| Hector France est un journaliste et romancier de l'école réaliste, né à Mirecourt (Vosges) le 5 juillet 1840, fils du précédent. Élève du Prytanée militaire et de l'École de cavalerie, il guerroya pendant dix années en Afrique au 3e régiment de spahis et amassa des souvenirs recueillis plus tard dans l'Homme qui tue, sorte d'autobiographie où est décrite la situation lamentable des populations algériennes sous le despotisme des bureaux arabes, paru pour la première fois à Bruxelles (2 vol.) et réédité à Paris en 1889; l'Amour au Pays bleu (1880, réédité à Londres, 1885) et Sous le Burnous (1886), scènes de moeurs algériennes et militaires. Il quitta l'armée, entra dans l'administration des finances, et en 1870 reprit l'épée. A la fin de la campagne Hector France était capitaine-commandant au 4e chasseurs à cheval. Rentré à Paris à l'armistice, il fut du nombre des officiers qui protestèrent contre la paix et se jetèrent dans le mouvement insurrectionnel. Après plusieurs dramatiques péripéties, il put passer en Belgique, de là en Angleterre. Ses débuts y furent pénibles comme tous ceux des proscrits n'ayant pas de profession manuelle. Tour à tour maître d'arabe, d'histoire, de français, d'escrime, dessinateur, comptable, journaliste, il obtint à la fin de 1879, après avoir passé par l'université de Londres et le collège de Douvres, le poste d'instructeur à l'Académie royale militaire de Woolwich. Tard venu dans le monde littéraire, Hector France y conquit immédiatement une place importante par son premier livre, le Roman du curé, publié d'abord à Bruxelles en 1877, réédité en 1879, et à Paris en 1884. Il fut à Londres l'un des fondateurs du Qui vive!, collabora au Vermersch Journal où il publia les Amours d'un prêtre, à l'Union démocratique, fonda et dirigea l'Avenir. Il n'a cessé, après 1880, de collaborer à un grand nombre de journaux parisiens.
| En bibliothèque - Outre les livres déjà cités, il a publié le Péché de sieur Cunégonde, Marie Queue-de-Vache, romans anticléricaux; les Va-nu-pieds de Londres, les Nuits de Londres, la Pudique Albion, l'Armée de John Bull, En Police Court, la Taverne de l'Eventreur, etc. René Fayt a publié une biographie d'Hector France, dans le n° 11 (juillet-août-septembre 2002, pp. 90 à 128) de la revue Histoires littéraires. Plus anciens : Léon Cladel, Préface de l'Homme qui tue. - Les Hommes d'aujourd'hui, 1880. - Fernand Delisle, la Vie en exil, 1880. - Panthéon des lettres, des sciences et des arts, 1892. | |
| Jacques Anatole Thibault, dit Anatole France est un écrivain français né à Paris le 16 avril 1844, mort en 1924. Fils d'un libraire du quai Malaquais, il acheva ses classes au collège Stanislas, publia en 1868 une Étude sur Alfred de Vigny, et donna ensuite deux volumes de poésies les Poèmes dorés (1873) et les Noces corinthiennes (1876). C'est de ce dernier livre que date la réputation d'Anatole France. Encore que l'auteur ait fait partie du Parnasse, il semble qu'un tel livre doive se rattacher à une tradition bien antérieure et que, si des noms étaient à prononcer, ce seraient surtout ceux d'André Chénier et d'Alfred de Vigny. Attaché en 1876 à la bibliothèque du Sénat, il avait publié entre temps un certain nombre d'études littéraires, dont la plupart comme préfaces à des rééditions de luxe de la maison Lemerre (Racine, Molière, Paul et Virginie, Manon Lescaut, le Diable boiteux, etc.). En 1879, parut une étude détachée sur Lucile de Chateaubriand. Il débuta la même année dans le roman par Jocaste et le Chat maigre, que suivirent à intervalles très rapprochés le