| Les premières colonies Colonies éoliennes. Les plus anciennes colonies sont, dit-on, celles des Éoliens. Il n'y a pas de raisons de mettre en doute ce témoignage. Partant du canal de l'Euripe, ils suivirent la route du Nord, longèrent la côte : beaucoup durent s'arrêter en Thrace, à Aenos, à l'embouchure de I'Hèbre (Maritza), à Sestos sur l'Hellespont. D'autres le franchirent, se répandirent le long du détroit sur le continent asiatique. Ils conquirent la presqu'île de l'Ida, centre de la puissance des Dardaniens. E. Curtius a supposé que la légende de la guerre de Troie pourrait avoir été inspiré par ces guerres. Il est plus vraisemblable que la puissance des Dardaniens avait déjà été brisée par les Achéens et que les colons qui fuyaient devant l'invasion des montagnards hellènes du Nord ne se heurtèrent pas en Asie Mineure à un état compact. L'ancienne Troade devint éolienne; la Mysie maritime fut comprise à son tour, et la grande île de Lesbos. Dans celle-ci purent débarquer des navires venant directement d'Eubée à travers la mer Egée. Les deux étapes principales de la colonisation éolienne furent l'occupation de Lesbos et la fondation de Cumes ou Kyme. La légende les attribuait l'une et l'autre à des descendants des Pélopides; Cras, arrière-petit-fils d'Oreste, aurait conquis Lesbos, Kleuas et Malaos, fondé Cumes et assis la domination éolienne sur les rives du Caïcus. La conquête des territoires de l'intérieur, dans lesquels les Éoliens s'avancèrent assez loin de la mer, donna lieu à des luttes acharnées et la population nouvelle s'implanta plus fortement sur le sol, prit plus le caractère agricole que ses voisins de l'Ionie. On a conservé le souvenir des guerres soutenues autour de Smyrne. Les douze cités éoliennes, plus tard réduites à onze, avaient apparemment leur centre au temple commun d'Apollon Grynéion. Colonies ioniennes. Les colonies ioniennes, les plus importantes de toutes par la richesse et la civilisation, furent fondées, nous l'avons dit, par des Ioniens, auxquels s'associèrent de grandes familles et des bandes d'hommes d'autres tribus; la grande majorité s'embarquèrent en Attique; les principales villes considérèrent donc Athènes comme leur métropole, et en reçurent leurs institutions politiques et religieuses, leurs fêtes, leur culte; c'était le cas pour Ephèse, Milet, les îles; néanmoins, d'autres cités gardaient le souvenir de fondateurs venus de plus loin; ceux de Clazomène venaient de Cléones et de Phlionte; ceux de Colophon de Pylos (en Messénie), ceux de Samos d'Epidaure. Les colons ioniens débarquèrent sur la partie centrale de la côte asiatique, celle où débouchent les vallées les plus belles. Ils y rencontrèrent de la part des occupants antérieurs, Cariens et Lélèges de la côte, Lydiens de l'intérieur, une résistance opiniâtre, et qui ne put être vaincue que par des combats prolongés. Il fallut vingt-deux ans aux colons postés à Samos pour s'établir à demeure dans le bassin du Caystre où ils fondèrent Ephèse, et absorbèrent le culte de la déesse locale confondue avec Artémis. Les coups décisifs furent frappés par l'Athénien Androclos. On nous apprend que des cités ioniennes, une seule put se fonder pacifiquement: Phocée, qui se bâtit sur un rocher cédé par les Éoliens de Cumes. Pour toutes les autres colonies, il fallut batailler; une fois fondées et entourées de murailles, elles durent continuer la guerre. Plus d'une fut mise en péril par une agression, et dut implorer le secours de sa voisine; ainsi Priène, celui d'Ephèse contre les Cariens. Les colons ioniens trouvaient d'ailleurs dans leur nouveau pays des hommes parlant à peu près la même langue que la leur. Aussi, ces guerres n'eurent-elles nullement le caractère des guerres d'extermination qui ont marqué, en particulier, la colonisation européenne en Amérique ou en Afrique australe. Sur bien des points, une fusion se fit entre les nouveaux venus et les anciens habitants; ainsi, dans l'île de Samos, dans l'île de Chios, et dans la cité d'Erythrae placée en face. Erythrae, d'origine crétoise, accueillit