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Le mot rationalisme
comporte deux acceptions bien distinctes, l'une philosophique, l'autre
usitée auprès des théologiens. Dans le premier sens, on entend par rationalisme
une direction générale de la pensée spéculative,
une conception déterminée du mode de génération
de la connaissance humaine. Cette conception
consiste en ce que l'on se représente
la raison comme la principale source, disent les
uns, comme l'unique source, disent les autres, de tout véritable savoir.
Elle s'oppose, par conséquent, au sensualisme,
d'après lequel, non seulement nos perceptions,
mais nos idées même universelles et nécessaires
et jusqu'aux principes constitutifs de toute
métaphysique
comme de toute science, ne sont que le développement
de nos impressions sensibles ( Association,
Empirisme,
Hume,
Stuart Mill, etc.) Or, Ã la conception rationaliste
correspond une méthode philosophique déterminée,
qui fait dériver d'idées a priori les lois
supérieures de la réalité et les explications
dernières par lesquelles les sciences même doivent s'éclairer, comme
au sensualisme correspond une méthode opposée, suivant laquelle l'esprit
doit s'appuyer sur l'observation, s'aider
de la généralisation et de l'induction,
c.-à -d. de procédés logiques
qu'a seule d'observation légitime, fonder, par conséquent, sur les phénomènes
eux-mêmes les vérités qui paraissent dépasser
de l'infini toute réalité phénoménale et rejeter
tout appel au raisonnement a priori, comme
uniquement propre à égarer l'entendement
humain.
A vrai dire, le rationalisme philosophique
admet de considérables différences de degrés. Sous sa forme la plus
tempérée, pourrait-on dire, il se borne à soutenir que si le donné
de notre connaissance est fourni par l'expérience,
c.-à -d., en fin de compte, par les phénomènes,
ce donné ne compose réellement un savoir qu'autant qu'il reçoit son
ordre et comme sa mise en forme de nos principes rationnels.
Ces principes, l'expérience ne les a pas engendrés,
l'habitude et l'association
ni aucune fonction de notre sensibilité
n'en peuvent expliquer la genèse. Ils sont antérieurs à toute observation.
Par eux, dira Kant, l'expérience même est constituée
comme telle, bien loin que ce soit elle qui leur puisse avoir donné naissance.
De la sorte, la connaissance n'est pas un processus où l'esprit,
lui-même passif, reçoit tout du dehors, se bornant à enregistrer des
intuitions que l'extérieur lui envoie toutes faites. Il est en un sens
passif, en un sens actif et producteur : la connaissance,
en ses éléments, lui arrive, de l'extérieur; en sa forme, elle vient
de lui et lui doit son intelligibilité. Le rationalisme ainsi compris
se plie d'ailleurs à une grande, diversité de méthodes.
Il peut être constructif, à la façon de celui de Leibniz;
il peut être déductif et critique, à la façon de celui de Kant.
Sous son type extrême, le rationalisme
philosophique ne se résigne pas à faire aux phénomènes, à l'expérience,
cette part bien modeste qu'un Leibniz et un Kant lui assigneront; il ne
consentira pas à reconnaître au donné de l'intuition
une valeur propre, à lui accorder une indépendance essentielle à l'égard
de l'intellect. Il entend que non seulement l'ordre de la connaissance,
ses catégories, ses principes, tirent de
la raison leur origine,
mais que le contenu de notre savoir doit lui-même se trouver réductible
aux idées de l'entendement. Cela étant,
il est clair que seule est féconde, seule légitime la méthode purement
a priori; que la réalité tout entière, matière
et lois, doit procéder par un développement logique,
des concepts éternels de la pensée;
que le monde, pour tout dire, est un problème
de logique transcendante.
Bien avant Platon,
le rationalisme par avait rencontré dans le monde philosophique grec de
profonds adeptes. Un Héraclite, un Parménide,
un Démocrite même, malgré que ce dernier
ait été le père de l'atomisme matérialiste,
n'eurent point d'autre doctrine, et leurs systèmes
respectifs furent de savantes déductions accomplies par la seule raison
a priori. Mais le fondateur conscient, le premier législateur du rationalisme
extrême a été Platon. C'est Platon qui a pris cette initiative d'enseigner
que les choses sensibles, individuelles, n'ont qu'une apparence
de réalité et que même elles ne doivent ce semblant d'existence qu'Ã
la projection des idées dans le milieu obscur, trouble, illusoire
que sillonne la sensation; c'est lui qui a
proclamé que la réalité des idées ( Idéalisme)
était en raison de leur généralité; que les idées étaient incréées,
impérissables et que la hiérarchie intelligible
qu'elles com-osaient présentait l'ordre éternel
de l'existence; que, par conséquent, à la
raison, dépositaire de ces idées, contemplatrice de cet ordre, il appartenait
exclusivement d'élever la science, la sensation et l'expérience étant
tout au plus bonnes à occuper le domaine de l'opinion.
