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Histoire de Lesbos
[Géographie de Lesbos]
Lesbos fut dans l'Antiquité grecque le centre des Eoliens; c'est là que leur civilisation parvint à son apogée. Ils n'auraient occupé l'île que vers le XIe siècle, se substituant aux populations vivant auparavant dans ces rivages de l'Asie. Lesbos fut divisée entre plusieurs cités rivales : Méthymne (auj. Molyvo ou Molivo) au Nord; Antissa (près de Sigri); Eresos au Sud-Ouest, Pyrrha et Mytilène. Les principales étaient Mytilène et Méthynme qui soutinrent l'une contre l'autre des guerres acharnées. Elles avaient étendu leur domination sur les cantons voisins de la terre ferme. 

Le VIe et le Ve siècle marquent l'apogée de la civilisation lesbienne, illustrée par ses poètes Alcée, Sappho, ses musiciens Terpandre, Arion, ses philosophes Pittacus, Théophraste, l'historien Hellanicus, etc. (La civilisation antique à Lesbos). La prépondérance des femmes, attestée par des coutumes qui se sont perpétuées jusqu'à nos jours dans le mariage et l'héritage, explique la réputation spéciale que les mentalités archaïques du bassin méditerranéen ont fait à l'île de Lesbos. 

Elle fut soumise aux Perses, entra en 476 dans la confédération athénienne. En 428, Mytilène se souleva, mais elle fut cruellement punie par Athènes. Les Macédoniens, Mithridate, les Romains furent ensuite maîtres de l'île. En 1355, l'empereur Jean Paléologue la céda au Génois Francesco Gateluzzio; les descendants de celui-ci, portant le titre de ducs, s'y maintinrent jusqu'en 1462 où Méhémet II la conquit sur Niccolo Gateluzzio. 

L'insurrection de 1464, les victoires navales des Vénitiens en 1690 et 1698 ne purent l'enlever aux Turcs. Lors de la guerre de l'Indépendance, ils y étaient en majorité et en firent leur entrepôt maritime. Les Grecs y débarquèrent à Sigri et Kalonia après leur victoire navale du 21 juin 1821, mais ils ne purent s'y maintenir. Lesbos ne revint à la Grèce qu'en 1912.

Traditions légendaires et mythologiques
L'histoire de Lesbos, comme l'histoire de toutes les cités grecques, n'a pour origine que des traditions incertaines ou de fabuleux récits.

L'île était déserte, raconte Diodore, quand y aborda Xanthus, fils de Triopas. Parti
d'Argos, à la tête d'une colonie de Pélasges , il se dirigea vers la Lycie, y demeura quelque temps, puis, emmenant avec lui ses compagnons, il vint débarquer à Lesbos. Dès ce moment l'île, appelée jusque là Issa, prit le nom de Pélasgie. Sept générations s'étaient à peine écoulées que le déluge de Deucalion inonda la Grèce. Lesbos eut surtout à souffrir de cette catastrophe, et sa population fut anéantie. Elle ne fut pas longtemps à recevoir de nouveaux habitants. Macare, l'un des Héliades, ayant tué son frère , s'exila, et vint s'établir à Lesbos, dont la beauté l'avait séduit. Il amenait d'Achaïe une colonie composée partie d'ioniens, partie d'hommes de toutes origines, accourus de tous côtés autour de lui. 

A peine installé dans sa nouvelle résidence, Macare, grâce aux richesses de l'île et à la justice du gouvernement qu'il y établit, se trouva assez puissant pour conquérir les îles voisines et en partager les terres à ses compagnons. Bientôt la colonie se grossit par l'arrivée de nouveaux émigrants. Lesbus, fils de Lapithes, conduit par l'oracle, aborde dans l'île, et est accueilli avec amitié par Macare, dont il épouse la fille. Les deux peuples se mêlent, et vivent fraternellement. Alors Macare songe à étendre sa domination : il envoie à Cos un de ses fils, un autre à Chio; un troisième, Cydrolaüs, se dirige vers Samos, en divise les champs à sa troupe, et règne paisiblement sur l'île. Enfin Leucippe, avec une grande multitude de colons, débarque à Rhodes: l'île était presque déserte; le petit nombre d'habitants qu'il y trouve l'accueillent avec empressement. 

Partout la domination de Macare est acceptée sans résistance. Le bonheur en effet dont jouissaient ses États semblait être un don de ces dieux dont on le disait descendu. Le continent de l'Asie à ce moment même était en proie à des fléaux de tous genres, la famine, puis la peste, en avaient fait une solitude. Pendant ce temps les îles, rafraîchies par les vents de mer, couvertes de riches moissons, se remplissaient d'une population accrue sans cesse par de nouvelles colonies. La fertilité des terres, l'heureuse situation des campagnes, l'excellence d'un air pur et toujours renouvelé semblait en avoir fait le séjour de la richesse et du bonheur. Aussi les îles qui formaient le royaume de Macare furent-elles bientôt connues sous le nom d'Iles Fortunées. Le créateur de cette félicité voulut la rendre durable, et publia une constitution qu'il appela le Lion, comme pour lui donner la force de l'animal dont il lui donna le nom. A la mort de Macare, Lesbus, son gendre, lui succéda, et l'île prit dès lors le nom de Lesbos.

La tradition parle plus tard d'une Amazone, Myrine, qui aurait conquis Lesbos et fondé Mytilène, en l'honneur de sa soeur. Mais ce n'est là qu'un de ces souvenirs poétiques qu'on retrouve sur toute cette côte de l'Asie, à Cyme, à Smyrne, à Éphèse, et qu'aucun historien n'a pris la peine de préciser.

Toujours selon la légende, viennent les temps de la guerre de Troie. Lesbos était alors une des îles les plus riches et les plus florissantes de la mer Égée. Ulysse y aborda avec les Grecs. Défié au combat du pugilat par Philomélide, le roi inhospitalier de Lesbos, il le tua, aux applaudissements de l'armée confédérée. Achille non plus n'oublia pas Lesbos dans les courses aventureuses par lesquelles il préluda au siège de Troie. Il semble que lorsqu'il aborda dans l'île, elle avait passé on ne sait comment sous la domination des Troyens; elle faisait partie du royaume de Priam, et était gouvernée en son nom par le roi Phorbas. Achille le tua, et emmena captive sa fille Diomédé. Les romanciers des âges suivants, enjolivant le récit d'Homère, ont raconté que les habitants de Méthymne opposaient à Achille la plus vive résistance, quand un secours inattendu lui vint de la ville même. Pisidice (c'est ainsi qu'ils nomment la fille du roi ), ayant vu le héros du haut des murailles, une violente passion s'empara de son coeur. Elle dépêcha sa nourrice vers Achille, promettant de lui livrer la ville, s'il s'engageait par serment à la prendre pour épouse.

" Elle lui livra les clefs de sa cité [...] Elle eut le coeur de voir en face ses parents frappés par la lance de l'ennemi et le cortège des femmes esclaves entraînées aux vaisseaux étrangers; et tout cela pour devenir la fille de Thétis, la déesse des mers, pour entrer dans la famille des Éacides, pour habiter le palais de Phthie, épouse honorée du plus grand des hommes » (Parthenius). 
Mais Achille une fois maître de la ville, indigné de cette action odieuse, fit lapider Pisidice par ses soldats. Homère  nous montre encore Ménélas, au retour de Troie, s'arrêtant à Lesbos avec Dioède, 
« incertains s'ils devaient naviguer au-dessus de l'âpre Chio, en côtoyant l'île de Psyrie et la laissant à leur gauche, ou naviguer au-dessous de Chio près du promontoire élevé de Mimas ».
Colonie éolienne; les Penthilides.
Les anciens auteurs en faisant le récit légendaire de la guerre de Troie ont exprimé une réalité de leur temps : toute la Grèce connaissait alors des bouleversements politiques, résultats de luttes qui avait remué passions et peuples. A la suite des mouvements violents qui survinrent, des populations alors vivant sur le continent européen, les unes se trouvèrent réduites en esclavage, et disparurent; les autres, jetées hors de leurs demeures, cherchèrent une nouvelle patrie. C'est l'époque des grandes migrations, et c'est l'époque où fut renouvelée toute la côte de l'Asie Mineure et en particulier Lesbos. 

