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La Grande Guerre
La Première Guerre mondiale
Campagne de 1917
Aperçu Les origines 1914 1915 1916 1917 1918 La paix
L'année 1917 fut marquée dans presque tous les pays de l'Entente par la politique.

Tenue en échec sur les champs de bataille de 1916, sur le Carso comme à Verdun et sur le Dniestr comme sur la Somme, et réduite par le blocus à un état déjà voisin de la famine, l'Allemagne appela la politique au secours, - d'où l'effondrement de la Russie, une grande défaite italienne et, en France, un commencement d'agitation pacifiste.

Offensives allemandes de paix. 
Faire surgir dans un monde épuisé par la guerre, la vision de la paix, c'est énerver la volonté de la victoire; ce fut la politique des Allemands. D'abord l'empereur agit publiquement; il proposa, par l'intermédiaire des neutres, l'ouverture de négociations, François-Joseph venait de mourir; son successeur, l'empereur Charles, redoutait la dislocation de la vieille monarchie des Habsbourg. Des conditions, le kaiser ne dit rien; il demandait seulement à causer.

Une fois autour de la table verte, on ne la quittera plus pour la bataille; l'Allemagne aura sa paix. Ni l'Entente ni les neutres ne tombèrent dans le piège.

Le président des Etats-Unis, Woodrow Wilson, ayant invité les puissances belligérantes à préciser, en toute franchise, « leurs buts de guerre », et ayant en outre, suggéré la création d'une « Ligue des nations pour assurer à l'avenir la paix et la justice », les Alliés répondirent. Leurs conditions : restitutions complètes, réparations complètes, garanties efficaces. Mais la note allemande apparut moins comme une offre de paix que comme une manoeuvre de guerre. L'empereur allemand d'abord se déroba. Puis, et d'autant plus activement, il fit pousser ses sapes. Il s'agissait de démoraliser l'ennemi avant tout, et ce n'était pas si difficile, tant la guerre avait déjà détruit de vies.

Chute de l'Empire russe

Depuis longtemps les Allemands avaient noyauté l'empire des tsars. La cour, la bureaucratie étaient en partie allemandes. Il avait déjà fallu sévir contre des officiers suspects, pendre un traître avéré qui était le protégé du ministre de la Guerre, destituer et livrer aux tribunaux le ministre lui-même.

Le tsar Nicolas II flottait entre les pires conseillers, qui avaient la faveur de l'impératrice (le thaumaturge Raspoutine, le trouble Sturmer, le ministre Protopopof, paralytique général), et quelques esprits qui s'effrayaient de l'orage prochain (les deux grands-ducs Nicolas, l'honnête Sazonoff, l'énergique Trépof).

Au début de la guerre, une solennelle proclamation avait promis la liberté à la Pologne. Ce n'étaient que des mots.
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Première guerre mondiale : Prisonniers russes à Przemysl, en Pologne.
Prisonniers russes à Przemysl (Pologne).

La Révolution russe.
Une émeute qui éclata à Pétrograd fit crouler en deux jours ce régime inique et
vermoulu, sans qu'un bras se levât pour sa défense. Les soldats et les marins passèrent aux insurgés. L'empereur abdiqua, mais, pour ne pas se séparer de son fils, en faveur de son frère qui refusa (15 mars 1917).

Un gouvernement provisoire, présidé par le prince Lvov, décréta du soir au matin toutes les libertés en usage chez les plus vieilles démocraties et convoqua une Constituante, élue, dans un pays qui comptait 70% d'illettrés, au suffrage universel des hommes et des femmes.

Parce que les chefs du nouveau régime, surtout le socialiste Kerenski, couvraient le monde d'une poussière d'épithètes, l'Amérique et l'Europe occidentale se flattèrent que la Russie allait recommencer la Révolution de l'an II. La guerre à outrance contre l'Allemagne, c'était encore la volonté de la plupart des généraux (Alexéieff, Rouski, Broussiloff, Kornilof, Denikine); mais la grande masse du peuple était affreusement lasse. Fallait-il encore combattre au nom d'un régime qui n'existait plus?

Les Bolcheviks.
De l'aveu de Ludendorff, ce fut l'Allemagne qui ramena en Russie et subventionna les chefs des socialistes extrêmes (Bolcheviks ou Maximalistes) (L'histoire de l'URSS).

