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Philosophie
Mécanique (ou Mécanicisme), doctrine
qui ne fait résulter les qualités
des corps que du rapprochement d'un certain nombre
d'éléments ou de principes sans
qualités propres, et de leur manière de se grouper.
En dehors, nous pourrions peut-être
dire au-dessus de la grande question de la nature des êtres qui divise
les spiritualistes et les matérialistes,
s'en pose une autre non moins débattue, celle de l'origine du mouvement,
dont la connaissance, pensaient les philosophe, pouvait résoudre
la question même de l'origine du monde. Il est en effet deux manières
d'expliquer le monde ou bien on admet dans la matière une force
intime qui la modifie, qui la développe par une action constante
et intérieure, c'est le dynamisme,
dont Leibniz est le représentant moderne
le plus illustre; ou bien on admet que les êtres et les qualités
des êtres ne résultent que du rapprochement et du mode de
groupement d'un certain nombre de principes sans qualité, sous l'action
d'une cause extérieure; c'est le mécanisme, que Descartes
a illustré chez les Modernes. Nous allons passer rapidement en revue
les principales philosophies mécaniques.
La philosophie paraît avoir débuté
par le dynamisme. Thalès admettait qu'une
force intime modifie la matière. Plusieurs historiens de la philosophie,
H. Ritter entre autres, font commencer la mécanisme avec Anaximandre,
c'est une erreur : les principes, les éléments d'Anaximandre
n'étaient pas sans qualités; ils avaient plus de rapport
avec les homéoméries d'Anaxagore
qu'avec les atomes de Démocrite. Démocrite est le véritable
père de la philosophie mécanique. Rappelons à propos
de la doctrine atomistique que, suivant Démocrite,
le mouvement mêle les atomes et les combine d'une infinité
de manières, de telle sorte qu'il peut exister une infinité
de mondes différents, composés des mêmes éléments,
de même qu'avec les mêmes lettres mises dans un ordre différent
on peut faire une tragédie ou un poème épique. C'est
bien là une doctrine mécanique. Ces éléments
premiers des choses, ces atomes n'ont en eux-mêmes aucune qualité
intrinsèque; c'est leur combinaison qui produit tous les êtres,
et cette combinaison a lieu sous l'action extérieure du mouvement.
Nous trouvons un nouveau mécanisme
chez Straton de Lampsaque, péripatéticien
successeur de Théophraste. Les platoniciens et Théophraste
lui-même, Cicéron nous l'apprend au Ier livre du De natura
deorum, attribuaient la divinité au ciel, aux astres et à
l'intelligence. Straton du Lampsaque leur opposa un nouveau système.
"Il
enseigna, dit Renouvier, que le monde n'est pas animé, que l'ordre
de la nature suit celui de la fortune, c'est-à-dire que le principe
existe de lui-même, et qu'ensuite chacun de ses effets s'accomplit
spontanément. L'âme raisonnable est, suivant lui, sujette
au mouvement aussi bien que l'âme irraisonnable, et ses mouvements
sont ses actes mêmes : ce qui pense se meut, comme se meut ce qui
voit ou ce qui entend, et la connaissance est l'acte de la pensée,
comme la vision de la vue. L'âme est mue par des causes diverses
en elle-même quand elle pense, ainsi qu'elle a été
mue antérieurement par la sensation, et jamais elle ne saurait penser
ce qu'elle n'a pas vu, soit qu'il s'agisse des lieux, des dessins, des
statues ou des hommes. Mais le mécanisme de Straton n'était
pas celui qu'Épicure emprunta à Démocrite. Straton
considérait le système du vide et des atomes comme le songe
d'un homme qui n'enseigne pas ce qui est, mais ce qu'il imagine. Quant
à lui parcourant toutes les parties du monde, il rendait compte
de chacune et de tous les états par lesquels elle peut passer, à
l'aide de certains poids et de certains mouvements naturels. Il va sans
dire que Straton délivrait la divinité du soin de faire un
monde, le monde lui-même, sans figure ni connaissance, possédant
tout ce qu'il y a de force divine; et s'il parlait de Dieu dans son système,
c'était d'un Dieu sans esprit, le même que le monde apparemment."