un descendant des rois athéniens. Ces deux cités, Chios et Erythrae, eurent leur dialecte, Samos le sien. Dans les autres cités ioniennes, il y eut de même entre les colons et les populations locales une entente scellée par des mariages mixtes. Mais partout les nobles familles qui dirigeaient l'immigration prirent la direction politique. Outre les trois cités dont nous avons parlé, il y eut dans les autres colonies ioniennes deux groupes, selon les moeurs et la langue des populations auprès desquelles elles se fondaient : le groupe lydien, Phocée, Clazomène, Téos (peuplée par des Minyens), Lebédos, Colophon, Ephèse; le groupe carien, Priène, Myonte, Milet. Les deux plus grandes villes furent Ephèse et Milet; la première, plutôt tournée vers le continent, la seconde vers les mers. Dans ces villes dominaient les descendants des rois athéniens. Les douze cités furent réunies en une fédération dont le centre était la Panionion, au promontoire de Mycale, au pied du temple de Poseidon. L'unité était plus encore religieuse que politique, aussi les Ioniens purs, mécontents des concessions faites par Ephèse et Colophon aux cultes locaux, n'admirent pas ces deux villes à la fête nationale des Apaturies. Nous examinerons dans une autre page les conditions politiques et sociales de ces colonies, et leurs rapports avec la métropole. Colonies doriennes. Les Doriens, à l'époque même où ils combattaient pour achever la conquête du Péloponnèse, essaimèrent au delà de la péninsule. Des bandes nombreuses passèrent la mer, colonisant les Cyclades méridionales, les îles volcaniques de Mélos et de Théra (vers l'an 1400?); puis la Crète, où après de longues guerres s'établit une transaction entre eux et les anciens habitants. De l'Argolide partirent de nombreux colons doriens : d'Epidaure, ceux qui peuplèrent la grande île de Cos, celles de Nisyra et de Calydna; de Trézène ceux d'Halicarnasse; d'Argos, ceux de l'île de Rhodes; des Mégariens passèrent à Astypalaea; des Laconiens à Cnide. Cnide, Halicarnasse, Cos et les trois cités rhodiennes, Lindos, lalysos et Camiros, formaient une hexapole, confédération religieuse dont le centre était au temple d'Apollon Triopios. La deuxième vague de colonisation Colonies milésiennes. Les Milésiens rouvrirent la route du Pont-Euxin. Ils portèrent à Abydos, sur l'Hellespont, une première colonie; une autre à Cyzique au centre de la Propontide, puis ils colonisèrent de proche en proche le rivage septentrional de l'Asie Mineure. Leur grande colonie de ce côté fut Sinope, ville plus ancienne dont ils s'emparèrent ; c'était la tête de ligne de la route vers l'Assyrie; cette colonie daterait de l'an 785 av. J.-C. Rapidement les colonies de Milet se multiplièrent; après Abydos, Lampsaque et Parion furent fortifiés sur les Dardanelles; de Cyzique on colonisa l'île de Proconnèse; de Sinope toute la côte du Pont; Trapézonte (Trébizonde) fut fondée, semble-t-il, en 756. Les incursions des Cimmériens détruisirent plusieurs de ces colonies, dont Sinope; les Milésiens les restaurèrent; ils s'étendirent à l'ouest de la mer Noire, sur la côte d'Europe où ils s'établirent à Apollonia dans une île (vers 600); puis au débouché de la vallée du Danube et des grands fleuves de la Scythie (Russie méridionale) pour en exploiter les richesses agricoles, à Istros (650), Tyras sur le liman du Dniestr, Odessos (après 600), Olbia entre le Boug, et le Dniepr; puis dans la presqu'île de Tauride (Crimée) à Théodosie au Nord-Est et à Panticapée (Kertch) qui devinrent à leur tour des villes importantes. Les Milésiens pénétrèrent dans la mer d'Azov, fondèrent Tanaïs (Azov), à l'embouchure du fleuve du même nom (Don); puis Phanagoria (colonie de Téos) dans les alluvions du Kouban, en face de Panticapée. Les Caucasiens furent attaqués et on créa sur leur côte les colonies de Phasis (à l'embouchure du Phase) et de Dioscurias. Par Olbia les relations commerciales s'étendirent jusqu'à la Vistule; par Tanaïs jusqu'à l'Oural, par Dioscurias du côté de l'Arménie et de l'Asie orientale; Sinope vendait aux