|
L'épistémologie
est la branche de la philosophie qui étudie
le sens et le mode de fonctionnement des sciences,
et plus généralement la manière dont s'établissent les connaissances,
ainsi que le statut du savoir qu'elles circonscrivent.
Le
mot épistémologie est apparu en France, dans la traduction, en
1901, l'Essai sur les fondements de la géométrie de Bertrand
Russell. L'usage, en anglais, du mot epistemology correspondant
alors à la traduction du mot allemand Wissenchaftlehre, soit théorie
de la science. Emile Meyerson a fait, dans Identité et réalité
(1907), a fait du mot épistémologie un synonyme de philosophie des
sciences. Nous adopterons ici ce choix, mais en remarquant que le second
terme pourrait aussi bien avoir une acception plus étroite : l'étude
de la connaissance ou la science en général, objet premier de l'épistémologie,
représentant un domaine plus large que celui assigné aux seules sciences
(positives). Ajoutons, pour ne rien simplifier, que l'on utilise aussi
parfois le mot
gnoséologie en lieu et place de celui d''épistémologie.
Gnoséologie vient du mot grec qui signifie connaissance, alors
que le mot épistémologie vient de celui qui signifie savoir ou
science. Mais ici encore la synonimie peut être contestée : la
gnoséologie concernerait l'étude de la connaissance en son sens le plus
général; l'épistémologie, celle de la connaissance scientifique, et
la philosophie des sciences, comme l'indique le pluriel, correspondrait
l'étude critique des sciences particulières (physique, biologie, etc.)...
Sens général.
Les théories qui
regardent l'ensemble des sciences et qu'aborde la philosophie des science
peuvent se ramener à cinq principales :
I.
- Nature de la science.
C'est la philosophie
qui détermine la nature de la science, ses conditions, ses classifications.
II.
- Certitude.
C'est la philosophie
qui établit le fait de la certitude dont toute autre science suppose l'existence.
III.
- Notions et principes premiers.
C'est la philosophie
qui donne aux sciences :
a)
les notions qui leur sont communes : les notions d'être, d'identité,
d'unité, de raison, de loi;
b) les principes
qu'Aristote appelle aussi communs : les principes d'identité ou de raison.
IV.
- Méthodes.
Il faut, Ã chaque
science une méthode spéciale, adaptée à son objet particulier. Quel
est le fondement de chacune de ces méthodes? Quels sont leurs caractères?
Quelle est leur légitimité? autant de questions auxquelles les sciences
particulières ne donnent pas de réponse. Pour le faire, il faut avoir
analysé l'esprit humain, connaître les lois de la pensée en elle-même
et dans ses rapports avec la réalité. Or ce travail est, l'oeuvre de
la psychologie et de la logique.
V.
- Coordination des résultats généraux.
Chaque science aboutit
à certains énoncés généraaux, en rapport avec son objet propre. Mais
le monde est un et l'esprit cherche à découvrir cette unité. Aussi,
au-dessus les sciences particulières qui fragmentent l'unité de I'univers,
il y a place pour une discipline particulière, dans laquelle on a voulu
voir une science supérieure : s'appuyant sur les résultats certains auxquels
chaque science est arrivée dans son domaine spécial, elle a pour but
de condenser dans une ample synthèse leurs vérités isolées et le parvenir
ainsi aux plus hautes généralités scientifiques et à la complète unification
du savoir. Aucune science particulière ne s'occupe de ce travail synthétique;
on conçoit donc une science des sciences, qui coordonne toutes nos connaissances
et les organise en un vaste système, où tout s'enchaîne; et cette science
des sciences, c'est la philosophie. C'est même à ce rôle d'unification
des différentes sciences que Comte et Spencer veulent borner la philosophie;
car pour le premier c'est la systématisation des sciences; il lui donne
pour objet unique de montrer les liens de coordination et de subordination
qu'ont entre elles les différentes sciences; le second dit, dans un sens
analogue : « La philosophie c'est le savoir complètement unifié ».
C'est un point de vue qui peut être discuté.
Sens restreint.
La philosophie des
sciences, au lieu de les embrasser toutes, peut se fragmenter. Chaque science
peut avoir sa philosophie. Quand une science cherche à se rendre compte
de ses notions fondamentales, de ses principes et de sa méthode, surtout
quand elle veut rendre raison des résultat généraux auxquels elle est
arrivée, s'efforçant de les enchaîner dans une vigoureuse synthèse
et d'en montrer les relations avec les autres sciences alors elle s'élève
à la philosophie. On aura ainsi la philosophie des :
I. - Sciences
mathématiques : elle examinera l'origine des notion de figure, de nombre,
de structure, le fondement des axiomes, l'applicabilité des sciences abstraites
à la réalité concrète, la nature et le rôle de l'infini mathématique,
etc.
