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Noël
du Fail, sieur de La Hérissaye, est un écrivain
français, né à conseiller vers 1520 et mort vers
1585. Il était en 1551 juge au présidial de cette ville,
et en 1571 conseiller au parlement de Bretagne.
Ce gentilhomme breton
d'humeur brusque et hautaine, ayant des goûts simples, après
avoir passé son enfance dans la compagne rennaise, était
allé étudier à Paris. Il avait pris part, comme «
piéton », à une expédition en Piémont.
Puis, selon l'usage, il avait achevé ses études par un tour
de France universitaire, séjournant à Poitiers, Angers, Bourges,
Avignon. Le regret de la terre natale le ramenait ensuite au manoir de
Château-Letard. A vingt-sept ans, il publiait à Lyon,
sous le pseudonyme de Maistre Leon Ladulfi (anagramme de Noel du Fail)
Champenois, ses Discours d'aucuns propos rustiques, facétieux
et de singulière récréation (1547), premier album
de croquis de son village, suivi bientôt des Baliverneries
ou Contes nouveaux d'Eutrapel autrement dit Léon Ladulphi (1548).
Fixé définitivement
en Bretagne par son mariage, par la charge de conseiller au présidial
de Rennes d'abord, puis par celle de conseiller au Parlement de Bretagne,
il faisait de son temps deux parts : tantôt il se livrait à
ses fonctions professionnelles, recueillant, pour les publier en 1579,
les plus Notables et solennels arrêts du Parlement de Bretagne;
et tantôt il s'adonnait à la vie rustique au château
de la Hérissaye, préparant de nouveaux tableaux de moeurs
villageoises : les Contes et Discours d'Eutrapel, qui parurent trente-sept
ans après les deux premiers ouvrages.
Déjà
Noël du Fail se considérait comme retranché de ce monde
: son livre était signé : le feu seigneur de la Hérissaye.
Les Propos rustiques
et facétieux sont des entretiens de paysans sur les moeurs rurales.
Noël du Fail, s'étant retiré aux champs, se promène
dans son village un jour de fête. Il avise un groupe de vieux paysans,
bons « prud'hommes », de condition aisée, qui sous un
large chêne, « les jambes croisées et leurs chapeaux
un peu abaissés sur la veue », s'entretiennent de leurs affaires,
pendant que sous leurs yeux les jeunes gens s'adonnent aux jeux de leur
âge : à la lutte, à la danse, au tir à l'arc.
Le châtelain s'assied parmi eux, écoute leurs propos et nous
les rapporte.
Les sujets de ces
causeries n'ont rien de rare. Ils ne sont par eux-mêmes nullement
facétieux : c'est l'éloge du temps jadis par le « preud'homme
» Anselme, « bon laboureur et assez bon petit notaire pour
le plat pays »; c'est la description d'un banquet rustique par maistre
Huguet, qui, après avoir tenu l'école de la paroisse, est
devenu vigneron;
c'est un parallèle entre le « muguetage » à la
mode des villes et le « gouvernement » d'amour rustique au
vieux temps. Il n'y a dans le recueil que deux contes proprement dits :
le récit d'une bataille entre les habitants de deux villages voisins,
et le récit d'une farce jouée à une procession de
quêteurs du nouvel an, de « l'aguillanneuf ».
Les louanges de la
vie aux champs dominent dans ces propos. Un dessein didactique se mêle
aux tableaux des moeurs villageoises. Trop heureux les paysans! Ils ne
songeraient pas à sortir de leur condition, s'ils connaissaient
leur félicité! Sur ce thème, jadis traité par
Virgile et Claudien
et dans notre littérature du Moyen âge par le Dit de Franc-Gontier,
les Propos rustiques brodent de nouvelles variations. Naturellement,
à l'image de la vie champêtre, toute de bien-être et
de liberté, Noël du Fail oppose l'existence factice des villes
et de la cour, gâtée par le poison des mensonges sociaux et
des conventions mondaines.