Lénine, d'une famille de bonne noblesse, disciple de Karl Marx, ennemi juré des classes possédantes et des intellectuels, avocat éloquent du retour de la terre aux paysans, parla tout de suite en maître. Son principal collaborateur, Trotski, rusé et dru, porta dans la révolution l'âme farouche des prophètes d'Israël. Ils organisèrent un contre-gouvernement de classes, rien qu'avec les soviets (comités) d'ouvriers, de paysans et de soldats.

Déjà le pricaz (décret) n° 1 avait supprimé dans les troupes « le salut et les honneurs-», l'institution militaire elle-même. Sur un mot d'ordre, les soldats allemands fraternisèrent avec les « camarades» russes des tranchées. Par milliers, les moujiks s'en retournaient chez eux, pour être là, quand viendrait le partage des terres.

En quelques semaines, l'armée fut en pleine dissolution.

L'Amérique dans la guerre

Pendant que les agents allemands activaient l'incendie qui allait consumer en moins d'un an la puissance russe, la guerre sous-marine à outrance, obstinément réclamée par l'amiral von Tirpitz, acheva de décider le président Wilson à entrer dans la guerre.

Il avait averti l'empereur, dès le printemps de 1916, qu'il romprait les relations diplomatiques si l'Allemagne n'abandonnait pas ses procédés sauvages de guerre sous-marine; et qui connaissait ce grand presbytérien, à la fois théologien et juriste, idéaliste et homme d'action, ne pouvait douter que sa parole serait confirmée par les faits.

L'Allemagne tenta une campagne de corruption et d'intimidation, hardiment menée, dont elle espérait qu'elle suffise dans un pays qui comptait près de 8 milions d'Allemands, à faire refluer le courant les sympathies déjà déclarées pour la France. L'entreprise se retourna contre ses auteurs. La conscience américaine s'irrita qu'on la crût à vendre, d'autant plus que les incessantes attaques contre les navires marchands des pays neutres, affectaient chaque jour davantage ses intérêts économiques. Ajoutez l'affichage de quelques grands principes à tout cela, et l'entrée en guerre des Etats-Unis deviendrait imminente.
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Affiches de l'armée américaine pour le recrutement de volontaires.

Le message de Wilson. 
Les devoirs de l'Amérique, c'était le thème des discours vibrants de l'ancien président Théodore Roosevelt en même temps que la profonde pensée du président Wilson; seulement Wilson attendait pour se déclarer qu'il fût réélu président et que, derrière lui, la volonté, longtemps flottante, du peuple se fût « durcie ».

Le premier avertissement de Wilson datait du 18 avril 1916; le 2 avril 1917, il réunit le Congrès et, dans l'un des plus nobles discours qui aient été prononcés, annonça, au milieu d'un silence religieux, sa résolution : 

« Le défi est jeté à l'humanité tout entière. Nous ne choisirons pas le sentier de la soumission. La justice est plus précieuse que la paix [...]. Soyons fiers que le jour ait luit pour l'Amérique de se dévouer corps et âme aux principes qui l'ont formée. »
Le Brésil, les républiques de l'Amérique centrale, suivirent Wilson dans la guerre.
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Affiche de 1917 : Voilà les Américains.
"Voilà les Américains!" Affiche de 1917.

L'arrivée des Américains.
La nouvelle de l'intervention américaine fut accueillie avec enthousiasme dans les pays de l'Entente. Certaines réserves, distinctions ou illusions de Wilson passèrent à peu près inaperçues (les États-Unis, non pas alliés, mais associés; les souverains, l'aristocratie et les chefs militaires des empires centraux seuls responsables d'une guerre que les peuples ne désiraient pas). On approuvait tout, on admirait tout et on ne perdait pas son temps à  commenter. Ce que les Alliés attendaient, la seule choses qu'ils voulaient voir c'était l'aide que la nation américaine offrait avec un admirable élan, son assistance sous toutes les formes et son concours armé contre « les ennemis du droit et de la liberté des peuples-».

Tandis qu'elle envoyait en Europe des chirurgiens et des infirmières, des ingénieurs et des techniciens pour les usines, André Tardieu désigné comme haut commissaire et le ministre anglais Balfour obtinrent un prêt de 3 milliards, doublé dans les mois qui suivirent. Des sommes énormes avaient déjà été souscrites par des particuliers pour nourrir les populations de la Belgique et des départements français envahis, pour secourir et élever les orphelins de la guerre.

