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Bartolomé de Las Casas

Bartolomé de Las Casas ou de Casaus est un célèbre missionnaire et écrivain né à Séville en 1474, mort à Madrid en juillet 1566. Ses ancêtres, apparentés aux vicomtes de Limoges, étaient établis en Andalousie depuis le XIVe siècle; deux membres de la famille, Alfonso et Guillen, avaient été rois des Canaries au XVe siècle; son père Francisco, ayant accompagné Christophe Colomb dans son second voyage (1493), reçut, dans l'île d'Haïti, une concession que Bartolomé alla administrer (1502), après avoir fait ses études à l'Université de Salamanque, mais en 1510 il fut ordonné par l'évêque de Saint-Domingue (Haïti) et il affirmait avoir été le premier à recevoir la prêtrise dans le nouveau monde. 

Appelé à Cuba par Diego Velasquez (1512), il accompagna Narvaez comme aumônier dans l'expédition à Camagüey, s'interposa souvent entre les soldats et les indigènes, se fit aimer de ceux-ci et accepta néanmoins (1514) une répartition de terres et d'indiens sur le bord de l'Arimao, près de Xagua; mais bientôt, voyant la rapide extinction des naturels astreints aux plus rudes travaux, il rendit la liberté à ceux qui lui avaient été attribués et partit pour l'Espagne, afin de faire connaître au roi les cruautés des conquistadores et la dépopulation des nouvelles colonies (1515). Par ses ardentes sollicitations, ce simple clerigo de las lndias, comme on l'appelait, obtint des représentants de Charles-Quint des ordonnances en faveur des Indiens; de plus, il fut nomme procurador ou protector universal de todos los indios, avec un traitement annuel de 100 piastres, et adjoint comme conseiller aux pères Hiéronymites chargés du gouvernement des Indes (1516). Bartolomé de las Casas  repartit avec eux pour Haïti, mais il ne put améliorer le sort de ses protégés et dut retourner en Espagne (1517), où il gagna les bonnes grâces du grand chancelier Jean Sauvage. 

Chargé de réformer la législation des Indes, il proposa quelques bonnes mesures ; mais il eut le tort, et il s'en repentit bientôt, de généraliser la substitution d'esclaves Noirs aux serfs indigènes. Avec l'appui des conseillers flamands de Charles-Quint, qui le nomma son chapelain, il fit reconnaître, malgré l'opposition du conseil des Indes, que les naturels devaient être traités en humains libres et en chrétiens; comme il prétendait pouvoir les soumettre par la seule prédication et par une colonisation pacifique, la province de Paria (c.-à-d. presque tout le Venezuela actuel) lui fut concédée (1520), avec la faculté de créer cinquante chevaliers pour s'en faire de zélés collaborateurs. Il emmena trois cents laboureurs dont une partie le quittèrent dans les Antilles, s'associa avec des colons d'Haïti et alla s'établir sur les bords du Cumana. Mais le mauvais vouloir des conquérants qui l'avaient précédé et les excès de ses propres compagnons attirèrent sur eux les représailles des Indiens; pendant un voyage qu'il fit à Saint-Domingue, une partie d'entre eux furent massacrés et les autres durent se réfugier dans l'île de Cubagua. 

La ruine de ses projets lui fit sentir la nécessité de s'appuyer sur un ordre puissant, qui pût l'aider à les réaliser plus tard; comme les dominicains de l'Observance s'étaient hautement prononcés en faveur des Indiens, il fit profession dans leur monastère de Saint-Domingue (1523). Étant en Espagne en 1530, il fit proclamer par le gouvernement que les indigènes du Pérou étaient de condition libre et il alla le notifier aux conquérants de ce pays, Almagro et les Pizarro (1532). A son retour, il fonda le couvent des dominicains à Guatemala (1534) et, avec quelques-uns d'entre eux, notamment le P. Luis Cancer, il entreprit de pacifier, en l'évangélisant, la région montueuse de Tuzulutlan, surnommée Tierra de guerra, parce que les conquérants n'avaient pu la réduire par les armes, et par la suite appelée Vera Paz, lorsque les efforts des missionnaires eurent été couronnés de succès (1537); ils réunirent à Rabinal cent familles de néophytes, puis ils s'occupèrent de la conversion des Indiens de Coban; après quoi, le clergé de Guatemala les chargea d'aller recruter des missionnaires en Espagne (1539). 

