| Henry René Albert Guy de Maupassant est un écrivain français né au château de Miromesnil (Seine-Maritime) le 5 août 1850, mort à Auteuil le 6 juillet 1893. Sa famille était originaire de Lorraine; son grand-père était venu diriger une exploitation agricole à La Neuville-Champ-d'Oisil, près de Rouen; son père s'occupait d'affaires de Bourse. Ses parents s'étant séparés de bonne heure, c'est sa mère, née Le Poittevin, femme très distinguée, amie d'enfance de Flaubert, qui prit le plus d'influence sur son esprit. Ses études, commencées au collège d'Yvetot, se terminèrent au lycée de Rouen. Il entra à dix-huit ans au ministère de la marine, puis à celui de l'instruction publique sous M. Bardoux, ami de Flaubert. Comme Flaubert, il ne commença à produire que tard, puisque son premier titre, Des Vers, ne parut qu'en 1880. Vint ensuite sa nouvelle restée fameuse, Boule de suif (publiée dans les Soirées de Médan) où se manifestaient du premier coup toutes les qualités d'observation aiguë et de style qui le mirent à la tête de la jeune génération littéraire. Une longue série de Contes et nouvelles suivit. Le total se monte à 215, tous réunis en volumes sous les titres suivants : la Maison Tellier (1881); Mademoiselle Fifi (1882); les Contes de la Bécasse, Clair de Lune (1883); Au Soleil (voyages); les Soeurs Rondoli, Miss Harriett (1884); Yvette, Contes du Jour et de la Nuit (1885); la Petite Roque, Monsieur Parent (1886); Toine, le Horla (1887); Sur l'Eau (voyages); le Rosier de Mme Husson (1888); La Main gauche (1889); l'Inutile Beauté, la Vie errante (voyages) (1890). - La ficelle « Maître Hauchecorne, de Bréauté, venait d'arriver à Goderville et se dirigeait vers la place, quand il aperçut par terre un petit bout de ficelle. Maître Hauchecorne, économe en vrai Normand, pensa que tout était bon à ramasser qui peut servir; et il se baissa péniblement, car il souffrait de rhumatismes. Il prit, par terre, le morceau de corde mince, et il se disposait à le rouler avec soin, quand il remarqua, sur le seuil de sa porte, maître Malandain, le bourrelier, qui le regardait. Ils avaient eu des affaires ensemble au sujet d'un licol autrefois, et ils étaient restés fâchés, étant rancuniers tous deux. Maître Hauchecorne fut pris d'une sorte de honte d'être vu ainsi par son ennemi, cherchant dans la crotte un bout de ficelle. Il cacha brusquement la trouvaille dans sa blouse, puis dans la poche de sa culotte; puis il fit semblant de chercher encore par terre quelque chose qu'il ne trouvait point et il s'en alla vers le marché, la tête en avant, courbé en deux par les douleurs. Tout à coup, le tambour roula, dans la cour, devant la maison. Tout le monde aussitôt fut debout, sauf quelques indifférents, et on courut à la porte, aux fenêtres, la bouche encore pleine et la serviette à la main. Après qu'il eut terminé son roulement, le crieur public lança d'une voix saccadée, scandant ses phrases à contre-temps : « Il est fait assavoir aux habitants de Goderville, et en général à toutes - les personnes présentes au marché, qu'il a été perdu ce matin, sur la route de Beuzeville, entre - neuf heures et dix heures. un portefeuille en cuir noir, contenant cinq cents francs et des papiers d'affaires. On est prié de le rapporter - à la mairie, incontinent, ou chez maître Fortuné Houlbrèque de Manneville. Il y aura vingt francs de récompense. » Puis l'homme s'en alla. On entendit encore une fois, au loin, des battements sourds de l'instrument et la voix affaiblie du crieur. Alors on se mit à parler de cet événement, en énumérant les chances qu'avait maître Houlbrèque de retrouver ou ne pas retrouver son portefeuille. Et le repas s'acheva. On finissait le café, quand le brigadier de gendarmerie parut sur le seuil. Il demanda : « Maître Hauchecorne, de Bréauté, est-il ici? » Maître Hauchecorne, assis à l'autre bout de la table, répondit : « Me vl'à. » Et le brigadier reprit : « Maître Hauchecorne, voulez -vous avoir la complaisance de m'accompagner à la mairie? M. le maire voudrait vous parler. » Le paysan, surpris, inquiet, avala d'un coup son petit verre, se leva et, plus courbé encore que le matin, car les premiers