Jalons |
Des
éléphants et des humains au fil des âges
La Préhistoire.
On trouve des figurations de mammouths
dans de nombreuses grottes ornées du Paléolithique
supérieur (Combarelles, Font-de-Gaume, Rouffignac, Altamira,
Ebbou, Pindal, Castillo, Pech-Merle, Bernifal, Arcy, Chabot, etc.). Ce
sont même, avec les boeufs, et après les Bisons et les chevaux, les animaux
les plus représentés. L'archéologie préhistorique nous révèle également
l'emploi des ossements de l'éléphant pour la confection des ustensiles
et des objets de luxe et de parure que l'humain savait déjà fabriquer.
De nombreux ossements d'éléphants, remontant à cette période géologique,
sont couverts de figures gravées à la pointe, parfois même sculptées,
et l'on peut en voir de beaux spécimens au musée de Saint-Germain, recueillis
principalement dans les cavernes du Périgord.
Peccadeau
de l'Isle a retrouvé à Bruniquel (Tarn-et-Garonne) des défenses de Mammouth,
sur l'extrémité desquelles un artiste inconnu nous a laissé les chefs-d'oeuvre
les plus anciens que nous connaissions et une palme de bois de renne, sur
laquelle est sculptée la figure même d'un mammouth. Les deux défenses
de mammouth, rapprochées du poignard en bois de renne trouvé par
Lartet et Christy, ne peuvent être que des poignées d'armes semblables.
Dans l'une, la lame du poignard partait du museau de l'animal, dans l'autre,
elle partait de l'arrière-train. Tout fait supposer que l'ivoire employé
par l'artiste l'a été à l'état frais, et non à l'état fossile. La
preuve éclatante de la contemporanéité de l'homme de Bruniquel et de
l'éléphant est la sculpture, sur une palme de bois de renne, d'un de
ces animaux. C'est également un manche de poignard; les quatre jambes
rigides et épaisses, terminées par de larges pieds plats, en se réunissant
à leur extrémité, laissent entre elles un vide ou anneau de suspension.
Quand il taillait l'ivoire, l'artiste préhistorique savait donc de quel
animal cet ivoire provenait.
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En
haut, poignards taillés dans une défense de Mammouth.
En
bas, Mammouth sculpté dans un bois de Renne.
L'Antiquité.
Les mammouths des
temps préhistoriques avaient disparu du centre et de l'occident de l'Europe
à l'époque où remontent les plus lointains souvenirs de la civilisation
occidentale. Homère, par exemple, ne connaissait
pas encore les éléphants, bien qu'il parle de l'ivoire .
Chez les anciens Égyptiens ,
l'éléphant
paraît comme signe hiéroglyphique
dès la Ve dynastie ( Ancien
Empire )
: il représente le nom de l'île de d'Ab ou Éléphantine,
au pied de la première cataracte. Mais dans
les représentations sculpturales, l'éléphantine figure qu'à partir
de la XVIIIe dynastie ( Nouvel
Empire ),
et il est au nombre des tributs en nature prélevés par les conquérants
égyptiens sur la Syrie. Dans les bas-reliefs
assyriens, l'éléphant asiatique paraît plusieurs fois, notamment sur
le célèbre obélisque de Salmanassar
III (857 Ã 822),
où il figure avec des dromadaires et des singes comme tribut de contrées
orientales. En Assyrie, aussi bien qu'en Égypte, l'éléphant est donc
connu, mais comme un animal exotique et importé de contrées étrangères
: il semble pourtant que l'éléphant ait vécu en Mésopotamie, et peut-être
jusqu'en Arménie, à l'état naturel, à une époque peu antérieure Ã
la constitution du grand empire assyrien, car le roi d'Égypte Toutmès
III se vante d'avoir chassé l'éléphant en Mésopotamie : l'éléphant
n'aurait ainsi disparu de cette contrée que vers le XIe
siècle av. J.-C. Le bas-relief de l'obélisque de Sennachérib
prouve qu'au IXe
siècle avant notre ère l'éléphant était domestiqué en
Inde et les contrées voisines. Ce fut seulement, d'ailleurs, dans ce pays
de l'Indus et du Gange que l'éléphant
revêtit un caractère religieux, et cela dès la plus haute antiquité.
Les Grecs, pour leur part, ne se familiarisèrent
avec les éléphants qu'après l'expédition en Asie d'Alexandre
(vers l'an 325 av.
J. C.). Les historiens de l'aventureux
macédonien rapportent diverses anecdotes qui attestent combien l'imagination
des Grecs avait été frappée à la vue de ces grands pachydermes
qui, surmontés de tours, étaient de véritables citadelles mouvantes
sur lesquelles les traits des arcs les plus forts n'avaient aucune prise.
Après avoir vaincu et fait prisonniers les quinze éléphants de Darius
III à Arbèles, Alexandre en reçut douze autres en entrant
à Suse; le roi Taxile lui en amena toute une
troupe; à la bataille de l'Hydaspe, il fit distribuer des haches à ses
soldats pour couper les trompes et les jarrets des éléphants de Porus,
et, Ã la suite de sa victoire, Alexandre consacra au Soleil
l'éléphant
qui servait de monture au malheureux roi indien. Il lui imposa le nom d'Ajax ,
le couvrit de somptueux ornements et fit garnir ses défenses d'anneaux
d'or sur lesquels fut gravée cette inscription :
Alexandre,
fils de Zeus ,
offre au Soleil
cet éléphant .
