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On peut supposer
une démonstration analogue pour le Soukasaptati (les soixante-dix
contes d'un perroquet)
qui, traduit en persan, Touti-Nameh (livre du perroquet)
est passé de la Perse chez les Arabes et des Arabes en Asie, en Afrique,
en Italie, en Espagne, etc.; pour la Vetala pantchavinçati (les
vingt-cinq histoires d'un vetala) devenue chez les Kalmouk le Siddhi-Kur
(le mort doué d'une vertu magique); pour le Sinhasana-dvatrinçati
(les trente-deux récits du trône), devenu chez les Mongolsl'Histoire
d'Ardji Bordji Khan. Bien mieux, une légende chrétienne, très en
vogue au Moyen âge, la Vie des saints Barlaam et Josaphat,
légende remplie de contes et de paraboles, n'est autre que la vie du
Bouddha,
qui d'étape en étape a subi cette étonnante, transformation. Un autre
recueil, le plus populaire après le Pantchatantra, le Livre
de Sindabad (ou de Sendebad ) ou le Livre des sept conseillers,
du précepteur et de la mère du roi, traduit en persan, en arabe,
en hébreu (paraboles de Sendabar), en syriaque, en grec (Syntipas),
en latin (Historia septem sapientum), en roman (Dolopathos),
a été découpé en fabliaux au Moyen âge
et a fourni aux meilleurs conteurs italiens, espagnols, français et allemands
presque toute la matière de leurs récits.
Les leçons du Livre de Sindabad
sont infiniment nombreuses, mais elles offrent toutes un fonds commun.
Un roi a confié à sept sages l'instruction de son fils. Vieux et fatigué,
il songe à lui remettre le gouvernement de ses États et il l'envoie chercher.
Le chef des sages a lu dans les astres des présages menaçants pour l'avenir
de son élève, il lui fait jurer de ne point prononcer un seul mot avant
qu'il l'ait relevé de son serment. Le roi, désespéré de l'infirmité
de son fils qu'il croit muet, l'abandonne aux soins de la plus jeune de
ses femmes. Elle a promis de le guérir, mais, en dépit de ses efforts,
elle ne peut tirer une parole du jeune prince. Bientôt elle s'éprend
de lui; ses avances semblent incomprises; elle s'offre sans pudeur, comme
la femme d'Anoupou dans leConte des Deux Frères,
comme la femme de Putiphar, dans l'Ancien Testament
(Histoire de Joseph).
Repoussée assez brutalement, elle met en pièces ses vêtements et crie
au viol. Le roi condamne à mort son fils qui persiste dans son mutisme.
Au moment où on le conduit au supplice survient un des sept sages : il
raconte une histoire sur la perfidie des femmes et conclut qu'on ne saurait
examiner avec trop de prudence toutes leurs assertions. Le doute se glisse
dans l'esprit du roi qui remet le supplice au lendemain. La reine conte
alors une autre histoire pour détruire cette mauvaise impression. Nouvel
ordre de procéder à l'exécution, second sage survenant et ainsi de suite
jusqu'au septième jour. Le chef des sages arrive alors, ordonne à son
élève de parler. Le prince prouve son innocence et l'astucieuse reine
est punie.
Tout le monde connaît ce thème qui a prêté
à tant de broderies malicieuses sur l'esprit de ruse attribué aux
femmes et à tant de développements sur les tours ingénieux qu'elles
jouent si naturellement à leurs maris et à leurs amants. A croire que
l'humain est doué d'assez pauvres facultés d'imagination et d'invention
: depuis des milliers d'années les contes dont il s'amuse ne sont que
des combinaisons plus on moins habiles des mêmes vieux éléments, Ã
peine rajeunis par les détails purement accessoires empruntés à des
milieux et à des époques si différents. Avant
de passer à l'antiquité grecque et latine, il ne reste plus guère Ã
mentionner que les Mille et une Nuits,
dont toute l'Europe raffolera à la fin du XVIIe
siècle. Citons également : les Mille et un Jours, contes persans,
par le derviche Moclès, le Gulistan et le Baharistan, de
Saadi; les Contes des génies, par Horam,
traduits du persan en anglais par Charles Morell; les Contes persans,
par Inatula de Delhy, les Contes turcs, par Zadèh (précepteur
d'Amurat Il), et un livre de contes chinois
traduits ou publiés par Abel Rémusat, le Shuen-Hoi-King
dont on fait remonter certains passages jusqu'en 2205 av. J. C., mais qui
parait aussi originaire de l'Inde où il serait arrivé par le Tibet
et la Mongolie. On y trouve en effet les mêmes des merveilles également
attestées ailleurs, par exemple un chien
à trois têtes comme Cerbère,
des cyclopes,
des sirènes
à tête de femme et à corps d'oiseau, des combats de pygmées et de grues
(Iliade),
etc., et jusqu'aux épisodes célébres de Pénélope
et des prétendants et du retour d'Ulysse
(Odyssée).