Crime de Sylvestre Bonnard (1881), couronné par l'Académie française; les Désirs de Jean Servien (1882); Abeille, conte (1883); le Livre de mon ami (1885); Nos Enfants (1886); Balthazar (1889); Thaïs (1890); l'Étui de nacre (1892), et la Rôtisserie de la reine Pédauque (1893), publiée d'abord dans l'Écho de Paris. - Teutobochus « Il ne me paraît pas possible qu'on puisse avoir l'esprit tout à fait commun, si l'on fut élevé sur les quais de Paris, en face du Louvre et des Tuileries, près du palais Mazarin, devant la glorieuse rivière de Seine, qui coule entre les tours, les tourelles et les flèches du vieux Paris. Là, de la rue Guénégaud à la rue du Bac, les boutiques des libraires, des antiquaires et des marchands d'estampes étalent à profusion les plus belles formes de l'art et les plus curieux témoignages du passé. Chaque vitrine est, dans sa grâce bizarre et son pêle-mêle amusant, une séduction pour les yeux et pour l'esprit. Le passant qui sait voir en emporte toujours quelque idée, comme l'oiseau s'envole avec une paille pour son nid... Fontanet demeurait au coin de la rue Bonaparte, où son père avait son cabinet d'avocat. L'appartement de mes parents touchait à une des ailes de l'hôtel de Chimay. Nous étions, Fontanet et moi, voisins et amis. En allant ensemble, les jours de congé, jouer aux Tuileries, nous passions par ce docte quai Voltaire, et, là, cheminant, un cerceau à la main et une balle dans la poche, nous regardions aux boutiques tout comme des vieux messieurs, et nous nous faisions à notre façon des idées sur toutes ces choses étranges, venues du passé, du mystérieux passé. Eh oui! nous flânions, nous bouquinions, nous examinions des images. Cela nous intéressait beaucoup. Mais Fontanet, je dois le dire, n'avait pas comme moi le respect de toutes les vieilleries. Il riait des antiques plats à barbe et des saints évêques dont le nez était cassé. Fontanet était dès lors l'homme de progrès que vous avez entendu à la tribune de la Chambre. Ses irrévérences me faisaient frémir. Je n'aimais point qu'il appelât têtes de pipe les portraits bizarres des ancêtres. J'étais conservateur. Il m'en est resté quelque chose, et toute ma philosophie m'a laissé l'ami des vieux arbres et des curés de campagne. Je me distinguais encore de Fontanet par un penchant à admirer ce que je ne comprenais pas. J'adorais les grimoires; et tout, ou peu s'en faut, m'était grimoire. Fontanet, au contraire, ne prenait plaisir à examiner un objet qu'autant qu'il en concevait l'usage. Il disait « Tu vois, il y a une charnière, cela s'ouvre. Il y a une vis, cela se démonte. » Fontanet était un esprit juste. Je dois ajouter qu'il était capable d'enthousiasme en regardant des tableaux de batailles. Le Passage de la Bérézina lui donnait de l'émotion. La boutique de l'armurier nous intéressait l'un et l'autre. Quand nous voyions, au milieu des lances, des targes [sortes de boucliers], des cuirasses et des rondaches [boucliers de forme ronde], M. Petit-Prêtre, revêtu d'un tablier de serge verte, s'en aller, en boitant comme Vulcain, prendre au fond de l'atelier une antique épée qu'il posait ensuite sur son établi et qu'il serrait dans un étau de fer pour nettoyer la lame et réparer la poignée, nous avions la certitude d'assister à un grand spectacle; M. Petit-Prêtre nous apparaissait haut de cent coudées. Nous restions muets, collés à la vitre. Les yeux noirs de Fontanet brillaient et toute sa petite figure brune et fine s'animait. Le soir, ce souvenir nous exaltait beaucoup, et mille projets enthousiastes germaient dans nos têtes. Fontanet