A en croire Strabon, une colonie part d'Argos, dirigée par Oreste, qui meurt en Arcadie; Penthilus, son fils, la conduit à Aulis pour y préparer une flotte; il est rejoint en Béotie par une partie des habitants de la contrée et par un certain nombre des conquérants Béotiens, revenus avec les Éoliens d'Arné. Le grand nombre de ces derniers ou leur influence dominante fit que l'émigration, composée primitivement d'Achéens fut considérée dès lors comme une émigration éolienne. Mais Penthilus ne put la conduire que jusqu'en Thrace. Echélatus, son fils, traverse l'Hellespont (= mer de Marmara), et s'avance jusqu'à Cyzique. Enfin Graïs, fils d'Echélatus, revient dans le Péloponnèse recruter de nouveaux colons parmi les Achéens et les anciens habitants de la Laconie; et retournant en Asie, il s'avance à l'aide de ces renforts jusqu'au Granique; de là il passe avec d'autres chefs dans l'île de Lesbos, dont il s'empare. Une quatrième bande, sous la direction de Cléoüs et de Malaüs, se disant descendants d'Agamemnon, s'établissait vingt ans plus tard sur la côte de l'Asie Mineure, et y fondait Cyme. C'est ainsi que les Éoliens se trouvèrent maîtres de Lesbos et des rivages voisins. Leurs plus anciennes villes sur le continent furent Cyme, Larisse. Néontichos, Temnus, Cilla, Notium, Oegiroessa, Pitane, AEges, Nyrine, Grynée, Smyrne, qui, au témoignage d'Hérodote,ne fut occupée que plus tard par les Ioniens. Les onze premières villes, jointes à cinq villes de Lesbos et à une autre ville des Hécatonnèses, formèrent ensemble une confédération, dont furent exclues les villes secondaires, qui s'étaient élevées près de l'Ida. Les cinq cités de Lesbos qui y participaient étaient Mytilène, Méthymne, Antissa, Érésus et Pyrrha. Arisba était déjà tombée au pouvoir des Méthynméens; les autres, telles qu'lssa, Penthilé, Xanthus, Napé, Lesbos, si jamais cette dernière a existé, n'avaient aucune importance.

Bientôt le continent voisin dut recevoir tout l'excédant de population et de richesses qui sortit de Lesbos et de Cyme, ces métropoles des villes éoliennes. Tout l'espace compris entre Cyzique et le Caïcus, jusqu'à l'Hermus même, se couvrit de leurs colonies. Toute la Troade était peuplée d'établissements lesbiens; des cités mytiléniennes bordaient toutes les côtes du golfe d'Adramytte; c'étaient Coryphantis, Héraclée, Attée, et bien d'autres, que Strabon ne mentionne pas, Antandros, Assus, Gargare, Adramyttium, Cilla, Chrysa; Sigée et Achilleum avaient été construites par les Mytiléniens avec les débris d'Ilion. Tout ce pays était lesbien par la population, les moeurs, les intérêts; et les insulaires de Lesbos avaient quelque raison de le revendiquer contre les prétentions des Athéniens. Enfin, jusque dans la Chersonèse, les habitants de Sestos et de Madytos reconnaissaient pour leurs aïeux les Éoliens de Lesbos.

A Lesbos, comme dans le reste de la Grèce, il est vraisemblable que la première forme de gouvernement fut la royauté. Les descendants des anciens rois formaient à Mytilène la famille puissante des Penthilides, du nom de ce Penthilus, fils d'Oreste, que la tradition faisait mourir à Lesbos, et à qui l'on rendait les plus grands honneurs. enorgueillis de la noblesse et de l'antiquité de leur famille, les Penthilides se rendirent insupportables aux Mytiléniens, et un jour qu'ils parcouraient les rues en frappant à coups de massue ceux qu'ils rencontraient, Mégaclès, aidé de ses amis, les assaillit, et les massacra.

Dissensions des Lesbiens; gouvernement de Pittacus.
Par l'extinction de cette famille où se recrutait la royauté, toutes les espérances et toutes les haines se trouvèrent ranimées. Dans chaque ville des factions s'élevèrent, et la lutte s'engagea entre le parti populaire et le parti des grands. Chaque citoyen se crut le droit de gouverner sa cité, et chaque cité celui d'être la première de l'île. Méthymne tint longtemps tête à Mytilène, et Mytilène, enfin victorieuse et souveraine, usa impitoyablement de sa victoire. Les lois les plus rigoureuses furent portées contre les vaincus; toute liberté, toute participation au gouvernement fut enlevée aux autres cités; la moindre révolte fut sévèrement punie; toute défection entraînait un châtiment terrible. La ville coupable était vouée à l'ignorance; défense était faite d'y apprendre à lire aux enfants. Mytilène, épuisée par son despotisme même, devient à son tour la proie de tyrans qui se succèdent sans obstacle. Enfin, secondé par Cicis et Antiménide, les frères du poète Alcée, Pittacus délivre son île en égorgeant Mélanchrus, qui l'opprimait (612). Ensuite commence une période complètement inconnue de luttes intestines; un désordre effroyable règne à Mytilène. Après des victoires et des défaites successives du parti populaire, des tyrannies d'un jour aussitôt renversées, on retrouve Alcée, le chef du parti des grands, qui, exilé, s'est mis à la tête des autres proscrits, et tente de rentrer de force dans Lesbos. Alors les Mytiléniens, dans l'intérêt de la défense commune, défèrent de leur plein gré la tyrannie à Pittacus. Cette tyrannie que ne donnait pas la violence, mais les libres suffrages des citoyens, avait un nom chez les Grecs : c'était l'aesymnétie (Aristote, Politique, III, 9; Denys d'Halicarnasse, V, 73) : 

« Elle différait de la royauté chez les barbares, non pas pour n'être pas fondée sur les lois, mais pour n'être pas héréditaire. Car les uns avaient l'autorité pour tout le temps de leur vie, et les autres ne l'avaient que pour un temps limité et pour certaines entreprises déterminées. » 
Pittacus, nommé pour repousser les bannis, accomplit rigoureusement cette entreprise; il honora sa victoire par une amnistie complète, et, une fois son île sauvée, il obéit à la loi en déposant le pouvoir (591). Ses concitoyens furent bientôt obligés d'avoir de nouveau recours à sa sagesse. Les Athéniens prétendant que le territoire d'Ilion n'appartenait pas plus aux Éoliens qu'aux autres Grecs qui avaient pris part avec Ménélas à la destruction de Troie, s'étaient emparés de Sigée. Les Mytiléniens se renfermèrent dans les murs d'Achilléum, et soutinrent la guerre. Elle durait depuis longtemps déjà, et chaque jour les partis en venaient aux mains; c'est dans un de ces combats qu'Alcée, le poète qui avait dit :  « Il est beau de mourir dans les combats », tourna le dos en laissant son bouclier aux Athéniens, qui le suspendirent à Sigée dans le temple d'Athéna. Enfin Pittacus, nommé général par les Mytiléniens, provoque en combat singulier Phrynon, le général ennemi, et l'enveloppant d'un filet qu'il tenait taché sous son bouclier, le perce de son poignard. C'est un des traits les plus admirés des Anciens.

Les Mytiléniens voulaient à toute force lui faire accepter de vastes champs et lui assurer une existence opulente. 

« Non, leur dit-il, non, ne me forcez pas à prendre une fortune, cause de haine et objet d'envie pour la foule. J'ai assez de cent arpents : cela doit bien suffire et à la simplicité de ma vie et à votre reconnaissance ».
Il vécut dans cette retraite, paisible et content, refusant les présents de Crésus, et l'éclairant de ses conseils, aimé, honoré de tous, inspirant à ses concitoyens le goût de la sagesse par ses préceptes et ses exemples. Lorsqu'il était au pouvoir, il ne s'était pas ému des grossières injures d'Alcée, et il s'était contenté de lui répondre par cette excellente maxime : 
« Ne médis pas d'un ami, d'un ennemi non plus ». 
Au faîte de la puissance, entouré de courtisans, il avait résisté à l'ivresse de l'une et aux séductions des autres, et il disait : 
« Le tyran est le plus méchant des animaux sauvages; mais des animaux domestiques, c'est le flatteur. » 
Souverain à Mytilène, comme il voulait son île heureuse et grande, il s'attacha toujours à faire régner la loi sur la volonté de tous, sur la sienne propre. En butte aux haines de ses adversaires, à leurs calomnies, à leurs complots, à ceux qui lui conseillaient la vengeance, il répondait : 
« Une punition me laisserait du repentir. Je sais, mes amis, quelque chose qui vaut mieux encore : le pardon. » 
Enfin, retiré dans son petit domaine, il occupiait sa vieillesse aux rustiques travaux, et longtemps, nous dit Plutarque, les femmes de Lesbos répétèrent à l'ouvrage le refrain populaire :
« Travaille, travaille, ô meule; Pittacus aussi travaillait, le roi de Myitilène la Grande. » 
Il vécut ainsi jusqu'à l'âge de soixante-dix ans, selon les uns, de cent ans, selon les autres; et quand il mourut, ses concitoyens lui élevèrent un magnifique tombeau.