Chez les Grecs, les conteurs proprement
dits sont rares. Cependant si l'on en croit Lang, l'Odyssée d'Homère
« n'est qu'un assemblage de contes populaires
artistement traités et façonnés en un tout symétriques ».Hérodote
est très riche en contes aussi extraordinaires que grivois : on a dit
sans preuves qu'il recueillit les plus jolis en Égypte. Un autre historien,
Plutarque, est encore plus conteur qu'historien.
Lucien est un conteur philosophe. Chez les Romains,
on ne peut citer que Diodore de Sicile et Apulée
(l'Âne d'or
ou les Métamorphoses) qui a popularisé entre autres l'exquise,
légende de Psyché,
version altérée de contes indiens. Au Moyen âge apparaissent d'abord
plusieurs recueils ou abrégés de contes populaires parmi lesquels il
y a lieu de remarquer les Mirabilia urbis Romae, les Gesta Romanorum
surtout qui donnent, le plus naïvement du monde, un sens mystique à des
fables et contes indiens souvent très risqués et en font autant de paraboles
chrétiennes; la Disciplina clericalis de Pierre
Alphonse, traduction latine d'une foule d'historiettes tirées du Talmud,
ou dans le même genre la Légende dorée de Jacques
de Voragine où la vie des saints est semée d'aventures merveilleuses
et parfois peu édifiantes. Dès le XIIIe
siècle fleurissent les romans d'aventures,
les chansons de geste, les lais,
les fabliaux qui mettent en oeuvre tous ces documents amoncelés depuis
des siècles. Les fabliaux, goguenards, grossiers,
grivois, malicieux, sceptiques, sont colportés
partout par les trouvères, les jongleurs et les ménestrels. Ce sont des
contes et des meilleurs, mais ils diffèrent de ce genre littéraire par
quelques caractères spéciaux et méritent par leur importance un article
à part.
Au XIVe
siècle, le fabliau se transforme définitivement en conte. C'est d'abord
en Italie que cette transformation s'accomplit. Les Cento Novelle antiche,
simple compilation d'anecdotes,
inaugurent la série des nouvelles qui compte presque aussitôt un chef-d'oeuvre,
le Decameron
(composé vers 1358). Boccace est suivi de près
par Giovanni (Pecorone) et par Franco Sacchetti (Trecente Novelle);
puis surgit une légion d'imitateurs aux XVe
et XVIe siècles Masuccio (Novellino),
Mainardi (Facetie), Sabadino degli Arienti (Porretane), Aguolo
Firenzaola (Ragionamenti), Pogge (Facetiae),
Aloyse Cintio degli Fabritii (Della origine delli volgari proverbi);
Doni (Prima e seconda Libreria), Cinthio (Hecathommiti),
Parabosco (Deporti), Straparola (Piacevole Notti); Campeggi
(Novelle, XVIIIe siècle), Coppi
(Novelle), Angello Fiorentino (Cento Novelle), G. de Rossi
(Novelle, XIXe siècle), Grazzini
dit le Lasca, Molza, Bandello, Silverio,
etc. La plupart empruntent largement aux fabliaux français. Boccace surtout
a exploité très habilement cette riche veine, mais il est le créateur
du conte vraiment littéraire. Pogge se distingue par sa licence. Quant
à Straparole, à Parabosco, à Basile (Pentamerone),
ils ouvrent la voie aux contes de fées.
Il convient d'ajouter aux premiers conteurs italiens, Giraldi Cintio, auteur
du More de Venise, Luigi da Porta,
Machiavel (Belfagor) et l'Arioste
(Orlando furioso).
