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Le mot entendement,
pris dans le sens étymologique, devrait signifier le fait et la
faculté d'entendre. Or entendre, selon le sens matériel,
c'est percevoir des sons; mais le verbe entendre a un autre sens qui est
dérivé du premier et selon lequel il est synonyme de comprendre.
D'abord il a été appliqué au cas où l'on comprend
ce qui est dit par autrui. Alors il a fallu entendre
les mots pour arriver à en comprendre le sens. Par conséquent,
lorsqu'on a dit entendre, pour signifier comprendre, on a fait un trope
de l'espèce qui consiste à prendre le nom de l'antécédent
pour désigner le conséquent, et que la rhétorique
nomme métalepse. Enfin le mot entendre a été employé
dans toute espèce de cas au lieu de comprendre.
Par extraordinaire, le substantif entendement, quoique formé de la même famille que le verbe entendre, ne s'emploie guère pour exprimer le fait ou la faculté de percevoir des sons. Il suit plutôt le sens figuré du verbe dont il est dérivé : il désigne généralement une faculté intellectuelle, mais ce n'est pas toujours la même. Aujourd'hui, par entendement, on désigne plutôt la faculté de concevoir ou de comprendre que celle de connaître ou de juger. Seulement il faut bien remarquer que, quand nous comprenons le sens des paroles qui sont dites par une autre personne, le fait qui se passe dans notre conscience n'est pas une simple conception. En effet, lorsque je crois comprendre ce qu'on me dit, je ne fais pas que concevoir, que me représenter un sens déterminé; je crois, je juge que ce sens est bien celui que l'auteur des paroles a voulu leur faire signifier. Ainsi, actuellement encore, le mot entendement ne réveille pas seulement l'idée de la conception, mais encore celle de la croyance et du jugement. Cependant, au XVIIe siècle, les applications de ce mot étaient plus nombreuses et plus diversifiées qu'aujourd'hui. Ces différentes applications sont très bien indiquées par Bossuet, dans plusieurs chapitres du traité De la connaissance de Dieu et de soi-même, où il parle de l'entendement avec des explications et des développements assez nombreux. En matière de langage, il est toujours utile d'écouter ce que Bossuet a à dire. Aussi, en exposant ici les différents sens du mot entendement, nous allons nous aider de ce qu'en a dit cet auteur. Parfois le mot entendement désigne
la faculté de concevoir ou d'avoir des idées. C'est ainsi
que l'on dit d'une personne : qu'elle a l'entendement vaste ou étroit.
Alors la capacité de l'entendement consiste à comprendre
et à retenir facilement aine grande variété de choses.
Mais, selon Bossuet, l'entendement est une faculté supérieure
aux sens et à l'imagination.
Par le mot sens, Bossuet entend les sens externes, ceux qui nous font acquérir la connaissance des objets matériels, et, par le mot imagination, il entend la faculté que nous avons de concevoir ces objets, où, comme il dit, de nous les représenter. Or, l'entendement nous donne des idées générales, qu'il déduit des idées particulières que les sens nous donnent et que l'imagination reproduit; et même, dans certains cas, l'entendement rectifie ce qu'il y a de faux dans les premières idées que nous avons acquises par les sens. Il ne s'ensuit pas que les idées des choses sensibles soient exclues du domaine de l'entendement; mais, dit Bossuet, "Entendre s'étend beaucoup plus loin qu'imaginer; car on ne peut imaginer que les choses corporelles et sensibles; au lieu que l'on peut entendre les choses tant corporelles que spirituelles, celles qui sont sensibles et celles qui ne le sont pas; par exemple, Dieu et l'âme". (Ire partie, § 9).Ainsi toutes les conceptions, toutes les idées relèvent de l'entendement, et, par conséquent, le domaine de cette faculté est au moins aussi étendu que celui de la faculté de concevoir. Mais l'entendement n'est pas seulement la faculté de concevoir; c'est aussi le pouvoir de juger. Cela est attesté par ces deux passages du septième paragraphe : "Entendre, c'est connaître le vrai et le faux et discerner l'un de l'autre". - " Il n'y