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On désigne sous le nom d'école ionienne un groupe de philosophes grecs d'origine ionienne pour la plupart, et qui spéculèrent sur les premiers principes des choses, pendant les Ve et VIe siècles av. J.-C. Cette école chercha à substituer un système de physique aux anciennes cosmogonies' mythologiques, et à déterminer l'état primitif des choses, ainsi que leur principe dans l'ordre matériel. En prenant le monde physique pour l'unique objet de ses spéculations, l'École ionienne s'attacha spécialement à la certitude des sens; elle fut, pour cette raison, regardée comme la première école sensualiste (Sensualisme). Les philosophes ioniensL'école ionienne peut se diviser en deux groupes : les physiciens dynamistes et les physiciens mécanistes. Cela corresspond à deux explications de la nature diamétralement opposéesL'explication dynamique de la nature part de l'idée d'une force vivante qui varie dans les propriétés et les formes de ses développements; tout ce qui arrive dans la nature paraît donc explicable, suivant cette hypothèse, par un changement de force. L'explication mécanique de la nature n'admet aucune naissance proprement dite, aucun changement de propriétés ni de formes dans la nature; la physique mécanique prétend tout expliquer par le changement des rapports extérieurs dans l'espace. Elle suppose par conséquent la matière permanente et changeant de lieu par un mouvement qui survient en elle naturellement ou qui lui est imprimé du dehors. Toute naissance n'est donc, dans cette hypothèse; qu'une nouvelle combinaison des parties de la matière, douée primitivement de propriétés ou de formes différentes. Dynamistes : Thalès de MiletMécanistes : Anaximandre de Milet Le caractère des doctrines ioniennesComme tous les philosophes présocratiques, les ioniens sont, avant tout, selon l'expression d'Aristote, des physiologues : c'est le monde sensible, la nature, qu'ils veulent expliquer. Les choses morales ne trouvent pas de place dans leurs recherches, ou, si elles en ont une, c'est d'une manière tout à fait accessoire. Le trait caractéristique qui permet de grouper tous ces philosophes en une même école, et les distingue des autres écoles de la même période, c'est qu'ils croient trouver l'explication du monde sensible dans des principes matériels révélés par l'expérience. Les Pythagoriciens au contraire et les Eléates s'élèvent plus haut et invoquent des principes plus abstraits. Il y a lieu, d'ailleurs, selon une remarqué de Schleiermacher, suivi sur ce point par H. Ritter et Ed. Zeller, de distinguer dans la philosophie ionienne deux périodes : dans la première, la question que l'on se pose est celle de savoir de quelle substance les choses sont faites, de quelle matière elles sont sorties. Dans la seconde, Héraclite ayant attiré l'attention sur le mouvement, et tout réduit au devenir, le principal problème de la philosophie est de savoir non plus de quoi mais comment les choses sont faites, la question de la cause a remplacé celle de la matière; c'est le mouvement, et non plus la substance qu'il s'agit d'expliquer.Le premier de ces problèmes est résolu diversement par Thalès, Anaximandre et Anaximène. Ainsi, Thalès, né en 640 av. J.-C., regarda l'eau, ou plutôt l'élément humide, comme l'élément dont toutes choses étaient faites; pour Anaximandre, son disciple, ce fut un principe tenant le milieu entre l'air et le feu, et qu'il appelait la matière infinie (apeiron); Anaximène donna la préférence à l'air. Selon toute probabilité ces trois philosophes rendent compte de la diversité des choses par les transformations successives de la substance unique : c'est une conception hylozoïste. Cependant Ritter a cru découvrir chez Anaximandre une première explication mécanique, mais Ed. Zeller combat cette interprétation, et, semble-t-il, avec raison. Presque en même temps qu'Héraclite renouvelait ainsi le vieil hylozoïsme ionien, une école rivale, celle de Parménide et de Zénon, les deux grands Eléates, se plaçait à un point de vue diamétralement opposé, et soutenait un principe qui, comme les idées d'Héraclite, ne devait plus disparaître de la philosophie : c'est le principe que rien ne naît de rien ni ne périt à proprement parler, et c'est ce que montre l'analyse rationnelle et dialectique de l'idée de l'être. Dès lors le problème que se proposent les nouveaux Ioniens est de concilier les vues opposées d'Héraclite et de Parménide, de montrer comment la mobilité universelle peut coexister avec la permanence absolue de l'être, ou, comme on dit alors, de faire la synthèse de l'être et du non-être. On y parvint par la conception mécaniste de l'univers, substituée désormais au dynamisme des anciens Ioniens. Il y a des éléments (de quelque nom qu'on les appelle) qui sont éternels, immuables, indestructibles : voilà l'être tel que le concevaient les Eléates. Il y a, d'autre part, des combinaisons infinies entre ces éléments invariables; certaines causes les mettent en mouvement, les rapprochent et les séparent; de là la naissance et la mort, et toutes les apparences du monde sensible, voilà le règne du devenir et du changement, tel que l'avait défini Héraclite. Une double tâche s'imposait, dès lors, aux nouveaux Ioniens d'abord définir les principes éternels de l'être, puis déterminer les causes du changement. Ils remplirent cette tâche de diverses manières. Empédocle affirma l'existence des quatre éléments, qualitativement différents, et expliqua leurs combinaisons par l'action de l'amour et de la haine. Anaxagore admit autant de principes primordiaux, qualitativement différents les uns des autres, que nous connaissons de substances à propriétés définies. Ce sont les homoeoméries. La cause qui préside à leurs diverses combinaisons est l'intelligence qui communique le mouvement à la masse confuse et indistincte que formaient primitivement les homoeoméries, et permet ainsi aux parties semblables de se rapprocher. Pour la première fois, l'esprit était distingué de la matière, et la cause organisatrice du monde était placée hors de lui. Parmi les autres philosophes de l'École ionienne on doit nommer encore Hermotime de Clazomène, qui porta son attention sur le principe pensant, Diogène d'Apollonie, qui suivit les traces d'Anaxagore, et Archélaüs de Milet, qui fut un des maîtres de Socrate. Après les Ioniens, Leucippe et Démocrite, dont on traite ailleurs (L'Ecole atomistique), portèrent la conception mécaniste à son plus haut point de perfection. Remplaçant les éléments et les homoeoméries, spécifiquement différentes les unes des autres, par des particules de matière absolument semblables entre elles, différentes seulement par la forme et la grandeur, ces deux philosophes admirent en même temps l'éternité du mouvement, et expliquèrent toutes les combinaisons des atomes par les chocs et les rencontres, on encore, comme ils disent, par les tourbillons qu'ils forment. Telle fut, considérée dans son ensemble, la philosophie ionienne. Elle laissa des traces durables. Platon se proposa au fond de résoudre le même problème, et de concilier à sa manière Héraclite et Parménide. Aristote se préoccupa sans cesse de la conception philosophique des Ioniens sous sa dernière forme, celle que lui avait donnée Démocrite, et il ne laissa pas échapper une seule occasion de la combattre. Enfin on vit reparaître les principales idées d'Héraclite dans la physique des Stoïciens, la plupart de celles de Démocrite dans la physique d'Epicure, et la pensée de ce dernier philosophe ne fut pas sans influence sur le développement des écoles sceptiques. (V. Brochard).
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