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Prosper
Jolyot de Crébillon est un auteur
dramatique, né à Dijon en
1674 mort en 1762 à 88 ans. Il était fils du greffier en
chef de la chambre des comptes de Dijon. Il fut placé à Paris
chez un procureur pour apprendre la chicane; mais son patron, appréciant
son talent, fut le premier à l'engager à travailler pour
le théâtre. Il donna successivement Idoménée
(1705), Atrée (1707), Électre (1709), Rhadamiste
et Zénobie (1711), qui le placèrent auprès des
grands maîtres, puis Xerxès (1714), Sémiramis
(1717), Pyrrhus (1726), qui eurent moins de succès. Après
cette dernière pièce, il resta 22 ans sans rien produire
: on attribue ce long silence au peu d'encouragement qu'il obtenait du
gouvernement. Cependant en 1749 il rentra dans la carrière, à
72 ans, et donna Catilina, l'une de ses meilleures pièces.
Il fit jouer sa dernière tragédie, le Triumvirat,
en 1755, à 81 ans.
Crébillon
a surtout visé à exciter la terreur; il a même poussé
le terrible jusqu'à l'horrible et à l'atroce. Ce poète
était d'un caractère fier, incapable de s'abaisser à
courtiser les grands. Il avait d'ailleurs des habitudes cyniques et peu
engageantes : aussi resta-t-il la plus grande partie de sa vie dans un
état voisin de la misère. Pendant longtemps, il n'eut pour
vivre qu'une place de censeur de la police. Vers l'âge de 60 ans,
Mme de Pompadour
lui fit obtenir une pension de 1000 F et une place à la Bibliothèque
royale. Il fut reçu à l'Académie en 1731, et prononça
son discours envers. Voltaire fut jaloux des
succès de Crébillon, et, pour montrer sa supériorité,
il refit plusieurs des sujets que son rival avait traités, entre
autres Sémiramis et Catilina, qu'il intitula Rome
sauvée.
Principales
pièces.
Dans Atrée
et Thyeste (1707), Crébillon reprend l'horrible sujet bien connu
Atrée se vengeant de son frère Thyeste en lui faisant manger,
dans un festin, ses propres enfants. Ici, il n'y a qu'un fils de Thyeste,
Plistène, qui est un jeune homme; et à la fin, qu'une coupe
de sang. Mais le sujet garde son horreur, et se complique d'amour et de
romanesque.
Électre
(1708) est la plus simple et la meilleure tragédie de Crébillon,
qui y atteint parfois, dans les deux derniers actes, à la force
de Corneille;.
Rhadamiste et
Zénobie
(1711) est la plus célèbre, et quelques scènes en
sont très belles. Mais quel mélodrame! La situation est très
compliquée. Rhadamiste, fils du roi d'Arménie Pharasmane,
était marié à Zénobie; pour la soustraire à
la poursuite de ses ennemis, il l'a jadis poignardée et jetée
dans le fleuve Araxe; puis, désespéré, Il est allé
se mettre au service des Romains. Ceux-ci le chargent d'une mission auprès
de son père Pharasmane. Rhadamiste se rend à la cour d'Arménie,
et parle au roi, qui croit voir en lui un étranger. Quelle n'est
pas sa surprise en apercevant une femme qui vit à la cour sous le
nom d'Isménie, et qui n'est autre que Zénobie elle-même!
Scène de reconnaissance. Mais Zénobie est courtisée
à la fois par Pharasmane et par Arsame, frère de Rhadamiste;
celui-ci l'enlève, est poursuivi et tué par son propre père,
qui le reconnaît enfin. On prévoit que Zénobie épousera
Arsame. Ce roman dramatique eut le plus grand succès. Et la pièce
est restée au répertoire jusqu'en 1830.
Enfin, citons Sémiramis
(1717), et Catilina (1748), que Voltaire crut refaire dans sa Sémiramis
et sa Rome sauvée. (A19 / Ch.-M Des Granges).
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Reconnaissance
de Rhadhamiste et de Zénobie
[Presque
toutes les tragédies de Crébillon contiennent, comme plusieurs
tragédies de Voltaire, et comme tous les mélodrames, un quiproquo
et une reconnaissance : cette scène intervient ici lorsqu'arrive
Rhadamiste, en qualité d'ambassadeur du peuple romain et que Zénobie
vient se mettre sous sa protection.]