Ces éléments
didactiques et satiriques
iront se développant dans les Baliverneries et surtout dans
les Contes d'Eutrapel. Du Fail se complaira à juger toute
la société en campagnard dédaigneux des raffinements
de la civilisation, n'ayant d'indulgence que pour les rustiques. Il y a
donc un parti pris d'optimisme dans ses descriptions de la vie des paysans,
et leur valeur documentaire est sujette à caution. Leur mérite
artistique n'en reste pas moins très grand. La plupart de ces peintures,
faites de petits traits bien choisis, ont une vie extraordinaire. Telle
est, par exemple, cette description :
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Une veillée
bretonne
« Au
temps passé [...] il se faisoit des fileries, qu'ils appellent oeillois
[...] où se trouvoient de tous les environs plusieurs jeunes valets
et hardeaux, illec s'assemblans et jouans à une infinité
de petits jeux que Panurge n'eut onc en ses tablettes. Les filles, d'autre
part, leurs quenoilles sur la hanche, filoient. Les unes, assises en lieu
plus eslevé, verbi gracia sur une huche ou met [...], à fin
de faire plus gorgiasement piroueter leurs fuseaux, non sans estre espiez
s'ils tomberoient; car en ce cas, y a confiscation rachetable d'un baiser;
et bien souvent il en tomboit de guet à pans et à propos
délibéré, qui estoit une succession bientôt
recueillie par les amoureux, qui d'un ris badin se faisoient fort requérir
de les rendre. Les autres, moins ambitieuses, estans en un coin près
le feu, regardoient par sus les espaules des autres et plus avancées,
se haussans sur le bec du pied et minutans les grimaces qui se faisoient
en la place et comble de l'hôtel, tirantes et mordantes leur fil
et peut-être bavantes dessus, pour n'estre que d'estouppes [...].
Là se faisoient des marchez [...], mais bien peu, parce que ceux
qui vouloient, tant peu fust, faire les doux yeux, desrober quelque baiser
à la sourdine, frapant sur l'espaule par derrière, estoient
contreroolez par un tas de vieilles, qui perçoient de leurs yeux
creux jusques dedans le tect aux vaches, ou par le maistre de la maison
estant couché sur le costé en son lit bien clos [...] et
en telle veue qu'on ne lui peut rien cacher. »
(N.
Du Fail, extrait des Contes et discours d'Eutrapel).
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L'homme intéresse
Noël du Fail plus que la nature. Les portraits tiennent presque autant
de place dans ses livres que les propos. Il y a bien quelques disparates
dans ces portraits, particulièrement dans ceux des devisants. Les
brocards juridiques, les adages, les facéties savantes qui émaillent
leur langage dénoncent la profession de l'auteur et contrastent
avec la condition des personnages. Mais les silhouettes des types de second
plan sont d'une simplicité de lignes et d'une vérité
d'expression qui ne laissent rien à désirer. C'est le curé
de campagne, messire Jean, vantard, faisant sonner son latin, « encore
qu'il y fût un peu rouillé », prenant part, après
un repas de cérémonie, à la danse, et avec un tel
entrain qu'il met en sueur toutes les commères. C'est Thenot du
Coin, ainsi surnommé parce qu'il ne sortit jamais des limites de
sa paroisse : philosophe de village, tendre aux enfants et aux animaux,
au reste « mettant le nez au baril » aussi bien qu'un autre.
C'est Robin Chevet, conteur en titre dans les « fileries »,
endormant son auditoire par des histoires interminables de Loup-Garou,
de Mélusine, du Moine Bourru. Ce sont
des médecins, des hobereaux, des écoliers revenant au village
frais émoulus du collège. Cent croquis plaisants plutôt
que grotesques, qui font songer moins aux bambochades de Téniers
qu'aux tableaux des frères Le Nain.
La langue de Noël
du Fail, lorsqu'elle est nette de réminiscences savantes, affecte
un caractère populaire, sans particularité régionale
on n'y trouve que peu de termes propres au dialecte de la campagne rennaise.
Son style est inégal. Il a, dans ses premières oeuvres, une
allure pesante comme la démarche des paysans. Plus tard, il devint
moins lent. L'écrivain cherchait manifestement à reproduire
le laisser-aller des entretiens familiers; il n'en a pas toujours évité
l'incohérence. A force d'art, il lui est arrivé pourtant
d'atteindre fréquemment le naturel d'une causerie nonchalante. Alors,
il est exquis : on croirait entendre un campagnard disert et narquois qui,
« les pouces passés à la ceinture », bavarde
avec bonhomie. (Jean Plattard).