Joffre fut chargé, avec Viviani, de porter aux Etats-Unis le remerciement de la France. La mission reçut du Congrès et de la population des grandes villes un accueil inoubliable. Partout on évoqua les glorieux souvenirs de la guerre de l'Indépendance et les noms de La Fayette et de Washington indissolublement unis. Joffre fut proclamé «-parrain » de l'armée américaine qui n'existait pas encore, mais dont les 90.000 réguliers fournirent le premier élément. Le Congrès vota en quelques semaines la conscription, puis le service obligatoire. 

« Nous armerons, s'il le faut, jusqu'à 10 millions d'hommes, » disaient les Américains. 
La France leur envoya des instructeurs et des interprètes pour former 40,000 officiers et 6000 aviateurs. Les premiers détachements débarquèrent à la fin de mai 1917 et figurèrent avec leurs drapeaux dans l'émouvant défilé du 11 juillet à Paris. Ils apportèrent avec eux leurs approvisionnements, les matériaux et les engins qui leur étaient nécessaires, leurs locomotives et leurs wagons. Leur installation dans les ports français (Brest, Saint-Nazaire, Nantes, la Pallice, Bordeaux) et dans leurs camps de l'intérieur (Chaumont, Romorantin, etc.), leurs baraquements et leurs magasins, leurs gares de triage à 40 voies, la rapidité et la régularité de leurs transports excitèrent la surprise et l'admiration générales. Les débarquements de troupes se succédèrent sans interruption. 

Le commandement de l'armée d'Europe fut donné au général Pershing. Le premier contingent américain prit terre en France le 26 juin. Le 11 juillet, le colonel Stanton alla s'incliner devant la tombe de La Fayette au cimetière de Picpus

« La Fayette, nous voici. »

L'offensive de 1917

D'importants changements de gouvernement s'étaient produits entre temps en Europe.

A Londres, Lloyd George devint premier ministre à la place d'Asquith et, dans un pays classique du gouvernement des partis forma un cabinet de coalition (avec Balfour, Bonar Law, lord Milmer des travaillistes). Il avait, l'année d'avant eu la plus grande part à l'établissement de la conscription, l'une des plus nobles victoires que l'Angleterre ait remportées sur elle-même.

L'Italie avait déjà eu trois ministères (Salandra, Boselli,Orlando). On en comptait déjà six en France avant le ministère Clemenceau : deux ministères Viviani, 1914-1915, deux ministères Briand jusqu'au 19 mars 1917 (17 ministres dans le premier, dont 4 ministres d'Etat, Léon Bourgeois, Combes, Jules Guesde et Denys Cochin, plus 6 sous-secrétaires d'État). Briand glissa ensuite du pouvoir, où il fut remplacé par Ribot, jusqu'alors ministre des Finances. Ribot prit le ministère des Affaires étrangères où il avait été autrefois l'un des principaux auteurs de l'alliance russe; il appela à la Guerre un mathématicien renommé, Painlevé, qui le remplacera du 9 septembre au 14 novembre. L'instabilité du gouvernement français déconcertait les Alliés, énervait en France l'opinion publique et laissait le champ libre à la propagande pacifiste.

Pendant ce temps les Chambres, siégeant en permanence, multipliaient les incursions dans la direction de la guerre. A la Chambre, la Commission de l'armée avait préconisé une « grande bataille offensive », « question, disait-elle, de vie ou de mort pour la France ». Sur la Somne, « l'armée avait été engagée dans un bourbier [...]. Le front sera percé, par qui le voudra, à la condition d'y mettre le prix. »

Ni Painlevé, ni quelques hauts gradés n'étaient dupes de ces illusions. Inquiets de la désorganisation russe, ils pensaient qu'il serait prudent d'ajourner l'assaut général à l'entrée en ligne de l'Amérique.
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Mangin.
Cadorna.
Pershing.
Mangin. Cadorna. Pershing.

Repli de Hindenburg. 
Dès le mois de février 1917 les Alliés se disposaient à reprendre au nord et au sud de la Somme leur marche en avant suspendue pendant l'hiver. Les Anglais, attaquant les premiers, ne rencontrèrent sur l'Ancre qu'une faible résistance. A partir du 24 février ils n'eurent plus devant eux qu'un simple rideau de troupes; le gros des forces ennemies se repliait sans combattre. C'était le prélude de la grande retraite stratégique effectuée d'un seul coup, habilement et sans trop de pertes, du 17 au 21 mars, sur tout le front allemand d'Arras à Vailly-sur-Aisne. 