pas après chaque repas étaient particulièrement difficiles, il se mit en route, en répétant : « Me vl'à, me vl'à. » Et il suivit le brigadier. Le maire l'attendait, assis dans un fauteuil. C'était le notaire de l'endroit, homme gros, chauve, à phrases pompeuses. « Maître Hauchecorne, dit-il, on vous a vu ce matin ramasser, sur la route de Beuzeville, le portefeuille perdu par maître Houlbrèque, de Manneville. » Le campagnard, interdit, regardait le maire, apeuré déjà par ce soupçon qui pesait sur lui sans qu'il comprît pourquoi. « Mé, mé, j'ai ramassé çu portafeuille? - Oui, vous-même. - Parole d'honneur, je n'en ai seulement point eu connaissance. - On vous a vu. - On m'a vu, mé ? Qui ça, qui m'a vu? « M. Malandain, le bourrelier. » Alors le vieux se rappela, comprit, et rougissant de colère : « Ah! i m'a vu! ce manant! I m'a vu ramasser c'te ficellelà, tenez, m'sieur le maire. » Et fouillant au fond de sa poche, il en retira le petit bout de corde. Mais le maire, incrédule, remuait la tête. « Vous ne me ferez pas accroire, maître Hauchecorne, que M. Malandain, qui est un homme digne de foi, a pris ce fil pour un portefeuille. » Le paysan, furieux, leva la main, cracha de côté pour attester son honneur, répétant : « C'est pourtant la vérité du bon Dieu, la sainte vérité, m'sieur le maire. Là, sur mon âme et mon salut, je le répète. » Le maire reprit : « Après avoir ramassé l'objet, vous avez même encore cherché longtemps dans la boue, si quelque pièce de monnaie ne s'en était pas échappée. » Le bonhomme suffoquait d'indignation et de peur. « Si on peut dire!... si on peut dire!... des menteries comme ça pour dénaturer un honnête homme! Si on peut dire!... » Il eut beau protester, on ne le crut pas. Il fut confronté avec M. Malandain, qui répéta et soutint son affirmation. Ils s'injurièrent une heure durant. On fouilla, sur sa demande, maître Hauchecorne. On ne trouva rien sur lui. Enfin, le maire, fort perplexe, le renvoya, en le prévenant qu'il allait aviser le parquet et demander des ordres. La nouvelle s'était répandue. A sa sortie de la mairie, le vieux fut entouré, interrogé avec une curiosité sérieuse ou goguenarde, mais où n'entrait aucune indignation. Et il se mit à raconter l'histoire de la ficelle. On ne le crut pas. On riait. Il allait, arrêté par tous, arrêtant ses connaissances, recommençant sans fin son récit et ses protestations, montrant ses poches retournées, pour prouver qu'il n'avait rien. On lui disait : « Vieux malin, va! » Et il se fâchait, s'exaspérant, enfiévré, désolé de n'être pas cru, ne sachant que faire, et contant toujours son histoire. La nuit vint. Il fallait partir. Il se mit en route avec trois voisins à, qui il montra la place où il avait ramassé le bout de corde; et tout le long du chemin il parla de son aventure. Le soir, il fit une tournée dans le village de Bréauté, afin de le dire à tout le monde. Il ne rencontra que des incrédules. Il en fut malade toute la nuit. Le lendemain, vers une heure de l'après-midi, Marius Paumelle, valet de ferme de maître Breton, cultivateur à Ymauville, rendait le portefeuille et son contenu à maître Houlbrèque, de Manneville. Cet homme prétendait avoir, en effet, trouvé l'objet sur la route; mais, ne sachant pas lire, il l'avait rapporté à la maison et donné à son patron. La nouvelle se répandit aux environs. Maître Hauchecorne en fut informé. Il se mit aussitôt en tournée, et commença à narrer son histoire, complétée du dénouement. Il triomphait : « C' qui m' faisait deuil, disait-il, c'est point tant la chose, comprenez-vous; mais c'est la menterie. Y a rien qui vous nuit comme d'être en réprobation pour une menterie. » Tout le jour il parlait de son aventure... Il arrêtait des incon nus pour la leur dire. Maintenant, il était tranquille, et pourtant quelque chose le gênait, sans qu'il sût au juste ce que c'était. On avait l'air de plaisanter en l'écoutant. On ne paraissait pas convaincu. Il lui semblait sentir des propos derrière, son dos... Vers la fin de décembre il s'alita. Il mourut dans les premiers jours de janvier, et, dans le délire de l'agonie, il attestait son innocence, répétant : « Une 'tite