autres colonies grecques les produits nationaux, huile, vin, etc. Au milieu du VIesiècle cette oeuvre de la colonisation milésienne était en pleine prospérité, Milet se vantait d'avoir quatre-vingts colonies et dépassait en richesse et en puissance maritime toutes les cités grecques. Sa factorerie d'Égypte devint à Naucratis une véritable colonie grecque, affaiblie plus tard par Amasis et exploitée en commun par neuf cités grecques. Les autres cités de l'Ionie s'associèrent en général à la colonisation milésienne, bien que les marins de Clazomène, de Téos, de Phocée l'eussent devancée sur plusieurs points de la mer Noire. Dans cet historique sommaire, il n'y a lieu de faire une place à part qu'aux Phocéens. Nous y reviendrons. Rappelons seulement pour en finir avec les colonies helléniques d'Asie la colonisation de Chypre qui régularisa les rapports avec les Phéniciens et eut dans l'histoire de l'industrie grecque une influence considérable. Colonies eubéennes. Les cités maritimes de l'Eubée ont pris au mouvement colonial une part presque aussi active que celles de l'Ionie; c'étaient Cumes ou Kyme sur la côte orientale; Erétrie et Chalcis sur la côte occidentale. Cumes pour vendre ses vins, Erétrie ses tissus teints en pourpre, Chalcis ses produits métallurgiques et, pour se procurer la matière première, entreprirent de bonne heure des expéditions maritimes qui aboutirent à la fondation d'un grand nombre de colonies. La côte de Thrace fut d'abord attaquée. La triple presqu'île qui a conservé le nom de Chalcidique fut le centre de cette colonisation. Sur le golfe thermaïque, on bâtit Méthone, dans la presqu'île centrale Torone, puis autour jusqu'à trente-deux villes, petits ports et centres d'exploitation des mines de la montagne. L'opération fut poursuivie d'abord par Chalcis et Erétrie, puis elles se partagèrent le champ d'action; Chalcis colonisa le trou central de la presqu'île, Erétrie les péninsules de l'Athos et de Pallène. Puis, à la fin du VIIIe siècle, on s'avança à l'Est vers le Pont-Euxin, dont l'exploitation fut disputée aux Milésiens. Associés à Mégare et à Corinthe, les villes de l'isthme, les Eubéens leur tinrent tête. En 712, Mégare fonde Astacos dans la Propontide. Survint la guerre maritime du Lélante entre Erétrie et Chalcis qui divisa toutes les puissances coloniales et arrêta la colonisation eubéenne. Chalcis la reprit au VIIe siècle, acheva son oeuvre en Chalcidique avec le concours des insulaires des Cyclades et s'associa aux expéditions vers l'Occident. Elle en avait eu à peu près l'initiative, peut-être en raison des rapports des marins de l'Euripe avec les Phéniciens; la Chalcis des côtes d'Etolie doit être son ancienne colonie; les Erétriens s'étaient établis dans la grande île de Corcyre (Corfou), ils y furent supplantés par les Corinthiens alliés de Chalcis. Les Eubéens étaient allés encore plus à l'Ouest fonder une nouvelle Cumes sur les côtes de Campanie. Durant des siècles, cette colonie, qui remonte au Xe siècle, resta « isolée sur sa falaise solitaire, comme une sentinelle avancée de la civilisation grecque dans l'extrême Occident ». Renforcée plus tard par de nombreux colons, en majorité ioniens, elle couvrit le golfe de Naples de ses succursales. Sur le détroit de Sicile, les Eubéens établirent la place de Rhégium. Ici, comme pour la colonisation milésienne, Curtius remarque que les stations intermédiaires sont moins anciennes que les grandes colonies qui servent de tête de ligne en terre exotique; plus tard, en face de Rhégium, les Chalcidiens amenèrent des Messiniens dans une nouvelle colonie, Zaneb ou Messine. Au pied de l'Etna avait été construite, dès 736, la colonie chalcidienne de Naxos; l'entreprise fut dirigée par l'Athénien Théoclès. Puis, dans les environs, ils fondèrent Catane, Léontini. Mais dans la grande entreprise de la colonisation de la Sicile, les Chalcidiens sont dépassés par leurs anciens associés, les Corinthiens. Il ne faut pas oublier d'ailleurs que Chalcis a été, dans bien des cas, seulement le port d'embarquement d'émigrants