Le nouveau front, jalonné par la crête de Vimy, Cambrai, Saint-Quentin, le massif boisé de Saint-Gobain, les hauteurs du Laonnais et le plateau de Craonne, n'était plus un système continu de tranchées parallèles, mais un échelonnement de zones fortifiées, dont une formidable organisation assurait la défense (entrelacements de fils de fer barbelés, fortins disséminés entre les lignes de tranchées, abris camouflés pour l'artillerie lourde, chemins de fer et gares de ravitaillement pour les munitions et les vivres, centres d'aviation parfaitement aménagés). L'ensemble formait la position Hindenburg, dont les différentes lignes ou sections portaient les noms wagnériens (en fait tirés des  des Niebelungen) de Siegfried, Wotan, Faffner, Hunding, etc. 

Derrière ce rempart qu'ils jugeaient infranchissable, les Allemands comptaient user et désorganiser les offensives des Alliés et les attaquer ensuite, où et quand ils le voudraient, avec 120,000 hommes disponibles par suite du raccourcissement du front. Leur retraite, stratégique ou non, n'en était pas moins l'aveu d'un échec. Les Alliés s'en réjouirent d'autant plus vivement qu'ils ne l'attendaient pas si tôt. 

Les Allemands se vengèrent par la dévastation méthodique et atroce de la région qu'ils abandonnaient. Sous prétexte de « faire un immense glacis devant leurs positions nouvelles », ils incendièrent ou firent sauter à la dynamite 38,000 maisons dans 264 villes ou villages de la Picardie, volèrent tout ce qu'ils purent emporter, anéantirent le reste, retournèrent les semailles, scièrent les arbres fruitiers, empoisonnèrent les puits et les fontaines et emmenèrent comme un troupeau d'esclaves les malheureux habitants. La destruction des ponts et le bouleversement des routes ne ralentirent pas la progression des Alliés dans ce « royaume de la mort ».

Du 17 au 19 mars Bapaume, Péronne furent occupés par les Anglais, Roye, Lassigny, Nesle, Noyon, Ham, Chauny et Tergnier par les Français. Ces derniers avaient marché aussi vite qu'ils arrivèrent en même temps que les Allemands sur l'Oise et la franchirent.
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Tergnier : le quartier de la gare en 1917.
Les destructions dans le quartier de la gare à Tergnier (Aisne). (Cl. Lt. Tribet).

Malgré sa très vive résistance, le général Humbert s'établit sur l'Ailette, força les Allemands à évacuer la basse forêt de Saint-Gobain et la hauteur de Coucy, dont ils firent sauter par pur vandalisme le vieux donjon féodal. Les Français n'étaient plus qu'à 7 km de Saint-Quentin investi de trois côtés par Franchet d'Esperey et Rawlinson. Entre cette ville et Cambrai les Anglais gagnaient du terrain vers l'Escaut. Les chars d'assaut (les tanks), dont ils avaient été les premiers à faire usage, leur rendirent de grands services. Les Alliés dans cette campagne avaient l'avantage du nombre, grâce a I'accroissement continu des effectifs anglais, et leur matériel était maintenant au moins égal à celui des Allemands. 

La bataille de l'Artois.
Le plan concerté entre Nivelle et Douglas Haig était de maintenir une pression constante sur toute l'étendue du front, mais de porter leur principal aux deux extrémités contre les deux bastions de la ligne Hindenburg, Vimy et le plateau de Craonne.

La bataille de l'Artois fut la bataille anglaise : les divisions canadiennes du général Byng s'emparèrent de la crête de Vimy; les armées Horne et Allenby dégagèrent Arras, s'avancèrent le long de la Scarpe dans la direction de Douai, occupèrent Liévin et les faubourgs de Lens d'où les Allemands ne purent jamais les déloger, 9-14 avril. Plus au nord, sur le front d'Ypres, Plumer, avec les Australiens, les Néo-Zélandais et les volontaires irlandais de l'Ulster, bouleversa les tranchées allemandes par l'explosion simultanée de 19 fourneaux de mines et remporta les 7 et 8 juin la victoire de Messines qui coûta 35,000 hommes au prince de Bavière. L'ennemi essaya sans succès de réagir : jusqu'à la fin de septembre les Anglais ne cessèrent pas de progresser en Artois et dans les Flandres. 