Les Athéniens et les Lesbiens se disputent Sigée.
La guerre de Sigée n'était pas terminée par la mort de Phrynon. Mais Périandre, tyran de Corinthe, offrit son arbitrage. Il fut accepté; et sa décision ayant été que les deux parties garderaient ce qu'elles se trouvaient posséder, Athènes resta maîtresse de Sigée.

Les Lesbiens prirent ensuite parti pour Milet, qui était en guerre avec PoIycrate, tyran de Samos (568). Toutes leurs forces furent mises sur pied pour défendre leur alliée. Un combat naval se livra; Polycrate en sortit vainqueur, et les Lesbiens, prisonniers, furent condamnés à creuser les fossés qui devaient entourer Samos.

C'est vers cette époque que le roi d'Égypte, Amasis, ouvrant ses ports aux étrangers, donna à ceux qui voulurent s'établir dans le pays la ville de Naucratis. Ceux qu'un intérêt seulement passager attirait pour le commerce reçurent des emplacements pour y construire des autels et des temples à leurs dieux. Onze cités se réunirent pour élever à frais communs un temple magnifique. Des cités éoliennes, Mytilène seule consentit à y contribuer.

A la mort de Périandre, les Mytiléniens s'étaient empressés de reprendre Sigée. A peine au pouvoir, Pisistrate l'enleva de nouveau aux Mytiléniens, pour la donner à son fils naturel, Hégésistrate. Il s'ensuivit des guerres sans fin, qui n'eurent pour résultat que d'assurer aux Athéniens leur conquête.

Lesbos sous la domination des Perses.
A cette époque, Cyrus avait achevé de soumettre la Lydie; plus d'une fois déjà il avait sommé les Ioniens et les Éoliens d'abandonner le parti de Crésus; il se résolut enfin à leur déclarer la guerre. Retenu lui-même par l'expédition qu'il entreprenait contre Babylone, il confia le soin de soumettre les cités rebelles à Mazarus d'abord, puis à Harpagus. Les Grecs du continent, après des prodiges de valeur, furent forcés de déposer les armes, et les insulaires, sans attendre le vainqueur, envoyèrent leur soumission. Lorsque Cambyse envahit l'Égypte, il avait dans son armée la flotte lesbienne. Les Égyptiens, vaincus, s'étaient renfermés dans Memphis, et faisaient bonne contenance. Cambyse leur envoya un héraut perse monté sur un vaisseau de Mytilène. Les Egyptiens, sans respect pour le caractère sacré de l'ambassadeur, se répandent par troupes hors de la ville, entourent le navire, massacrent les hommes qui le montaient, et les coupent en morceaux. Cambyse, maître de Memphis, vengea le meurtre de ses alliés en punissant de mort dix des principaux Égyptiens pour chacun des matelots égorgés. Quand Darius, fils d'Hystaspe, marcha contre les Scythes (513), les Éoliens de Mytilène le suivirent encore. Ils étaient commandés par Coès, fils d'Erxandrus. C'est lui qui persuada à Darius de ne point couper le pont jeté sur l'Ister, mais d'en confier la garde aux Ioniens. Darius promit de se souvenir de ce bon conseil. Une fois de retour à Sardes, il accorda à Coès, sur sa demande, la tyrannie de Mytilène. Celui-ci n'en jouit pas longtemps. L'expédition des Perses contre Naxos ayant échoué, les villes grecques, à l'instigation d'Aristagoras, essayèrent de s'affranchir des étrangers, et commencèrent par se débarrasser de leurs tyrans. Coès, livré par Aristagoras aux Mytiléniens, fut traîné hors de la ville et lapidé.

La guerre ainsi commencée, les Lesbiens la soutinrent avec énergie. Leur coopération était une des plus utiles à la cause de l'indépendance; car la marine de Mytilène à cette époque n'avait pas d'égale. Quand, cédant aux conseils d'Aristagoras, les Poeoniens, que Mégabaze avait déportés en Phrygie, entreprirent de revenir, malgré Darius, chez eux, Lesbos fournit des vaisseaux qui les portèrent à Dorisque, d'où ils purent regagner par terre la Poeonie. Quand Histiée, chassé de Milet, rebuté de Chio, se réfugia à Mytilène, les Lesbiens lui donnèrent huit trirèmes, avec lesquelles il alla croiser à Byzance, s'emparant de tous les navires ennemis, qui sortaient du Pont-Euxin (= mer Noire). Enfin, quand le Panionium eut résolu de réunir toutes les forces grecques pour tenter la fortune d'un combat décisif près de la petite île de Ladé, Lesbos, seule des colonies éoliennes , envoya ses vaisseaux, au nombre de soixante-dix, à la confédération de l'Ionie. Mais placée dans l'ordre de bataille près des Samiens, qui firent lâchement défection, sa flotte, se trouvant tout à coup à découvert, fut forcée de prendre la fuite et d'abandonner la victoire (494). Milet fut saccagée et anéantie. A cette nouvelle, Histiée, qui croisait à Byzance, remet à Bysalte l'Abydénien le soin des affaires de l'Hellespont, et, suivi des Lesbiens qui étaient à son service, fait voile pour Chio : reçu en ennemi, il aborde de vive force, et s'empare de l'île tout entière.

« L'armée navale des Perses passa l'hiver à Milet , et avant mis en mer l'année suivante, s'empara sans difficulté de toutes les îles voisines du continent, telles que Chio, Lesbos, Ténédos. A mesure qu'ils occupaient une île, les barbares en prenaient tous les habitants comme au filet, et voici quel moyen ils employaient. Ils formaient une chaîne en se donnant la main d'homme à homme, et partant du bord de la mer, au nord, ils s'avançaient vers le midi. En marchant ainsi sur toute la longueur de l'île, rien ne pouvait leur échapper, et ils chassaient comme du gibier les hommes qu'ils rencontraient. Ce genre de chasse n'était pas praticable sur le continent (Hérodote, VI). » 
Ainsi la soumission de Lesbos était achevée quand Xerxès déclara la guerre à la Grèce; et elle dut comme tous les autres Grecs d'Asie suivre le grand roi, dans son expédition en Europe. Selon Hérodote, les Éoliens fournirent soixante vaisseaux à Xerxès, et quarante seulement, selon Diodore.

Lesbos sous la domination d'Athènes.
Après Mycale et Platée, les Lesbiens, comme tous les autres insulaires, formèrent une ligue défensive et offensive avec les Grecs d'Europe. Les Lesbiens en particulier accompagnèrent les Athéniens au siège de Sestos, que défendaient les Eoliens de la Chersonèse, et la ville conquise ils reprirent à leur tour le chemin de leur pays.

La guerre s'étant élevée au sujet de Priène entre Milet et Samos, les Milésiens appelèrent Athènes à leur secours. Périclès débarque à Samos, y rétablit le gouvernement populaire, et, laissant une garnison, emmène cent otages à Lemnos. Ce fut bientôt à recommencer. Les Samiens fugitifs rentrèrent dans leur île, parvinrent à enlever furtivement leurs otages de Lemnos, et se déclarèrent en pleine révolte. Une nouvelle expédition, commandée par Périclès et d'autres généraux, se dirige sur Samos. Le poète Sophocle, un de ses collègues, est chargé d'aller demander des renforts aux alliés. Lesbos et Chio fournissent leur contingent, qui est de vingt-cinq vaisseaux, auxquels elles en ajoutèrent bientôt trente, autres. Les Samiens, après une résistance de neuf mois, furent enfin forcés de céder, d'abattre leurs murailles, de livrer leurs vaisseaux et de payer 200 talents. Après Samos, ce fut le tour des autres alliés d'Athènes; profitant habilement de leurs dissensions, par la ruse ou par la force, elle sut les amener à faire tous successivement l'abandon de leurs vaisseaux, de leur argent, de leur liberté. Chio seule et Lesbos surent se défendre contre ses empiètements. Lesbos naturellement était en garde contre Athènes; quand les circonstances ou un intérêt passager la jetait dans son parti, un irrésistible instinct la portait à se défier d'elle, et à l'abandonner au premier jour; car, comme dit Thucydide, il ne peut exister d'amitié sûre et durable entre des particuliers, ni aucune alliance entre républiques, sans conformité de moeurs, Or la forme du gouvernement de Lesbos était oligarchique; aussi, même avant la guerre du Péloponnèse, les Lesbiens avaient-ils offert à Lacédémone de passer dans son alliance; mais celle-ci ne les avait pas accueillis alors. Au commencement de cette guerre, ils se trouvaient donc encore du parti d'Athènes, comme alliés autonomes, fournissant des vaisseaux, mais point d'argent. Ils prirent part avec Chio à l'expédition des Athéniens contre Epidaure et Potidée (431).

