lequel il n'y a aucun mal, mais celui dans lequel il y a la plus grande somme de biens, même au prix de quelques maux partiels. En psychologie, il combattit l'empirisme de Locke et admit des idées innées : à la maxime de l'école, Nihil est in intellectu quod non prius fuerit in sensu, il ajouta cette restriction  : nisi ipse intellectus. Il attribuait une grande influence aux langues, et voulait créer pour l'usage de toutes les sciences une caractéristique ou écriture universelle. Ses opinions, si neuves pour la plupart, l'engagèrent dans de vives disputes avec Bayle, Arnauld, Foucher, Clarke, etc.

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L'optimisme de Leibniz

 Leibniz raconte comment il a été amené
à l'hypothèse de l'harmonie préétablie

« Je croyais entrer dans le port; mais lorsque je me mis à méditer sur l'union de l'âme avec le corps, je fus comme rejeté en pleine mer. Car je ne trouvais aucun moyen d'expliquer comment le corps fait passer quelque chose dans l'âme, ou vice versa; ni comment une substance peut communiquer avec une autre substance créée.

Étant donc obligé d'accorder qu'il n'est pas possible que l'âme ou quelque autre véritable substance puisse recevoir quelque chose par dehors, si ce n'est par la toute-puissance divine, je fus conduit insensiblement à un sentiment qui me surprit, mais qui paraît inévitable, et qui, en effet, a des avantages très grands et des beautés très considérables. C'est qu'il faut donc dire que Dieu a créé d'abord l'âme ou toute autre unité réelle, en sorte que tout lui naisse de son propre fond, par une parfaite spontanéité à l'égard d'elle-même, et pourtant avec une parfaite confor mité aux choses du dehors.

[...]

Il y aura un parfait accord entre toutes ces substances, qui fait le même effet qu'on remarquerait si elles communiquaient ensemble. »
 

(Leibniz. Principes de la nature et de la grâce).

Ce monde est le meilleur possible

« Il s'ensuit de la perfection suprême de Dieu, qu'en produisant l'univers il a choisi le meilleur plan possible, où il y ait la plus grande variété avec le plus grand ordre; le terrain, le lieu, le temps les mieux ménagés; le plus d'effet produit par les voies les plus simples; le plus de puissance, le plus de connaissance, le plus de bonheur et de bonté dans les créatures, que l'univers en pouvait admettre. Car tous les possibles prétendant à l'existence dans l'entendement de Dieu, à proportion de leurs perfections, le résultat de toutes ces prétentions doit être le monde actuel le plus parfait qui soit possible. Et sans cela il ne serait pas possible de rendre raison pourquoi les choses sont allées plutôt ainsi qu'autrement.  » 


(Leibniz. Principes de la nature et de la grâce, 10)

Les désordres et les monstruosités
sont de simples apparences

« Les souffrances et les monstres sont dans l'ordre [...]. C'est comme il y a quelquefois des apparences d'irrégularités dans les mathématiques, qui se trouvent enfin dans un grand ordre quand on a achevé de les approfondir : c'est pourquoi j'ai déjà remarqué ci-dessus, que dans mes principes tous les événements individuels, sans exception, sont des suites des volontés générales.

On ne doit point s'étonner que je tâche d'éclaircir ces choses par des comparaisons prises des mathématiques pures, où tout va dans l'ordre, et où il y a moyen de les démêler par une méditation exacte qui nous fait jouir, pour ainsi dire, de la vue des idées de Dieu. On peut proposer une suite ou série de nombres tout à fait irrégulière en apparence où les nombres croissent et diminuent variablement sans qu'il y paraisse aucun ordre; et cependant celui qui saura la clef du chiffre, et qui entendra l'origine et la construction de cette suite de nombres, pourra donner une règle, laquelle étant bien entendue fera voir que la série est tout à fait régulière, et qu'elle a même de belles propriétés. On le peut rendre encore plus sensible dans les lignes : une ligne peut avoir des tours et des retours, des hauts et des bas, des points de rebroussement et des points d'inflexion, des interruptions et d'autres variétés, de telle sorte qu'on n'y voie ni rime ni raison, surtout en ne considérant qu'une partie de la ligne; et cependant il se peut qu'on en puisse donner l'équation et la construction, dans laquelle un géomètre trouverait la raison et la convenance de toutes ces prétendues irrégularités : et voilà comment il faut encore juger de celles des monstres, et d'autres prétendus défauts de l'univers.

