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Le projet de Colomb Le voyage qui eut pour résultat la découverte de l'Amérique ne fut pas un accident ou une expédition improvisée; ce fut le résultat d'un plan longuement caressé dont Christophe Colomb, poursuivit l'exécution avec une indomptable énergie qui est peut-être son plus grand mérite. D'autre part, il ne faudrait pas croire que ce plan fut chez lui une intuition géniale, le résultat d'imaginations tout à fait personnelles. Au contraire, l'idée était dans l'air; bien des contemporains l'ont exprimée et les théories même, radicalement erronées, qui formèrent la conviction du grand navigateur, n'étaient pas les siennes; il les puisa dans un des ouvrages les plus répandus de son époque. Il s'agit de l'Image du monde (Imago mundi) de Pierre d'Ailly, cardinal évêque de Cambrai, écrite vers l'an 1410. Ce traité, sous une forme scolastique, offre une compilation d'un bon nombre d'auteurs antérieurs. Désireux de réunir toutes les connaissances des anciens sur le monde, d'Ailly cite, pêle-mêle, la Bible, les Grecs, les Arabes, les Latins, Sénèque, Pline, Solin, saint Augustin, Isidore de Séville, Bède le Vénérable, Aristote, Ptolémée, Hégésippe, Jean Damascène, Alfraganus, Albategnius. Naturellement, il prise surtout les classiques; il ignore Marco Polo. C'est dans ce livre que Christophe Colomb a puisé tout son bagage cosmographique et géographique et surtout les idées générales qui le dominent sur la grandeur et la forme de la Terre, le peu de largeur de l'Océan, la situation du Paradis terrestre, l'approche de la fin du monde (Chiliasme). Le passage le plus important est celui, à peu près copié de Roger Bacon (Opus majus) où, dans le huitième chapitre, d'Ailly développe sa conception du monde habitable. Il faut, dit-il, pour savoir quelle est la superficie habitable de la Terre, tenir compte du climat et de l'étendue des mers. Ptolémée croyait que la fraction émergée n'était que d'un sixième; dans l'Almageste, il a modifié son point de vue et déclaré un quart de la Terre habitable. Aristote croyait la surface émergée beaucoup plus grande et enseignait qu'entre la côte occidentale d'Espagne et la côte orientale de l'Inde la bande de mer était assez étroite. Sénèque ajoute qu'avec un vent favorable on peut traverser cette mer (notre océan Atlantique) en quelques jours; Pline le confirme; il est donc impossible que la mer couvre les trois quarts du globe. De plus, Esdras affirme qu'il n'y a qu'un septième de la Terre recouvert par l'eau. D'Ailly revient sur cette théorie dans d'autres chapitres. Au XLIXe il écrit qu'Aristote et son commentateur Averroès ont fait remarquer que la distance entre la côte occidentale d'Afrique et la côte orientale de l'Inde ne pouvait être considérable puisque dans les deux pays il y a des éléphants. Au XLIe chapitre, il avance que certainement la distance de l'Espagne à l'Inde par terre (en allant vers l'Est) représente beaucoup plus de la moitié du périmètre de la Terre. Ce sont ces théories d'un des écrivains les plus célèbres du XVe siècle, généralisées à ce moment et appuyées de l'autorité des plus grands noms, qui ont inspiré à Christophe Colomb sa conviction et qui lui ont fourni des arguments, en apparence excellents, pour la faire passer dans l'esprit des autres, et leur démontrer que l'entreprise d'un voyage aux Indes par l'Ouest était aisée et relativement peu coûteuse. Bizarre ironie de la destinée; la plus grande découverte fut le fruit d'énormes erreurs cosmographiques. L'ardeur de Christophe Colomb fut encore accrue par l'espoir de trouver sur la côte orientale de l'Inde le Paradis terrestre qu'Isidore de Séville, Jean Damascène, Bède et d'Ailly plaçaient là, sur les pentes d'une immense montagne. Il acceptait même l'opinion que la fin du monde allait arriver dans un délai de 150 à 300 ans, ce qui rendait d'autant plus probable et d'autant plus indispensable le retour