Suivre à travers les siècles les développements,
les vicissitudes du rationalisme ne serait autre chose que retracer l'histoire
de la philosophie elle-même. Cette histoire
est remplie par le long duel de la raison pure et de la pensée empirique.
Et cette opposition se retrouve dans les débats spéculatifs de l'âge
moderne, tout comme elle régna dans l'Antiquité entre Platon et «
les fils de la terre », ainsi qu'il désignait les empiristes de son
temps. Au Moyen âge, on peut notamment citer le contraste d'un Duns
Scot et d'un Guillaume d'Occam ( Scolastique);
au XVIIe siècle, d'un Descartes
et d'un Locke; au XVIIIe
s, d'un Kant et d'un David Hume;
au XIXe, d'un Hegel
et d'un Stuart Mill. |
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Rationnalisme
(Théologie ).
- Pris dans sa seconde acception, c.-à -d. dans sa signification théologique
le mot rationalisme désigne une méthode d'interprétation
des faits, des dogmes, des croyances sur lesquels
repose la foi religieuse .
Cette méthode consiste, par opposition au fidéisme, au traditionalisme,
à demander à la raison la justification
claire des vérités que toute doctrine religieuse
impose à ses fidèles. Loin donc de se réfugier dans les régions inaccessibles
du mystère ,
ou de faire appel à une intuition du surnaturel,
ou de s'en remettre à l'autorité, à la Bible ,
elle entreprend de convertir en un objet de connaissance
les articles de foi, d'éliminer tout ce qui se refuse à être inintelligible;
elle n'admet point qu'il y ait deux sources dans l'esprit
humain, l'une claire et distincte, c.-à -d. raisonnable et raisonnée,
pour la connaissance scientifique; l'autre sentimentale
et mystique ,
supra-rationnelle, pour la croyance religieuse.
De même que le rationalisme philosophique,
le rationalisme théologique a été connu et pratiqué dès l'Antiquité
grecque. Chercher un sens historique ou préhistorique aux fables du polythéisme
( Mythologie grecque ),
comme fait un instant Socrate dans les débuts
du Phèdre, déterminer à quel symbole psychologique ou moral répond
tel épisode des légendes religieuses, comme font Epicure
et Lucrèce, ce n'est pas autre chose que devancer
l'esprit et les procédés du rationalisme. En ce sens, on peut dire que
le plus grand des précurseurs du rationalisme religieux a été Philon
le Juif ( Ecole
d'Alexandrie).
Au XVIIe
siècle, le dualisme de la philosophie
et de la foi, de la science et de la croyance,
de l'autorité et de la tradition d'une part et, de l'autre, de la libre
raison,
avait été consacré par Descartes et son
école ( Cartésianisme).
Et cependant, parmi les disciples du grand métaphysicien, le plus illustre,
Malebranche,
en dépit de son caractère sacré, avait manifesté une remarquable tendance
à rationaliser jusqu'aux mystères, jusqu'aux miracles, et ses adversaires
de Port-Royal
ne se font point faute de le lui reprocher. Avec Spinoza,
nous avons plus et mieux qu'une tendance ; C'est une résolution arrêtée
et consciente, c'est une méthode lucide et hardie qui se déploiera avec
une force incomparable dans ce chef-d'oeuvre dont on ne saurait surfaire
l'influence sur les spéculations religieuses des modernes : le Trailé
théologico-politique. Leibniz, de son côté,
sur ce point comme sur tant d'autres, fait contraste avec Descartes. Il
veut rétablir l'unité de la pensée
humaine, que cette pensée porte sur les objets
de la science eu sur les objets de la religion. Wolf
s'inspirera des mêmes vues, et le rationalisme en matière religieuse
se réclamera justement de ces illustres noms.
On
a donné en un sens spécial le nom de Rationalisme à un mouvementqui
trouve ses racines dans le Trailé théologico-politique de Spinoza
et qui s'est propagé en Allemagne et qui a pour objet l'interprétation
critique de l'Ancien et du Nouveau-Testament ;
comme ce mouvement conduisit aux doctrines de Semler, de Roehr, de Wegscheider,
de Paulus, de Genesius, de Strauss, de Feuerbach,
doctrines qui ne vont à rien moins, qu'à nier toute révélation. Le
mot Rationalisme a désigné toute doctrine qui semblait vouloir marcher
sans la Révélation. (B-E.).
Étudier les développements qu'a pris Ie
rationalisme théologique jusqu'à nos jours, ce serait entreprendre le
récit des contraverses religieuses, exégétiques, scripturales, qui ont
rempli ces deux derniers siecles et qui retentissent autour de nous. Tantôt
s'aidant du raisonnement pur, tantôt se
réclamant de l'histoire, de la critique, de
la philologie, le rationalisme travaille à réconcilier la religion et
la science, au risque
peut-être de dissoudre la première dans la seconde; il s efforce sans
cesse à réunir ce que le fidéisme s'efforce disjoindre et à séparer. |
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