venus d'autres villes ou des Cyclades et dirigés même par des chefs non eubéens. Les cinquante colonies dont elle était fière ne sont pas exclusivement chalcidiennes. Colonies de Mégare et de Corinthe. Les cités doriennes de l'isthme vinrent, dans le courant du VIIIe siècle, se joindre aux cités ioniennes et éoliennes de l'Eubée. Mégare disputa à Milet la colonisation de la mer Noire. En 674, elle fonde Chalcédoine à l'entrée du Bosphore; en 657, Byzance, en face, dans une situation admirable signalée par l'oracle de Delphes; des immigrants corinthiens, arcadiens, béotiens vinrent accroître cette colonie; la côte européenne de la mer Noire se couvre de colonies mégariennes dans le courant du VIIe siècle; en 559, celle d'Héraclée est établie en Bithynie. Du côté de l'Ouest, les Mégariens ont pris part à la conquête de la Sicile par la fondation de Megara Hyblaea au nord de Syracuse (728); cent ans après, quand ils se trouvèrent enserrés entre cette grande cité et les colons ioniens des versants de l'Etna, ils partirent de Megara pour créer à l'ouest de l'île la ville de Sélinonte (628) dont la prospérité fut très rapide. Les colonies de Corinthe sont plus importantes encore que celles de Mégare. Corinthe avait jour sur les deux mers, mais son principal débouché était vers l'Ouest, sur le golfe qui a gardé son nom. C'est de ce côté que l'opulente cité porta ses efforts. Sur la mer de Thrace, elle fonda Potidée, mais malgré l'importance de cette colonie, elle doit céder le pas à d'autres. Corinthe s'empara d'abord de la grande île de Corcyre qui fut dès lors l'avant-poste de la navigation et de la civilisation hellénique dans ces mers. La fortune de cette colonie fut rapide et bientôt elle put rivaliser avec sa métropole. De là, les Corinthiens s'avancèrent au Nord sur les côtes d'Epire et d'Illyrie, à l'Ouest vers la Sicile et l'Italie. Nous parlerons d'abord des colonies illyriennes, bien que les plus récentes. Elles furent établies à partir de 650 par les Corcyréens et les Corinthiens associés. Epidamne (625), Apollonie furent les principales; elles acquirent une importance considérable, nullement comparable toutefois à celle des colonies de Sicile. Dans cette grande île les Corinthiens suivirent de près leurs alliés de Chalcis et opérèrent seuls et pour leur propre compte. Ils s'installèrent en 735 dans le meilleur port de la côte orientale par l'occupation de l'île d'Ortygie; ce fut le berceau de Syracuse. Les marchands phéniciens ne furent pas expulsés; leur concours et celui des indigènes hâta la fortune de la colonie. Celle-ci dépassa bientôt les villes chalcidiennes et se tailla dans l'angle Sud-Est de la Sicile un petit État; Acrae au débouché des montagnes, Casmenae, Camarina en furent les places principales. Des colons rhodiens, venus un demi-siècle après les Corinthiens, fondèrent Gela sur le fleuve du même nom; puis ils en partirent pour fonder, au centre de la plaine méridionale de l'île, Agrigente, grande colonie agricole et industrielle; plus à l'Ouest, les Mégariens avaient établi Selinonte. Au Nord, les Messiniens avaient fondé Mylae en face des îles Lipari (716), puis Himère, avec l'aide des Chalcidiens (648). Il fallut s'arrêter, car l'angle occidental de la Sicile était solidement occupé par les Phéniciens dont les colonies bravèrent l'effort des Grecs; il se forma cependant dans les terres, autour d'Egeste, un peuple mixte, mêlé d'autochtones, de Grecs et de Phéniciens, celui des Elymes. Même dans la cité phénicienne de Panorme (Palerme), l'élément grec fut considérable, les monnaies de la ville portent des types grecs à côté des légendes phéniciennes. La colonisation grecque, avant même de s'attaquer à la Sicile, avait porté ses efforts dans l'Italie méridionale. Outre Cumes, il y faut citer la cité ionienne de Siris dont l'origine est inconnue, en tout cas très ancienne. Dans les dernières années du VIIIe siècle, la colonisation fut reprise et les riverains du golfe de Corinthe y prirent une part très active, les Achéens surtout et les Ioniens auxquels ils