II. - Sciences physiques
: elle se demandera : comment l'expérience valide ou non un énoncé,
quel est le statut de l'observateur dans l'étude du phénomène, quelle
est l'origine des concepts d'espace, de temps, etc.
III. - Sciences naturelles
: comment ont peut réduire le vivant, et même au sein du vivant les phénomènes
de conscience, aux phénomènes physico-chimiques, etc.
IV. - Sciences humaines
et sociales : sur quels principes fonder le droit; l'évolution des société
repose-t-elle sur des lois, etc
On remarquera que dans
la plupart de ces branches de la science, sinon dans toutes, le progrès
des connaissances venu peu à peu ronger le domaine de ce qui d'abord Ã
semblé n'appartenir d'abord qu'à la philosophie.
Appartenaient
ainsi à la philosophie des questions telles que : les forces physiques
sont-elles irréductibles ou si elles ne sont que les transformations d'un
phénomène identique au fond (Secchi , l'unité des forces physiques)?
Quelle est la constitution intime des corps (J.-B. Dumas, philosophie
de la chimie)? Quelle est l'origine du monde des astres et de la terre
(Cuvier, Discours sur les les révolutions du globe)? Ces questions
appartiennent aujourd'hui en propre aux sciences elles-mêmes.
Rapports particuliers
de la philosophie avec les sciences
I. - Mathématiques
:
A) La philosophie
leur fournit les notions d'unité, de grandeur, d'étendue, ainsi que les
axiomes, qui dérivent des principes d'identité et de contradiction.
Elle fait acquérir
à l'esprit la précision dans le langage et la rigueur fans le raisonnement.
B) En retour, ces
sciences habituent l'intelligence à pratiquer le raisonnement déductif
et à se dégager des réalités sensibles pour mieux saisir les abstractions
métaphysiques.
II. - Sciences physiques
:
A) La philosophie
leur fournit les notions de mouvement et de force, de cause et d'effet,
de substance et de mode, de phénomène et de loi, ainsi que les principes
de causalité, d'uniformité de la nature.
B) En retour, la
physique aide le philosophe à étudier la perception extérieure; la chimie
lui sert pour déterminer l'essence des corps. - l'ordre de l'univers révélé
par les lois physiques l'invite a s'interroger sur la nature du réel.
III. - Sciences aturelles
ou biologiques :
A) La philosophie
leur fournit les notions de vie, d'espèce, de genre, de type, ainsi que
le principe de causalité.
B) En retour, la
physiologie est utile au psychologue; car les sensations, la mémoire;
l'imagination, les inclinations et les passions dépendent de certains
phénomènes physiologiques, à cause de l'influence réciproque du physique
et du moral.
IV. - Sciences
humaines et sociales :
A) La philosophie
leur fournit les notions de liberté, de bien, de devoir, de droit, de
mérite et de démérite, ainsi que les principes de l'obligation morale,
de la responsabilité.
En particulier :
1° le droit
et la politique déduisent de ces données, morales diverses applications.
- La morale établit en outre le fondement du devoir et du droit. - La
logique explique et légitime la méthode de la sociologie.
2° Histoire : la
philosophie apprend à l'historien à peser la valeur des témoignages,
à tirer (ou pas) des événements particuliers des enseignements généraux.
B) En retour, la philosophie
puise, dans l'étude des institutions politiques et sociales, des langues,
des littératures et de l'histoire, des informations précieuses sur l'homme.
Philosophie, science
universelle et science particulière
La philosophie est Ã
la fois et sans contradiction une science particulière et la science universelle,
parce que le point de vue, sous lequel ou peut l'envisager, est différent.
Elle a son objet propre et déterminé, qui ne se confond avec celui d'aucune
autre science, qui n'est pas davantage la somme des objets de toutes les
autres sciences; de ce chef, c'est une science particulière. D'autre part
elle domine toutes les autres sciences de ses principes et unifie leurs
résultats généraux; à ce titre, elle est la science universelle. L'universalité
de la philosophie ne consiste donc pas en ce qu'elle enveloppe toutes les
sciences. Ce ne fut vrai qu'Ã l'origine.
A l'origine, en effet,
la philosophie est la science unique et toutes les sciences particulières
sont contenues dans son sein. C'est pourquoi les premiers penseurs, qui
s'appelaient sages, mènent de front toutes les connaissances. Mais Ã
mesure que le cercle de ces connaissances s'agrandit, l'intelligence humaine
se sentit incapable de les poursuivre simultanément. C'est une application
spontanée du principe de la division du travail. C'est pourquoi l'on vit
se détacher progressivement de la philosophie toute une série de sciences
particulières ayant chacune un objet spécial et une complète autonomie.
I.