C'est dans ce sens qu'on peut employer ce beau mot de saint Bernard (ep. 276, ad Eugen. III) : ordinatissimum est minus interdum ordinate fieri aliquid-: il est dans le grand ordre qu'il y ait quelque petit désordre; et l'on peut même dire que ce petit désordre n'est qu'apparent dans le tout, et il n'est pas même apparent par rapport à la félicité de ceux qui se mettent dans la voie de l'ordre. » 


(Leibniz, Théodicée. Part. III, 241).

Le progrès dans l'univers

« Et pour ajouter à la beauté et à la perfection générale des oeuvres de Dieu, il faut reconnaître qu'il s'opère dans tout l'univers un certain progrès continuel et très libre qui en améliore l'état de plus en plus. C'est ainsi qu'une partie de notre globe reçoit aujourd'hui une culture qui s'augmentera de jour en jour. Et bien qu'il soit vrai que quelquefois certaines parties redeviennent sauvages ou se bouleversent et se dépriment, il faut entendre cela comme nous venons d'interpréter l'affliction, c'est-à-dire que ce bouleversement et cette dépression concourent à quelque fin plus grande, de manière que nous profitions en quelque sorte du dommage lui-même.

Et quant à l'objection qu'on devrait faire, que, s'il en était ainsi, il y a longtemps qne le monde devrait être un paradis, la réponse est facile. Bien qu'un grand nombre de substances soient déjà parvenues à la perfection, il résulte cependant de la division du contenu à l'infini qu'il reste toujours dans l'abîme des choses des parties endormies qui doivent s'éveiller, se développer, s'améliorer et s'élever pour ainsi dire à un degré de culture plus parfait. »

(Leibniz, De l'origine radicale des choses).

Caractérisation de la doctrine philosophique de Leibniz.
La philosophie de Leibniz se rattache à celle de Descartes; elle la continue en la transformant profondément. L'une et l'autre sont rationalistes, car elles placent également dans la raison le principe ou du moins la règle de toute la connaissance humaine; spiritualistes, car elles voient également dans l'esprit la première et la plus positive des réalités; théistes enfin, car elles cherchent également dans l'idée de la perfection absolue le secret de l'explication universelle. Seulement, Descartes, s'enfermant dès l'abord dans sa propre pensée, ne veut même pas savoir « s'il y avait des hommes avant lui »; aussi ne se préoccupe-t-il nullement de se mettre d'accord avec ceux qui l'ont précédé. Leibniz s'efforce, au contraire, de comprendre et de pénétrer les doctrines de tous ses devanciers.

« J'approuve, dit-il, la plus grande partie de ce que je lis. [...] La plupart des sectes, ajoute-t-il ailleurs, ont raison dans une bonne partie de ce qu'elles avancent, mais non pas tant en ce qu'elles nient. » 
Le premier, il a vu dans l'histoire de la philosophie non une suite incohérente d'opinions individuelles, mais le progrès, l'évolution d'une sorte de philosophie éternelle (perennis quaedam philosophia), qui va s'approfondissant et s'élargissant de plus en plus. Aussi sa méthode est-elle l'éclectisme ou plutôt cette méthode de conciliation que R. Fouillée, a essayé, plus tard, de renouveler.
« J'ai été frappé, dit Leibniz, d'un nouveau système; depuis, je crois voir une nouvelle face de l'intérieur des choses. Ce système paraît allier Platon avec Démocrite, Aristote avec Descartes, les scolastiques avec les modernes. Il semble qu'il prend le meilleur de tous côtés et qu'après il va plus loin qu'on n'est allé encore. »
 
L'éclectisme de Leibniz

« J'ai trouvé que les sectes ont raison dans une bonne partie de ce qu'elles avancent, mais non pas tant en ce qu'elles nient.

