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L'Ecole atomistique
Atomisme, philosophie atomistique
Les termes d'atomisme ou de philosophie atomistique peuvent  s'appliquer en général à tous les systèmes qui admettant l'existence des atomes comme éléments constitutifs des corps. Le concept d'atome appartient aujourd'hui à la physique, et il en fournit l'un des fondements les plus féconds. Dans le passé, les atomes constituaient une simple hypothèse-métaphysique. C'est d'elle seulement qu'il sera traité dans cette page. Des philosophes et des savants, appartenant d'ailleurs à des écoles très opposées,  expliquaient par les propriétés et les combinaisons diverses des atomes les êtres du monde physique : mais les uns admettaient avec la matière un autre principe ou une autre substance, active et intelligente, qui a créé la matière elle-même ou qui au moins combine ses éléments, les arrange et les coordonne; les autres regardaient non seulement la matière comme éternelle, mais comme étant la seule et unique substance, et rejettent l'esprit et tout autre principe. L'atomisme, dans ce dernier cas, est le matérialisme tel que l'a exposé Démocrite, son véritable auteur, et tel qu'il fut adopté plus tard par Épicure et chanté par Lucrèce

Les atomistes de l'Antiquité

D'après la théorie des atomes fut développée par Leucippe et Démocrite (480 avant J.-C.). Du principe de ce que rien ne se fait de rien ex nihilo fit nihil, découle la nécessité d'admettre des atomes. Inégaux de grandeur, de poids et se forme, les atomes sont soumis à un mouvement intérieur, qui est la cause de toute combinaison, comme de toute décomposition. Leur mouvement est facilité par l'existence de pores ou d'intervalles vides. Les atomes sont impénétrables : deux atomes ne pourront jamais occuper le même espace. Chaque atome résiste à l'atome qui tend à le déplacer. De là un mouvement oscillatoire (palmos) qui se propage de proche en proche à tous les atomes d'un même groupe. II en résulte une véritable rotation (dinè), qui est le type de tous les mouvements du monde.
Leucippe.
C'est un philosophe d'Abdère, en Thrace. Il est considéré comme le fondateur de l'école atomistique. On ne sait rien de lui, sinon qu'il fut le compagnon et probablement le maître de Démocrite.

Démocrite.
Il est né à Abdère vers 460 et mort en 361 avant J.-C. Il soutint contre les Eléates l'existence du vide en invoquant pour arguments l'existence du mouvement et le fait de la compressibilité des corps. D'autre part, il rejetait la divisibilité à l'infini des corps sous prétexte, que si l'oin divise un corps en autant de par ties que l'on voudra, il en restera toujours quelque chose. Selon Démocrite, les corps sont composés d'atomes et les diffé-. rences entre les êtres viennent de la forme, de l'ordre ou de la position des atomes. Les atomes sont en nombre incalculable. Ils sont éternels et n'ont pas commencé d'être, parce que rien ne vient de rien. Quant au mouvement, il est éternel sans être inhérent aux atomes. Il faut, en effet, distinguer le mouvenient primitif qui fait s'entrechoquer les atomes et le mouvement dérivé qui en résulte. Ces divers mouvements, qui se forment en tourbillons, obéissent à une nécessité qui gouverne tout. L'âme est matérielle et de la nature du feu. Elle est composée d'atomes ronds, très prompts à se mouvoir. La connaissance s'explique par les idoles, idées-images, formes matérielles et subtiles qui se détachent des objets, s'insinuent dans les sens et causent la sensation. Après une élaboration, elles deviennent la pensée.

La théorie atomistique de Leucippe et de Démocrite déplut singulièrement à tous les partisans des croyances religieuses traditionnelles. C'est pourquoi Anaxagore, qui avait fait cette théorie la base de sa théorie des homéoméries, fut accusé d'impiété par la majorité des Athéniens; il n'échappa que par la fuite à l'exécution de la sentence de mort, portée contre lui. 

La philosophie atomistique d'après les auteurs anciens.