à ce Paradis terrestre. Colomb au Portugal. Mais toutes ces explorations ont pour nous un intérêt bien moindre que les théories générales indiquées ci-dessus; ce que ces marins aventureux se proposaient ce n'était pas un vaste plan comme celui de Christophe Colomb qui trouva sans doute autre chose et plus qu'il n'avait cherché, mais qui savait que son succès changerait les conditions économiques de son temps; eux voulaient seulement trouver une île nouvelle, en avoir la concession. Or, il est remarquable qu'à partir du XVe siècle un grand nombre de cartes signalent au milieu de l'Atlantique des îles qu'elles placent au large, et souvent très près de la place où réellement s'allongeait le nouveau continent. Les cartes italiennes surtout sont curieuses à ce point de vue. L'île d'Antilia figure à partir de 1424; la carte de Beccario (1426) l'indique aussi; une carte de 1435, conservée à Parme, place à 15 degrés du cap Finistère une longue chaîne d'îles dont Antilia avec la mention Insule de novo reperte; Andréa Bianco, en 1436, les reproduit en ajoutant que des navires espagnols y sont allés. L'île des Sept-Cités, confondue parfois avec Antilia, est une de celles dont les marins portugais demandaient la concession à leur roi; nous avons vu Thomas Lloyd aller à la recherche de l'île de Brasil (ou Brasylle) qui figure dans des portulans du XIVe siècle; enfin on continua de chercher Ovo et Caparia, même après avoir trouvé les Açores avec lesquelles il fallait les identifier. Il est probable, en effet, que toutes ces îles imaginaires devaient leur apparition sur la carte au lointain souvenir des archipels retrouvés depuis, à des confusions faites au moment de ces découvertes récentes ou à des erreurs d'observation, que le voisinage de la mer des Sargasses rendait présumables. L'important est de bien mettre en lumière la différence radicale qu'il y eut entre ces recherches menées à l'aventure et la conception systématique de Christophe Colomb. Ce dernier ne doutait pas de l'existence de ces petites îles fabuleuses; seulement il visait plus loin et les considérait tout au plus comme des étapes sur la route des côtes asiatiques. Caravelle du XVIe siècle, d'après une gravure de l'époque. Le rôle de Toscanelli. Toscanelli était un médecin de Florence versé dans l'étude des sciences naturelles, qui s'était fort intéressé à la cosmographie et à la géographie. La lecture des oeuvres de Marco Polo et ses rapports personnels avec Niccolo de Conti lui avaient donné une connaissance assez approfondie, pour le siècle, des choses de l'extrême Orient. Il savait combien ces pays de Cathay (Chine), de Cipangu (Japon) étaient riches et peuplés. Il se rendait compte de l'immense distance qui les séparait de l'Europe et il en concluait, à tort, que la route par mer, c.-à-d. par l'Ouest, devait être bien plus courte. Il avait dressé une carte de l'ensemble de la Terre pour mettre en lumière son opinion. Le 25 juin 1474, il adressa au chanoine Fernam Martinz de Lisbonne, pour le roi Alphonse V, une lettre à ce sujet. Plus tard, Christophe Colomb en entendit parler; il s'adressa à Toscanelli par l'intermédiaire de Lorenzo Girardi, négociant italien établi à Lisbonne, et le savant florentin lui envoya copie de sa lettre sur la voie à suivre pour atteindre le pays des épices, en y joignant sa carte. Cette lettre de Toscanelli à Colomb est nécessairement antérieure à 1482, année de la mort de l'envoyeur; sa date précise est difficile à fixer. Il y est dit : « Je vous envoie copie d'une autre lettre que j'ai expédiée il y a quelques jours à un de mes amis au service de sa majesté le roi de Portugal, avant les guerres de Castille.