Bien souvent, je trouve qu'on a raison de tous côtés quand on s'entend, et je n'aime pas tant à réfuter et à détruire, qu'à découvrir quelque chose et à bâtir sur les fondements déjà posés.

Après avoir assez médité sur l'ancien et sur le nouveau, j'ai trouvé que la plupart des doctrines reçues peuvent souffrir un bon sens. De sorte que je voudrais que les hommes d'esprit cherchassent à satisfaire leur ambition, en s'occupant plutôt à bâtir et à avancer qu'à reculer et à détruire; et je souhaiterais qu'on ressemblât plutôt aux Romains qui faisaient de beaux ouvrages publics, qu'à ce roi vandale à qui sa mère recommanda que, ne pouvant espérer la gloire d'égaler ces grands bâtiments, il cherchât à les détruire.

J'aime à voir fructifier aussi dans les jardins des autres les semences que j'y ai moi-même déposées.

J'ai été frappé d'un nouveau système [...]. Depuis, je crois voir une nouvelle face de l'intérieur des choses. Ce système paraît allier Platon avec Démocrite, Aristote avec Descartes, les scolastiques avec les modernes, la théologie et la morale avec la raison. Il semble qu'il prend le meilleur de tous côtés, et puis qu'après il va plus loin qu'on n'est allé encore.

Je me plais extrêmement aux objections des personnes habiles et modérées, car je sens que cela me donne de nouvelles forces, comme dans la fable d'Antée terrassé.

La vérité est plus répandue qu'on ne pense ; mais elle est très souvent fardée et très souvent enveloppée, et même affaiblie, mutilée, corrompue par des additions qui la gâtent ou la rendent moins utile. En faisant remarquer cette trace de la vérité dans les anciens, ou, pour parler plus généralement, dans les antérieurs, on tirerait l'or de la boue, le diamant de la mine et la lumière des ténèbres; et ce serait en effet perennis quaedam philosophia. » 


(Leibniz, Nouveaux essais, passim).
Toutefois, il ne se propose nullement de combiner ou même de concilier les systèmes dans leur forme historique : ce qu'il prend pour objet de sa conciliation, ce sont les principes, les idées maîtresses de ces systèmes, envisagées directement en elles-mêmes et scrutées par une réflexion personnelle et indépendante.

Ainsi Leibniz part de la philosophie de Descartes qui est « comme l'antichambre de la vérité », mais il en modifie profondément la méthode et les principes. En effet, la méthode philosophique, telle que Descartes l'a comprise, n'est en somme qu'une extension de la méthode mathématique, et c'est pourquoi Spinoza n'a fait que pousser à ses dernières conséquences la doctrine du maître en prétendant démontrer la philosophie more geometrico. Mais la méthode mathématique elle-même, quoique Descartes ait pu penser sur ce point, n'est qu'une application particulière de la logique, de cette même logique formelle dont Aristote a posé les règles dans sa théorie du syllogisme. Or, la logique repose tout entière sur le seul principe de contradiction, principe marqué d'un caractère de nécessité absolue ou géométrique, qui efface toute distinction entre le possible et le réel. Dès lors, la méthode philosophique de Descartes devait nécessairement le conduire à mettre en toutes choses une insupportable fatalité. II a sans doute échappé à ce fatalisme rigide où s'est enfermé Spinoza, mais par une véritable inconséquence, en juxtaposant violemment à la nécessité universelle exigée par sa méthode la liberté arbitraire qu'il lui plaît d'attribuer à Dieu. Aussi Leibniz, tout en faisant une part dans la méthode philosophique à la démonstration logique et mathématique fondée sur le principe de contradiction, donne cependant comme fondement à cette méthode dans ce qu'elle a de propre et d'original un principe tout différent, le principe de raison suffisante par lequel se trouve posé le vrai critérium du possible et du réel, et ce nouveau principe, qui ouvre à la spéculation ' métaphysique un champ de découvertes sans bornes, met partout une nécessité morale, également éloignée de la nécessité géométrique de Spinoza et de la liberté indéterminée de Descartes.

Leibniz se trouve amené par là même à faire une place à l'expérience dans la méthode générale de la philosophie, laquelle se trouve définitivement constituée par la réunion de ces trois éléments : 

1° démonstration logique et mathématique fondée sur le principe de contradiction; 

2° expérience;

3° démonstration métaphysique fondée sur le principe de raison suffisante. 