« ZÉNOBIE
Seigneur, est-il
permis à des infortunées,
Qu'au joug d'un
fier tyran le sort tient enchaînées,
D'oser avoir recours,
dans la honte des fers,
A ces mêmes
Romains maîtres de l'univers?
En effet, quel emploi
pour ces maîtres du monde
Que, le soin d'adoucir
ma misère profonde!
Le ciel qui soumit
tout à leurs augustes lois...
RHADAMISTE, à
part.
Que vois-je? ah,
malheureux! quels traits! quels sons de voix? Justes dieux! quel objet
offrez-vous à ma vue?
ZÉNOBIE
D'où vient,
à mon aspect, que votre âme est émue,
Seigneur!
RHADAMISTE, à
part.
Ah! si ma main n'eût
pas privé du jour...
ZÉNOBIE
Qu'entends-je? quels
regrets? et que vois-je à mon tour
Triste ressouvenir!
je frémis, je frissonne.
Où suis-je?
et quel objet! La force m'abandonne.
Ah! seigneur, dissipez
mon trouble et ma terreur :
Tout mon sang s'est
glacé jusqu'au fond de mon coeur
RHADAMISTE, â
part.
Ah! je n'en doute
plus au transport qui m'anime.
Ma main, n'as-tu
commis que la moitié du crime?
(A Zénobie).
Victime d'un cruel
contre vous conjuré,
Triste objet d'un
amour jaloux, désespéré,
Que ma rage a poussé
jusqu'à la barbarie,
Après tant
de fureurs, est-ce vous, Zénobie?
ZÉNOBIE
Zénobie!
ah, grands dieux! Cruel, mais cher époux,
Après tant
de malheurs, Rhadamiste, est-ce vous?
RHADAMISTE
Se peut-il que vos
yeux puissent le méconnaître ?
Oui, je suis ce
cruel, cet inhumain, ce traître,
Cet époux
meurtrier. Plût au ciel qu'aujourd'hui
Vous eussiez oublié
ses crimes avec lui!
O dieux, qui la
rendez à ma douleur mortelle,
Que ne lui rendez-vous
un époux digne d'elle!
Par quel bonheur
le ciel, touché de mes regrets,
Me permet-il encor
de revoir tant d'attraits ?...
ZÉNOBIE
Ah, cruel! plût
aux dieux que ta main ennemie
N'eut jamais attenté
qu'aux jours de Zénobie!
Le coeur, à
ton aspect, désarmé de courroux,
Je ferais mon bonheur
de revoir mon époux;
Et l'amour, s'honorant
de ta fureur jalouse,
Dans tes bras avec
joie eût remis ton épouse.
Ne crois pas cependant
que, pour toi sans pitié,
Je puisse te revoir
avec inimitié.
RHADAMISTE
Quoi! loin de m'accabler,
grands dieux! c'est Zénobie
Qui craint de me
haïr, et qui s'en justifie!
Ah! punis-moi plutôt
: ta funeste bonté,
Même en me
pardonnant, tient de ma cruauté.
N'épargne
point mon sang, cher objet, que j'adore
Prive-moi du bonheur
de te revoir encore.
(Il se jette à
ses genoux).
Faut-il, pour t'en
presser, embrasser tes genoux
Songe au prix de
quel sang je devins ton époux.
Jusques à
mon amour, tout veut que je périsse
Laisser le crime
en paix, c'est s'en rendre complice.
Frappe : mais souviens-toi
que, malgré ma fureur,
Tu ne sortis jamais
un instant de mon coeur;
Que, si le repentir
tenait lieu d'innocence,
Je n'exciterais
plus ni haine ni vengeance;
Que, malgré
le courroux qui te doit animer,
Ma plus grande fureur
fut celle de t'aimer.
ZÉNOBIE
Lève-toi
: c'en est trop. Puisque je te pardonne,
Que servent les
regrets où ton coeur s'abandonne?
Va, ce n'est pas
a nous que les dieux ont remis
Le pouvoir de punir
de si chers ennemis.
Nomme-moi les climats
où tu souhaites vivre;
Parle : dès
ce moment je suis prête à te suivre,
Sûre que les
remords qui saisissent ton coeur
Naissent de ta vertu
plus que de ton malheur... »
(Crébillon,
Rhadamiste et Zénobie, Acte III, sc. V. 1711).
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