-»Les deux passages marqués ici en italique semblent se contredire, la guerre de succession de Castille ayant duré de 1474 à 1479; on peut soutenir que la seconde lettre de Toscanelli ne fut écrite qu'après son achèvement, mais cela n'est pas démontré. Harrisse a découvert à la Bibliothèque colombine une copie de la précieuse lettre de Toscanelli, copie de la main même de Christophe Colomb. Voici les passages essentiels : « Je vous ai déjà parlé d'une route maritime pour aller au pays des aromates, plus courte que celle que vous suivez par la Guinée. C'est pour cela que le roi me demande aujourd'hui des explications sur ce sujet, suffisamment claires pour que des hommes même médiocrement instruits puissent comprendre l'existence de cette route. Bien que je sache que ceci peut se montrer à l'aide d'une sphère représentant la terre, je me suis cependant décidé, afin de me faire plus aisément comprendre et avec moins de peine, à représenter cette route sur une carte marine. J'envoie donc à Votre Majesté une carte de ma main sur laquelle sont tracées vos côtes et vos îles, à partir, desquelles il faut se diriger constamment vers l'Occident, les lieux où l'on doit aborder, à quelle distance il faut se tenir du pôle et de l'équateur et quelle est la distance à franchir pour parvenir à ces lieux, les plus riches en épices et en pierres précieuses. Ne vous étonnez pas si j'appelle occidentale cette région des épices, bien que l'usage soit de l'appeler orientale; c'est en se dirigeant vers l'Ouest dans la région inférieure (subterranea) de la Terre qu'on y parviendra, tandis qu'on a toujours cherché la route dans la direction orientale et supérieure »Suit une description de l'extrême Orient d'après Marco Polo. Nous savons enfin que sur la carte, Toscanelli avait tracé à l'occident entre Lisbonne et la grande cité de Quinsay 26 degrés de 250 milles chacun, soit un tiers du périmètre du globe; mais entre l'île de Cipangu (Japon) et celle d'Antilia, l'espace réellement inconnu se réduisait à 10 degrés. C'est cette carte (malheureusement perdue) que Colomb emporta avec lui dans son voyage de découverte. La précision des affirmations du physicien florentin lui assure une part considérable dans l'honneur de la découverte. Il communiqua à Colomb son assurance. « Je loue votre projet de navigation vers l'Ouest, écrit-il, et je suis convaincu que la route que vous voulez suivre, n'est pas aussi difficile qu'on le croit; au contraire, telle que je l'ai tracée, elle est tout à fait sûre. Vous n'en douteriez pas si vous aviez comme moi fréquenté beaucoup de gens qui ont été dans ces pays. »Toscanelli loue chez son correspondant, qu'il croit Portugais, l'esprit d'initiative des gens de son pays et lui témoigne la persuasion que les rois et princes de ces riches contrées seront heureux qu'on leur apporte la religion chrétienne et les sciences de l'Europe. Tout venait donc concourir à encourager Christophe Colomb, l'autorité de la science, l'intérêt de la religion, l'espoir de la fortune. Il ne fallut pas moins pour qu'il pût surmonter les obstacles qu'il rencontra sans se laisser décourager. Colomb en Espagne. C'est entre l'automne de 1484 et le mois de janvier 1486 que Christophe Colomb passa du Portugal en Espagne; il vint à la cour qu'il suivit à Salamanque et à Cordoue pendant l'hiver de 1486-1487. Il connaissait alors des embarras financiers et obtint le 5 mai 1487 un petit secours pécuniaire; il en reçut un second le 3 juillet. A la fin d'août, il assistait au siège de Malaga. Il revint à Cordoue où il prit pour maîtresse Beatriz Enriquez; on ignore si sa femme était vivante; il l'avait laissée au Portugal avec ses enfants n'amenant que son fils Diego. Sa liaison avec Beatriz le retint à Cordoue l'hiver de 1487-1488; il en eut un fils naturel, Fernand, qui naquit à Cordoue le 15 août 1488. Dans l'intervalle, il avait sollicité du roi Jean II de Portugal l'autorisation de se rendre dans ce royaume et l'avait obtenue par lettre royale du 20 mars 1488. Le 16 juin, il reçut un nouveau secours des rois d'Espagne. En mai 1489, ils le font venir à Cordoue et donnent l'ordre de l'héberger dans toutes les villes où le service de Leurs Altesses exige sa présence. A