Si la démonstration logique et mathématique nous permet de déterminer a priori le possible et l'impossible, elle est impuissante à nous découvrir le réel. D'autre part, l'expérience nous fait bien connaître le réel, mais a posteriori, c.-à-d. à titre de fait brut, sans nous expliquer ni comment il est possible, ni pourquoi il se réalise en effet. D'où il suit qu'il nous faut nécessairement les compléter l'une par l'autre, et toutes les deux ensemble par un procédé supérieur qui soit proprement celui de la recherche philosophique.

Cette méthode nouvelle, Leibniz l'applique au problème fondamental de la métaphysique qui est à ses yeux le problème de la substance. Descartes avait donné de la substance une définition équivoque et incomplète qui en faisait une chose (res) sans essence, sans activité propre, seule capable cependant d'exister en soi et par laquelle tout le reste existerait. Spinoza en avait conclu que si les attributs de la pensée et de l'étendue sont distincts et même opposés, la substance, antérieure à ces attributs, est nécessairement une, et qu'il n'y a pas d'autre substance que Dieu. - Or cette fausse notion de la substance obscurcit toute la philosophie : Toti philosophiae perversa substantiae notio tenebras offudit. Leibniz s'attache à la réformer, et c'est ainsi qu'il se trouve amené à rejeter le dualisme cartésien de l'étendue et de la pensée, en même temps que la doctrine spinoziste de l'unité de substance. La véritable substance c'est la force, telle que la conscience nous la révèle en nous-même, et telle que l'analogie nous autorise à la supposer en toute chose. 

« Pour éclaircir l'idée de substance, dit Leibniz (De Primae Philosophiae emendatione et notione substantiae), il faut remonter à celle de force ou d'énergie, dont l'explication est l'objet d'une science particulière appelée dynamique. La force active ou agissante n'est pas la puissance nue de l'école; il ne faut pas l'entendre en effet, ainsi que les scolastiques, comme une simple faculté ou possibilité d'agir qui, pour être effectuée ou réduite à l'acte, aurait besoin d'une excitation venue du dehors et comme d'un stimulus étranger. La véritable force active renferme l'action en elle-même : elle est entéléchie, pouvoir moyen entre la simple faculté d'agir et l'acte déterminé ou effectué : cette énergie contient ou enveloppe l'effort (conatum involvit) et se porte d'elle-même à agir sans aucune provocation extérieure. L'énergie, la force vive, se manifeste par l'exemple du poids suspendu qui tire ou tend la corde; mais, quoiqu'on puisse expliquer mécaniquement la gravité ou la force du ressort, cependant la dernière raison du mouvement de la matière n'est autre que cette force imprimée dès la création à tous les êtres, et limitée dans chacun par l'opposition ou la direction contraire de toutes les autres. »
Dans cette notion de la force est en quelque sorte comprise toute la philosophie de Leibniz; il suffirait de la développer pour en faire sortir ses théories de la nature, de l'âme et de Dieu. C'est que la force est pour lui le type universel et nécessaire de l'être : elle est l'être même. En elle se concilient l'un et le multiple, le possible et le réel. Tout être en effet est absolument un, mais il contient dans son unité même une multiplicité infinie de virtualités qui tendent toutes à se réaliser et y réussissent plus ou moins; et c'est dans l'effort par lequel l'être actualise successivement ses puissances que consiste son activité et son existence même. La force d'ailleurs ainsi comprise est nécessairement immatérielle : notre âme seule peut nous en donner une idée en nous montrant dans l'intelligence comment l'unité peut envelopper la multiplicité et dans la volonté comment le réel peut envelopper le possible.

Nouvelle méthode fondée sur le principe de raison suffisante, nouvelle conception de la substance ramenée à la force et servant de principe à un système de métaphysique
original : tels sont donc les deux points par où la philosophie de Leibniz se distingue tout d'abord de la philosophie de Descartes
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L'espace et le temps

« J'ai remarqué plus d'une fois que je tenais l'espace pour quelque chose de purement relatif, comme le temps; pour un ordre des coexistences, comme le temps est un ordre des successions [...]. Si l'espace était un être absolu, il arriverait quelque chose dont il serait impossible qu'il y eût une raison suffisante, ce qui est contre notre axiome. Voici comment je le prouve.