Leur campagne d'automne sera moins heureuse. Une attaque par surprise contre Cambrai débuta le 20 novembre par une brillante victoire, mais Byng, mal secondé par ses lieutenants, fut battu le 30 par von Marwilz et perdit tout le terrain gagné.
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Anthoine.
Franchet d'Esperey.
Maistre.
Anthoine. Franchet d'Esperey. Maistre.

La bataille de l'Aisne.
Nivelle ne jugeait pas que la situation créée par la défaillance russe, le nouveau facteur américain et le repli allemand, fussent des raisons d'ajourner l'action contre le massif soissonnais. Bien que Pétain continuât à n'être pas d'avis « d'une bataille à allures décisives », Painlevé y consentit, mais sans que ce fût son sentiment, et, avec lui, la majorité d'une conférence de ministres et de généraux que le président de la République réunit à Compiègne (6 avril).

Alors que Joffre avait projeté d'engager la bataille, au contact des Anglais, entre la Scarpe et l'Oise, de l'Ouest à l'Est, Nivelle, qui avait devant lui 500.000 Allemands, partisan de l'action immédiate, redoutant d'avoir « à subir la volonté du Boche » organisa son offensive entre Reims et le canal de l'Aisne à l'Oise, du Sud au Nord, contre le massif de Craonne, « le grand objectif stratégique », dira Ludendorff, mais où Napoléon lui-même avait échoué.

A l'est de Soissons Micheler enleva sur l'Aisne le saillant de Vailly et le fort de Condé. Mangin, avec les coloniaux et les troupes noires, poussa son attaque vers Craonne jusqu'à la ferme célèbre d'Hurtebise. Mazel au centre atteignit la trouée de Juvincourt et menaça le fort de Brimont d'où l'ennemi bombardait Reims. A l'est de cette ville, Anthoine prit position sur le massif de Moronvillers, 10-18 avril. 
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Tranchée à Moronvilliers, 1917.
Attaque de Champagne (avril 1917). Soldats français dans une tranchée allemande
du massif de Moronvilliers. (Cl. Forbin).

Engagée par un temps affreux et contre un ennemi qui s'était préparé de longue date à recevoir le choc, la bataille de l'Aisne (16-20 avril) ne fut qu'une demi-victoire pour les Alliés. Nivelle s'était flatté et, surtout, il avait donné trop à entendre que le premier élan le porterait dans la plaine de Laon.

La falaise de l'Aisne, garnie de mitrailleuses nichées dans les creutes ( = grottes calcaires), opposa une terrible résistance. Mangin, malgré la vaillance de ses troupes, ni Mazel, peut-être à cause d'une préparation insuffisante d'artillerie, ne purent dépasser le Chemin des Dames, au long de la crête qui domine les vallées de l'Aisne et de l'Ailette.

Les temps qui suivirent furent troubles. L'armée et le peuple de l'arrière avaient attendu la rupture; on n'avait remporté qu'un succès tactique de plus. Les grandes ailes de l'espérance se replièrent.

Il eût fallu réagir tout de suite; mais une atmosphère lourde régnait au ministère de la Guerre. Après une seconde bataille, les 4 et 5 mai, consolidant et étendant les positions conquises, donna aux Français le moulin de Laffaux, la plus grande partie du Chemin des Dames, le village et le plateau de Craonne, les monts à l'est de Reims, enlevés de haute lutte, l'offensive s'arrêta. 

Toutes les contre-attaques furent repoussées et valurent même aux Français de nouveaux progrès dans la région des monts de Champagne. En trois semaines le Kronprinz avait perdu 200.000 hommes hors de combat, 20.000 prisonniers, 200 canons, des engins de tranchées et des mitrailleuses par centaines.
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L'infanterie française dans la bataille (affiche).
Assaut de soldats allemands (affiche).
La bataille de l'Aisne, côté allemand.

Remplacement de Nivelle. 
Les Alliés dominaient les Allemands partout où ils les avaient  attaqués, mais ils n'avaient ni enlevé en totalité le massif de Saint-Gobain, ni délivré Laon, ni dégagé Reims. Pourquoi cette offensive, si brillamment commencée, ne fut-elle pas poussée plus loin? On a reproché à Painlevé, alors ministre de la guerre, de l'avoir arrêtée, malgré les généraux. Il s'en est après la paix énergiquement défendu. 

