.
-

Gottfried Wilhelm Leibniz
La vie de Leibniz
Aperçu La vie de Leibniz Doctrine philosophique Mathématiques Géologie
On peut avec Boutroux diviser la vie de Leibniz en trois périodes : 1° la période des études et des premiers travaux, s'étendant jusqu'en 1672; 2° la période des voyages, de 1672 à 1676, époque où il devint bibliothécaire de Hanovre; 3° la période des résultats, « pendant laquelle il accomplit, dans les divers domaines où se déploie son activité, les oeuvres qui ont manifesté en lui un des hommes les plus profonds comme les plus universels de tous les temps ».

Période des études

La famille de Leibniz était d'origine slave. Son père, jurisconsulte et professeur de morale à l'université de Leipzig, le laissa orphelin à six ans, et sa mère, Catherine Schmucke, fille d'un savant professeur de droit, qui eut soin de sa première éducation, ne tarda pas à lui être enlevée pendant qu'il était à l'université. Aussi Leibniz fut-il, comme il le dit lui-même, « autodidacte ». Ayant appris le latin et le grec dès l'âge le plus tendre et comme en se jouant, il lut d'abord les auteurs anciens et reçut sans y prendre garde l'empreinte de leur pensée et de leur style « comme le visage se colore sans qu'on y pense quand on marche longtemps au soleil ». En possession de la bibliothèque de son père, il s'assimila de bonne heure la philosophie et la théologie' scolastiques, trouvant, comme il le dit plus tard, l'or caché dans ce fumier. Ce fut seulement à l'âge de quinze ans qu'il lut les modernes, Bacon, Cardan, Campanella, Kepler, Galilée et Descartes; et, dès cette époque, il entrevit le problème dont sa philosophie devait essayer de donner la solution. 
« Je me souviens, écrit-il en 1715 à Remond de Montfort, que je me promenai seul dans un bocage auprès de Leipzig, appelé le Rosenthal, à l'âge de quinze ans, pour délibérer si je garderais les formes substantielles des anciens et des scolastiques. »
Il étudia la philosophieà l'université sous la direction de Thomasius, célèbre pour sa profonde connaissance de la philosophie ancienne, et en 1663 écrivit une thèse de baccalauréat, De Principio individui, où il se déclara pour le nominalisme. Puis il alla à Iéna suivre les cours du mathématicien Ehrard Weigel, et il y conçut l'idée d'une méthode philosophique de combinaisons analogue à la méthode mathématique, idée qu'il exposera deux ans plus tard dans son traité De Arte combinatoria.

Cependant, s'étant décidé pour la carrière du droit, il prit à Altdorf, près de Nuremberg, le titre de docteur en droit, avec une thèse De Casibus perplexis in jure où se remarque son goût pour les questions douteuses et les recherches originales. En même temps, il se faisait affilier à la confrérie de la Rose-Croix de Nuremberg et s'adonnait aux expériences de chimie dont il devait s'occuper toute sa vie avec passion. Ce fut à Nuremberg qu'il fit la connaissance du baron de Boinebourg, ministre de l'électeur de Mayence, Jean-Philippe, et qu'il se laissa emmener par lui à Francfort. Devenu conseiller à la cour suprême de l'électorat de Mayence, Leibniz écrivit des ouvrages de jurisprudence et de politique : Methotus nova discendae docendaeque jurisprudentiae, Corporis juris reconcinnandi ratio, Specimen demonstrationum politicarum pro rege Polonorum, sans se désintéresser toutefois de la philosophie, comme le prouve sa Confessio naturae contra Atheistas et sa Dissertatio de stylo philosophico Nizolii où il défend Aristote et saint Thomas contre les reproches de Nizolius. Enfin il dédie à l'Académie française des sciences une Theoria motus abstracti et à la Société royale de Londres une Theoria motus concreti dans laquelle il développe, complète et rectifie les principes du mécanisme cartésien.