Dans le cortège d'Alexandre
rentrant à Babylone, il y avait plusieurs
centaines d'éléphants que le conquérant se glorifiait de posséder pour
rendre sa cour plus imposante; on croit même qu'il fit son entrée Ã
Babylone sur un char traîné par des éléphants. Dans tous les cas, ce
furent des éléphants qui figurèrent dans son cortège funèbre et qui
ramenèrent son corps en Égypte.
La déification d'Alexandre après sa mort
contribua à faire confondre, dans l'imagination des Grecs, sa marche victorieuse
sur les bords de l'Indus avec la conquête de l'Inde
par Dionysos
dans les temps mythiques. Ce fut à cette époque que l'on commença Ã
raconter que Dionysos avait accompli ses fabuleux exploits sur un char
traîné par des éléphants ;
des sculptures
représentent le dieu accompagné d'une armée de ces animaux
montés par des Éros ,
des Ménades
et des Satyres .
Dans la fameuse pompe dionysiaque organisée par Ptolémée
Philadelphe ( L'Égypte ptolémaïque )
et qu'Athénée nous décrit, on voit une statue
gigantesque de Dionysos chevaucher sur un éléphant
chamarré d'or; suivent vingt-quatre chars traînés par des quadriges
d'éléphants.
Les rois de Syrie, particulièrement, s'enorgueillirent
de posséder des armées d'éléphants. Séleucus Ier
Nicator reçut comme cadeau de son beau-père cinq cents éléphants de
guerre lorsqu'il épousa la fille du roi indien Sandracottus; on rappelait
par ironie l'éléphantarque, et à Ipsus ,
en 301, il dut sa victoire au rôle
que jouèrent ses éléphants. Un grand nombre des monnaies de Séleucus
et de ses successeurs ont pour type soit une tête d'éléphant, soit un
éléphant seul, ou bien encore un bige ou un quadrige d'éléphants, si
bien que cet animal est devenu l'emblème
de la dynastie des Séleucides. Chose étrange,
certaines monnaies de Séleucus Ier et
d'Antiochus Ier,
son fils, nous montrent des éléphants affublés de cornes de taureau ,
symbole de la force matérielle. Sur des pièces d'Antiochus
III, on voit un éléphant monté par un cornac; enfin, sur des bronzes
d'Antiochus VI, des éléphants portent des
torches avec leur trompe, allusion à des jeux qui furent alors célébrés
Ã
Antioche en l'honneur de Dionysos
et d'Aphrodite .
-
Elephants
stylisés, à Angkor (Cambodge). Photo : © Angel
Latorre, 2008.
A l'imitation des premiers rois de Syrie,
dont l'empire confinait à l'Inde
elle-même, les autres rois successeurs d'Alexandre
eurent leur troupe d'éléphants de guerre, de sorte que c'est à cette
époque que commence le rôle important des éléphants dans les armées.
Perdiccas, Eumène;
Antigone,
Ptolémée Ceraunus eurent leurs éléphants de guerre; les premiers, Antipater
et Polysperchon, amenèrent des éléphants eu Europe.
Antiochus
Ier Soter ne dut sa grande victoire
sur les Galates, en Phrygie, que grâce à ses éléphants. Antiochus
III le Grand ramena de son expédition dans l'Inde une troupe considérable
de ces animaux qui, en 217; Ã la bataille
de Raphia; luttèrent contre la troupe d'éléphants africains qui formait
l'avant-garde de l'armée de Ptolémée Philopator.
Dans la lutte soutenue par les Macchabées
contre les rois de Syrie pour l'indépendance de la nation juive, on cite
le dévouement héroïque d'Eléazar fils de Saura, qui, au milieu de la
bataille, ayant aperçu dans les rangs syriens un éléphant de plus haute
taille que les autres et mieux caparaçonné, pensa que c'était l'éléphant
royal; il réussit à se glisser sous le ventre de l'animal et à s'y suspendre;
il l'abattit à coups de hache et périt écrasé par la chute de sa victime.
Dans l'impossibilité où ils étaient de recruter leurs éléphants dans
l'Inde, les rois d'Égypte
s'étaient mis à dresser les éléphants africains.
« La chasse
des éléphants; remarque S. Reinach, leur capture et leur transport Ã
Alexandrie préoccupèrent vivement les
successeurs de Ptolémée Lagus, qui fondèrent,
à cet effet; plusieurs établissements le long de la Troglodytique; les
éléphants que l'on parvenait à prendre vivants étaient embarqués sur
de grands bateaux d'une construction spéciale, dite elephantegoï.
Suivant saint Jérôme, Ptolémée Philadelphe eut quatre cents éléphants
de guerre, et son fils Évergète en opposa quatre cents à Séleucus Callinicus.
Le commerce de l'ivoire
continua, pendant l'époque romaine, à se faire par ces échelles du golfe
Arabique que les Ptolémées avaient établies en vue de la chasse des
éléphants."
Les Romains rencontrèrent l'éléphant de
guerre dans leur victoire de Magnésie sur Antiochus
III en 181 av. J.-C., puis dans
leurs luttes contre les rois de Macédoine .