Nivelle, qui aurait voulu la recommencer, eut la faiblesse de retirer son commandement à Mangin, le principal vainqueur du 16 avril, mais que poursuivait le reproche d'avoir fait massacrer ses hommes. 

A un moment ou à un autre de la guerre, dans chacun des camps, dans chacune des armées, des mutineries ont éclaté. Les deux tiers des unités françaises ont été affectés à des degrés divers par de tels actes de rebellion contre cette « boucherie » dont les soldats sur le front, loin de toutes les propagandes, ne comprenaient plus le sens. Le parxoysme de ces mouvements eut lieu en ce mois d'avril 1917. Après les massacres de Craonne et les durs combats du Chemin des Dames. Nivelle, opprimé par la méfiance qu'il sentait autour de lui, dut se retirer. A partir du 15 mai il ne commanda plus que les armées du centre. Painlevé le remplaça par Pétain et nomma Foch chef de l'Etat-Major général.

Pétain général en chef.
Pétain inaugura sont nouveau commandement en convoquant le Conseil de Guerre. 3427 mutinés seront condamnés; 49 sont exécutés. Après cela,des communiqués officieux annoncèrent pour l'avenir des offensives restreintes, visant des objectifs limités.

Les ministères Ribot et Painlevé inquiétèrent l'opinion en cherchant à la rassurer. Les Français et en particulier les Parisiens, qui avaient courageusement supporté le rude hiver de 1917, accepté sans se plaindre les restrictions, le rationnement et la vie chère, souscrit, malgré la diminution de leurs ressources, trois emprunts de guerre d'une valeur effective de 34 milliards de francs, manifestaient de plus en plus leur lassitude et leurs doutes. Cela s'exprima par le pacifisme des socialistes parlementaires, qui reprirent l'idée de la paix blanche, la paix sans victoire, proposée par Wilson en janvier 1917 (un principe également défendu, en Allemagne, par la majorité du Reichtag), mais par des journaux, qui en dépit de l'état de siège et de la censure, prêchaient de plus en plus la grève dans les usines de guerre, la désertion et la révolte dans les armées.  En mai et en juin, 100.000 ouvriers de toutes corporations abandonnèrent leurs ateliers, réclamant une augmentation de salaires qui leur fut aussitôt accordée.

La situation se calma, tandis que la voix des jusqu'au boutistes de tous les partis se faisaient plus fortes  : depuis Clemenceau (Discours au Sénat, juillet), jusqu'à Léon Daudet (Lettre au Président de la République). Deux offensives partielles, vigoureusement engagées par Pétain, I'une « pour donner de l'air à Verdun », sur les deux rives de la Meuse, de Bézonvaux à Samogneux et de Régneville au bois d'Avocourt, 20 août-8 septembre, l'autre « pour régler la question du Chemin des Dames » (prise du fort de la Malmaison par le général Maistre, 11.000 prisonniers, 21 octobre), prouvèrent aux Allemands que leurs ennemis n'avaient rien perdu de leur élan. 

Les aviateurs, d'une hardiesse splendide, d'une énergie farouche, contribuèrent beaucoup à exalter l'esprit de sacrifice; la vieille chevalerie eut le ciel pour domaine.

Les autres fronts

Les Britanniques ne furent pas moins heureux en Asie contre les Turcs, entrèrent à Bagdad et à Jérusalem.

Sauf en Grèce, où les Alliés, lassés enfin des trahisons du roi Constantin, exigèrent
son départ et son remplacement par son second fils Alexandre, qui appela aussitôt Venizelos aux affaires et se rangea du côté de l'Entente, l'année finit tristement sur les autres fronts.

En Belgique et dans les Flandres françaises occupées, les Allemands déportèrent sans pitié, pour les employer aux plus durs travaux, des civils, beaucoup de jeunes filles et de femmes.

Poursuivie à outrance, la guerre sous-marine avait coulé plus de 3000 navires alliés, jaugeant 6 millions de tonneaux. Sans le progrès croissant des méthodes de défense contre la guerre sous-marine, Tirpitz aurait réalisé sa promesse d'un million de tonnes par mois.