Il est assez difficile de décider s'il
faut ranger les Stoïciens parmi les philosophes
mécanistes ou parmi les philosophes dynamistes. On peut soutenir
ces deux opinions avec des raisons plausibles. Le Dieu
des stoïciens habite le monde, le pénètre, l'anime et
se confond avec lui. A ce point de vue, il semble que la physique stoïcienne
soit une physique mécanique; mais Proclus
nous avertit, dans son Commentaire du Timée, que si le Dieu
des Stoïciens pénètre la matière et est en quelque
sorte l'âme du monde, il produit ce monde en le tirant de la matière,
qu'il met l'ordre dans toutes choses, qu'à l'expiration de certaines
périodes de temps il absorbe le tout en lui-même, pour le
produira de nouveau à l'existence, et que ce monde, il le détruira
un jour. Dans ce sens, ou peut dire que les stoïciens sont mécanistes,
puisqu'ils admettent un être éternel séparé
de la matière.
Épicure
reprit en les développant les doctrines mécaniques de Démocrite.
On trouvera à la page sur l'école
atomistique l'exposé de sa doctrine, qui est nettement mécanique.
La philosophie mécanique, qui a
compté tant d'adeptes dans l'Antiquité, a trouvé dans
les temps modernes un illustre représentant: Descartes. On peut
ramener la physique cartésienne, quelque embrouillée qu'elle
paraisse d'abord, à des principes assez simples : il existe une
substance étendue, mobile, qui tombe sous les sens. La sensation
ne peut nous apprendre ce qu'est le corps en lui-même; mais, en procédant
par élimination, nous arrivons à concevoir l'étendue
comme le seul et unique attribut sans lequel un corps ne peut être
conçu; puis, comme modes de l'étendue, nous sommes forcés
de reconnaître la grandeur, la figure et le mouvement.
L'essence du corps étant l'étendue,
il suit nécessairement de là que partout où il y a
étendue il y a corps. Cette matière, nous la concevons comme
infiniment divisible et infiniment étendue :
"Notre
esprit, dit Descartes, ne peut concevoir que le monde ait des bornes, et
par cette raison nous l'appeIons indéfini ou indéterminé;
car nous n'avons pas d'autre règle que notre propre perception pour
les choses que nous devons affirmer ou nier. Et si nous n'osons l'appeler
infini, c'est que nous concevons Dieu plus grand sous le rapport de le
perfection, sinon sous celui de l'étendue, puisqu'il n'y a pas en
lui d'étendue proprement dite." (Lettre à Morus).
Et ailleurs :
"Toutes
les propriétés que nous apercevons distinctement en la matière
se rapportent à ce qu'elle peut être divisée et unie
selon ses parties, et qu'elle peut recevoir toutes les diverses dispositions
que nous remarquons pouvoir arriver par le mouvement de ses parties [...]
Par mouvement nous devons entendre la transport d'une partie de la matière
ou d'un corps du voisinage de ceux qui le touchent immédiatement,
et que nous considérons comme un repos dans le voisinage de quelques
autres." (Principes).
Dieu, dans la système de Descartes,
a créé la matière avec le mouvement et le repos, et
il la conserve sous l'empire des lois auxquelles elle fut soumise le jour
même où elle fut créée. Mais de ce que Dieu
est immuable nous pouvons conclure que la même quantité de
mouvement se conserve intacte et identique dans le monde. Ce qui varie,
c'est la distribution seule du mouvement.
Leibniz, qui devait illustrer chez les
modernes la philosophie dynamiste, avait débuté par le mécanisme.
"Il
dut nécessairement, dit Renouvier, se pénétrer à
cette époque de la physique et de la métaphysique de Descartes,
et un instant même, sondant avec Spinoza la nature des idées
et des corps et de leurs rapports avec Dieu, il se laissa aller, nous dit-il,
à l'étrange profondeur de cette doctrine qui perd le monde
dans une aveugle divinité. Mais, à partir de ce moment, il
devint lui, et crut pouvoir réunir toutes les philosophies en une
seule. "
(PL).
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