Ils l'avaient vu déjà apparaître pour la première fois en Italie, Ã
la bataille d'Héraclée en 280, et
par eux, Pyrrhus terrorisa, mais, pour peu de temps, ses ennemis. Un quincussis
de bronze, frappé à Rome peu après la bataille de Bénévent, porte
pour type un éléphant qui rappelle que le consul Curius
Dentatus réussit à capturer quatre de ces animaux et à vaincre l'audacieux
roi d'Épire. De petites monnaies de bronze, frappées en Étrurie à la
même époque, portent d'un côté un éléphant et de l'autre une tête
de Noir qui prouve que les éléphants de Pyrrhus avaient des Africains
pour cornacs. Les Romains eurent de nouveau à lutter contre les éléphants
dans leurs guerres contre Carthage ,
soit en Sicile, soit en Afrique. Carthage, en effet, ne cessa d'avoir des
éléphants de guerre qui contribuèrent souvent à ses victoires; elle
en transporta en Sicile, en Espagne et même en Italie : les éléphants
d'Hannibal franchirent les Alpes avec lui et
contribuèrent à la victoire de la Trébie en 218. Après la bataille
de Zama
en 202, les Romains imposèrent aux
Carthaginois de livrer leurs éléphants et de s'engager à ne plus en
entretenir une clause analogue figurait dans le traité qu'avait dû signer,
en 197, Philippe
V de Macédoine. Les monnaies de Carthage, ainsi que celles des rois
de Numidie
et de Maurétanie ,
ont souvent pour type l'éléphant de guerre monté quelquefois par un
cornac.
D'ailleurs, Ã l'imitation de leurs ennemis,
les Romains introduisirent l'éléphant de guerre dans leurs armées, surtout
pour leurs campagnes contre les rois de Macédoine
et contre les Carthaginois; dans la dernière période des guerres puniques,
les éléphants leur étaient fournis par leur allié Massinissa, roi de
Numidie .
Pompée
s'étant emparé des éléphants de Hiarbas, voulut faire son entrée dans
Rome sur un char traîné par quatre de ces animaux, mais la porte de la
ville s'étant trouvée trop étroite, il fallut dételer. On croyait que
le nom de César signifiait éléphant en punique; voilà pourquoi
Jules César prit un éléphant pour emblème,
et, en souvenir de sa victoire sur Arioviste,
il fit frapper des deniers d'argent qui représentent un éléphant foulant
aux pieds le dragon germanique. Après la bataille de Thapsus, Jules César,
rentrant victorieux dans Rome, se fit précéder à la manière des Orientaux,
dans sa marche au Capitole, par quarante éléphants rangés sur deux rangs
et portant aussi des flambeaux avec leurs trompes .
L'empereur Gallien
en posséda encore dix au milieu du IIIe
siècle. Tous ces éléphants étaient,
sans aucun doute, tirés du nord de l'Afrique, et la preuve, c'est que
les médailles romaines représentent toujours des éléphants africains;
comme le montre la grandeur de leurs oreilles.
Après la conquête de l'Afrique par les
Romains, on peut dire que l'éléphant cessa de figurer dans les armées
de Rome, car les projets de Jules César, de Claude,
de Didius Julianus d'équiper des troupes
d'éléphants ne furent pas mis à exécution. On reconnut sans doute l'inconvénient
de ces animaux qui, lorsque l'ennemi était parvenu à les effrayer, se
retournaient et portaient le ravage dans les rangs de l'armée qu'ils avaient
mission de protéger. Des batailles furent gagnées ou perdues par suite
de cette trahison des éléphants affolés que leurs cornacs ou la troupe
des guerriers montés dans les tours ne réussissaient pas à ramener contre
le véritable ennemi. Les éléphants demandaient par ailleurs une intendance
lourde; ils ne pouvaient pas être élever, car d'une part les mères ne
portent que tous les quatre ans, et il fallait ensuite très longtemps
pour que le petit devienne utilisable à la guerre. Enfin, les éléphants
au combat effrayaient assurément les adversaires à la première rencontre,
mais l'effet de surprise passé, des parades étaient trouvées et ces
pauvres animaux se trouvaient être en définitive bien vulnérables.
Sous l'empire romain, l'éléphant
devient donc un animal de luxe et de parade. Caracalla
a des éléphants pour imiter Alexandre le
Grand. On les réserve surtout pour les jeux du cirque, les fêtes
publiques, les marches triomphales ,
et l'on ne songe pas à les rétablir dans l'armée, bien qu'en Orient
les légions romaines eussent sans cesse à lutter contre les éléphants
des Perses. Les empereurs qui triomphèrent des éléphants sassanides,
comme Sévère Alexandre,
Gordien;
Dioclétien, Julien même, eurent des chars
de triomphe traînés par ces animaux, ainsi que l'attestent, outre les
textes; le revers de nombreuses monnaies romaines.
Le Moyen âge
et les Temps modernes.
Les Byzantins
imitèrent les Romains; si Héraclius n'eut
pas d'éléphants de guerre, il triompha de ceux de Kosroès et parut Ã
Constantinople sur un quadrige d'éléphants.
Les éléphants donnèrent cependant aux Perses la victoire à Koufah sur
l'armée d'Abou Obéidah, en 661. Si
les Byzantins se servirent surtout des éléphants que dans les cirques
et les jeux publics, ils en introduisirent toutefois les images dans leurs
oeuvres d'art et c'est par là que le Moyen âge
occidental connut ces animaux. Sur l'une des étoffes de la châsse de
Charlemagne à Aix-la-Chapelle, oeuvre byzantine
du XIIe siècle,
sont brodés de superbes éléphants. C'est une référence à une démarche
du calife-Haroun
al Rachid, qui sollicitait l'alliance de Charlemagne,
et lui avait envoyé un éléphant qui arriva à Pise en 801
et que l'on conduisit à Aix-laChapelle, où il vécut jusqu'en 810.