Période des voyages 

En 1672, Leibniz vint à Paris dans le dessein de détourner vers la conquête de l'Egypte et l'anéantissement de la Turquie l'ambition de Louis XIV menaçante pour l'Allemagne et pour l'Europe. Il échoue dans ce dessein, mais il profite de son séjour à Paris pour voir plusieurs personnages illustres du temps. Huygensl'initie à la «-profonde géométrie »; les ouvrages de Pascal lui ouvrent tout d'un coup l'esprit et lui donnent des vues qui l'étonnent-lui-même; il s'entretient de théologie avec Arnauld, de politique avec Colbert. Son séjour à Paris dura quatre ans, sauf deux mois qu'il passa à Londres au commencement de 1673 où il se lia avec le physicien Boyle et le mathématicien Oldenbourg. De cette époque date sa grande découverte mathématique du calcul différentiel. On sait qu'elle lui fut disputée par Newton. Il est certain que Newton avait inventé dès 1665 une nouvelle méthode de calcul, la Méthode des fluxions, identique, quant au fond, au calcul différentiel, et qu'il l'avait fait connaître en 1672 à un petit nombre d'amis; il est probable que Leibniz en eut connaissance par une lettre de Newton à Oldenbourg à cette même date de 1672; mais, d'autre part, cette découverte était déjà en germe dans les travaux de Fermat, Wallis, Cavalieri, et le point de vue auquel se plaçait Leibniz était tout différent de celui de Newton, le géomètre anglais comparant les variations des fonctions au mouvement des corps matériels et faisant de l'idée de vitesse le fondement de son nouveau calcul, tandis que le philosophe allemand, introduisant dans l'analyse nouvelle la notion des quantités infiniment petites, prenait pour point de départ, selon la remarque de Boutroux,   une idée métaphysique et non une image empruntée au monde sensible; et enfin l'algorithme imaginé par Leibniz était autrement clair et fécond que celui de Newton, de sorte que l'on peut dire avec, Biot que « Newton a fait davantage pour sa gloire et Leibniz pour le progrès général de l'esprit humain », et avec Fontenelle que, s'il y eut larcin, ce larcin fut tel « qu'il ne faudrait pas d'autre preuve d'un grand génie que de l'avoir fait  ».

Boinebourg et l'électeur de Mayence étant morts, Leibniz accepta du duc de Brunswick, Jean-Frédéric, la place de bibliothécaire à Hanovre. Il quitta Paris en 1676 et se rendit à Hanovre en passant par Londres, où il fit la connaissance du géomètre Collins, ami de Newton, et par Amsterdam où il vit Spinoza.

Période des résultats

Désormais la vie de Leibniz va s'écouler à la cour des ducs de Brunswick, dont il sera le conseiller et l'ami, d'abord de Jean-Frédéric, puis en 1675 de son frère Ernest-Auguste qui lui succède et de la duchesse Sophie, femme d'Ernest-Auguste, enfin de Georges-Louis et de Sophie-Charlotte, fils et fille des précédents, dont l'une deviendra reine de Prusse et l'autre roi d'Angleterre. Pendant ces quarante années, le philosophe de Hanovre développe et réalise les grandes idées qu'il a conçues pendant son séjour à Mayence et à Paris. Son esprit universel touche en même temps à toutes les branches des connaissances humaines, mathématiques, théologie, histoire, science des langues, politique, philosophie.
-
Leibniz.
G.-W. Leibniz (1646-1716).
.
En mathématiques, Leibniz publie dès 1684 dans les Acta eruditorum de Leipzig sa Nova Methodus pro minimis et maximis, c.-à-d. son calcul différentiel. En théologie, il essaye de mener à bonne fin dans son Systema theologicum (1686) le projet dont il s'était ouvert dès 1673 à Pellisson, de la conciliation des Eglises chrétiennes, protestante et catholique, mais il ne réussit pas à gagner Bossuet qui cependant s'était écrié : Utinam ex nostris esset! Chargé d'écrire l'histoire de la maison de Brunswick Lunebourg, il s'impose la loi de remonter jusqu'aux sources. Durant trois ans (1687-1690), il parcourt l'Allemagne et l'Italie, interroge les archives et les bibliothèques, recueille et discute les documents; en un mot, donne la premier exemple de critique historique. En 1693, il publie un Codex juris gentium diplomaticus et en 1698 des Accessiones historicae. Puis, en 1701, il commence la publication des matériaux qu'il a recueillis sur la maison de Brunswick, Scriptores rerum Brunsvicensium illustrationi (1701-1711). Son travail personnel, Annales Brunsvicenses, demeura inachevé. 
« Il le faisait précéder, dit Fontenelle, par une dissertation sur l'état de l'Allemagne tel qu'il était avant toutes les histoires, et qu'on le pouvait conjecturer par les monuments naturels qui en étaient restés, des coquillages pétrifiés dans les terres, des pierres où se trouvent des empreintes de poissons ou de plantes, et même de poissons et de plantes qui ne sont point du pays, médailles incontestables du déluge. De là il passait aux plus anciens habitants dont on ait mémoire, aux différents peuples qui se sont succédé les uns aux autres dans ces pays, et traitait de leurs langues et du mélange de leurs langues, autant qu'on en peut juger par les étymologies, seuls monuments en ces matières. » 
Ainsi Leibniz jetait en quelque sorte les fondements de la géologie (dont il s'était déjà occupé dans sa Protogaea, 1693), de l'anthropologie préhistorique et de la linguistique dont il pressentait les grandes découvertes.