Révolte de Mytilène (428).
Mais aussitôt après l'invasion des Péloponnésiens dans l'Attique, Mytilène se déclara en pleine révolte. Les Thébains, alléguant une origine commune, l'avaient entraînée à cette démarche. On s'y prépara longtemps; on releva les murailles, on construisit des vaisseaux, on combla les ports; on fit venir du Pont-Euxin des archers, du blé, tout ce qu'il fallait pour soutenir un long siège. Cependant, de Ténédos, ennemie des Lesbiens, de Méthymne, sa rivale humiliée, de Mitytène même des avis nombreux, dictés par une basse envie ou par des intérêts blessés arrivaient chaque jour à Athènes. Il était temps d'accourir si l'on ne voulait pas perdre Lesbos.

Les Athéniens, qui avaient beaucoup souffert de la peste et de la guerre, reçurent avec effroi la nouvelle de ce fâcheux événement, et se refusèrent d'abord à croire ce qu'ils avaient tant de raisons de redouter. ils envoient sur-le-champ des délégués à Mytilène, et n'ayant pu faire suspendre les préparatifs de guerre, ils commencèrent par retenir dix trirèmes auxiliaires de Mytilène qui pour lors se trouvaient au Pirée, et en mirent les équipages sous bonne garde. Puis, voulant prendre les devants, ils envoyèrent soudain quarante vaisseaux qui se trouvaient prêts a mettre en mer pour le Pélopon.
nèse. Le commandant de cette flotte était Cléippide, fils de Dinias, et deux autres généraux l'assistaient. On rapporta aux Athéniens qu'il y avait hors de la ville de Mytilène une fête en l'honneur d'Apollon de Malée, célébrée par tout le peuple des Mytiléniens. On pouvait espérer de les surprendre en les attaquant à l'improviste. Les vaisseaux partirent; mais un particulier ayant passé d'Athènes en Eubée, vint à pied à Géreste, y trouva un vaisseau marchand qui mettait à la voile, et par un vent favorable arrivant le troisième jour à Mytilène, il y annonça l'expédition. Les habitants, au lieu de sortir pour célébrer la fête d'Apollon, placèrent des postes sur la côte, et se remirent avec plus d'ardeur qu'auparavant aux travaux commencés. 

Les Athéniens arrivent, se voient attendus, font leurs propositions à la ville, Les Mytiléniens livreront leurs vaisseaux, raseront leurs murailles, sinon la guerre est déclarée. Sur le refus des Mytiléniens, les hostilités commencent. Bientôt à la grande joie des deux partis, qui veulent également gagner du temps pour doubler leurs forces, un armistice est conclu. Des ambassadeurs de Mytilène partent pour Athènes, en même temps qu'une trirème, évitant adroitement la flotte athénienne, en transportait d'autres à Lacédémone. Athènes ne veut rien céder : Mytilène se décide à soutenir la guerre; les autres villes de Lesbos étaient dans sa cause. Méthymne seule avait pris le parti contraire, et avec Imbros, Lemnos et quelques autres des îles voisines, s'était rangée du côté d'Athènes. Une sortie des Mytiléniens échoue; force est d'attendre les secours que promet Lacédémone; une seconde trirème part pour les presser. Les Athéniens aussi profitent de l'inaction de leurs ennemis. Aux deux côtés de la ville ils fortifient deux camps, et établissent des croisières devant les deux ports : la mer était ainsi complétement interdite, mais toute la campagne était libre.

Pendant ce temps les députés envoyés sur la première trirème étaient arrivés à Lacédémone, et de là à Olympie, où les Lacédémoniens leur avaient donné rendez--vous pour exposer aux alliés l'objet de leur mission. L'assemblée, acceptant leurs propositions, reçut les Lesbiens dans l'alliance commune : il fut arrêté qu'on se réunirait au plus vite dans l'isthme pour faire une invasion dans l'Attique. Les Lacédémoniens y furent les premiers, et se mirent à préparer les machines pour traîner les vaisseaux et les transporter de la mer de Corinthe à la mer d'Athènes, afin d'attaquer à la fois par terre et par mer. On espérait ainsi par une invasion subite faire rappeler la flotte qui pressait Lesbos. Mais, sans s'inquiéter de ces préparatifs menaçants, les Athéniens arment sur-le-champ cent vaisseaux, qu'ils envoient croiser le long de l'isthme, faisant montre de leurs forces, et opérant sans obstacle des descentes dans le Péloponnèse. Les Lacédémoniens, ne voyant pas arriver les alliés, reprirent le chemin de leur pays.

Vers la même époque les Mytiléniens, avec leurs troupes auxiliaires, font par terre une expédition contre Méthymne; l'entreprise échoue. Alors, passant par Antissa, Érésus, Pyrrha, ils font partout renforcer les murailles, et se hâtent de rentrer chez eux. A leur tour, les Méthymniens marchent contre Antissa; mais battus et repoussés, ils ont peine à regagner leur ville. A ces nouvelles, les Athéniens s'empressent d'envoyer des renforts pour accélérer la conclusion des événements. Mille hoplites partent, au mois de septembre, sous le commandement de Pachès, fils d'Épicure. Ces hoplites, remplissant eux-mêmes les fonctions de rameurs sur les vaisseaux, arrivent bientôt devant Mytilène, et l'environnent d'un mur de circonvallation. Mytilène se trouve alors bloquée par terre et par mer.

Au mois de mars arriva le lacédémonien Salaethus. Il avait débarqué à Pyrrha, et il avait pénétré dans Mytilène sans être aperçu. Il annonçait l'invasion imminente de l'Attique, en même temps que l'arrivée prochaine de quarante vaisseaux spartiates. Les assiégés se ranimèrent un peu à ces nouvelles. En effet, l'Attique fut envahie par Cléomène et affreusement ravagée. Mais les Athéniens s'obstinaient devant Mytilène , et les vaisseaux tant attendus de Sparte n'arrivaient pas. Ils étaient partis cependant; mais, au lieu de faire force de voiles, ils s'étaient arrêtés à d'inutiles captures, et perdaient un temps précieux. Salaethus lui-même désespérait; ce retard lui semblait inexplicable, et voulant essayer d'une résolution suprême, il fait donner des armes à tout le peuple pour tenter une sortie générale contre les Athéniens. Mais alors ce fut bien un autre danger. Le peuple, une fois armé, refusa d'obéir plus longtemps, se prit à accuser les riches, à dénoncer, comme toujours, des accapareurs de blé, à se rassembler en masse, menaçant, si la famine, qu'il imputait aux manoeuvres de l'égoïsme ou de la trahison, ne cessait sur l'heure, de livrer la ville aux Athéniens. 

Les chefs, impuissants à conjurer le péril, essayèrent au moins de le détourner de leur tête en envoyant des ambassadeurs au camp ennemi pour capituler, à ces conditions : ils se livreraient à merci; l'armée athénienne prendrait immédiatement possession de la ville; les Mytiléniens enverraient à Athènes implorer la clémence du peuple vainqueur. De son côté, Pachès s'engageait à attendre le retour de l'ambassade et les ordres de la mère patrie (avril 427). Les citoyens compromis par leur zèle pendant la guerre, saisis de frayeur, se réfugient au pied des autels. Pachès les rassure, promet de ne leur faire aucun mal, et les met en dépôt à Ténédos en attendant l'ordre d'Athènes. Il envoie ensuite recevoir la reddition d'Antissa; puis, apprenant que les vaisseaux lacédémoniens, arrivés trop tard au secours de Mytilène, longeaient la côte mal défendue de l'Ionie avec l'intention d'y débarquer, il se lance à leur poursuite, les chasse jusqu'à l'lle de Patmos, et s'en revient content, ayant hâte d'achever sa conquête. De retour à Lesbos, il soumet Érèsus, et Pyrrha, prend le Lacédémonien Salaethus, caché à Mytilène, et l'envoie à Athènes avec tous les Mytiléniens qu'il avait laissés à Ténédos, et tous ceux qu'il regardait comme les chefs de la défection. Puis, libre et maître assuré de l'île tout entière, il s'occupa d'y remettre l'ordre et d'organiser la servitude.