ficelle.., une 'tite ficelle... t'nez, la voilà, m'sieu le maire. » (G. de Maupassant, Contes et Nouvelles). | Entre-temps, Maupassant écrivit six grands romans : Une Vie (1883); Bel-Ami (1885); Mont-Oriol (1887); Pierre et Jean (1888); Fort comme la Mort (1889) et enfin Notre Coeur (1890). Il fit jouer au théâtre du Gymnase : Musette, trois actes, en collaboration avec Jacques Normand (1891). Le succès en fut considérable. En 1893, la Comédie Française représenta avec deux autres actes de lui : la Paix du ménage. Sa production littéraire (27 volumes) est donc ramassée en dix années, c'est-à-dire à peu près le temps que Flaubert mettait à écrire deux volumes! Étonnant contraste entre le maître et l'élève, on pourrait presque dire le produit de Flaubert. Tout jeune, en effet, il reçut les leçons du lapidaire de Croisset; il lui apportait ses premiers essais, que l'autre lui rendait en disant : « Je ne comprends pas ce que tu as voulu dire », jusqu'au jour ou il avait enfin trouvé, de lui-même, l'épithète exacte, la métaphore lumineuse. On peut expliquer, par cette éducation sévère, la lucidité et la sûreté de son style. Et ce n'est que lorsque « le patron » lui eut dit : « Vas-y, mon fils », qu'il se hasarda à publier son premier recueil : Des Vers, qui, d'ailleurs, eut le sort de Madame Bovary et fut un instant poursuivi par le parquet d'Etampes. Ce n'est que grâce à de hautes interventions que ces poursuites furent arrêtées. Dans ce premier essai on peut facilement découvrir l'embryon de ses qualités qu'on trouvera bientôt confirmées dans la rapide succession de ses contes : c'est l'imagination sensuelle débordante, l'intensité des sensations charnelles, le pittoresque de l'image, l'acuité devenue plus tard douloureuse de son observation, la sincérité, la large robustesse de sa nature. Et, pourtant, Maupassant n'est pas poète, au sens où ce terme s'emploie généralement, et ce n'est pas là un reproche. Il est incapable de créer de rien, d'inventer de toutes pièces la moindre affabulation d'un conte ou d'un roman. Sa nature sincère se refuse au mensonge de l'émotion et même de la peinture. Pour tout ce qu'il a écrit, on peut-être sûr qu'il est parti d'un fait exact, observé, ou d'une histoire racontée; tous ses personnages, il les a copiés quelque part, dans la vie ou dans ses souvenirs, ou dans les confidences des autres; mais nul plus que lui n'a su leur donner le relief saisissant de leur individualité en mouvement. Au commencement de son existence littéraire, avec la surabondance de ses forces, la mâle vigueur de son tempérament d'athlète, il se livre tout entier, débridé, au comique heureux et débordant, mais un peu bas, du conte «gaulois » dont les critiques ont fait le maître incontesté. Heureusement pour sa gloire, bientôt son objectif se déplace et s'élargit. Il demeurera toujours l'allègre et incisif narrateur qu'il est, mais la psychologie des canotiers et des filles publiques aura cessé de l'intéresser. Il aura épuisé le paysan; Ce Cochon de Morin sera entré dans l'immortalité, et il écrira Une Vie, et il écrira Bel-Ami qui l'emperlent par la somme et la variété des observations, sur tout ce qu'il avait fait jusque-là et tout ce qu'il fit dans la suite. Est-ce à dire que l'oeuvre de Maupassant soit destinée à satisfaire complètement la postérité! Il serait peut-être hardi de le prétendre. - Guy de Maupassant (1850-1893). Statue du Parc Monceau, à Paris © Photo : Serge Jodra, 2010. On peut lire partout que Maupassant était un observateur impartial. Je crois qu'on a confondu deux termes entre eux, Maupassant était un observateur sincère, ce qui n'est pas la même chose. Il faut entendre par là qu'il ne mêlait jamais sa propre psychologie à celle de ses personnages, et qu'il n'encombrait pas de ses gesticulations personnelles, sous couleur d'autres, les peintures qu'il a laissées. Pour être impartial, il lui eût fallu faire intervenir en balance avec ses sensations le contrôle de sa raison; or, ce sensitif exaspéré et primesautier était incapable de raisonner à l'encontre de ses impressions, pas plus que n'est capable de le faire la plaque photographique frappée par la