me dit une fois : - Si, avec du carton et le papier couleur d'argent qui enveloppe le chocolat, nous faisions des armes, semblables à celles de Petit-Prêtre!... L'idée était belle. Mais nous ne parvînmes pas à la réaliser convenablement. Je fis un casque, que Fontanet prit pour un bonnet de magicien. Alors je dis : - Si nous fondions un musée!... Excellente pensée! Mais nous n'avions pour le moment à mettre dans ce musée qu'un demi-cent de billes et une douzaine de toupies. C'est à ce coup que Fontanet eut une troisième conception. Il s'écria : Composons une Histoire de France, avec tous les détails, en cinquante volumes. Cette proposition m'enchanta, et je l'accueillis avec des battements de mains et des cris de joie. Nous convînmes que nous commencerions le lendemain matin, malgré une page du De Viris que nous avions à apprendre. - Tous les détails! répéta Fontanet. Il faut mettre tous les détails! C'est bien ainsi que je l'entendais. Tous les détails! On nous envoya coucher. Mais je restai bien un quart d'heure dans mon lit sans dormir, tant j'étais agité par la pensée sublime d'une Histoire de France en cinquante volumes avec tous les détails. Nous la commençâmes, cette histoire. Je ne sais, ma foi, plus pourquoi nous la commençâmes par le roi Teutobochus. Mais telle était l'exigence de notre plan. Notre premier chapitre nous mit en présence du roi Teutobochus, qui était haut de trente pieds, comme on put s'en assurer en mesurant ses ossements retrouvés par hasard. Dès le premier pas, affronter un tel géant! La rencontre était terrible. Fontanet lui-même en fut étonné. - Il faut sauter par-dessus Teutobochus, me dit-il. Je n'osai point. L'Histoire de France en cinquante volumes s'arrêta à Teutobochus. Que de fois, hélas! j'ai recommencé dans ma vie cette aventure du livre et du géant! Que de fois, sur le point de commencer une grande oeuvre ou de conduire une vaste entreprise, je fus arrêté net par un Teutobochus nommé vulgairement sort, hasard, nécessité! J'ai pris le parti de remercier et de bénir tous ces Teutobochus qui, me barrant les chemins hasardeux de la gloire, m'ont laissé à mes deux fidèles gardiennes, l'obscurité et la médiocrité. Elles me sont douces toutes deux, et m'aiment. Il faut bien que je le leur rende. Quant à Fontanet, mon subtil ami Fontanet, avocat, conseiller général, administrateur de diverses compagnies, député, c'est merveille de le voir se jouer et courir entre les jambes de tous les Teutobochus de la vie publique, contre lesquels, à sa place, e me serais mille fois cassé le nez. » (Anatole France, extrait du Livre de mon ami). | Toute cette partie de l'oeuvre d'Anatole France a fait l'objet de son vivant de nombreuses études, parmi lesquelles nous citerons celles de Maurice Barrès (Anatole France, 1885), et de Jules Lemaître (les Contemporains). « M. France n'a guère donné au public, dit Paul Morillot (le Roman en France), que des ouvrages achevés. Thaïs est un récit d'une forme rare et exquise... Quant au Crime de Sylvestre Bonnard, livre d'une ironie si fine et d'un tour si piquant, qui sait s'il ne survivra pas à la plupart des romans dont s'engoue la mode d'aujourd'hui? » Collaborateur de plusieurs périodiques, le Globe, les Débats, le Journal officiel, l'Écho de Paris, la Revue de Famille, le Temps, etc., Anatole France a succédé dans ce dernier journal à Jules Claretie et y publiera chaque samedi une Vie littéraire très remarquée. La réunion de ces articles a plusieurs séries publiées à partir de 1888 en volume sous le même titre. L'oeuvre. Anatole France, type