Salaethus, à peine arrivé à Athènes, malgré ses offres de service, fut mis sur-le-champ à mort. Le peuple, convoqué à l'agora, délibère sur le sort du reste des Mytiléniens. Cléon monte à la tribune; démagogue violent et farouche, il s'adresse aux passions de la multitude et parle à ses mauvais instincts. Il propose, et l'on vote d'acclamation, que tous les Mytiléniens en âge de porter les armes seront mis à mort, les femmes et les enfants vendus. Des députés sont envoyés à Mytilène pour porter au préfet des troupes ordre d'exécuter la loi. Mais chez ce peuple aux sentiments vifs et mobiles la colère ne pouvait durer : Cléon était à peine descendu de la tribune, que déjà la générosité athénienne avait repris le dessus et ramené les esprits à l'indulgence. Sur les instances des citoyens, une nouvelle assemblée est convoquée par les magistrats; et malgré Cléon, qui essaye de défendre le décret de la veille, la sentence est rapportée, et l'on s'empresse d'envoyer une seconde trirème pour atteindre celle qui portait l'ordre de l'exécution, et qui déjà avait un jour et une nuit d'avance. Les députés de Mytilène, inquiets sur le sort de leurs compatriotes, approvisionnent largement le vaisseau de farine et de vin, et promettent de grandes récompenses à l'équipage s'il devance l'autre vaisseau. Les matelots firent telle diligence, qu'à la fois ils ramaient et mangeaient de la farine pétrie avec du vin et de l'huile; ils dormaient et ramaient tour à tour. Par bonheur aucun vent ne fut contraire; le premier vaisseau, chargé d'une horrible mission, ne s'était point hâté d'arriver. Il venait d'entrer dans le port, et Pachès tenait encore en main la dépêche, quand survint le second vaisseau, apportant l'ordre contraire.

Cependant le châtiment fut terrible; ceux que Pachès avaient envoyés à Athènes comme partisans de Sparte furent mis à mort, quoique au nombre de plus de mille. Les murs de Mytilène furent rasés, la flotte confisquée; le territoire de l'île, celui de Méthymne excepté, divisé en trois mille lots; trois cents furent réservés pour les dieux, le reste fut distribué à des colons athéniens, à qui le sort les fit échoir en partage. Mais les Lesbiens les prirent à ferme, et, sous la condition de payer annuellement deux mines d'argent pour chaque lot, ils cultivèrent eux-mêmes la terre. Toutes les villes que Mytilène possédait sur le continent, Assus, Antandrus, Rhoetium, etc., passèrent aux Athéniens, et leur obéirent désormais. Bien que, suivant Thucydide, les clérouques (= les colons choisis par le sort) aient été réellement envoyés, il n'est pas vraisemblable que deux mille sept cents Athéniens soient restés à Lesbos; ils eussent alors difficilement laissé la totalité des terres à cultiver aux Lesbiens. Un grand nombre sans doute repartit; les autres restèrent en garnison, et formèrent probablement avec les anciens habitants la communauté du peuple. Les États formés par les clérouques retournaient par diverses voies à un assujettissement aussi grand que les alliés dépendants, avec cette seule différence qu'ils renfermaient des citoyens ayant le droit de cité dans Athènes.

Au printemps de la huitième année de la guerre du Péloponnèse, les habitants de Lesbos, et le nombre en était grand, qui après la conquête des Athéniens s'étaient enfuis pour éviter la servitude, prennent à leur solde des troupes auxiliaires du Péloponnèse, en rassemblent d'autres sur le continent, et s'emparent de Rhoetium, d'Antandrus, qu'ils fortifient pour s'assurer un refuge dans leurs sorties contre les Athéniens. A cette nouvelle Démodocus et Aristide, qui commandaient la flotte athénienne destinée à recueillir les tributs, arrivent de l'Hellespont à force de voiles, et après plusieurs combats s'emparent d'Antandrus, mettent à mort une partie des exilés, et ne partent qu'en laissant dans la ville une forte garnison. La seizième année de la guerre du Péloponnèse (416), deux vaisseaux lesbiens, peut-être de Méthymne, prennent part à l'expédition des Athéniens contre Mélos. L'année suivante, la flotte de Méthymne accompagne encore la flotte d'Athènes contre Syracuse. Méthymne était assujettie à fournir des vaisseaux, mais sans payer de tributs, tandis que ceux de Ténédos et d'AEnos étaient tributaires. 

« Ces peuples éoliques faisaient forcément la guerre contre des Béotiens, leurs fondateurs, Éoliens aussi, qui étaient alliés de Syracuse. » (Thucydide, VII, 57).
Les Lesbiens pendant les dernières années de la Guerre du Péloponnèse.
A la nouvelle du désastre des Athéniens en Sicile, leurs alliés cherchèrent de tous côtés à faire défection. Sollicité par les Eubéens, Agis, roi de Lacédémone, alors à Décélie, sur le territoire de l'Attique, se préparait à leur porter secours, quand il reçut une députation des Lesbiens, qui le suppliaient de prêter aide à leur révolte contre Athènes. Cédant à leurs prières et à celles des Béotiens, qui font cause commune cette fois avec eux et promettent dix vaisseaux, Agis ordonne à la flotte lacédémonienne qui se dirigeait sur l'Eubée de passer à Lesbos; mais le grand nombre des alliés qui briguaient à l'envi les secours tout-puissants du vainqueur, ayant jeté l'irrésolution dans les conseils de Lacédémone, une troisième destination fut donnée à la flotte. Il fut arrêté par l'assemblée générale qu'on ferait voile d'abord pour Chio, sous le commandement de Chalcidéus; de là on passerait à Lesbos. 

Mais avant que tout pût être prêt, Athènes était avertie, envoyait sa flotte au-devant de la flotte lacédémonienne, et, l'enfermant dans le port de Pircaeus sur la côte de la Corinthie, dégoûtait pour quelque temps Sparte d'envoyer aucune expédition en Asie. Les habitants de Chio continuent alors l'entreprise commencée, et se dirigeant avec treize vaisseaux sur Lesbos, font soulever Méthymne, où ils laissent quatre vaisseaux; le reste de la flotte se dirige vers Méthymne, et y proclame l'indépendance. Mais les Athéniens, commandés par Léon et Diomédon, arrivant à l'improviste avec vingt-cinq trirèmes dans le port de Mytilène, y surprennent les vaisseaux de Chio, et, après une vigoureuse résistance, s'emparent enfin de la ville. Astyochus, stratége des Lacédémoniens, qui avec quatre vaisseaux avait pris part à l'entreprise des habitants de Chio, essaye en vain de lutter contre la fortune d'Athènes. Il fait insurger Érésus, arme les hoplites de sa flotte, et les envoie par terre à Antissa et à Méthymne , pour rendre le courage aux habitants. Mais comme tout lui était contraire à Lesbos, il est forcé de se rembarquer. L'île tout entière rentra bientôt sous la domination des Athéniens.

La même année, au mois d'octobre, une nouvelle tentative de révolte eut lieu. Une députation des Lesbiens vint chercher Astyochus, qui se trouvait aux environs de Cyme et de Phocée; mais, dégoûté par son échec récent et par le peu d'empressement que témoignaient les alliés, il passa à Chio sans céder à ces instances. Une seconde députation l'y vint trouver, et n'eut pas plus de succès. Lesbos, pour cette année, resta donc sans conteste au pouvoir d'Athènes; mais l'année suivante (411), au mois de juillet, Érésus lui échappa, pour la troisième fois. Des proscrits de Méthymne, des plus considérables de la cité, ayant fait passer de Cyme à Lesbos une cinquantaine d'hoplites, qu'ils s'étaient associés, et quelques mercenaires réunis sur le continent, en tout à peu près trois cents hommes, s'en vinrent d'abord attaquer Méthymne; mais à deux reprises la garnison athénienne de Mytilène accourut, et les repoussa; alors, traversant la montagne, ils se rejetèrent sur Erésus, et s'en emparèrent.

Thrasyllus, le général Athénien, accourt avec cinquante-cinq vaisseaux; il se trouve devancé par Thrasybule, qui avec cinq vaisseaux s'était porté au point menacé. Deux navires qui revenaient de l'Hellespont et ceux de Méthymne s'étant joints à cette flotte, il se trouva en peu de temps soixante-sept bâtiments réunis devant Érésus, montés par de nombreux soldats, et munis de toutes les machines de guerre. Mais Mindare et la flotte lacédémonienne qui était à Chio étant partis pour l'Hellespont, les Athéniens levèrent en toute hâte le siège pour poursuivre un plus dangereux ennemi. Érésus se trouva donc ainsi délivrée d'une manière inespérée, et jouit quelque temps de l'autonomie; elle la perdit bientôt sans doute, mais aucun historien ancien n'en fait mention d'une manière précise.

Au mois de juillet (410) Thrasyllus, général des Athéniens, vaincu près d'Éphèsepar Tissapherne et les Syracusains, passe à Lesbos; mais comme il entrait au port de Méthymne, il aperçoit les vingt-cinq galères victorieuses de Syracuse : il se précipite sur elles, en prend quatre avec leur équipage, et poursuit le reste jusqu'à Éphèse, d'où elles étaient parties.