La guerre en Italie.
En février-mars 1917 l'Autriche avait esquissé sur le front italien une offensive à laquelle elle ne donna pas suite. Ce furent les Italiens qui attaquèrent au sud et au nord de Gorizia et battirent deux fois Borovic à Jamiano le 25 mai et à Bainsizza le 23 août. Malgré de lourdes pertes, les Autrichiens résistèrent sur les hauteurs fortifiées du Carso, fermant à Cadorna la route de Trieste

Vainqueur des Russes qui ne se battaient plus et des Roumains refoulés en Moldavie, Guillaume préparait une action décisive contre les Italiens, « anciens alliés félons qui sentiraient le poids de la colère allemande ». D'après le plan porté par Ludendorf à Vienne, 4 armées austro-allemandes échelonnées de Trente à l'Adriatique devaient exécuter contre l'armée italienne en Vénétie la fameuse manoeuvre d'enveloppement chère à l'état-major prussien. Le moment semblait bien choisi. 

La situation militaire de l'Italie n'était pas mauvaise; son armée avait relativement peu souffert; ses réserves étaient intactes et les vieilles classes n'avaient pas été appelées, mais le découragement causé par la longueur de la guerre, la misère trop réelle des paysans et des ouvriers, les voix renaissantes des parlementaires neutralistes, les deux « offensives pacifistes » des conservateurs catholiques, commentant à leur manière la lettre de Benoît XV, et des socialistes officiels faisant appel à la révolution (sanglante émeute à Turin en août 1917), facilitèrent la tâche de la propagande austro-allemande dont le foyer le plus actif était en Suisse, à Lugano. 

Pour convertir les civils au pacifisme et débaucher les soldats, les agents des empires centraux employèrent tous les mensonges, toutes les ruses, toutes les perfidies : calomnies contre la France et l'Angleterre, contre le gouvernement royal; fausses nouvelles et faux journaux italiens parlant de femmes et d'enfants fusillés pour avoir demandé du pain; les soldats autrichiens prêts à fraterniser, si les Italiens cessaient le feu. Quelques régiments se laissèrent entraîner. 

Alors ce fut l'attaque brusquée de von Below et le désastre italien de Caporetto, 24-26 octobre, le Sauve qui peut! d'une partie de la 2e armée et des troupes envoyées pour la soutenir, la résistance héroïque, mais impuissante, du duc d'Aoste et du comte de Turin, l'abandon de la rive gauche de l'lzonzo, de Gorizia, de Cividale et d'Udine en territoire vénitien, la retraite générale, précipitée jusqu'au Tagliamento (défaite de Latisana, 31 octobre), mieux ordonnée, mais continue, jusqu'à Livenza et à la Piave. On se demanda s'il ne faudrait pas évacuer Venise et Vicence et reculer jusqu'à l'Adige pour s'appuyer sur Vérone. Ce projet fut écarté. Les Italiens, consternés tout d'abord, s'étaient très vite ressaisis. Le roi Victor-Emmanuel, son nouveau ministre, Orlando, et les 350 députés qui l'avaient porté au pouvoir, lancèrent un appel au peuple qui fut entendu.

Les Italiens savaient déjà que les Alliés venaient à leur secours. Dès le 28 octobre le comité de guerre de Paris décida l'envoi immédiat de 120,000 hommes, qui furent reçus à Turin et à Milan avec enthousiasme. Fayolle était à leur tête; Plumer, le vainqueur de Messines, commandait les contingents anglais. Les conférences de Rome et de Rapallo, 4-7 novembre (Orlando, Painlevé, Lloyd George), constituèrent un état-major interallié sous la direction effective de Foch. Le nouveau généralissime italien, Diaz, rejeta au delà de la Piave les détachements ennemis qui avaient réussi à la franchir. Dans le voisinage de la mer, sur la route de Venise, les Austro-Allemands n'avancèrent plus. La lutte fut plus dure au nord contre une autre armée autrichienne (Hötzendorf) qui avait pris Bellune et Feltre. Les Français et les Anglais aidèrent les Italiens à enrayer son avance dans la région des Alpes vénitiennes. Le plus brillant épisode de cette guerre de montagnes fut, le 30 décembre, la reprise du mont Tomba, qu'un bataillon des Alpins français enleva en une demi-heure, faisant à l'ennemi 1400 prisonniers.

La défection russe et ses suites. 
Après la perte de Riga, le général Korniloff fit une tentative pour rétablir l'ordre à Pétrograd. Il échoua, abandonné par ses troupes. Le gouvernement de Kerenski croula ensuite tout d'un coup, comme avait fait celui du tsar.

Lénine et Trotski ne furent pas plutôt maîtres du pouvoir qu'ils conclurent un armistice avec les Allemands et entamèrent des négociations pour une paix séparée.