avaient enlevé l'Egialée, la côte Nord du Péloponnèse. En 721, fut fondée Sybaris, bientôt après Crotone par des Achéens; puis Locres, par des Locriens; Siris fut colonisée de nouveau par les Ioniens de Colophon; Métaponte fut édifiée par des colons achéens sous un chef venu de Crisa; Tarente par des Laconiens. Toutes ces villes devinrent à leur tour le foyer d'une colonisation qui hellénisa l'Italie méridionale. Leur destinée fut trop considérable pour qu'il ne soit pas nécessaire d'y insister quelque peu. La Grande-Grèce. La colonisation hellénique de l'Italie méridionale diffère sensiblement de la plupart des autres entreprises coloniales. On ne peut lui comparer que celles de la Cyrénaïque et de la Chersonèse Taurique (Crimée). En général, les Grecs ne s'éloignaient guère de la mer; une fois maîtres de la lisière des côtes, ils cherchaient à entretenir avec les barbares de l'intérieur des rapports pacifiques favorables aux transactions commerciales. La ville était petite, ayant au plus quarante ou cinquante stades de tour; lorsque la population y était trop nombreuse, elle essaimait et en fondait une autre à côté ou plus loin. Le golfe de Naples et la Tauride se couvrirent ainsi de petites républiques grecques confédérées entre elles. Dans les îles et dans quelques presqu'îles bien isolées du continent, Chalcidique, Chersonèse de Thrace, on tenta la colonisation complète du sol; mais en Sicile tout le centre de l'île resta aux populations locales. Les Hellènes ne s'écartaient pas des côtes; aussi n'ont-ils guère fondé, avant l'époque d'Alexandre, de nations néo-helléniques, sauf en Cyrénaïque, en Tauride et dans l'Italie méridionale. Ces dernières colonies surtout atteignirent une importance égale à celle de l'Ionie et méritèrent le nom de Grande-Grèce. Il est indispensable d'indiquer ici les caractères généraux de ces colonies, assez différentes des autres. Nous empruntons cette description à Lenormant (Grande-Grèce, t. I, p. 277) : « La fondation des villes du littoral italien de la mer ionienne fut partout accompagnée ou bientôt suivie de la création d'un établissement territorial considérable. Non seulement Sybaris et Tarente se taillèrent au milieu des populations indigènes de la péninsule, en les soumettant à leurs lois, de véritables empires; mais Crotone et Locres firent de même, bien que sur une échelle un peu moins étendue. Chacune de ces cités, après avoir, au moyen de nouvelles colonies sorties de son propre sein ou en acceptant les obligations de métropole à l'égard d'établissements grecs d'origine indépendante mais trop faibles pour se soutenir dans une pleine autonomie, assuré sa domination sur une étendue considérable de la côte où elle était assise, chacune de ces cités subjuguant devant elle les populations des montagnes de l'intérieur, poussa ensuite ses possessions territoriales jusqu'à la mer Tyrrhénienne, dont elle garnit le littoral d'une nouvelle succession de villes purement helléniques. L'obéissance des indigènes fut ainsi garantie par la façon dont ils étaient enserrés entre deux chaînes d'établissements grecs, dont l'office était le même que celui des colonies militaires que plus tard Rome fonda, en imitation de ce qu'avaient fait les Grecs de l'Italie méridionale, dans toutes les contrées dont elle faisait la conquête. Le système se complétait par la construction de quelques autres villes grecques dans des positions stratégiques bien choisies de l'intérieur des terres, au milieu des indigènes, telle que fut Pandosia. C'est cette soumission aux cités helléniques de vastes étendues de pays, où les indigènes reconnaissaient leurs lois, cette formation de vrais empires dépendant de chacune d'elles, qui valut de très bonne heure à l'Italie méridionale l'appellation de Grande-Grèce, par rapport à la Grèce propre, appellation dont autrement l'origine serait inexplicable et qui n'aurait pas de sens raisonnable. » Les colons grecs eurent la bonne fortune de rencontrer des populations locales dociles. Les Oenotriens, en particulier, acceptèrent volontiers le protectorat