En France, le mouvement s'accomplit plus
lentement. On trouve certes des contes dans maint ouvrage, par exemple
dans les curieuses instructions morales du seigneur
de Latour-Landry, ou encore dans les sermons des prédicateurs, mais ils
y sont disséminés, sans lien entre eux, de forme et d'inspiration
très différentes. Il faut venir jusqu'au milieu du XVe
siècle pour rencontrer le recueil caractéristique des Cent Nouvelles
nouvelles
(1456 à 1461). L'influence des fabliaux y est encore très vive, mais
l'esprit s'y affine; on n'y trouve plus de longueurs, de digressions fatigantes,
presque plus de brutalités, mais des récits lestement troussés, allant
droit au but, une grivoiserie narquoise passablement cynique. L'Heptatméron
de Marguerite de Navarre (1558) se rapproche davantage de la manière de
Boccace, dont une traduction française (1545)
venait de populariser les nouvelles. Tout le XVIe
siècle est fécond en bons conteurs : Bonaventure Desperiers (Nouvelles
Récréations et joyeux devis), Nicolas de Troyes (Grand Parangon
des Nouvelles nouvelles), Rabelais, Henri
Estienne (Apologie pour Hérodote), Noël
du Fail (Contes d'Eutrapel), Guillaume Bouchet (Sérées),
Beroalde de Verville (Moyen de parvenir),
pour ne citer que les plus célèbres et les plus originaux, continuent
la tradition et possèdent presque tous des qualités de finesse et d'observation
qui les rendent agréables à lire. Ils sont tous très licencieux et très
sceptiques; surtout ils bafouent sans pitié le clergé et les moines :
c'est là un trait fréquent dans les fabliaux, mais depuis la Réforme
la moquerie tourne à l'aigreur, elle devient haineuse chez Estienne. Au
XVIIe siècle le conte se transforme de
nouveau et perd, avec son ancien caractère, son charme tout particulier.
Les Tabarinades, les Caquets de l'accouchée,
une foule de petits livres composés dans le but de «chasser les humeurs
mélancoliques et inciter les rêveurs à vivre de gaieté» comme
les Délices ou Discours joyeux et récréatifs de Verboquet le
Généreux, le Facétieux réveil-matin, la Gibecière des moines
ou le Trésor du ridicule, la Galerie des curieux, les Contes aux heures
perdues du sieur d'Ouville, le Courrier facétieux, le Bouffon de la cour,
etc., ne sont que des recueils de bons mots, réparties, équivoques, brocards,
gasconnades, facéties, qui ouvrent la série des anas.
La Fontaine,
revenant aux sources primitives, rendit au conte son éclat d'antan, et
lui donna sa forme la plus parfaite. Il imita tous ses devanciers comme
ceux-ci avaient eux-mêmes imité leurs prédécesseurs, et
rajeunit ainsi, sans s'en douter, car il ne se préoccupait que de bien
conter, de très antiques fables hindoues. Sa Gageure des trois commères,
pour n'ajouter qu'un nouvel exemple à tous ceux que nous avons déjÃ
fournis, se retrouve en effet dans Verboquet le Généreux (Délices),
dans Campeggi (Novelliero italiano), dans Sansovino (Cento
Novelle), dans Malespini (Ducento Novelle),
dans Boccace (Decameron), dans les Cent Nouvelles nouvelles,
dans le fabliau de la Tresse, dans Calila et Dimna,
dans l'Hitopadeça,
dans le Pantchatantra.
Le succès de La Fontaine donna un regain
de vogue extraordinaire à la littérature légère. Les conteurs sont
légion : Saint-Gilles (la Muse mousquetaire), spirituel et licencieux,
suit de près le maître; Sénecé (Nouvelles), moins piquant, moins
frondeur, est aussi plus décent; nous n'en nommerons point d'autres. Perrault
(Contes de ma mère l'Oye) devient chef d'une école qui fleurit
encore au XVIIIe siècle. Mais après les
contes de fées de Mme de Murat, d'Auneuil, de La Force, d'Aulnoy,
après ceux d'Hamilton (le Bélier, Fleurs d'Epine, Zeneide, les Quatre
Facardins) où déjà la raillerie l'emporte de beaucoup sur la naïveté,
viennent des contes plus raffinés dans lesquels la féerie se transforme
en fantasmagorie toute conventionnelle, et ne sert plus guère que de cadre
commode à des aventures érotiques. Crébillon
(le Sopha, etc.), Dorat (Alphonse, les Cerises, etc.), Grécourt,
Moncrif (Aventures de Zéloïde), Duclos, Piron, La Morlière (Angola),
Voisenon (Tant mieux pour elle, le Sultan Misapouf, la Navette d'amour),
sont les représentants les plus brillants du genre galant, comme Vadé
l'est du genre poissard, et le comte de Caylus
du genre badin. Diderot,
Voltaire (Micromégas,
Candide...)
surtout écrivent des contes philosophiques qui sont, à proprement parler,
des satires de moeurs mordantes, et des pamphlets antireligieux. Enfin
Marmontel inaugure le genre des contes moraux
où le suivent une foule d'auteurs médiocres, et qui aboutit plus tard
aux productions douceâtres et prodigieusement ennuyeuses de Florian,
de Mme Leprince de Beaumont, d'Andrieux, de
Daru, de Berquin, de Bouilly
et de Mme de Genlis, qui seront suivies de celles
de Ch. Nodier, de Renneville et Guizot, etc.