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Les femmes
et le secret
« Plutarque,
aux livres du babil, dit qu'un jour, voir deux, au Senat de Rome ils demeurerent
[ = on demeura] plus tard qu'ils n'avoient coustume, pour deliberer [ce
verbe était actif] une difficulté à fer esmoulu [difficulté
sérieuse; métaphore tirée du combat à fer émoulu
où la lutte n'était plus un jeu comme dans les tournois],
et de grands poids. La femme d'un Senateur, bonne et honneste femme (femme
toutesfois), importunement solicita son mary sur l'occasion de tel et non
accoustumé retardement, y adjoustant les mignardises dont une femme
soucieuse [ = qui a quelque chose en tête] sait paistre [ = charmer]
la gravité d'un sage mari : lequel estant assez instruit de quel
bois se chauffe tel animant [ = tel être; - connaissant le caractère
de la femme], ne luy voulant communiquer chose qui importast tant peu fust
[ = qui importât si peu que ce fût], la contenta et paya en
monnoie de femme, la faisant, avant toutes choses, jurer sa foy et conscience
qu'elle ne reveleroit à personne [personne est ici masculin, comme
dans personne n'est venu] vivant cela qu'elle poursuivoit tant honnestement
[ = ce qu'elle cherchait à savoir avec des manières si aimables],
et de quoy [ = au sujet de quoi], pour dire vray, il se sentoit gratieusement
[ = par sa grâce, par ses mignardises] vaincu [....]; Et bien donc,
luy, dit-il en l'aureille (encore qu'ils fussent seuls), l'on a veu ceste
nuict une Caille ayant le morion [sorte de casque] en teste, et la picque
aux pieds, volante sur ceste ville : aux conjectures duquel presage les
Augures et devinateurs sont après [ = sont occupés] et fort,
empeschez [ = embarrassés], à sçayoir et consulter
que c'est [ = et délibérer sur ce que c'est]; et de nostre
part nous en attendons l'issue; mais St, et bon bec [ = mais chut! et bouche
close]. Ce disant et l'ayant baisee, se retira en son cabinet, attendant
l'heure prochaine d'aller au Palais [ = le sénat]. Il ne luy eut
si tost le dos tourné que ceste diablesse guignant [ = regardant
du coin de l'oeil] et espiant s'il estoit point aux escoutes (comme ordinairement
elles sont en perpetuelle fievre et soupçon) qu'elle ne s'escriast
[sous-entendu : (ne put) qu'elle ne s'escriast ; ne put s'empêcher
de s'écrier] à la prochaine [ = à la première
femme] qu'elle rencontra : « M'amie, nous sommes tous perdus, on
a veu cent Cailles, passans armees sur la ville, qui faisoient le diantre
[ = le diable] : mais mot [ = pas un mot]! » De là, elle voisina
[ = alla chez les voisines] tant, caqueta tellement, avecques la multiplication
et force que les nouvelles acquierent de main en main, qu'en moins de rien
les rues furent remplies, jusques aux aureilles des Senateurs, de plus
de vingt mille Cailles. De sorte que ce Romain, estant au Senat, leur leva
et osta la peine où jà ils estoient, leur faisant entendre,
non sans rire, le moyen prontement inventé pour avoir la raison
[ = pour avoir raison de sa femme], et tromper la sapience de sa femme.
Qui [ = ce qui] fut une moquerie si dignement couverte, que femme haut
à la main et rebrassee qu'elle fust [qu'aucune femme, si haut à
la main et si rebrassée qu'elle fût. Rebrassé, proprement
retroussé, au fig. hardi.] ne s'advança desormais s'enquerir
[ = à s'enquérir] des affaires communes et publiques. »
(N.
Du Fail, Contes et discours d'Eutrapel, ch. XXXIII, De la moquerie).
La
Fontaine a tiré de ce joli récit sa fable plus jolie encore
: Les Femmes et le Secret
(Fables, VIII, 6). Si du Fail a en propre le trait charmant de la multiplication
des cailles, La Fontaine a pour lui le dialogue des commères, dialogue
admirable de naïveté et de vérité
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