accompli du lettré supérieur, en qui se retrouvent, à des doses diverses selon les époques, le dilettantisme de Renan et l'ironie amusée de Voltaire, mais chez qui la fantaisie intellectuelle se pare toujours d'un reflet émané de la beauté antique, représenté d'abord dans le Crime de Sylvestre Bonnard (1881), une figure vraiment exquise de vieux savant sceptique et doux; c'était, en réalité, de son propre esprit libre et agile, nourri de tous les sucs d'un humanisme élégant et sûr, qu'il dessinait ainsi le portrait. Cet esprit, il l'a promené ensuite, à travers des décors empruntés à l'hellénisme raffiné de la civilisation alexandrine où l'esprit chrétien commençait de s'infiltrer (Thaïs, 1890), puis au XVIIIe siècle (La Rôtisserie de la reine Pédauque; les Opinions de Jérôme Coignard, 1893). Que ce fut par la bouche du moine Paphnuce et de son ami Nicias, ou pas celle de l'abbé Jérôme Coignard, il reprenait, en ces romans, la critique des idées, modernes, au profit d'un rationalisme insinuant et souple, que Montaigne eût approuvé et qui n'eût pas déplu à Epicure. Ainsi pourvu de toutes les armes du scepticisme, mais aussi de toutes ses grâces, Anatole France a résolument abordé l'étude de son époque dans la série ses romans de l'Histoire contemporaine : (l'Orme du mail, le Mannequin d'osier, l'Anneau d'améthyste, M. Bergeret à Paris, 1896 à 1901). L'inoubliable M. Bergeret, professeur de philologie latine, qui sait opposer les ressources de la philosophie aux plus durs déboires de la destinée, juge, avec une indulgence diminuée cependant de livre en livre, les ambitions, les amours, les préjugés, les partis pris du monde bourgeois vers la fin du XIXe siècle; autour de lui, l'ironie d'Anatole France a esquissé quelques vifs croquis de la vie de province et groupé des figures légérement caricaturales. Mais, plus encore que dans les portraits, c'est peut-être dans les « conversations » qu'il excelle. Aucun de ses contemporains n'a su « causer, la plume à la main », avec autant de souplesse, d'aisance, d'ingéniosité. Des qualités, à travers lesquelles se joue une grâce tout attique, sont aussi celles de son style, auquel on pourrait seulement reprocher de fondre trop uniformément la couleur en d'indiscernables nuances. En ces dernières années, Anatole France a tracé de l'époque révolutionnaire (les Dieux ont soif) un tableau puissant, et publié des Souvenirs d'enfance où l'on retrouve le charme, moins amer, de ses tout premiers livres. (Ch. Le G.).
| En librairie - A. France, Oeuvres (4 vol.), Gallimard, coll. La Pléiade, 1984-94. - Les Dieux ont soif, Flammarion, 1993. - Vie de Jeanne d'Arc, Alive, 2000. - Au tournant du siècle, Omnibus, 2000. - En vacances, Proverbe. - Le procureur de Judée, Ombres, 1999. - Les pensées, Le Cherche-Midi, 1994. - Histoire contemporaine, Calmann-Lévy, 1994. - L'île des pingouins, Calmann-Lévy, 1994. - La révolte des anges, Calmann-Lévy, 1994. - Le Lys rouge, Calmann-Lévy, 1994. - Histoire comique, Calmann-Lévy, 1994. Le parti noir (l'affaire Dreyfus, la loi Falloux, la loi Combes), L'Harmattan, 1994. - Les fous dans la littérature, Le Castor Astral, 1993. - Crainquebille et autres récits, Garnier-Flammarion, 1993. - La vie en fleur (prés. Emilien Carassus), Gallimard, coll. Folio, 1983. Pascal Vandier, Anatole France et l'antisémitisme, 2 encres, 2003. - Marie-Claire Bancquart, Anatole France, un sceptique passionné, Calmann-Lévy, 1994. - De la même, Anatole France, Julliard, 1994. - Collectif, Anatole France, humanisme et actualité, Bibliothèque historique de la ville de Paris. | |