Cancer en ramena des franciscains (1541); quant à Las Casas, retenu à Séville par le cardinal G. de Loaysa, président du conseil des Indes, il prit une part active à la confection des Nuevas Leyes para la gobernacion de las Indias y buen tratamiento y conservacion de los indios promulguées en 1543 (éditées à Alcala, 1543 ; à Madrid, 1585; à Valladolid, 1603, et dans Coleccion de documentos para la historia de México, publiée par J.-G. Icazbalceta, Mexico, 1866, t. I, pp. 204-236, in-4). Après avoir refusé le siège de Cuzco, Bartolomé de Las Casas fut nommé évêque du Chiapas (1542), mais ne put s'y rendre que deux ans plus tard, après avoir été consacré à Séville (1544). A son arrivée en Amérique, il fut très mal accueilli des colons qui se disaient ruinés par l'affranchissement des Indiens; en butte à la haine du président de l'audience de Guatemala, dont la famille possédait plus de soixante mille serfs indigènes, il dut recourir aux grands moyens pour faire respecter les ordonnances libératrices, et refuser l'absolution aux propriétaires d'esclaves; ses diocésains ne voulant ni le reconnaître, ni lui payer la dîme, ni même lui vendre d'aliments, il dut transporter son siège de Ciudad Real de San Cristobal à Chiapa, au milieu des Indiens, et même quitter son diocèse (1546). En passant par Mexico, il y soutint à l'assemblée ecclésiastique les doctrines qui lui étaient chères, puis il retourna en Espagne (1547) pour n'en plus sortir. 

Au colloque de Valladolid (1550), il eut à combattre les théories esclavagistes de l'historiographe royal Ginés de Sepulveda et, à cette occasion, il publia en espagnol un résumé de la controverse (Séville, 1552 ; Barcelone, 1646 ; Paris, 1697 ; ib., 1822, dans l'édition et la traduction des Oeuvres de Las Casas par Llorente). Son tempérament fougueux et son zèle souvent inconsidéré lui avaient suscité tant d'ennemis, même parmi les ecclésiastiques, qu'il se vit dans l'impossibilité de remplir ses devoirs épiscopaux; il résigna donc son évêché en 1550 et vécut soit dans la retraite au collège dominicain de San-Gregorio à Valladolid, où il composa nombre d'ouvrages, soit dans les diverses résidences royales où ses fonctions de procureur général des Indiens n'étaient pas une sinécure. Il plaida la cause de ces opprimés, non seulement de vive voix, mais encore dans une douzaine d'opuscules en espagnol ou en latin, dont neuf furent publiés à Séville en 1552 et 1553; six réimprimés à Barcelone en 1646; quelques-uns dans ses Oeuvres éditées par D. Llorente (Paris, 1822, 2 vol. in-8), ou ailleurs. Il y expose avec la plus grande franchise, et parfois même avec exagération, les abus du gouvernement colonial, les cruautés des conquérants, les injustices dont les princes dépossédés et les peuples soumis étaient victimes; il proclame leurs droits à la liberté et à la propriété; déclare qu'ils doivent relever directement de la couronne et que ni leurs terres ni leurs personnes ne peuvent être aliénées au profit de commandeurs ou feudataires. Il ose même affirmer que le roi ne peut établir d'impôts sans le consentement des contribuables. Ce libéralisme et cette hardiesse de langage ne déplaisaient pas à Philippe Il qui continuait à le soutenir après son avènement et qui le faisait loger à la cour. 

Son argumentation scolastique et très serrée, basée sur Ia Bible et le droit civil et canon qu'il possédait à fond, est parfois très chaleureuse; il ne recule devant aucune conséquence, pas même devant l'émancipation immédiate des serfs indiens, qui eut totalement ruiné les colons. Ses ouvrages eurent un immense retentissement, même à l'étranger; les adversaires de la domination espagnole y puisaient à pleines mains des charges accablantes pour les conquistadores et aussi pour le gouvernement que ses bonnes intentions et ses sages ordonnances, par trop mal appliquées, ne suffisent pas à justifier. Aussi Las Casas trouva-t-il parmi ses compatriotes des contradicteurs dont les plus célèbres sont Sepulveda et Bernardo de Vargas Machuca, mais non, comme on l'a cru, Motolinia, car la Lettre à Charles-Quint (1554), qui lui est attribuée, ne peut être de lui, étant en complète contradiction avec son Historia de los Indios; aussi A.-M. Fabié en conteste-t-il l'authenticité. Le plus célèbre des opuscules que publia Las Casas est la Brevisima relation de la destruycion de las Indias (Séville, 1552; plusieurs fois réimprimée; version différente éditée par A. Fabié dans Coleccion de documentos inéditos para la historia de España, par le marquis de la Fuensanta del Valle; Madrid, 1879, t. LXXI, pp. 1199, in-8), traduit en flamand, en hollandais, en français (Paris, 1578, 1582, 1697, 1822; Francfort, 1597), en anglais, en allemand, en latin et en italien.