a que l'entendement qui puisse errer."Ainsi, selon Bossuet, l'entendement comprend le pouvoir de juger, c'est-à-dire la faculté qui s'appelle depuis longtemps la raison. Enfin, selon le même auteur, l'entendement ne serait pas loin de comprendre la faculté qui invente, c'est-à-dire le pouvoir de concevoir des choses autres que celles qui existent réellement. C'est ce qui semble ressortir du passage suivant : " L'entendement est la lumière que Dieu nous adonnée pour nous conduire. On lui donne divers noms : en tant qu'il invente et qu'il pénètre, il s'appelle esprit; en tant qu'il juge et qu'il dirige au vrai et au bien, il s'appelle raison et jugement."Aujourd'hui encore on dit qu'une personne entend bien ou mal ses intérêts. Or il est difficile de bien entendre ses intérêts sans avoir l'esprit un peu inventif. Par toutes ces raisons, on peut voir que le sens du mot entendement est à peu près aussi étendu que celui du mot intelligence, beaucoup plus employé aujourd'hui, surtout par les philosophes. Lorsque ces deux mots sont pris dans leur acception la plus large, ils sont presque synonymes. D'ailleurs, le mot entendement traduit assez exactement le mot latin intellectus; aussi lui donne-t-on souvent pour synonyme le mot intellect. L'entendement peut alors être considéré comme constitué par l'ensemble des opérations par lesquelles nous entendons ou comprenons une vérité. Il a à son origine la sensation, l'état de conscience qui lui fournit comme la matière de son opération, puis la perception lui donne la connaissance des objets sur lesquels il opère, enfin la raison lui fournit les règles, lois ou principes d'après lesquelles s'exerce son activité; cette activité elle-même se nomme l'intelligence. L'entendement comprend donc quatre opérations : Les idéalistes suppriment la perception comme opération primitive et naturelle; ils la ramènent en général à une application directe de la raison à la sensation (Kant); d'autres (Taine) en font une simple variété de la sensation. Les empiristes à leur tour suppriment la raison et l'intelligence, et en font de simples transformations de la sensation.1° la sensation; Cependant il est bien difficile de ne pas admettre dans l'esprit une certaine élaboration active des données sensibles. Il y aura donc au moins une opération passive, la sensation, et une opération active, l'intelligence : la raison en elle-même n'est ni purement passive, ni tout entière active, elle est régulatrice et contemplative. Le résultat des opérations de l'entendement est le concept ou l'idée, c.-à-d. la vue clairement intelligible de l'objet auquel l'entendement s'est appliqué. Toutes nos expériences, tous nos raisonnements n'ont en effet d'autre but que de nous apprendre si nous devons joindre ou ne pas joindre tel attribut à tel sujet, et par conséquent si nous devons modifier ou non la compréhension et par suite l'idée du sujet. Terminons en rappelant que Locke a écrit un livre célèbre dont le titre anglais a été traduit ainsi : Essai sur l'entendement humain. Cette traduction est exacte; mais il ne faut pas en conclure que l'usage permette d'étendre le sens du mot entendement jusqu'au point de lui faire signifier tout le moral de l'homme. Lorsqu'on prend cette liberté, on fait l'espèce de trope qui consiste à prendre la partie pour le tout et que l'on appelle métonymie. On a beau dire alors qu'on prend les mots dans un sens figuré; tout sens qui n'est pas le sens propre est nécessairement un sens impropre. En somme, la signification la glus étendue du mot entendement le restreint à être synonyme d'intelligence. Les applications de ce mot n'ont jamais été aussi nombreuses que celles du verbe entendre, dont il est dérivé. Par exemple, on dit : s'entendre pour s'accorder; on dit encore : j'entends que telle chose soit, pour signifier je le veux, Or le mot entendement n'a jamais eu d'applications analogues, et même, comme nous avons déjà remarqué, on ne l'a jamais employé pour exprimer le fait ou le pouvoir de percevoir les sons. (PL / G. F.). |
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