Bataille des îles Arginuses (406). 
La vingt-sixième année de la guerre du Péloponnèse, Callicratidas, successeur de Lysandre, riche de l'argent fourni par Milet et par Chio, qui à elle seule paie cinq drachmes à chaque soldat, fait voile vers Méthymne, ville ennemie. Les habitants lui en refusent l'entrée. Ils étaient gardés par une garnison athénienne, et les magistrats qui pour lors dirigeaient les affaires tenaient contre Sparte. Callicratidas emporte la ville de vive force, et la livre au pillage; les esclaves, réunis sur la place publique, sont vendus à l'encan. Les alliés voulaient qu'on vendît de même tous les habitants :

« Tant que je serai général, répondit Callicratidas, il ne sera pas dit qu'un Grec a été asservi et que j'aie souffert ce crime. » 
Le lendemain il congédia avec la garnison athénienne tout ce qui était de condition libre. En vain Conon, chef de la flotte athénienne, essaye de porter secours aux Lesbiens; ses forces sont trop inégales pour qu'il ose se mesurer avec l'ennemi. Il parvient à atteindre Mytilène, toujours poursuivi par Callicratidas, qui avec soixante-dix galères essaye de lui disputer l'entrée du port. Conon est forcé d'accepter le combat, et perd trente vaisseaux, dont l'équipage parvient cependant à gagner la terre. Callicratidas qui n'a pu empêcher Conon de se réfugier dans le port de Mytilène, l'y bloque de toutes parts. Tandis que ses vaisseaux interdisent la mer, il fait venir par terre, de Méthymne et de Chio, de nombreux renforts, qui enferment les troupes d'Athènes. Rien ne manque ni à la flotte ni au camp lacédémonien : l'argent de Cyrus suffit à tout. Conon était à l'extrémité. Les vivres diminuaient chaque jour; il n'avait aucun moyen d'en faire venir de la ville, qui regorgeait d'habitants, et nul espoir d'en recevoir d'Athènes, qui ignorait sa position désespérée. Il résolut à tout prix de sortir de ce mauvais pas. Choisissant dans sa flotte les deux meilleurs voiliers, il les arme avant le jour de rameurs choisis, de soldats d'élite, et les lance à travers la flotte lacédémonienne; un de ces vaisseaux est pris, l'autre s'échappe, et regagne Athènes. En peu de jours, Diomédon arrive dans le golfe de Mytilène avec douze galères; mais Callicratidas les charge à l'improviste, en prend dix, et force les deux autres à s'enfuir.

Athènes apprend ce nouvel échec; elle fait un effort énergique pour sauver Conon; l'envoi d'une flotte de cent dix vaisseaux est décrété à l'unanimité. Tous les gens en âge de porter les armes s'embarquent, hommes libres et esclaves. La cavalerie presque tout entière fait partie de l'expédition. Au bout d'un mois, tout s'était trouvé prêt, les soldats armés, la flotte construite, équipée en guerre. On met à la voile; Samos en passant fournit dix galères ; trente autres viennent s'y joindre, envoyées par le reste des alliés. Cent cinquante voiles composent bientôt la flotte athénienne. Callicratidas, apprenant l'arrivée de l'ennemi, laisse Étéonice au siège avec cinquante vaisseaux, et se mettant en mer avec cent vingt autres, va attendre les Athéniens au cap Malée de Lesbos. Ceux-ci passaient la nuit aux Arginuses. Le lendemain les deux flottes s'abordèrent. Le pilote de Callicratidas, Hermon de Mégare, voyant que les Athéniens étaient de beaucoup les plus nombreux, lui représenta qu'il ferait bien peut-être d'éviter le combat : 

« Qu'importe ma mort à Lacédémone, répond Callicratidas, c'est ma fuite qui la déshonorerait. »
Et il donne le signal du combat. La lutte dura longtemps entre les deux flottes, d'abord serrées et ligne contre ligne, puis dispersées. Au premier choc de son vaisseau, Callicratidas tombe dans la mer qui l'engloutit. Enfin l'aile droite des Péloponnésiens est enfoncée; une partie s'enfuit à Chio. Le plus grand nombre gagne Phocée. Les Athéniens, vainqueurs, retournèrent aux Arginuses; ils avaient perdu vingt-cinq galères avec les équipages, à l'exception d'un petit nombre d'hommes qui put prendre terre. Mais du côté des Péloponnésiens, le désastre était bien autrement grand. Neuf vaisseaux lacédémoniens avaient péri sur dix qui avaient combattu; leurs alliés en perdirent plus de soixante. Etéonice, qui enfermait Conon, en apprenant la mort et la défaite de son général, se hâta de lever le siège, et d'envoyer sa flotte à Chio; puis, brûlant son camp, il gagna Méthymne avec l'armée de terre. Conon, enfin libre, prend la mer, et par un bon vent s'en vient rencontrer la flotte athénienne qui arrivait des Arginuses. Elle s'arrêta quelque temps à Mytilène, puis en repartit pour se rendre à Samos.

Situation politique de Lesbos au IVe siècle.
Après la bataille d'AEgos-Potamos, Lysandre avec deux cents voiles aborda à Lesbos, imposa une constitution oligarchique aux villes de l'île, entre autres à Mytilène, et fit reconnaître la suprématie de Lacédémone. Ce ne fut pas pour longtemps. Après la victoire de Cnide, Mytilène fut une des villes qui rentrèrent dans l'alliance d'Athènes. Le reste de l'île refusa de suivre son exemple. En 390, Thrasybule entreprit de rendre à Athènes cette importante possession. Il commence par enrôler à Mytilène les
bannis des différentes cités qui s'y étaient réfugiés, et leur associe les plus braves des Mytiléniens; il promet à ceux-ci la souveraineté de Lesbos, aux proscrits un retour assuré dans leurs foyers, aux soldats de sa flotte abondance et richesse. Du premier pas il marche contre Méthymne. Thérymaque, gouverneur de la ville pour les Lacédemoniens réunit ses soldats aux Méthymniens et aux bannis de Mytilène, et va jusqu'aux frontières au-devant de l'ennemi. Il est tué dans le combat; ses soldats sont mis en déroute, et Méthymne ouvre ses portes. Les autres villes tombent au pouvoir du vainqueur, les unes de force, les autres de leur plein gré.

Le traité d'Antalcidas enlève de nouveau Lesbos aux Athéniens. A la faveur de ce traité, Lacédémone parvint à rétablir son autorité sur toute la Grèce. Les villes de Lesbos furent du nombre de celles qu'elle soumit d'abord; mais bientôt, lassées de cette tyrannie rude et superbe, elles réclamèrent à l'envi l'ancienne alliance des Athéniens (378).

Après la paix conclue entre les Grecs par l'intervention d'Artaxerxès (375), Lesbos semble avoir joui de l'autonomie. Lors de l'alliance nouvelle qui réunit les Athéniens et les Lacédémoniens (369), il est probable qu'elle revint sous la domination d'Athènes.

Lesbos passe sous la domination des Macédoniens.
Après la guerre sociale, on retrouve le régime oligarchique établi à Mytilène. Sans doute l'influence du grand roi était pour beaucoup dans cette révolution. Mais après le passage du Granique, Alexandre reçut dans son alliance les Lesbiens, et chassa le parti des grands. Au printemps de l'année 334, Memnon le Rhodien, rassemblant une nombreuse troupe de mercenaires et une flotte de trois cents vaisseaux bien équipés, se dirigea d'abord contre Chio; de là passant à Lesbos, il n'a pas de peine à se rendre maître d'Antissa, de Méthymne, de Pyrrha, d'Érésus; mais Mytilène, grande, riche, défendue par de bons remparts et une population nombreuse et décidée, ferma ses portes, et soutint le siège. Memnon l'enferme d'un double retranchement dominé par cinq citadelles; une partie de la flotte bloque le port de Mytilène; le reste, se portant au cap Sigrium, intercepte les secours. Sur ces entrefaites une maladie emporte Memnon, qui laisse le commandement à Autophradate et à Pharnabaze, son fils. Le siège n'est pas interrompu; la famine se met dans la ville : Mytilène est forcée d'accepter les conditions imposées par l'ennemi : les exilés rentreront chez eux, et recevront la moitié des biens qu'ils possédaient à leur départ. Les colonnes sur lesquelles était gravé le traité conclu avec le roi de Macédoine, seront abattues par la main des Mytiléniens. Mytilène reviendra à l'alliance persane; d'ailleurs, les mercenaires fournis par Alexandre seront libres de partir. Ces conditions sont acceptées; mais à peine entrés dans la ville, Autophradate et Pharnabaze introduisent une garnison perse, avec Lycomédon le Rhodien pour chef, et imposent aux citoyens la tyrannie de Diogène, l'un des exilés revenus avec les vainqueurs; non contents de ces violences, ils mettent sur la ville une contribution énorme, qu'ils se font payer par force.