- Science particulière :
Sans cette répartition
du domaine de la science, la philosophie eut son lot spécial. On a beaucoup
discuté sur l'étendue de son objet.
II.
- Science universelle :
La philosophie l'est
par l'universalité de son objet, et cela à un double titre :
A) En tant
qu'elle est la « science des premiers principes », c'est-à -dire la science
de l'universel. On peut entendre cette définition, donnée par Aristote,
et reproduite par les Scolastiques, Descartes et Spinoza, en deux sens.
La philosophie est :
1° La science
des principe de l'être, c'est-à -dire des premières causes.
2° La science des
principes du connaître, c'est-à -dire des vérités premières qui conditionnent
toutes les opérations de la pensée et toutes les sciences. Ces vérités
premières, ayant pour caractère d'être universelles, rayonnent à travers
toutes choses, ont des rapports nécessaires avec tout. C'est pourquoi
la philosophie dépasse et domine toutes les manifestations de l'esprit
humain, non seulement les sciences, mais encore les lettres et les arts.
B) La philosophie est
universelle à un autre point de vue encore, en tant qu'elle a aussi pour
objet la systématisation des sciences et vise, par la recherche des plus
hautes généralités scientifiques, à la complète unification du savoir
humain. Elle est la science des sciences.
Conclusion
: dans sa marche vers la vérité l'esprit humain procède par une analyse
entre deux synthèses. Vous voici en face d'un vaste paysage : le premier
coup d'oeil est une synthèse confuse : tout s'offre simultanément Ã
votre regard. A ce premier regard d'ensemble succède une revue détaillée
qui est une analyse : vous distinguez la forme massive des montagnes, les
méandres gracieux de la rivière, la sombre verdure des pins, ici des
fermes, là des champs de blé, plus loin des prairies, partout les jeux
variés de la lumière. Cet examen de détail terminé, vous refaites une
nouvelle synthèse plus précise et mieux ordonnée que la précédente,
car elle permet de saisir nettement les rapports des éléments au tout,
des détails à l'ensemble, en ramenant la variété à l'unité et l'unité
à la variété : lucidus ordo. On procède de la même manière
en visitant une cathédrale, en regardant un tableau, en exposant une vérité.
L'humanité a suivi
à travers les siècles cette même marche que l'esprit de chaque homme
suit en particulier. A l'origine, toutes les science: étaient confusément
contenues clans une seule science, la philosophie c'est la synthèse primitive.
Peu à peu le travail des recherches se divise et les différentes sciences
ont été en se spécialisant de plus en plus : c'est l'analyse intermédiaire.
Enfin, de temps à autre, les plus grands penseur: s'efforcent de réaliser
l'unification du savoir humain : c'est la synthèse lumineuse. (G.
Sortais).
L'épistémologie contemporaine
De nos jours, l'épistémologie se penche
sur la nature, les limites et la justification de la connaissance et s'organise
souvent autour des concepts de réalisme épistémique, de scepticisme
et de vérité et de post-vérité dans le contexte de la société de
l'information et des médias numériques.
On peut nommer comme
représentants, parmi beaucoup d'autres, des principaux courants de l'épistémologie
contemporaine :
-
Épistémologie
sociale et collective :
• Steve
Fuller, pionnier de l'épistémologie sociale, s'intéresse aux effets
de la technologie et des réseaux
sociaux sur la production et la distribution de la connaissance.
Épistémologie de la
confiance et de la crédulité :
• Onora
O'Neill, philosophe éthique, a travaillé sur la confiance épistémique
et la manière dont elle est établie dans divers contextes sociaux.
Épistémologie et intelligence
artificielle :
• Luciano
Floridi, philosophe de l'information, s'intéresse aux implications
philosophiques de l'intelligence artificielle, de la cybersécurité et
de l'éthique informatique.
Philosophie de l'information
:
• Manuel
Castells, sociologue, a étudié les aspects sociaux et politiques
de la société de l'information et de la révolution numérique.
|
Épistémologie
féministe
et décoloniale-:
• Linda
MartÃn Alcoff, philosophe féministe et décoloniale, a travaillé
l'identité et l'épistémologie.
Réflexivité épistémique
:
• Ernest
Sosa, philosophe; a développé des idées sur la réflexivité
épistémique et la façon dont nous évaluons nos propres croyances.
Épistémologie
évolutive :
• Helen
Longino, philosophe de la science, a travaillé sur l'épistémologie
évolutive et la sociologie de la connaissance.
Épistémologie pratique
et éthique de la connaissance :
• Miranda
Fricker, philosophe de l'épistémologie, a contribué au concept d'épistémologie
éthique et aux questions liées aux injustices épistémiques.
|
|
Gaston
Bachelard, Épistémologie
(textes choisis), Presses Universitaires de France - PUF, 2010. - Ces
textes ont été choisis et organisés par Dominique Lecourt pour donner
un accès facile à une épistémologie
qui a fait de la difficulté la marque distinctive d'un travail scientifique
et philosophique, sans pour autant prétendre à donner un tableau systématique
de l'épistémologie selon Bachelard. C'est
une initiation à une histoire épistémologique des sciences. (couv.).
