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Dans
l'Antiquité, Pythagore, en disant que les
nombres étaient les principes
des choses, avait ramené en même temps les nombres eux-mêmes à leur
principe, l'unité. Chez les modernes, Leibniz,
en partant de l'idée de force,
créa le monadisme ou la théorie des monades (du grec monas
= unité). Les monades sont des substances
simples, des atomes incorporels.
Une monade est
une force irréductible, qui contient en elle-même le principe et la source
de toutes ses actions. Les monades sont les éléments de toutes les choses,
tant matérielles qu'incorporelles. Elles ne se forment ni ne se décomposent;
elles ne peuvent subir aucune altération, aucune
modification par un changement interne; elles ne naissent ni ne
périssent; toutes datent du jour de la création. Le
monde est à leur égard dépourvu d'action, et, suivant les expressions
de Leibniz, en elles n'existent ni portes ni
fenêtres qui puissent leur donner accès. Elles n'ont ni étendue
ni figure, et ne peuvent occuper d'espace ou se
trouver dans un lieu.
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Les forces
ou monades
« Quoique je sois
un de ceux qui ont fort travaillé sur les mathématiques, je n'ai pas
laissé de méditer sur la philosophie dès ma jeunesse, car il me paraissait
toujours qu'il y avait moyen d'y établir quelque chose de solide par des
démonstrations claires. J'avais pénétré bien avant dans le pays des
scolastiques, lorsque les mathématiques et les auteurs modernes m'en firent
sortir encore bien jeune. Leurs belles manières d'expliquer la nature
mécaniquement me charmèrent, et je méprisais avec raison la méthode
de ceux qui n'emploient que des formes ou des facultés dont on n'apprend
rien. Mais depuis, ayant tâché d'approfondir les principes mêmes de
la mécanique pour rendre raison des lois de la nature que l'expérience
faisait connaître, je m'aperçus que la seule considération d'une masse
étendue ne suffisait pas, et qu'il fallait employer encore la notion de
la force, qui est très intelligible, quoiqu'elle soit du ressort de la
métaphysique. Il me paraissait aussi que l'opinion de ceux qui transforment
ou dégradent les bêtes en pures machines
[allusion aux cartésiens], quoiqu'elle semble
possible, est hors d'apparence et même contre l'ordre des choses.
Au commencement,
lorsque je m'étais affranchi du joug d'Aristote, j'avais donné dans le
vide et dans les atomes, car c'est ce qui remplit le mieux l'imagination;
mais, en étant revenu après bien des méditations, je m'aperçus qu'il
est impossible de trouver les principes d'une véritable unité dans la
matière seule ou dans ce qui n'est que passif, puisque tout n'y est que
collection ou amas de parties à l'infini. Or la multitude ne pouvant avoir
sa réalité que des unités véritables, je trouvai que leur nature consiste
dans la force, et que de cela suit quelque chose d'analogue au sentiment
et à l'appétit, et qu'ainsi il fallait les concevoir à l'imitation de
la notion que nous avons des âmes. »
(Leibniz,
Système nouveau de la nature
et
de la communication des substances.).
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Par la même raison
elles sont privées de mouvement. Cependant, malgré leur simplicité
absolue, aucune monade n'est semblable à une autre. Elles
diffèrent entre elles par certaines propriétés
ou qualités qui leur sont inhérentes.
Leibniz attribue à toutes ses monades
des perceptions, et, avec la perception, il
place dans chacune d'elles une tendance à passer d'une perception à une
autre, qui est le principe de son changement et qu'il nomme appétition.
Dans chaque monade l'appétition répond à la perception, comme en nous
la volonté répond à l'intelligence. C'est par ces actions internes que
les monades, suivant Leibniz, diffèrent entre
elles. En outre, de la diversité de ces perceptions et appétitions il
résulte non seulement une variété infinie, mais encore une hiérarchie
entre toutes les monades. Depuis la plus intime, qu'on peut se représenter
comme une simple force de cohésion, on monte, par une suite non interrompue
de degrés presque insensibles, jusqu'à celles dans
lesquelles la perception est plus distincte et révélée par la conscience;
ce sont les âmes proprement dites. Les âmes humaines
se distinguent de celles des animaux par la connaissance des vérités-nécessaires,
qui constituent la raison.
Mais s'il y a suite et enchaînement entre
les monades, il n'y a point entre elles de réciprocité d'action et d'influence.
Toutes les actions internes d'une monades dépendent invariablement de
la seule force qui est en elle; Dieu lui-même,
dès l'origine des choses, a mesuré cette force et en a réglé toutes
les perceptions. En construisant sa Monadologie,
ou sa théorie des monades, Leibniz avait pour objet de combler l'abîme
qui existe entre la matière et l'esprit,
et de faire concevoir leur union.
Cette, théorie
conduit :
1° à l'idéalisme,
car une agrégation de monades ne peut pas avoir des qualités qui ne sont
pas dans ses éléments; les monades n'ayant ni figure, ni étendue, ni
mouvement, les corps ne sont que des phénomènes;
2° à l'optimisme,
parce que les monades sont disposées les unes à l'égard des autres de
manière à produire le meilleur des mondes
possibles;
3° au fatalisme,
par l'harmonie préétablie.
(R. / DV.).
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