En 332, Hégélochus, chargé par Alexandre de délivrer les îles grecques tombées sous la domination des Perses , s`empare de Chio. Aristonicus, tyran de Méthymne, ignorant ce qui s'était passé, et prenant. sur la foi des gardiens du port, la flotte d'Hégélochus pour celle de Pharnabaze, aborde à Chio avec cinq vaisseaux de pirates, et est fait prisonnier. Aussitôt Hégélochus fait voile vers Lesbos, et met le siège devant Mytilène elle était défendue par une garnison perse de deux mille hommes. L'Athénien Charès, qui la commandait, livre la ville pour avoir la vie sauve. Les autres cités se rendent sans tenter de résistance; et Hégélochus en conduit les tyrans à Alexandre. Celui-ci se contente de renvoyer chacun d'eux à la ville qu'il opprimait; les citoyens les précipitent du haut des murailles. Pour récompenser la fidélité des Mytilène, Alexandre leur rend leurs otages et double leur territoire.

Laomédon  et Erigyius auprès d'Alexandre.
On peut voir sans invraisemblance dans cette faveur dont jouit Mytilène une preuve de l'influence puissante exercée à cette époque sur le jeune roi par Laomédon et Erigyius tous deux Mytiléniens. Contraints sous le règne de Philippe à fuir de Macédoine, Alexandre ne les avait rappelés que pour les combler d'honneurs. Laomédon, qui connaissait les deux langues, la langue persane et la langue grecque, avait été mis à la tête des barbares prisonniers, Érigyius, de la cavalerie des alliés; et c'est à ce titre qu'il prit part à la bataille d'Arbelles. Lors de la marche d'Alexandre à travers l'Hyrcanie, Érigyius fut chargé de conduire les bagages et les chars. Bientôt, avec Artabaze et Caranus, il reçut la mission de ramener à l'obéissance les Ariens révoltés. Une lutte acharnée s'engagea; les barbares soutinrent le choc des armées macédoniennes jusqu'à ce qu'Érigyius s'attaquant corps à corps à Satibarzane, le général ennemi, lui enfonça son javelot dans la poitrine, et l'étendit à ses pieds. A cette vue, les barbares prirent la fuite (329). Quand Alexandre soumit au conseil de ses amis le projet de franchir l'Iaxarte  et de faire la guerre aux Scythes, Érigyius fut un de ceux qui s'opposèrent avec le plus d'énergie à cette expédition stérile. Il mourut dans le même temps que Philippe, frère de Lysimaque, et Alexandre lui fit de magnifiques funérailles.

Quant à Laomédon, après la mort d'Alexandre, il obtint le gouvernement de la Syrie. Il le garda dans la nouvelle division des provinces faites par Antipater; mais Ptolémée, s'étant rendu maître de l'Égypte, envoya contre la Syrie son générai Nicanor, qui vainquit Laomédon et le dépouilla.

Lesbos passe sous la domination des Romains.
Après la mort d'Alexandre, le silence commence à se faire dans l'histoire de Lesbos. Il faut glaner dans les historiens, sur les médailles et les inscriptions, dans les débris et les ruines de sa grandeur passée, une trace, un souvenir d'existence.

Polybe nomme une fois Mytilène pour rappeler qu'elle travaille à conclure la paix entre Philippe et les Étoliens. Une autre fois, c'est Méthymne qui devra être dédommagée par Prusias des pertes éprouvées pendant une guerre entre ce prince et Attale. Antissa a l'audace de recueillir et d'aider un général de Persée, roi de Macédoine, pour lors en guerre avec Rome. Aussitôt Labéon est chargé d'anéantir la ville coupable, et d'en transporter les habitants à Méthymne. Un mot de Pline atteste le succès de l'expédition romaine.

Cependant la cause de Mithridate est devenue la cause de toute l'Asie. Un entraînement irrésistible détache chaque jour les villes de l'alliance romaine. Les Lesbiens suivent l'exemple général. Ils appellent Mithridate, et, exagérant tout d'abord leur zèle, ils livrent à ses soldats Aquillius, qui, vaincu et malade, s'était réfugié à Mytilène. Après la défaite de Mithridate, Mytilène refusa de poser les armes. Minucius Thermus la prit, et la saccagea. C'est dans cette expédition que Jules César mérita une couronne civique.

Plus tard, Théophane de Mytilène, ami intime de Pompée, obtint de lui la liberté pour son île. Pompée vint à Mytilène en 62. Il y assista aux jeux et aux combats de poésie, dans lesquels on ne célébra que ses exploits. Le théâtre de Mytilène lui plut; et il en lit prendre le plan pour en construire un dans Rome du même genre, mais plus grand et plus vaste. Après la bataille de Pharsale,

Pompée vint chercher à Mytilène Cornélie et son fils, qu'il y avait déposés loin du tumulte des armes; mais il se refusa à toutes les instances des citoyens, et ne voulut pas entrer dans la ville. 

Là même bienveillance que Pompée avait trouvée à Mytilène, son fils Sextus l'y retrouva, aussi vive et aussi dévouée, quand, vaincu lui-même par Agrippa , il vint demander asile à Lesbos. A son tour, Agrippa, qui devait plus tard être le gendre d'Auguste, s'indignant de se voir préférer Marcellus, vint chercher, à Mytilène un asile contre les disgrâces de la fortune. Dans sa retraite il combla les Mytiléniens de bienfaits, et la ville lui éleva un monument de sa reconnaissance. Sur le rivage de Lesbos on a trouvé cette inscription :

LE PEUPLE
AU DIEU SAUVEUR DE LA VILLE MARCUS AGRIPPA
LE BIENFAITEUR ET LE FONDATEUR.

Germanicus, désigné consul, passe à Lesbos (18 après J.-C.) avec sa femme Agrippine, qui devint pendant son séjour dans l'île mère de Julie. Des médailles en consacrent le souvenir.

Enfin peu à peu l'histoire se tait tout à fait. De nombreuses médailles de Mytilène, de Méthymne, d'Érésus, frappées en honneur des princes ou en souvenir d'événements sans importance, attestent seules encore l'existence de ces cités. Les autres villes de l'île ne donnent pas signe de vie. Lesbos est désormais pour des siècles immobile et silencieuse, sous la domination des Romains.

Histoire de Lesbos au Moyen âge et pendant les Temps modernes

Lesbos sous la domination des empereurs byzantins.
Lesbos, comprise après Théodose dans l'Empire d'Orient, vécut paisible et oubliée tant que la domination byzantine fut, solide et bien affermie. Mais dès que les barbares commencèrent à s'aventurer dans la mer Egée, chaque guerre nouvelle lui apporta des malheurs nouveaux. Placée sur le chemin des coureurs de mer, qu'elle abritait derrière ses côtes immenses, elle ressentait chaque secousse donnée à l'empire. Sa situation aux portes des Dardanelles, en face de l'Asie, en faisait le but du premier ambitieux qui visait au trône de Byzance, ou de l'aventurier qui ne cherchait que le pillage. Les premiers siècles du Moyen âge ne présentent qu'une succession confuse d'invasions et de tremblements de terre, qui semblent également se produire à des intervalles réguliers. Lesbos eut à souffrir surtout des Scythes en 376, des Esclavons en 769, des Sarrasins d'Espagne et d'Afrique en 821, 881,1035, des Russes en 864, 1027. Quelques faits épars dans les Byzantins viennent de temps en temps interrompre la monotonie de cette désastreuse histoire.

On lit dans Procope que Bélisaire avait fait transporter à Byzance les prisonniers vandales, et qu'on les envoya dans l'Orient pour combattre les Perses. En 538, quatre cents d'entre eux, en arrivant à Lesbos, se révoltent, forcent les matelots à se détourner de leur route, et, se dirigeant d'abord vers le Péloponnèse, parviennent à gagner l'Afrique, leur terre natale. En 741 les prodiges du temps d'Orphée se renouvellent : les reliques de Sainte-Euphémie, jetées à la mer par le fanatisme iconoclaste de Constantin Copronyme, sont portées doucement par les flots jusqu'aux rivages d'Érésus, où la piété des habitants les recueille. 