lumière; mais, comme elle, il est sincère, car s'il ne voit pas toujours tous les côtés des choses, c'est avec honnêteté qu'il traduit ce qu'il en perçoit. La rapidité et l'abondance de sa production ont fatalement borné la profondeur de sa vision; et nul doute que si Flaubert eût vécu, il n'eût eu à cet égard sur Maupassant une influence modératrice. Pourtant les dons extraordinaires de sa nature compensent en partie son défaut de profondeur dans l'analyse, par l'intensité et la netteté de son regard. Il voit si clair, si juste, et la discipline de sa langue est telle qu'il lui suffit d'une phrase pour peindre le relief d'une physionomie, le geste caractéristique d'un individu, même tout l'extérieur d'un personnage. Indiscutablement, c'est à Flaubert qu'il doit cet art de simplification pour ainsi dire classique, à lui aussi son talent de composition, large et sobre, de même que l'ironie froide de ses phrases concises qui donnent un si singulier relief aux ridicules qu'il observe. Maupassant était par-dessus tout un voluptueux, mais un voluptueux inquiet, et la misanthropie de la fin de sa vie n'est pas pour y contredire. Cette phrase qu'il écrivit le peint à cet égard tout entier : « En certains jours j'éprouve l'horreur de ce qui est, jusqu'à désirer la mort; en certains autres, au contraire, je jouis de tout à la façon d'un animal. » Cette volupté foncière éclate aux moindres pages de son oeuvre, et ce qu'on sait de ses goûts le confirme. Malgré qu'il en paraisse en certains passages pessimistes de ses derniers romans, il aimait la femme avec une passion ardente et à la fois craintive qui n'avait d'égale que son amour pour les beaux spectacles de la nature; on pourrai cueillir cent passages de ses contes et de ses romans où se retrouve en une forme admirable sa tendresse infinie pour un beau ciel nocturne, pour une clairière arrosée de soleil, pour un champ parfumé, pour les mille palpitations de la vie. Et, dans cet amour exalté, rien du rêve maladif, rien de poétiquement creux; toujours on sent frémir dans la description, et on participe malgré soi à la joie vitale du narrateur en communion avec le tableau ensoleillé, ou à l'obscur et mélancolique émoi que lui verse un ciel crépusculaire. Physiquement, Guy de Maupassant était de taille moyenne, plutôt petit et trapu, haut en couleur, l'oeil caressant et velouté, la forte moustache brune. Il pratiquait beaucoup les exercices du corps, le canotage surtout, et il se montrait très fier de sa musculature. Il s'était fait, construire un yacht qu'il avait baptisé Bel-Ami, et qui lui servait à de longues et lointaines croisières. Il adorait les parfums. Il se déclarait parfaitement incompétent en matière musicale, ce qui faisait s'exclamer d'indignation les grandes dames qu'il s'était mis à fréquenter vers la fin de sa vie, fréquentations qui coïncident avec le commencement de la terrible maladie qui l'a emporté, grisé par les belles manières. Il était descendu à un snobisme inexplicable autrement que par le commencement de la folie des grandeurs qui est une étape de la paralysie générale. Il se piquait de connaître à fond le code du savoir-vivre mondain, et bataillait dans les boudoirs pour des détails de toilette « inesthétiques » ! Il avait refusé maintes fois d'entrer à l'Académie française : mais Alexandre Dumas fils se piquait de l'amener un jour à s'y présenter. Il refusa aussi la Légion d'honneur. On doit voir là plutôt un peu d'affectation et d'entêtement que beaucoup d'orgueil. Il était pourtant officier d'académie; c'est Bardoux qui lui avait fait cette malice, alors que Maupassant était au ministère de l'instruction publique sous ses ordres. Après qu'il eut tenté de se suicider dans sa villa de Cannes avec un rasoir, on l'avait rapporté à Paris emprisonné dans une camisole de force. Il est mort chez le docteur Blanche, à Auteuil, après dix-huit mois de maladie, paralytique général. Il a laissé inachevés deux romans : l'Angelus et l'Ame étrangère, dont l'éditeur Paul Ollendorf n'a que quelques chapitres qui seront publiés avec de nombreuses études, des critiques et des récits de voyages dans ses oeuvres complètes. (J. Huret). | |