Moukala
Ndoumou, Introduction
à l'épistémologie des Sciences Humaines et Sociales,
APARIS,
2011. Dans sa définition générale, l'épistémologie
se donne la science comme objet principal dont les fondements, les principes,
les méthodes doivent être interrogés. Ainsi s'emploie-t-elle à caractériser
les sciences en vue de juger de leur valeur et notamment de décider si
elles peuvent prétendre se rapprocher de l'idéal d'une connaissance certaine
et authentiquement justifiée. Si les sciences formelles et les sciences
expérimentales semblent proches de l'idéal d'une connaissance objective
et formellement justifiée, les sciences humaines et sociales (SHS), quant
à elles suscitent encore des doutes sur la véritable scientificité de
leurs énoncés. Et pour une espèce de science que l'opinion a vite qualifié
de « molles », par opposition à la « dureté » des sciences formelles
et expérimentales, l'épistémologie doit dissiper le doute crée autour
de leur objectivité à partir d'un examen attentif des caractéristiques
internes propres à chacune des de ces disciplines. Ce manuel n'est qu'une
introduction qui n'a pas la prétention de couvrir l'ensemble des développements
correspondant aux disciplines qui revendiquent aujourd'hui le statut de
SHS. Sa structure donne néanmoins un panorama des problématiques soulevées
par l'épistémologie des SHS. La première partie, consacrée à la scientificité
des SHS, notamment la psychologie, la sociologie et l'histoire, permet
à l'auteur de rappeler à la fois le champ conceptuel de ces disciplines
et les débats et controverses nés de la rationalité de leurs énoncés.
La seconde partie rappelle l'intérêt d'une épistémologie régionale,
en particulier en SHS, où un examen critique des enjeux de chaque discipline
peut faire l'économie d'une lecture horizontale de leur scientificité.
La troisième et dernière partie de cette analyse est l'illustration de
cette épistémologie régionale, puisque l'auteur à fait le choix d'interroger
les enjeux épistémologiques de deux disciplines, la psychologie et les
sciences économiques, qui revendiquent sans cesse le statut de science
nomothétique.
Michael
Esfeld, Philosophie
des sciences, une introduction, Presses polytechniques et universitaires
romandes, 2006. - Cet ouvrage est une introduction
à la philosophie des sciences
qui se veut accessible aux étudiants. Il résume l'état actuel de la
connaissance,
en présentant les différents concepts et en proposant une évaluation
des résultats fondés et des questions majeures qui restent ouvertes.
Il vise à contribuer au développement d'une nouvelle philosophie
de la nature qui prend en considération les
théories scientifiques, cherchant à élaborer sur leur base une vision
de l'ensemble de la nature : il utilise à cet effet les outils conceptuels
de la philosophie analytique.
La première partie de l'ouvrage dresse un bilan du débat entre l'empirisme
logique et ses critiques. La deuxième partie, la partie principale, présente
les principaux sujets de la métaphysique
de la nature. La troisième partie traite le rapport entre le niveau de
la
physique fondamentale et les autres échelles
(niveaux des molécules, des organismes, des êtres vivants développés,
etc.). Chaque chapitre contient un appareil pédagogique avec résumé,
questions d'évaluation et propositions de travail, et l'ouvrage est complété
par un glossaire et une bibliographie exhaustive : il est donc tout particulièrement
adapté à un support à un cours. (couv.).
Antoine
Zapata, L'épistémologie
des pratiques - Pour l'unité des savoirs, (préface de J.-L.
Martinand), L'Harmattan, 2004. - La rupture qui oppose
et hiérarchise le savoir théorique et la pratique est devenue un moyen
de légitimer le classement social des êtres humains et l'iniquité qui
en découle. Mais cette irréductible fracture n'est-elle pas un leurre?
Au
contraire, le savoir ne constitue-t-il pas une unité dont la pratique
serait la pierre fondatrice. En inversant ainsi la problématique, le clivage
se constitue entre des pratiques de type "scientifique" et des pratiques
de type professionnel ou quotidien. Chacune d'elles étant constitutive
d'un type de savoir, savoir savant pour l'une, savoir quotidien pour l'autre,
la question de la légitimation de ces types de savoir devient alors centrale
et amène il s'intéresser à la façon dont se construisent les pratiques
et les savoir; qui en découlent.
La
constitution d'une épistémologie des pratiques s'impose alors comme un
instrument de recherche éclairant les processus professionnels et leur
rendant leurs lettres de noblesse. (couv.). |
|
|