Cela aboutit, en mars 1918, au traité de Brest-Litowsk que le congrès des soviets déclara lui-même «déshonorant ». Les bolcheviks abandonnèrent près de 60 millions d'habitants, toute la Russie occidentale, de la Baltique à la mer Noire

Le désastre russe, en Galicie et en Bukovine, fut irréparable et entraîna la chute de la Roumanie. L'armée roumaine, réorganisée par le général Berthelot, avait défendu victorieusement la Moldavie contre quelques-unes des meilleures troupes allemandes : ce noble îlot fut submergé. L'infortunée Roumanie dut souscrire, sous le couteau, un traité qui faisait d'elle une colonie austro-allemande. Elle s'agrandit de la Bessarabie, mais livrait la Dobroudja, les cols des Alpes de Transylvanie, ses chemins de fer, ses puits de pétrole.

La Finlande, l'Ukraine, le Caucase se détachèrent de la Russie.

Crises intérieures. 
En France, ces victoires allemandes, ces fronts d'Occident qui, de part et d'autre, semblaient irréductibles, la guerre sous-marine avec les restrictions alimentaires qui en étaient la conséquence, les protestations persistantes des « pacifistes» et des «défaitistes », avaient épaissi à nouveau l'atmosphère. La majorité de la nation restait ferme et confiante, mais s'inquiétait de la faiblesse et de la précarité des gouvernements.

Clemenceau, dans un discours au Sénat, à son ordinaire vif, pressant, incisif, accusa le ministre de l'intérieur, Malvy, d'avoir, par ses complaisances envers des individus suspects de commerce avec l'ennemi, « trahi les intérêts de la France ». Ribot, voulant reconstituer son ministère sans Malvy, se heurta à l'opposition des socialistes. Painlevé passa outre, mais tomba, au bout de quelques semaines, pour avoir demandé l'ajournement d'une interpellation sur les affaires de trahison.

Le ministère Clemenceau. 
Poincaré avait été fréquemment malmené par Clemenceau, qui, dans son journal, n'épargnait personne; mais il aurait eu honte de s'en souvenir dès que l'intérêt national lui parut d'accord avec l'opinion qui se tournait vers le vieux lutteur. Ce jour-là encore, comme il n'avait cessé de faire depuis le premier jour de la guerre, il s'oublia, n'eut qu'une pensée; et cela fut compris.

A travers les vicissitudes d'une existence tourmentée, où il avait commis bien des fautes dont il convenait le premier, Clémenceau était resté le « protestataire » qui, à Bordeaux, en 1871, avec Hugo et avec Gambetta, avait refusé son vote à la paix de démembrement. II était de la génération, et il avait l'esprit des républicains, qui se revendiquaient avant tout patriotes, qu'il avait âprement combattus en d'autres temps.

Il avait, à soixante-treize ans une énergie hargneuse, et il n'y avait pas un chef de guerre ni un « poilu  » qui eût davantage que lui foi dans la victoire, c'est-à-dire à ses yeux d'extrémiste, l'écrasement et l'humiliation de l'Allemagne.

Clemenceau, ayant pris le ministère de la Guerre avec la présidence du Conseil, tint à la Chambre un langage offensif :

« Une seule pensée, la guerre intégrale. Politique extérieure : je fais la guerre. C'est nous qui aurons le dernier quart d'heure.  » 
Il s'engagea à faire justice « des crimes qui avaient été commis contre la France ». Ses principaux collaborateurs furent G. Leygues à la marine, Pichon aux affaires étrangères, Nail à la justice, Pams à l'intérieur, Klotz aux finances, Louchen à l'armement et Claveille aux transports.

Déjà Ribot et Painlevé avaient livré aux tribunaux quelques agents et complices des Allemands (Duval, Bolo, Lenoir, qui furent condamnés à mort et fusillés); Clemenceau n'hésita pas à réclamer la levée de l'immunité parlementaire contre deux députés et un sénateur (Caillaux, condamné par la Haute Cour à trois ans de prison; Loustalot, qui bénéficia d'un non-lieu; Charles Humbert, qui fut acquitté par le Conseil de guerre), accusés soit d'intelligence avec l'ennemi, soit de complot contre la sûreté de l'Etat (ils voulaient surtout la paix). Malvy demanda lui-même à être envoyé devant la Haute-Cour, qui le condamna à cinq ans de bannissement. (J. Reinach / E. Darsy).

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