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Objectif, subjectif

Les deux mots objectif et subjectif sont des termes corrélatifs qu'on ne courait définir isolément. Toute pensée, toute connaissance - tout acte de l'intelligence - suppose nécessairement deux termes, d'une côté l'esprit même dans lequel cet acte s'accomplit et de l'autre, la chose qu'il affirme, qu'il nie ou qu'il représente - les phénomènes et les vérités qui lui sont présentes. Le premier constitue le sujet pensant, et le second l'objet (objectum, quod objicitur) pensé ou perçu. En conséquence, on appelle subjectif tout qui est identique au sujet connaissant ou au moi, et l'on nomme objectif tout ce qui ne lui est pas identique, c -à-d. tout ce qui constitue le moi le non-moi. En d'autres termes, le subjectif ou la réalité subjective n'est autre que le sujet pensant, le principe intelligent, sensible et volontaire; l'objectif ou la réalité objective est tout ce qui est le non-moi, soit matériel, soit immatériel. 

Le subjectif et l'objectif ne se conçoivent donc pas l'un sans l'autre. ils se produisent constamment et nécessairement en antithèse l'un avec l'autre. Cette antithèse se manifeste même dans le cas où le sujet pensant s'étudie lui-même, où il considère ses propres états de conscience et ses propres conceptions : le moi est alors sujet-objet, et se langage est exact, quelque étrange qu'il puisse paraître au premier abord. Alors le sujet s'objective lui-même. On dit aussi de l'artiste qu'il objective ses idées, lorsqu'il les traduit sous une forme objective. 

Des mots subjectif et objectif sont dérivée les substantifs objectivité et subjectivité qui désignent l'ensemble des propriétés ou qualités objectives, et des propriétés ou qualités subjectives, ainsi que les adverbes objectivement et subjectivement, qui veulent dire en faisant abstraction de tout élément subjectif ou de tout élément objectif.

Faire sûrement et équitablement la part de l'objectif et du subjectif dans la formation de nos connaissances est un des problèmes les plus délicats. Le langage philosophique courant, indépendamment de toute théorie spéciale, reconnaît un caractère objectif à toute réalité que l'esprit affirme comme extérieure à lui-même, comme indépendante, et investie d'une valeur propre. Le sens commun attribue l'objectivité à la matière et à ses qualités, à l'existence des esprits et des vivants; le scientifique, aux lois générales qui lient les phénomènes. Mais le mot objectif est très loin d'être resté conforme, dans l'histoire des doctrines philosophiques, à cette acception réaliste. La plus simple réflexion amène l'esprit à se rendre compte qu'il ne connaît pas les choses en elles-mêmes, mais simplement les représentations, images ou idées plus on moins déformées qu'il s'en fait. Les êtres ou qualités auxquelles nous accordons l'objectivité ne sont encore que des états subjectifs. 

Aussi Descartes désignait-il par réalité objective, non pas les objets extérieurs, mais l'idée même considérée comme un objet interne sur lequel se fixe l'attention. C'est le caractère représentatif idées. Pour Kant, le mot objectif prend un sens tout autre, très spécial encore, quoique plus voisin du sens ordinaire. L'objectivité de la connaissance est constitué non pas par une accommodation tout empirique, et par suite contingente, de la pensée et de l'objet, mais par l'application des catégories, ou formes a priori de l'entendement, au divers de l'intuition. Toute connaissance dérive, il est vrai, de l'expérience, mais l'expérience même n'est possible qu'autant qu'elle est soumise à l'action unifiante des catégories. Or, cette unification même suppose que le sujet, saisissant son unité dans l'acte du « je pense », s'oppose, par cet acte même, au multiple qu'il coordonne.

Il en résulte que le cogito, ou « aperception-transcendantale » du sujet par lui-même, est la condition de la valeur objective des catégories, c.-à-d. de toute objectivité. Ce caractère est nécessairement valable pour tous les esprits, et Kant a pu, dans les Prolégomènes, définir l'objectivité : la nécessité et l'universalité d'une proposition. Il en résulte cette conséquence d'apparence paradoxale que l'objectivité dépend chez Kant des conditions subjectives de la connaissance et que les objets, que la raison-dogmatique prétend découvrir derrière les phénomènes, n'ont qu'une valeur limitative (Grenzbegriffe) et nullement objective. Seule, la raison pratique rend à la croyance le droit d'affirmer la réalité objective de l'âme, de Dieu et de la liberté. Plus tard Renouvier a modifié le sens kantien du mot objectif, et désigne par ce terme le caractère de la représentation considérée par le sujet « à titre d'objet ». L'objectivité n'est plus dès lors qu'un point de vue admis par le sujet quand il s'oppose à ses propres représentations. (Th. Ruyssen.).

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Dictionnaire Idées et méthodes
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