Ses deux ouvrages les plus importants pour nous ne furent pas imprimés de son vivant; c'est d'abord l'Historia de las Indias, dont il commença à s'occuper dès 1527; mais sa première rédaction fut perdue avec la plupart de ses papiers; la seconde commencée en 1552 devait se composer de six décades; on n'en connaît plus que trois relatives aux années 1492-1520 et terminées en 1561; il est probable que son grand âge l'empêcha de la poursuivre jusqu'à sa mort, comme il en avait manifesté l'intention. En la léguant au collège de San-Gregorio (1559), il défendit de la laisser lire avant 1600, mais si elle fut communiquée auparavant à Herrera qui lui a fait de fréquents emprunts, elle n'a été publiée qu'au XIXe siècle à Madrid par le marquis de la Fuensanta del Valle (187576, 5 vol. in-8) et à Mexico par J.-M. Vigil (1877-78, 2 vol. in-4). 

Pour les événements des années 1502-1520, elle a l'importance de mémoires contemporains, puisque l'auteur connaissait personnellement la scène et la plupart des auteurs; pour les années antérieures il s'appuie sur la vie de Christophe Colomb par son fils Fernando. Non content d'y faire le procès des conquérants, il se proposait d'y joindre une apologie de ses chers protégés, en exposant les avantages et les beautés de leur pays, ainsi que leurs qualités, la raison de leurs lois, de leurs coutumes et même de leur religion; en un mot, il voulait montrer, malgré les dénégations de graves personnages, que ces pauvres opprimés étaient des êtres intelligents. Mais ce travail prit de si vastes proportions (267 chapitres en 830 pp. in-fol.) qu'il dut le détacher et en faire un ouvrage à part intitulé Historia apologética de las Indias. L'original, communiqué avec quatre autres volumes de Las Casas à l'historien J.-B. Munoz, fait partie des papiers de ce dernier conservés à la bibliothèque de l'Académie de l'histoire d'Espagne.

L'autorité de Las Casas a été grande : il avait habité, parcouru ou étudié, non seulement les Antilles, mais encore le Mexique, l'Amérique centrale, le Venezuela et le Pérou. Quoique ses phrases interminables soient souvent embrouillées, son style ne manque pas de charme et ses histoires sont au nombre des plus précieux documents hispano-américains. (Beauvois).



Bernard Lavallé, Bartolomé de las Casas. Entre l'épée et la croix, Payot, 2007. - Héraut de la lutte pour les droits de l'homme et défenseur incontournable de la cause des Indiens d'Amérique latine, Bartolomé de Las Casas (1484 ?-1566) reste largement connu du grand public par-delà les frontières du monde ibérique. À Saint-Domingue et à Cuba, où ce jeune Sévillan débute comme colon puis comme prêtre, les conditions terribles de travail forcé des indigènes éveillent peu à peu sa conscience. Nommé «protecteur universel» des Indiens par le futur empereur Charles Quint, le tout nouveau moine dominicain s'engage alors dans une bataille d'un demi-siècle, marquée par quelques cuisants échecs et par de multiples voyages entre les deux continents, d'Espagne au Nicaragua, au Guatemala et au Mexique. Si la mise en pratique de ses idées de colonisation et d'évangélisation pacifiques, exprimées dans des traités d'une force exceptionnelle, se révèle décevante du fait de son intransigeance, la controverse de Valladolid (1550) confère, grâce à lui, aux Amérindiens tous les droits attachés à leur humanité. La ténacité et le dévouement qui marquent l'engagement de Las Casas en ont fait un mythe qui a volontiers poussé ses biographes vers l'hagiographie. Attentif aux dynamiques et aux mentalités de l'époque, Bernard Lavallé rappelle combien cet utopiste appartient à un Nouveau Monde d'avant la conquête des grands empires. Il s'attache surtout à prendre le pouls d'une Espagne où font rage des luttes de pouvoir et d'une jeune Amérique où s'épuise le modèle de colonisation en vigueur et qui se construit dans la douleur. (couv.).
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