-
La
Petite Sirène, à Copenhague. Statue inspirée du conte d'Andersen.
Elle est un symbole
de
la capitale du Danemark depuis 1909. Source : The
World Factbook.
Beaucoup d'écrivains du XIXe
siècle se sont essayés dans le conte : ils y ont fait preuve d'un véritable
talent d'adaptation dans tous les genres, et parfois de rares qualités
littéraires. Les Contes drôlatiques de Balzac
se rapprochent le plus de ce que l'on a appelé "la manière gauloise",
comme aussi les Contes rémois de Chevigné, les Contes grassouillets,
les Contes de derrière les fagots, etc., de Armand Silvestre.
On trouverait encore de jolis contes de fées chez George
Sand (Contes d'une grand-mère), chez Nodier (Contes de la
veillée, Contes fantastiques), chez Anatole
France (Abeille);
des contes philosophiques : Contes cruels, de Villiers
de l'Isle-Adam, Thaïs d'A. France, etc., en attendant
ceux de Marcel Aymé (Contes du Chat perché, 1934), ou bien des
contes galants plus raffinés et plus pervers même que ceux du XVIIIe
siècle; mais en général les ouvrages qui portent le nom de contes (Contes
romanesques de Musset, Contes littéraires
de Jules Janin, Contes bourgeois de Théodore
de Banville, Contes en prose de François
Coppée, Contes du lundi d'Alphonse Daudet,
Contes et Nouvelles de G. de Maupassant,
Contes à Ninon de Zola, etc.), sont plutôt
des nouvelles, c. -Ã -d. de petits romans
que des contes proprement dits, et comme tels, ils trouveront mieux leur
place dans une étude sur le roman, où les classent d'ailleurs les bibliographes.
Nous n'avons suivi les contes littéraires
qu'en Italie et en France. Ils ont eu à peu près les mêmes destinées
ailleurs en Europe. Aussi relèverons-nous seulement quelques particularités
relatives à l'Espagne, à l'Allemagne et à l'Angleterre, pour ne pas
prolonger outre mesure notre rapide et sèche énumération. La Disciplina
clericalis, de Pierre-Alphonse, dont nous avons déjà parlé, est
originaire de l'Espagne (XIIe siècle).
Elle est pleine de récits empruntés au Calila et Dimna,
et au livre de Sindabad. Elle jouit au Moyen âge d'une immense
popularité. Le livre des exemples (El Libro de los Ejemplos), et
le livre du comte Lucanor (XIVe
siècle) en dérivent directement. L'influence des fabliaux se manifeste
ensuite dans l'Eudina de Juan Ruiz, surtout dans la Celestina,
et celle des nouvelles italiennes dans les Novelas Exemplares de
Cervantes, dans les Prodigios y Succesos
d'Amor de Montalvan, dans les Novelas Amorosas de Camerino (XVIe
siècle), Feyjoo au XVIIIe
s., mais, plus rapidement qu'en tout autre pays, le
conte se transforme en roman. En Allemagne, il n'y a guère à mentionner
que Til Ulespiegle (XVIe siècle),
plusieurs recueils en latin (ceux de Bebelius et
de Frischlinus entre autres) imités de Pogge,
celui d'Othon Melander (Joco-Seria, 1626), les contes d'Hagendorn,
de Gessner, de Wieland,
de Conrad Pfeffel, de Musaeus, de Campe, de Rochlitz,
de Weisse, de Lessing, de Gessner, de Wieland,
du chanoine Schmidt, surtout les Contes fantastiques d'Hoffmann,
et les Contes et Nouvelles dédiés aux femmes d'Aug.
Lafontaine.
En Angleterre, le seul grand conteur est
Geoffroy Chaucer (Contes de Cantorbery)
qui rivalise sans trop de désavantage avec Boccace.
On peut citer encore Dryden, Prior, Hawkesworth, au XIXe
s., Charles Dickens qui a écrit de charmants
contes de Noël, miss Edgeworth, sans oublier Lewis
Carroll et ses deux Alice, qui sont à la fois et contes et
un genre à part. Enfin, nous ne saurions passer sous silence le Decameron
russe (publié en 1855), les beaux contes de Hans-Christian
Andersen, et ceux d'une originalité si puissante d'Edgar
Poe (Contes grotesques, Contes inédits), et de Sacher Masoch
(Contes juifs et petits-russiens). (René Samuel).
En
librairie - Guillemond, Contes
des Indiens d'Amérique, Magnard, 2004.
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