des Grecs. Ainsi se formèrent des empires comme celui de Sybaris qui put lever 300 000 hommes pour une guerre. Colonies de Phocée. Lorsque le grand mouvement d'émigration achéenne qui colonisa la Grande-Grèce fut achevé, les rivages de la Sicile à peu près hellénisés, les marins grecs s'avancèrent dans la Méditerranée occidentale, la disputant aux Phéniciens. Les Rhodiens créèrent des comptoirs au pied des Pyrénées; là s'éleva une nouvelle Rhodes. Les Ioniens de Phocée firent davantage. Confinés sur leur rocher, ils n'avaient d'issue que sur mer et, ne pouvant se faire dans le Pont-Euxin une place à côté de Milet, ils voguèrent vers l'Occident. Plus hardis que les autres, ils explorèrent tout l'Adriatique, malgré les écueils de la côte dalmate, la mer tyrrhénienne, les côtes de Gaule et d'Ibérie, pirates aussi bien que commerçants. Ils ne fondèrent de colonie qu'assez tard quand l'Ionie asiatique fut menacée par les rois du continent; alors ils s'établirent à Marseille, près de la grande voie fluviale du Rhône. Cette colonie reçut un grand nombre d'émigrants et prospéra vite; des pêcheries y furent organisées, des vignes, des oliviers plantés dans les environs, des routes tracées. Le littoral se couvrit de colonies massaliotes, depuis le golfe de Gênes jusqu'au sud des Pyrénées; Monaco (Monaecos), Nice (Nicaea), Antibes (Antipolis), Agde (Agathe), Ampurias (Emporiae) furent les principales; en face les Baléares s'éleva le fort d'Hemeroscopion, Maenake dans le détroit de Gibraltar. Le trafic de l'Espagne faillit passer aux mains des Phocéens. Les Carthaginois, alliés aux Étrusques, surent le garder; vaincus en vue des côtes de Corse, les Massaliotes perdirent leurs colonies et comptoirs d'Espagne; ils furent en sérieux péril et ne refleurirent qu'après la ruine de Phocée dont les habitants vinrent chercher un refuge dans leur colonie, et après la bataille navale de Cumes qui fit prévaloir les Grecs sur les Étrusques. Citons encore la colonie phocéenne de Velia ou Elée dans l'Italie méridionale. Colonisation en Afrique. Pour compléter le tableau de la colonisation grecque, il faut parler de ses résultats en Afrique. Les rivages méridionaux de la Méditerranée étaient les moins hospitaliers; nul estuaire de fleuve où l'on put aborder à l'Ouest de l'Égypte et jusqu'aux parages des Liby-phéniciens. Dans ceux-ci quelques petits groupes d'Hellènes s'étaient établis au débouché du Triton, à Maschala, entre Utique et Hippone; plus loin même, en Maurétanie à Icosium. Mais ces comptoirs n'eurent pas d'avenir. Carthage les absorba. Au contraire, à mi-chemin entre l'Égypte et l'Afrique phénicienne, il se fonda une des plus grandes colonies grecques, celle de la Cyrénaïque. Là se trouvent de hauts plateaux fertiles et bien arrosés, pouvant nourrir une nombreuse population, à portée du désert d'où viennent les produits des pays tropicaux. Là vinrent s'établir des colons de Théra. Cette île volcanique avait reçu des colons doriens ou plutôt laconiens parmi lesquels les anciens marins minyens et la grande famille cadméenne des Egides dominaient. La population surabondante trouva un débouché sur les rivages de la Libye. Ne pouvant trouver d'emplacement favorable sur la côte, elle s'avança hardiment dans l'intérieur où fut bâtie Cyrène (vers 624). Ceci décida de l'avenir de la nouvelle colonie qui devint un grand établissement agricole, berceau d'un nouveau peuple. Les Thériens ne purent fournir un nombre suffisant de colons et, craignant d'être noyés dans l'élément local, ils firent vers 576 appel à leurs compatriotes. L'oracle de Delphes leur donna son appui, et de Crète, du Péloponnèse, des îles, les colons affluèrent. Les Libyens furent refoulés dans l'intérieur, des terres assignées aux nouveaux venus. Le port de Cyrène devint une ville, Apollonia; d'autres, Barca, Hespéride, sortirent de terre; des réservoirs accumulèrent l'eau pour des irrigations qui étendirent la surface cultivée. En 570, la destruction d'une grande armée égyptienne par le troisième roi de Cyrène assura l'avenir. (GE). | |