Principes généraux.
• « Leucippe et son ami Démocrite disent que les éléments des choses sont le plein et le vide, ils ajoutent que cela équivaut à l'être et au non-être : de ces éléments le plein et le solide est l'être, le vide et le mou est le non-être; par suite l'être n'est pas plus que le non-être, le vide n'est pas plus que le corps. Ces éléments sont les causes des choses, à titre de matière. Et de même que les philosophes qui admettent l'un comme substance, expliquent la production des autres choses par les modifications de cette substance, posant le mon et le dur comme principes des modifications; de la même façon Leucippe et Démocrite disent que les différences sont les causes des autres choses; ils en admettent trois : la forme, l'ordre et la position. Ils disent en effet que l'être ne diffère que par l'arrangement, le contact et le tour. Or pour eux l'arrangement c'est la forme, le contact c'est l'ordre, le tour c'est la position. Par exemple A diffère de N par la forme, A N de N A par l'ordre et Z de N [ou H?] par la position. » (Aristote, métaphysique, I, IV).

• « Ils disent que les éléments des corps sont toujours en mouvement dans le vide et l'infini. » (Aristote, De Caelo, III, II).

• « Le semblable naît du semblable, les analogues sont portés et mus les uns vers les autres. » (Simplicius, Physique, fol. 7).

• « Ils admettaient des formes infinies, de sorte que par les métamorphoses du fond, le même objet parait tout contraire à l'un et à l'autre; il est absolument changé par le moindre mélange et apparaît tout différent par le changement d'un seul atome : c'est de même qu'une tragédie et une comédie s'écrivent par les mêmes lettres. » (Aristote, De Generat. et Corrupt., I, 2).

• « Puisque les corps diffèrent par les formes et que les formes sont infinies, par suite ils disent que les corps simples sont infinis. » (Aristote, De Caelo, III, 4).

• « L'opinion fait le doux et l'amer, le chaud et le froid, elle fait l'humide, elle fait la couleur; il n'y a de réel que les atomes et le vide. Pour la réalité, on croit et on juge réels les objets des sens, mais ils n'existent réellement pas ; il n'y a que les atones et le vide. » (Sextus Empiricus, Adv. Math., VII, 135).

• « Non, en réalité nous ne savons rien d'assuré; nous ne connaissons que ce qui tombe sons le contact du corps et ce qui nous cause ou plaisir ou peine. » (Sextus Empiricus, Adv. Math., VII, 135).

• « Nous ne savons rien sûrement, la vérité est au fond d'un puits. » (Diogène Laërce, IX, 72).

Le monde. 
• « De ce qui est éternel, il ne convient pas de chercher la cause. »  (Aristote, Physique, VIII, I).

• « Au ciel et à toutes les parties de l'univers, ils donnent pour cause le hasard. Du hasard naît le tourbillon et le mouvement qui disperse et. qui dispose dans cet ordre l'univers. »  (Aristote, Physique, II, 4).

 • « ils disent que les mondes sont infinis; les uns naissent, les autres périssent; en un mot il y a un mouvement éternel. » (Aristote, Physique, VII, I).

Le divin.
• « Démocrite dit que certaines figures sont en rapport avec les hommes : parmi elles les unes sont favorables, les autres funestes; voilà pourquoi il prie d'en rencontrer de favorables. Ces figures sont grandes et au-dessus de la nature, difficiles à détruire mais non cependant immortelles ; elles prédisent l'avenir aux hommes par ce qu'elles leur font voir et par les voix qu'elles leur font entendre. » (Sextus Empiricus, Adv. Math., IX, 10).

L'homme.
• « L'homme est ce que nous savons tous. »  (Sextus Empiricus, Adv. Math., VII, 265).

• « Il faut que dans le même homme il y ait deux corps si l'âme est un corps [...].. C'est un corps très subtil. » (Aristote, De Anima, I, V).

• « Leucippe et Démocrite disent que la sensation et la pensée se produisent par de petites images qui viennent à nous par émanation et que personne ne peut avoir une idée sans le concours de l'image. » (Plutarque, des Opinions des philosophes, IV, 8).

• « Il y a deux formes de la pensée : l'une est claire, l'autre est obscure. Ce qui est obscur ce sont toutes les données des sens : la vue, l'ouïe, l'odorat, le goût, le toucher; la connaissance claire est toute différente [...]. Suivant Démocrite, la raison est un juge; il l'appelle une connaissance claire. » (Sextus Empiricus, Adv. Math. VII, 1395).

Morale.
• «. Le but de la vie est la tranquillité de l'âme qu'il ne faut pas confondre avec le plaisir, comme quelques-uns ont fait la faute de l'admettre. C'est ce qui donne le calme et la sérénité à l'existence de l'âme qui n'est troublée par aucune crainte, par aucune superstition, par aucune autre passion. On l'appelle encore le calme et on lui donne bien d'autres noms. » (Diogène Laërce, IX, 45).