On voit quelquefois aussi des éléphants dans les bestiaires et
les miniatures
des manuscrits. On possède, au cabinet des médailles de la Bibliothèque
nationale, une curieuse pièce de jeu d'échecs, en ivoire
sculpté, qui représente un éléphant portant sur son dos une tour crénelée,
sur la plate-forme de laquelle est un roi hindou assis à la mode orientale.
Conservé dans le trésor de la basilique
de Saint-Denis jusqu'à la Révolution,
ce roi d'échecs passait pour être un présent du calife
Haroun
al Rachid à Charlemagne : c'est, dans tous les cas, sûrement une
oeuvre orientale du IXe
siècle.
En 1222,
Frédéric II, de retour de la Croisade
et après avoir conclu la paix avec le soudan d'Égypte, ramena un éléphant,
et saint Louis en eut un autre qu'il donna au
roi d'Angleterre, Henri III. Trois
siècles après, lorsque les peuples de l'Europe occidentale, et en particulier
les Portugais eurent établi des relations avec le Sénégal et la côte
de Guinée, on revit l'éléphant en Europe. En 1514,
Emmanuel,
roi de Portugal ,
en envoya un au pape Léon X. La France n'en reçut un qu'en
1668;
il avait été rapporté du Congo et offert Ã
Louis
XIV par le roi de Portugal. Dans les décennies suivantes il en est
venu dans plusieurs occasions; et l'Angleterre en a reçu plus fréquemment
encore. Depuis son institution, la ménagerie du Muséum d'histoire naturelle
de Paris a reçu six éléphants d'Asie (4
mâles et 2 femelles); et 4 éléphants d'Afrique (2 mâles tout jeunes
et 2 femelles). Celui de ces animaux qui a vécu le plus longtemps, au
XIXe
siècle, est une femelle d'Afrique donnée
en 1825
par le vice-roi d'Égypte, morte en 1855.
Les
humains contre les éléphants
L'esclavage des
éléphants.
Les menaces d'extinction qui pèsent sur
les éléphants ne sont pas nouvelles. Et si aujourd'hui c'est surtout
la survie de l'Éléphant d'Afrique qui préoccupe, c'est de la préservation
de l'éléphant d'Asie dont on s'est d'abord préoccupé. La chasse des
Éléphants a été réglementée en Inde
par le gouvernement anglais dès le XIXe
siècle,
et c'est grâce à cette protection que l'espèce est encore représentée
sur le continent, comme à Ceylan, par de nombreux individus. Mais, ce
qui aura sauvé les éléphants d'Asie, et aura justifié leur protection,
c'est leur utilisation pour les travaux de force. Il n'est pas négligeable
aujourd'hui dans certaines campagnes; il était essentiel dans les siècles
passés dans tout le Sud-Est de l'Asie.
On peut les dresser à tous les ouvrages
qui exigent à la fois de la force et de l'adresse, à porter des fardeaux
tels que des poutres, à traîner des chariots ou même la charrue, etc.
Pour charger une poutre, l'Éléphant se sert de sa trompe et place ce
fardeau en équilibre sur ses défenses, qui peuvent soulever jusqu'Ã
500 kilogrammes, mais non très longtemps. Sur le dos, un Éléphant peut
transporter de 1000 à 1 250 kg sur un parcours de 60 à 80 kilomètres.
Lorsqu'il doit transporter des voyageurs,
on place sur son dos une sorte de palanquin solidement assujetti par des
sangles et qui peut contenir deux ou trois personnes assises. Le cornac
se place à cheval sur le cou de l'animal et le dirige de la voix en s'aidant
d'un aiguillon fourchu, dont l'une des pointes est rabattue en forme de
crochet. C'est une monture désagréable en raison du roulis que son allure
ordinaire, l'amble, imprime au palanquin. Cependant tous les princes et
les gens des hautes castes de l'Inde
se servaient de cette monture; non seulement pour voyager, mais encore
pour chasser le tigre, un de leurs plus dangereux divertissements. La hauteur
de cette monture donnait aux chasseurs plus de sécurité que le dos d'un
cheval. Au Siam, on leur faisait aussi remplir le rôle du bourreau en
écrasant sous leur lourde patte le corps des condamnés à mort.
Les éléphants se sont révélés très
utile pour traverser les montagnes, car leur pied large et sûr leur permet
de monter avec aisance; la descente est plus difficile, mais ils en éludent
les difficultés en s'agenouillant des pattes de derrière et se laissant
glisser avec adresse, le ventre contre le sol, jusqu'Ã ce que ses pattes
de devant rencontrent un appui sûr. Tous les princes asiatiques, ainsi
que la Compagnie anglaise des Indes
orientales, entretenaient à l'époque coloniale un grand nombre d'éléphants
dressés.
Les éléphants ont eu, comme on l'a vu,
dans l'histoire militaire de l'Antiquité un rôle considérable. Dans
les temps modernes, ces animaux ont été utilisés à la guerre, mais
seulement pour porter des bagages et de l'artillerie. En 1868,
l'armée anglaise marchant contre le roi d'Abyssinie ,
Théodoros, débarqua sur la côté occidentale de la mer Rouge quarante-cinq
éléphants asiatiques qui permirent à cette armée de transporter ses
munitions et sa grosse artillerie à travers les montagnes et jusque sur
le haut plateau où Théodoros s'était retranché dans la forteresse de
Magdala .