partir de ce moment les documents officiels n'en font plus mention. Christophe Colomb, (Portrait du musée de Como). Nous sommes très mal renseignés sur les démarches de Christophe Colombà la cour pendant ces premières années de séjour en Espagne et sur la manière dont la cour accueillit son projet. Les détails assez nombreux que ses historiens ont cru pouvoir reporter à cette période paraissent se référer plutôt à la suivante; beaucoup sont en outre légendaires. Il y eut dans l'hiver de 1486-1487 une conférence, dirigée par le confesseur de la reine Isabelle, Talavera, prieur de Prado, plus tard évêque d'Avila, puis archevêque de Grenade, conférence tenue à Salamanque apparemment avec le concours de l'université de cette ville pour examiner le plan de Colomb; la majorité déclara qu'il était inexécutable. L'auteur ne perdit pas confiance et c'est seulement deux ans après qu'on cessa de s'occuper de lui. La guerre contre les Maures, les désastres causés par les inondations qui ravagèrent la Péninsule absorbèrent toute l'attention des souverains à la fin de 1489. Colomb songeait à quitter l'Espagne lorsqu'un grand seigneur, Luis de la Cerda, duc de Medina Celi, le prit sous sa protection et lui donna pendant deux ans l'hospitalité au port Sainte-Marie. Il finit même par se laisser convaincre d'entreprendre l'expédition pour son compte et, vers le printemps de 1491, il demanda à la reine l'autorisation d'expédier trois caravelles dans la mer occidentale sous les ordres de Christophe Colomb. La reine, bien qu'elle ne fût pas encore décidée à entreprendre l'expédition pour son compte, refusa l'autorisation demandée; elle confia l'examen du projet à Alonso de Quintanilla à Séville. Une nouvelle diversion occasionnée par les vastes préparatifs du siège de Grenade fit oublier le solliciteur. Il suivit la cour au camp de Santa-Fé, puis découragé, il s'éloigna, résolu, semble-t-il, à quitter l'Espagne et à passer en France. Il dut aller à Cordoue chercher son fils Diego pour le confier à son beau-frère Muliar, tandis qu'il laissait son autre fils Fernand sous la garde de sa mère, Beatriz Enriquez. Il était alors dans la misère. Se rendant à Huelva, il arriva à pied au monastère de la Rabida et demanda au portier du pain et de l'eau pour son petit garçon Diego. Un moine, appelé Juan Perez, frappé de son accent étranger, lui demanda qui il était et d'où il venait. Il répondit qu'il arrivait de la cour où il était allé proposer des découvertes maritimes, demandant à être chargé d'une expédition. Les gens de la cour l'avaient raillé; désespéré, il se rendait à Huelva chez un nommé Muliar, époux d'une soeur de sa femme. Le moine envoya chercher le médecin Garcia Hernandez de Palos, qui savait un peu de cosmographie; admirant le plan qu'on leur divulguait, ils résolurent que le frère Juan Pérez, ancien confesseur de la reine Isabelle, enverrait une lettre à sa souveraine. Il la fit porter par un pilote de Lepe, Sebastian Rodriguez. La réponse arriva au bout de quatorze jours mandant le frère Juan Pérez à la cour, devant Grenade. Le frère conféra avec la reine, lui fit partager sa confiance et revint à la Rabida chercher Christophe Colomb qu'il ramena au camp de Santa-Fé en décembre 1491. Une nouvelle conférence fut alors réunie où le cardinal Mendoza joua le principal rôle; c'était le premier personnage ecclésiastique d'Espagne, don Pedro Gonçalez de Mendoza, archevêque de Tolède, et, lorsqu'il se déclara en faveur de Colomb, sa cause fut gagnée. L'évêque Talavera, qui avait présidé la conférence de Salamanque, y était cette fois favorable et déploya beaucoup de zèle; son avis, joint à celui du comte de Tendilla, décida le succès. Dans ce même mois de janvier 1492, où les rois catholiques achevaient la conquête du royaume de Grenade, ils décidaient une expédition qui devait donner à l'Espagne des domaines cent fois plus vastes. |
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