• « Les hommes goûtent la tranquillité d'âme par la modération dans le plaisir et parla mesure dans la vie; au contraire, la misère ou la prospérité excessive bouleverse la vie et produit de grands changements dans l'âme. » (Stobée, Sermones, I, 40).

• « Le mieux pour l'homme est de passer sa vie dans la plus grande sérénité et avec le moins de tristesse possible ; c'est ce qui arriverait si on ne plaçait pas son plaisir dans les biens périssables. » (Stobée, Ibid., V, 24).

• « Le bonheur ne réside ni dans les grandes propriétés ni dans l'or, mais c'est une âme où réside un Dieu. » (Stobée, Eclog, II,).

Au sage toute terre est ouverte: car une belle âme a pour patrie le monde entier. » (Stobée, Florileg, XL, 7).

Les atomistes modernes

Repoussant comme imaginaire ou inutile toute intervention d'une divinité quelconque, les anciens atomistes essayaient d'expliquer par la seule action des forces physiques tous les phénomènes de l'univers. Cette idée a été reproduite depuis par toutes les écoles matérialistes. Ainsi l'atomisme est-il  implicitement ou explicitement admis par tous les matérialistes modernes : Hobbes, Diderot, La Mettrie, d'Holbach, Cabanis, Broussais

Il n'y a, disent ces philosophes, rien de réel que ce qui tombe sous les sens. Le monde ou l'univers visible ne renferme que des corps. Admettre d'autres êtres, d'autres substances, c'est créer des êtres chimériques, dont aucun de nos sens ne peut nous révéler l'existence. Seuls donc les corps existent. Mais les corps sont composés de parties; ces parties elles-mêmes ne peuvent être composées. La divisibilité à l'infini anéantit leur substance. Tout composé suppose des éléments simples. Les éléments simples ou indivisibles des corps, ce sont les atomes. Les atomes; c.-à-d. la matière, et l'espace ou le vide dans lequel ils se meuvent, voilà les deux principes des choses. Les atomes, par leurs diverses combinaisons, forment tous les êtres de la nature, les corps inorganiques et organiques, inanimés et animés, les minéraux, les plantes, les animaux, l'humain, l'âme elle-même, qui est un agrégat d'atomes. Les phénomènes de la nature, le mouvement, la vie, l'instinct, l'intelligence, tout s'explique par les modes de combinaison des atomes. Les propriétés des atomes sont la forme, l'impénétrabilité, l'éternité, l'immutabilité et le mouvement. Le monde est éternel, ou plutôt la matière est éternelle; les lois qui la régissent sont éternelles comme elle. L'esprit comme être distinct, doué de propriétés différentes de celles de la matière, cause intelligente et libre qui aurait arrangé ou disposé la matière, est une pure hypothèse. La science consiste à étudier les transformations dont la matière est susceptible et les diverses combinaisons que peuvent former ses éléments. 

Tel est le système des atomes dans sa conception fondamentale ou dans sa base. Cette base est restée la même malgré les modifications qui ont pu être introduites, à la suite du progrès des sciences, dans les explications particulières sur les lois de la nature et la formation des êtres. De ce système naissent des conséquences qu'il est facile d'entrevoir, et des solutions à toutes les questions philosophiques. De là une cosmogonie, une physique, une physiologie, une science de l'humain, des réponses à toutes les questions morales, et qui ne sont autres que celles du matérialisme. 

Certes, si la simplicité était le premier mérite d'un système, celui-là aurait peut-être le pas sur tous les autres. Mais il n'est si simple, diront ses détracteurs, que parce qu'il est grossier. Quant aux autres conditions, dont la première est de satisfaire la raison et de ne pas heurter le bon sens, il les remplit moins ou pas du tout. Il est facile de montrer d'abord, expliqueront-ils, que lui-même repose sur une hypothèse, ensuite que cette hypothèse est absurde, c.-à-d. incapable d'expliquer le monde, son ensemble et ses parties, ses lois, l'ordre qui y règne, les êtres qu'il renferme; ensuite qu'il est en opposition avec tous les faits et les vérités de l'ordre, moral, tels que la liberté, le devoir, la justice, la vertu, etc. Une telle réfutation a été faite par tous les défenseurs du spiritualisme, et il suffit de renvoyer à leurs ouvrages. (Fénelon, Existence de Dieu, 1re partie; J.-J. Rousseau, Émile, IV; Clarke, Existence de Dieu