Au début du XXe
siècle, l'armée anglaise de l'Inde possédait encore mille
éléphants d'artillerie; chaque pièce était traînée par deux éléphants
attelés en flèche.
-
On a bien sûr songé à utiliser les
éléphants en Europe; on s'est dit, au XIXe
siècle, qu'un seul éléphant traînerait les lourds omnibus
et les tramways à travers les rues encombrées des grandes villes, avec
autant d'aisance et beaucoup plus de sécurité que trois ou quatre chevaux.
Mais la raison qui s'est opposée à l'utilisation de cette puissante force
motrice était ici encore économique : l'énorme quantité de nourriture
nécessaire à l'éléphant aurait rendu ce mode de locomotion très coûteux.
De plus il aurait fallu ajouter le prix du transport depuis l'Asie, car
l'élevage de l'éléphant sur place aurait été prohibitif; il est d'ailleurs
exclu même en Asie. En effet, bien que l'on ait de nombreux exemples d'éléphants
s'étant reproduits en captivité, les différentes espèces n'ont jamais
été complètement domestiquées, et c'est parmi les Éléphants sauvages
que l'on va toujours chercher les individus que l'on utilise ensuite, en
Inde ,
comme animaux domestiques. L'éléphant est pratiquement le seul animal
domestique dont l'humain n'ait pas complètement détruit la souche sauvage
originelle. Cette exception s'explique par la croissance très lente de
l'éléphant, l'énorme quantité de nourriture dont il a besoin et la
facilité avec laquelle il se laisse apprivoiser. Il est donc plus économique
de laisser à la nature le soin de son élevage et de n'enlever l'animal
à sa forêt natale que lorsqu'il est d'âge à rendre des services, c.-à -d.
lorsqu'il est à peu près adulte, vers l'âge de vingt ans. Il peut d'ailleurs
vivre soixante-dix ans et plus.
-
Eléphants
en Inde.
Lorsque l'on veut se procurer de ces animaux,
on opère de grandes battues dans les forêts qu'ils habitent en poussant
les éléphants vers un enclos formé de solides palissades et ouvert d'un
seul côté. Lorsque tout le troupeau, ainsi cerné, s'est jeté de lui-même
dans cette enceinte on en ferme l'ouverture et l'on y fait entrer des éléphants
domestiques spécialement dressés dans ce but et qui, montés et dirigés
pas leur cornac, savent avec une adresse et une astuce véritablement surprenante,
aider à la capture de leurs frères sauvages. On passe à ceux-ci un noeud
coulant qui leur serre solidement l'un des pieds de derrière et on attache
solidement au tronc d'un arbre : la faim, les privations, les brimades
diverses font le reste, si bien qu'au bout de six mois l'animal peut être
monté et employé aux mêmes travaux que les éléphants réduits en domesticité
depuis de longues années.
Le commerce de
l'ivoire.
Dans son malheur, l'éléphant d'Asie
aura eu plus de chance que celui d'Afrique, qui a déjà disparu depuis
longtemps du Nord de l'Afrique, où les Égyptiens et les Carthaginois
l'avaient domestiqué, comme nous l'avons dit, avant l'ère chrétienne.
Il a disparu de l'Afrique australe, où les colons hollandais et anglais
n'ont pas su tirer parti de ses services, malgré l'exemple des Anciens
et de l'Inde
moderne, et n'ont vu en lui qu'un animal malfaisant et bon à détruire.
Et même si au cours des deux dernières décennies du
XIXe
siècle, à l'époque où les Européens cherchaient Ã
fonder des établissements sur tous les points de l'Afrique, on a encore
envisagé (en particulier au Congo belge) de reprendre les essais de domestication,
appliquant le régime qui a toujours réussi en Inde, les résultats n'ont
pas été concluants. En fait dès cette époque, l'espèce avait un autre
intérêt, qui entraînait l'énorme destruction que l'on faisait chaque
année de celle-ci, uniquement pour se procurer l'ivoire
de ses défenses. Chacune de ces défenses cependant pèse, en moyenne,
30 Ã 32 kilogrammes.
Le Sénégal, les rives de la Gambie et
la côte du Grand Bassam étaient les points où le commerce avait le plus
d'activité, et il provoquait les chasses actives que l'on faisait aux
éléphants de ces contrées. L'industrie du travail de l'ivoire
a été très florissante en France où Dieppe était un des centres de
cette industrie, et surtout en Angleterre : la seule ville de Sheffield
reçoit chaque année à la fin du XIXe
siècle quarante-six mille défenses, représentant vingt-trois
mille éléphants,
Les molaires
de l'éléphant étaient sciées en plaques minces et employées par les
peintres de miniatures .
Quant aux sculptures
sur ivoire, c'est avec les défenses
qu'on les exécutait. Pour la confection des dentiers artificiels, l'ivoire
des canines
de l'hippopotame, celui des grandes défenses du morse, étaient plus estimés
que celui de l'éléphant; ces ivoires sont durs et serrés de grain, mais
si celui de l'hippopotame ne jaunit pas, celui du morse jaunit au contraire
très vite. En calcinant l'ivoire en vase clos on en faisait un corps noir
velouté, qui est du charbon très fin, connu sous le nom de noir d'ivoire
ou noir de velours. Les Arabes, en le calcinant en vase ouvert, en tiraient
une substance blanche, nommée spode ou spodium, qui était
du phosphate de chaux presque pur. Les os
compacts étaient aussi employés pour les objets communs aux mêmes usages
que l'ivoire; c'est-Ã -dire pour la confection des manches de couteaux
et de menues brosses, des ronds de table, chapelets, peignes, petits objets
tournés. Les boules de billard, les jeux d'échecs étaient presque exclusivement
faits en ivoire.