L'espace est quelque chose d'uniforme absolument; et sans les choses y placées, un point de l'espace ne diffère absolument en rien d'un autre point de l'espace. Or, il suit de cela, supposé que l'espace soit quelque chose en lui-même outre l'ordre des corps entre eux, qu'il est impossible qu'il y ait une raison pourquoi Dieu, gardait les mêmes situations des corps entre eux, ait placé les corps dans l'espace ainsi et non pas autrement; et pourquoi tout n'a pas été pris à rebours, par exemple, par un échange de l'orient et de l'occident. Mais si l'espace n'est autre chose que cet ordre ou rapport, et n'est rien du tout sans les corps, que la possibilité n'en mettre; ces deux états, l'un tel qu'il est, l'autre supposé à rebours, ne différeraient point entre eux. Leur différence ne se trouve donc que dans notre supposition chimérique de la réalité de l'espace en lui-même. Mais, dans la vérité, l'un serait justement la même chose que l'autre, comme ils sont absolument indiscernables; et par conséquent il n'y a pas lieu de demander la raison de la préférence de l'un à l'autre.

Il en est de même du temps. Supposé que quelqu'un demande pourquoi Dieu n'a pas tout créé un an plus tôt, et que ce même personnage veuille inférer de là que Dieu a fait quelque chose dont il n'est pas possible qu'il y ait une raison pourquoi il l'a faite ainsi plutôt qu'autrement : on lui répondrait que son illation serait vraie si le temps était quelque chose hors des choses temporelles; car il serait impossible qu'il y eût des raisons pourquoi les choses eussent été appliquées plutôt à de tels instants qu'à d'autres, leur succession demeurant la même. Mais cela même prouve que les instants hors des choses ne sont rien, et qu'ils ne consistent que dans leur ordre successif. »

(Leibniz, Lettres à Clarke, III.).

Leibniz dans l'histoire de la philosophie.
Leibniz n'a pris nulle part le soin de donner une exposition méthodique de sa philosophie (sauf dans la Monadologie qui est un court résumé de sa métaphysique) : il a, en quelque sorte, éparpillé ses idées dans des lettres, des articles, des ouvrages de circonstance, et souvent même il les a plus ou moins défigurées pour mieux les accommoder aux habitudes de pensée et de langage de ses correspondants ou de ses lecteurs. Aussi n'est-il pas surprenant que de son temps on l'ait en général peu compris et mal apprécié. Wolf, qui fut son disciple le plus célèbre, prétendit systématiser ses doctrines, et il ne réussit qu'à en tirer une nouvelle scolastique dont les universités allemandes nourrirent d'ailleurs leur enseignement jusqu'à l'avènement de la Critique de la raison pure

Cette philosophie de Leibniz et de Wolf fut celle que Kant étudia d'abord à Koenigsberg : plus tard, lorsque, selon son expression, la lecture de Hume l'eut réveillé de son sommeil dogmatique, la tâche qu'il s'imposa consistait en somme à chercher un moyen de conciliation entre le rationalisme de Leibniz et l'empirisme de Hume, et bien souvent lorsqu'il croyait contredire Leibniz, il ne faisait que retrouver et rétablir sa vraie doctrine. Ainsi l'idéalité de l'espace et du temps, le rôle nécessaire des notions et vérités a priori dans la connaissance, la distinction des phénomènes et des choses en soi, etc., toutes ces thèses, croyons-nous, ont appartenu à Leibniz avant d'être à nouveau découvertes par Kant.

Mais, quoique diffuse et secrète, l'influence exercée sur la science et la philosophie  par les idées leibniziennes (idées de continuité, d'évolution, d'analogie universelles) n'en est pas moins profonde, et c'est elle qui les poussera durablement à chercher dans la vie intérieure et psychique des choses l'explication fondamentale du mécanisme universel. (E. Boirac).

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Dictionnaire biographique
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