Voici quelques arguments que nous empruntons à Fénelon et que nous abrégeons : 

" On suppose des atomes éternels, c'est supposer ce qui est en question. Où prend-on que les atomes ont toujours été et qu'ils sont par eux-mêmes? Avec l'éternité, on leur accorde non moins gratuitement la perfection, l'indépendance, l'immutabilité. Supposé qu'ils aient tout cela, il faut aussi leur accorder le mouvement éternel. Or, le mouvement n'est point essentiel aux corps; ils sont indifférents au mouvement et au repos. Les lois du mouvement ne sont pas plus essentielles à la matière que le mouvement lui-même. D'où viennent ces lois si ingénieuses, si justes, si bien assorties les unes aux autres, et dont la moindre altération renverserait tout à coup le bel ordre de l'univers? Il faut donc trouver un premier moteur de le matière et une intelligence qui lui ait donné des lois. Les atomes, quoique ayant toutes sortes de figures, ronds, carrés, triangulaires, etc., s'ils se meuvent en ligne droite, ne peuvent se rencontrer. Les Épicuriens ont inventé le clinamen ou mouvement de déclinaison avec lequel ils expliquent non seulement la rencontre des atomes et la formation du monde, mais la liberté dans l'homme. Rien de plus absurde et de plus grossier. Quoi! les atomes se mouvant en ligne droite sont inanimés, incapables de connaissance et de volonté, et une ligne de déclinaison les rend tout à coup animés, pensants, raisonnables! Qu'y a-t-il de commun entre le clinamen et la liberté humaine? Ce mouvement déclinatoire est d'ailleurs impossible. S'il n'y a pas de première cause qui ait imprimé la direction aux atomes et qui puisse la changer, la ligne droite leur est essentielle; nul atome ne peut se détourner de sa route. Tout est fatal et nécessaire dans le monde. Le clinamen n'explique pas mieux le libre arbitre que le mouvement direct, car lui-même est aveugle et nécessaire. La liberté ne peut se trouver ni dans les corps ni dans aucun mouvement local. Il faut donc la nier. Ce système, en effet, c'est le fatalisme avec toutes ses conséquences. " 
A partir de la seconde moitié du XIXe siècle, la fécondité de l'hypothèse des atomes est cependant devenue de plus en plus évidente dans les sciences physiques, où, il est vrai, on a dû commencer par en limiter la portée métaphysique. Comme le constatait déjà Bénard en 1879 : 
" Ici, quand il renonce à être exclusif, il peut se concilier avec le spiritualisme, et c'est ainsi que nous le trouvons, par, exemple, dans Descartes et chez la plupart des savants on des physiciens modernes. Il est alors une hypothèse qui sert de base à la physique, et qui, comme toute hypothèse, peut lui rendre d'utiles services. II se réduit à regarder la matière ou la substance des corps comme formée d'éléments simples ou moléculaires doués d'une nature propre et de qualités particulières, dont les premières sont impénétrabilité, l'étendue, l'inertie, etc. A cette hypothèse est opposée celle des forces ou monades substances simples, inétendues et pourvues d'activité, qui ont en elles-mêmes le principe de leur énergie et de leur développement; c'est le système de Leibniz. II faut le reconnaître, quelque étrange que ce dernier système paraisse à la plupart des esprits, c'est dans ce sens que marche aujourd'hui la science, qui partout découvre l'activité, le mouvement spontané, la vie même, dans les dernières molécules de la matière, comme elle trouve partout le mouvement dans la structure de l'univers. Quoi qu'il en soit, les atomes et l'atomisme ne sont qu'une hypothèse; car, qui a vu ou touché les atomes? Personne, pas plus que les forces. Ainsi, hypothèse pour hypothèse, l'avenir appartient à celle qui sera le mieux capable d'expliquer l'universalité des faits et de résoudre les difficultés que soulève le raisonnement. C'est à la métaphysique et à la philosophie naturelle à résoudre ces questions."


En bibliothèque - Lafaist, Dissertation sur la philosophie atomistique, Paris, 1833, in-8°. 
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