Dès cette époque, quelques esprits se sont
montrés effrayés de cette rapide extermination atteignant un animal dont
la croissance est si lente et dont la femelle ne reproduit que tous les
quatre ans. On en appelait déjà à réglementer la production de l'ivoire ,
qui n'était que du gaspillage, car, expliquait-on, les procédés en usage
conduisaient fatalement et rapidement à la disparition complète de l'animal
qui le produit. Cette première alerte n'a eu aucun écho. Au cours du
XXe siècle,
la chasse intensive n'a fait qu'accélérer la mise en danger l'éléphant
d'Afrique. Dans les années
1970, un
braconnage sans frein a accentué encore cette menace, et a conduit Ã
limiter, puis interdire complètement, sous les auspices
de la CITES (Convention sur le commerce international des espèces de faune
et de flore sauvages menacées d'extinction) à partir de septembre 1989,
le commerce international de l'ivoire. Une interdiction efficace, mais
qui a connu des entorses depuis 1997,
avec l'autorisation de vente au Japon de l'ivoire collecté (légalement)
au Zimbabwé, au Botswana et en Namibie, puis en Afrique du Sud.
-
Une
procession d'éléphants à Delhi, au début du XXe siècle.
La
science des éléphants
Beaucoup de voyageurs et même de naturalistes,
heureux d'avoir à parler d'êtres aussi merveilleux, ont adopté trop
facilement les récits mensongers ou exagérés qu'ils avaient recueillis,
et longtemps l'histoire des éléphants a tenu du roman plus que de la
vérité.
Les Anciens et
les Modernes.
L'ivoire des éléphants
a été connu bien avant que l'on sût de quels animaux il provenait. Il
en est plusieurs fois question dans la Bible ,
où il est désigné sous le nom de sissabim (les Rois, liv.
III, chap. x). Hérodote est le plus ancien
des auteurs grecs qui aient parlé des éléphants. Il les cite, ainsi
que les lions et quelques autres animaux, parmi les productions de la Libye
orientale; toutefois ce ne fut guère qu'à l'époque d'Alexandre
que les Européens eurent à leur égard des renseignements un peu exacts.
Aristote parle longuement des éléphants. C'était
l'éléphant de l'Inde
(Elephas maximus) qu'on découvrit donc d'abord en Grèce, dans la deuxième
moitié du IVe
siècle avant notre ère; il était (jusqu'Ã
l'époque de Cuvier, qui distinguera l'Elephas
indicus et l'elephas africanus), regardé; comme identique avec l'éléphant
africain (Loxodonta africana). La description qu'en fait Aristote est,
au jugement de Cuvier, plus exacte que celle que fera beaucoup plus tard
Buffon. Ce qui le frappa d'abord, c'est ce nez
allongé qu'on appelle la trompe .
« Le nez
de l'éléphant est, dit Aristote, fait de manière
et tellement allongé qu'il lui sert de main ;
il porte ainsi à la bouche son boire et son manger; en le relevant, il
le tend à son conducteur comme une main; il s'en sert pour arracher des
arbres ,
et lorsqu'il traverse un fleuve, il le tient élevé au-dessus des eaux
pour respirer; étant cartilagineux, ce nez se courbe facilement par son
extrémité. » (Aristote, Histoire des Animaux, II,I) .
C'est ce qui fera dire
à Buffon que
« l'éléphant
a le nez dans la main, et qu'il est le maître de joindre la puissance
de ses poumons à l'action de ses doigts. »
Aristote a manqué de
faire mention d'une sorte de doigt qui termine la trompe et qui permet
à l'animal de toucher et de saisir les plus petits objets. C'est avec
raison qu'il donne le nom de dents ,
et non celui de cornes, aux deux défenses
qui sortent de chaque côté de la trompe et qui sont de véritables incisives .
Hérodote
a dit le premier que l'ivoire
est la matière fournie par ces dents. Aristote
est encore dans le vrai quand il dit que l'éléphant a cinq doigts
à chaque pied, que leur division est peu sensible et qu'on n'y remarque
pas d'ongles .
Son aspect rugueux lui fit dire que l'éléphant est le moins velu des
quadrupèdes
(mammifères ).
Buffon
admettra, sur le rapport des historiens et des voyageurs, que
« les éléphants
ne produisent jamais dans l'état de domesticité. »
Cette assertion est
absolument contredite par l'expérience, déjà comme des Anciens;
Elien
(liv. 11, chap. XI), Columelle (liv. III, chap.
VIII) disent positivement que du temps du Néron
on possédait à Rome des éléphants nés dans cette ville en domesticité
et qu'on profitait de leur jeune âge pour les dresser à mille tours d'adresse.
Ce que Buffon dit de la pudeur des éléphants
qui
« en se
livrant à l'amour craignent surtout les regards de leurs semblables »,
est évidemment une
pure fiction poétique. Aristote avait déjÃ
fait remarquer que l'incertitude qui règne sur certains détails vient
de ce que ces animaux s'accouplent dans des lieux solitaires. Contrairement
à l'opinion d'Aristote, Buffon et ses collègues
de l'Académie ont affirmé que l'éléphant
nouveau-né tète avec la trompe et non avec la bouche. Cependant Aristote
avait raison : des observations postérieures à celles de Buffon et de
ses collègues ont démontré que l'éléphant nouveau-né tète avec la
bouche et non avec la trompe.