En politique, il s'efforça surtout de contribuer au développement de la civilisation en Allemagne, en Europe et même dans le reste de la Terre. Sur ses conseils, l'électeur de Brandebourg, qui allait devenir Frédéric Ier, roi de Prusse, constitue à Berlin une « Société des sciences » (1700), à laquelle Frédéric donnera plus tard le nom d'Académie des sciences (1744). Mis en relation avec le tsar Pierre le Grand par son ami le baron Urhich, ambassadeur de Russie à Vienne, Leibniz lui propose tout un plan de réforme civile, intellectuelle et morale, et principalement la création à Saint-Pétersbourg d'une académie, chargée de faire ouvrir des écoles dans tout le pays, « d'introduire, d'augmenter et de faire fleurir toutes les bonnes connaissances dans l'empire ». Non seulement il prévoit le rôle futur de la Russie dans les affaires de l'Europe, mais encore il comprend la grandeur des civilisations orientales, en particulier de la civilisation chinoise qu'il croit digne de toute l'attention des philosophes et des hommes d'Etat.

En philosophie, il développe, fixe et systématise ses idées dans une série d'ouvrages où se marquent les principaux degrés de l'évolution de sa pensée que Boutroux ramène à trois : la matière, l'âme et Dieu. Au premier degré se rapportent l'opuscule intitulé Meditationes de cognitione, veritate et ideis (1684); un autre intitulé De Primae Philosophiae emendatione et de notione substantiae (1694); le Système nouveau de la nature et de la communication des substances aussi bien que de l'union qu'il y a entre l'âme et le corps, où se trouve exposé pour la première fois le système de l'harmonie préétablie (1695); enfin un traité sur la nature, De Ipso Natura sive de vi insita actionibusque creaturarum (1698), où il oppose sa conception de la nature à celle de Spinoza

Au second degré se rapportent une suite de lettres à Basnage (1698), à Hoffmann (1699), etc., divers opuscules de 1705, 1707, 1710, et surtout les Nouveaux Essais sur l'entendement humain, en réponse à l'Essai de Locke, écrits en 1703, mais publiés seulement en 1765. 

Au troisième degré appartiennent les Essais de théodicée sur la bonté de Dieu, la liberté de l'homme et l'origine du mal, composés à la demande de la reine de Prusse. Les derniers ouvrages de Leibniz, la Monadologie (1714), écrite pour le prince Eugène de Savoie, et les Principes de la nature et de la grâce (1714) sont des résumés de sa philosophie. Toutefois, pendant ses dernières années; Leibniz, dans des lettres à plusieurs savants, reprend quelques points importants de son système; avec le P. des Bosses, il traite de la monade, de la matière, du corps et de la substance corporelle; avec Bourguet, de la perception et de la perfection croissante des créatures; avec Clarke, de Dieu, de l'espace et du temps.

La fin de Leibniz fut isolée et triste. Ses protecteurs étaient morts, et la maladie le clouait sur un fauteuil. Il mourut le 14 novembre 1716 et fut enterré non seulement sans pompe, mais sans aucune suite, sans ministre de la religion, accompagné du seul Eckhart, son fidèle secrétaire. Il passait aux yeux du peuple et de la cour pour un mécréant; et, de fait, si religieux que fût, Leibniz, au sens élevé du mot, il était peu porté vers la pratique; ce fut surtout un « scrupuleux observateur de la religion naturelle ». La Société des sciences de Berlin et la Société royale de Londres restèrent muettes. Seule, l'Académie des sciences de Paris prononça l'éloge de Leibniz par la voix de son secrétaire Fontenelle (13 novembre 1717). (E. Boirac).

.


Dictionnaire biographique
A B C D E F G H I J K L M N O P Q R S T U V W X Y Z
[Aide][Recherche sur Internet]

© Serge Jodra, 2009. - Reproduction interdite.