Les Anciens ont également
raconté des faits nombreux des l'intelligence des éléphants et en cela
ils n'ont pas été contredits par les modernes, qui ont repris la question
de plus haut. Ils ont montré que, si l'on compare le cerveau à le masse
du corps, l'éléphant est de tous les mammifères celui qui a le cerveau
le plus petit, et que la souris est celui qui l'a le plus grand. Certainement
si l'on compare cerveau à cerveau, on trouve que l'éléphant est le mammifère
qui a le cerveau le plus grand (le cerveau de l'éléphant est à peu près
le double de celui de l'humain).
« Mais,
disait Flourens, ce n'est ni l'un ni l'autre
de ces deux modes de comparaison qui donne le rapport de l'intelligence
aux autres facultés. Pour avoir ce rapport, il faut comparer le cerveau
proprement dit, organe exclusif de l'intelligence, aux autres parties de
l'encéphale. » (note de Flourens, dans son édition de Buffon,
t. III).
On avait traité de
fable ce que Pline avait dit de la crainte que
l'éléphant aurait des rats.
« Le fait,
affirme Cuvier, est très exact; nos éléphants
de la ménagerie tremblent à la vue d'une souris. »
Aura-t-on, après cela,
des doutes sur l'intelligence des éléphants? car ne pas jauger un adversaire
à sa taille, c'est déjà plus que de l'intelligence, c'est déjà de
la sagesse!
Les éléphants
fossiles.
On trouve en Europe
et dans le nord de l'Asie un grand nombre de débris d'éléphants fossiles
qui appartiennent à diverses espèces perdues. Pendant longtemps ces ossements
ont été attribués à des géants
des temps héroïques, que l'imaginait avoir précédé les temps historiques,
et l'on a ainsi trouvé des os d'éléphants suspendus dans les églises
comme des reliques de ce genre; ces fables n'ont cédé que peu à peu
à une connaissance plus exacte des faits. G. Cuvier
(Ossements fossiles) a fait une longue et minutieuse étude des
débris de ce genre. Il a reconnu qu'on trouvait abondamment des ossements
d'éléphants fossiles dans toutes les parties de l'Italie, en Grèce,
sur presque tous les points de la France, dans toute la vallée du Rhin,
par toute l'Allemagne, dans les îles
Britanniques, en Scandinavie, et la Russie européenne
et asiatique en est véritablement couverte.
On doit à l'illustre
naturaliste Simon Pallas, d'avoir fait connaître
en Europe les mammouths, Ã la fin du XVIIIe
siècle. Les restes fossiles de ces animaux
ont été trouvées d'abord en Sibérie
dans le pays des Ostiaks, des Toungouses ,
des Samoyèdes et des Bouriates, sur les bords de l'Obi, de l'léniséi
et de la Léna, entre le 58° de latitude nord et la mer Glaciale. Lorsque
des plages sablonneuses dégèlent, on découvrait (et on découvre encore)
des montagnes entières de dents gigantesques, auxquelles sont mêlés
d'énormes os. Parfois, ces dents étaient solidement implantées dans
les mâchoires; on en a même rencontré qui étaient entourées de chair
encore sanglante, de peau et de poils.
Les Ostiak nommaient
cet animal mammont, mamnout ou mammouth; ils disaient qu'il
était de taille énorme, haut de 2 à 3 mètres; qu'il avait une tête
longue et large, des pieds semblables à ceux de l'ours; et, comme ils
n'en avaient jamais vu de vivant, ils ajoutaient qu'il habitait sous terre;
que dans ses promenades souterraines il sortait, parfois sa tête et la
retirait immédiatement, parce que la lumière lui était nuisible; qu'il
se nourrissait de vase, et mourait dès qu'il était sur un sol sablonneux;
car il n'en pouvait retirer ses pieds; qu'il périssait aussi dès qu'il
arrivait à l'air. C'est ce qu'écrivait d'ailleurs déjà Ides,
qui, dans une ambassade en Chine ,
en 1692,
entendit parler de ces dépôts d'ossements.
La première découverte
véritablement spectaculaire dont les mammouths ont été l'objet, fut
faite par Adams, à l'embouchure de la Léna. Ayant appris que l'on avait
trouvé un mammouth avec sa peau et ses poils, Adams partit aussitôt pour
aller sauver ces débris précieux, et se joignit au chef toungouse Ã
qui la trouvaille était due. L'homme avait découvert l'animal en 1799,
mais il n'y avait pas touché, car les Anciens racontaient que sur la même
presqu'île on avait autrefois trouvé un pareil monstre, et que ce fut
un malheur pour la famille de celui qui le rencontra elle périt tout entière.
Ce récit effraya le Toungouse au point qu'il en fut malade. Cependant
les énormes défenses de l'animal excitaient sa convoitise, et il résolut
de se les procurer. En mars 1804,
il les céda toutes deux et les échangea contre des marchandises de peu
de valeur.
Adams fit son voyage
deux ans plus tard; il trouva l'animal à la même place, mais déchiré.
Les Iakoutes en avaient enlevé la chair pour en nourrir leurs chiens.
Les isatis, les loups, les gloutons, les renards s'en étaient nourris.
Le squelette, à l'exception d'un des pieds de devant, était entier. Une
peau sèche recouvrait la tête. L'oeil et le cerveau existaient encore.
Les pieds avaient leurs callosités. Une oreille, recouverte de poils soyeux,
était également bien conservée. Les trois quarts de la peau existaient.
Cette peau
avait une couleur gris foncé; le duvet en était roux, les soies noires
et plus épaisses que des crins de cheval. Adams ramassa ce qu'il put.
Il dépouilla l'animal, et dix hommes purent à peine enlever la peau.
Il fit ramasser tous les poils qui se trouvaient à terre, et en obtint
ainsi 17 kilogrammes Le tout fut envoyé à Saint-Pétersbourg, et n'y
arriva pas sans dégradation, la peau avait perdu tous ses poils; néanmoins,
grâce aux soins et à la persévérance de ce naturaliste, le fait était
mis hors de doute. Les plus longs poils étaient ceux du cou; ils mesuraient
plus de 70 centimètres de long. Tout le reste du corps était couvert
d'une fourrure abondante, preuve irrécusable que le mammouth était destiné
à habiter un pays froid. Ses défenses étaient bien plus recourbées
que celles des éléphants actuellement vivants (il en est qui représentent
les trois quarts d'un cercle). Adams en vit qui avaient 7 mètres de long.
D'autres proboscidiens fossiles, plus différents
des éléphants actuels que les mammouths ont également été trouvés.
Parmi eux, les mastodontes. C'est surtout en Amérique que l'on a découvert
des débris de mastodontes, dont certains sont d'ailleurs plutôt des mammouths.
Une espèce, l'animal de l'Ohio (Mastodon giganteus), est connue depuis
le XVIIIe siècle.
Baston raconte qu'en 1761, des Indiens
trouvèrent cinq squelettes de mastodonte ayant, d'après leur récit,
de longs
nez et une bouche au-dessous de celui-ci.
Kalm parle d'un autre squelette trouvé par
un Indien, et auquel on pouvait encore reconnaître la trompe. Ces faits
purent faire croire quelque temps que le mastodonte vivaient encore en
Amérique. Il n'en est rien, mais chez les Amérindiens, plusieurs mythes
ont eu cours au sujet de cet animal gigantesque.
On l'appelle le Père des boeufs, on croyait qu'il avait vécu avec
des hommes d'une taille proportionnée, et que les uns et les autres avaient
été tués par les foudres du Grand-Esprit. Les indigènes de la Virginie,
avant même l'indépendance des États-Unis ,
racontaient que
le Grand-Esprit
frappa de sa foudre tout le troupeau de ces êtres gigantesques, car ils
détruisaient les cerfs, les bisons et autres animaux destinés à servir
à l'humain; l'un d'eux reçut plusieurs traits de feu sur sa tête et
les secoua, mais enfin il fut atteint au flanc, et il se précipita dans
la grande mer, où il vit éternellement.
Avec le temps, les paléontologistes
ont disposé de bien d'autres sortes de fossiles liés de près ou de plus
loin aux éléphants actuels. Le dinothérium, par exemple, est genre de
proboscidiens
fossiles introduit par Kaup, en 1837,
sur un crâne de dimension colossale (plus de 1 m de long), découvert
dans le miocène supérieur d'Eppelsheim, près de Darmstadt. Cette découverte
permit de rapporter à ce nouveau genre des molaires
isolées précédemment décrites par Cuvier sous,
le nom de Tapir gigantesque. Les naturalistes ont longtemps hésité sur
la véritable place de ce type dans leurs classifications,
et certains caractères du crâne
(dépression de l'occiput ,
large ouverture des fosses nasales,
forme des os
incisifs et des fosses oculaires et temporales, disposition des défenses
de la mâchoire inférieure, etc.), avaient porté Pictet
et d'autres naturalistes à rapprocher ce genre des Lamantins
et à le classer dans l'ordre des Siréniens
ou herbivores
marins. Mais la découverte des os des membres, dans les mêmes couches
géologiques, est venue prouver que le Dinotherium avait les pattes conformées
comme celles des Mastodontes et des Éléphants, bien qu'on puisse le considérer
comme un animal amphibie à la manière de l'Hippopotame.
Quand les conceptions
évolutionnistes ont été admises, parallèlement au travail d'inventaire
déjà bien avancé des espèces apparentées aux éléphants, l'étude
de leurs rapports généalogiques a été abordée. Cope, dans les années
1870,
donnait ainsi pour le groupe des proboscidiens le tableau phylogénétique
suivant (les actuels genres Mammuthus et Loxodonta étant regroupés au
sein du genre Elephas) :
-
L'arbre généalogique des éléphants
s'est considérablement perfectionné au cours du XXe
siècle. On ne peut entrer ici dans les détails, mais on notera
simplement que les Mastodontes ne sont plus considérés comme des ancêtres
directs des éléphants, mais comme formant (à l'instar des Dinothériums)
une série séparée; et on soulignera par ailleurs que l'on a renoué
finalement avec certaines des anciennes idées agitées à l'époque de
la découverte des Dinotheriums, qui avaient conduit à rapprocher les
proboscidiens des Siréniens, deux ordres, qui avec celui des Desmostyliens
(disparu au Miocène) forment le groupe de Thethythériens. (E.
Babelon / F. Hoefer / A.-E. Brehm). |
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