Le commencement du IXe siècle vit se terminer à Lesbos une grande infortune. Après s'être élevée de la pauvreté au trône de Constantinople et avoir un moment songé à la main de Charlemagne, l'impératrice Irène est détrônée par l'hypocrite Nicéphore et reléguée à Prinkipo, puis à Lesbos (802). Là, prisonnière et gardée à vue, elle manquait du nécessaire, réduite à filer pour gagner sa vie. Elle mourut l'année suivante, et fut enterrée à Lesbos même, dans un monastère qu'elle avait fondé. Les Grecs, oubliant les tristes exemples qu'elle avait donnés au temps de sa puissance, et touchés par le délaissement, la misère et le repentir de ses derniers jours, l'ont mise au rang des saintes.

La septième année du règne de Michel (849), le patriarche Ignace, qui reprochait sans cesse au César Bardas ses  amours avec Eudoxie, sa bru, ayant osé lui refuser les sacrements , est arraché de l'autel, et, après d'affreuses tortures, relégué à Mytilène. Mais, plus heureux qu'Irène, il ne termina pas ses jours dans cet exil. En 945 la discorde et les crimes de la famille impériale rejettent à Lesbos une nouvelle famille de proscrits. Étienne et Constantin, fils de Romain Lécapène, s'étaient à peine emparés du trône en jetant leur père dans un cloître, qu'à leur tour. IIs sont renversés par leur beau-frère Constantin VII Porphyrogénète. Saisis tous deux à table, tous deux sont tondus et faits moines. Étienne, relégué dans l'île de Proconèse, puis à Rhodes, est enfin déporté à Mytilène. Il y vécut dix-neuf ans, sans impatience, sans regrets. Enfin, un samedi saint, au retour de la messe, où il avait communié, il tomba mort, empoisonné par ordre de l'impératrice, à qui il faisait ombrage.

Quelques années plus tard , tandis que l'empereur Jean Zimiscès était occupé à repousser les Russes, éclate la révolte, de Bardas Phocas (971). L'île de Lesbos était le principal foyer de l'agitation. Léon Curopalate, père du général rebelle, exilé par l'empereur à Mytilène, était parvenu à entretenir de là des rapports avec Étienne, évêque d'Abydos, et par son entremise il promettait aux Macédoniens honneurs et argent pour les soulever contre Zimiscès. Celui-ci , averti à temps, ordonna qu'on lui crevât les yeux. Mais le soldat chargé de son supplice, soit qu'il se fût senti saisi de pitié pour une si grande infortune, soit que l'empereur, se repentant de cet ordre sévère, l'eût lui-même secrètement adouci, épargna sa victime. Les paupières de Léon étaient restées saines, et sa vue intacte. Aussi l'année suivante il parvint à corrompre ses gardes et à s'enfuir. Arrêté tout d'abord à Constantinople, avant de pouvoir donner suite à ses projets ambitieux, il fut cette fois livré à des agents sûrs, qui l'aveuglèrent sans miséricorde, et de là il fut relégué à Calonimi Besbicus.

Au siècle suivant, Lesbos vit encore d'autres illustres victimes des caprices de la fortune. Constantin Monomaque était depuis sept ans gardé à vue à Mytilène, quand un ordre arrivé de Constantinople vint changer sa fortune. Sa passion pour l'impératrice Zoé avait causé sa perte. Zoé, débarrassée de son époux par la violence, rappelait son favori, le nommait gouverneur de la Grèce, et bientôt après s'unissait à lui (11 juin 1042). A son tour, Constantin Monomaque put se venger de ses ennemis. L'eunuque Jean, frère de l'empereur Michel le Paphlagonien, vivait au delà du Bosphore, dans un monastère. Monomaque, qui lui imputait son exil, le fit transporter à Mytilène, avec ordre de lui crever les yeux. Jean mourut douze jours après (12 mai 1043).

Incursions des Turcs.
Au milieu des guerres qui agitèrent l'empire à la fin du XIe siècle, un aventurier turc, nommé Tsachas , rassemblant quarante barques et des matelots expérimentés, se prit à courir la mer Egée et à en ravager toutes les côtes. Phocée, Clazomènes tombent entre ses mains. Fier de ses succès, il mande alors officieusement au gouverneur de Lesbos, Alopus, qu'il va se présenter avec toutes ses forces. Il lui conseillait, s'il était sage, de lui laisser la place libre, ou sinon qu'il le ferait pendre. Alopus ne se le fit pas dire deux fois, et partit de nuit pour Constantinople. Tsachas vint à Lesbos, et l'île tout entière fut à lui. Il ne trouva de résistance qu'à Méthymne, qui soutint un siège. Mais Tsachas, ne la jugeant pas digne du temps qu'elle lui ferait perdre, se rejeta sur Chio, qu'il conquit sans peine. A ces nouvelles, l'empereur Alexis Comnène (1089) arme une flotte, et la confie à Nicétas Castamonite. A la première rencontre, Nicétas est vaincu, et laisse une partie de ses vaisseaux au pouvoir de Tsachas. Une seconde flotte impériale, commandée par Constantin Dalassène, va reprendre Chio, et retourne en toute hâte à Constantinople pour porter secours à l'empereur contre les Scythes. Alexis, enfin libre de ce côté, se retourna vers Tsachas, qui déjà se faisait nommer empereur et prenait Smyrne pour capitale de son empire. Cette fois il eut pour adversaire Jean Ducas, le vainqueur des Scythes. Ducas commandait en personne l'armée de terre, et Dalossène qui, sous sa direction, conduisait la flotte, avait ordre de longer le rivage en modérant la marche des vaisseaux, de telle sorte que l'armée et la flotte pussent aborder à la fois à Mytilène. Dès que Jean Ducas fut débarqué, on se mit aux travaux du siége. Galabaze, frère de Tsachas, défendit la ville. Tsachas lui-même accourut bientôt. Pendant trois mois on se battit presque tous les jours. Tsachas se décida pourtant à parler de paix. Il ne demandait qu'à se retirer librement à Smyrne, promettant de respecter les Mytiléniens et de n'en emmener aucun avec lui. Il y eut suspension d'armes; un traité fut juré de part et d'autre, on échangea des otages. Mais des incidents inattendus ranimèrent les haines et les défiances : la paix fut violée; et l'amiral grec, malgré Jean Ducas, qui voulait respecter les serments donnés, se mit à la poursuite de Tsachas, l'atteignit, détruisit la flotte turque et en massacra les équipages. Tsachas eut peine à s'échapper, déguisé en matelot. Après cet exploit, Dalassène vint rejoindre Ducas, et tous deux, ayant reçu la soumission de Samos et des îles voisines, retournèrent à Constantinople (1092).

Incursions des vénitiens, des Catalans, des Génois. 
Lesbos était à peine remise de cette guerre, que la rupture de Venise avec l'Empire grec attira sur cette île de nouveaux ennemis. Les Vénitiens s'irritant d'une insulte faite à leur doge, se répandent dans la mer Egée. En 1128 Dominique Michieli met à feu et à sang Chios et Lesbos, et ne lève l'ancre qu'en emmenant une multitude d'enfants des deux sexes, pour les vendre comme esclaves.

Les historiens font mention, vers cette époque, d'un intrigant lesbien, qui, par son esprit rusé et persévérant, avait su s'élever d'un rang infime à la hauteur d'une grande fortune. L'eunuque Thomas, né à Mytilène, d'une famille misérable, fut élevé sans soin, et comme il convenait au sort qui lui semblait réservé. Son ardente ambition le poussa à Byzance. II y vécut quelque temps du métier de chirurgien, ne pratiquant d'ailleurs que la saignée. Mais son adresse, sa complaisance, son esprit plurent aux malades. On le recommanda; il s'introduisit au palais; admis auprès de l'impératrice, il entra bientôt chez l'empereur. Manuel I, qui régnait alors (1170), comprit le parti qu'il pouvait tirer de son talent pour l'intrigue; il l'employa dans les affaires, les négociations, les ambassades. Les honneurs vinrent en foule, les richesses avec les honneurs. Non content d'être riche, Thomas voulut être noble; mais l'intrigue, par laquelle il espérait arriver à ce terme suprême de son ambition, ayant échoué, il tomba en disgrâce, et fut enfermé dans la prison du palais, où il resta jusqu'à sa mort. C'est là le seul nom qu'ait à nous présenter dans tout le Moyen âge l'île d'Alcée et de Pittacus, de sapho, de Théophraste et de Potamon.

Lors du partage des terres de l'Empire grec entre les Français et les Vénitiens, plusieurs îles de la mer Egée, Lesbos entre autres, échurent aux Français (1204). Mais après la bataille de Pémanène, où Robert de Courtenay fut vaincu, Jean Ducas Vatace, le vainqueur, s'empare des côtes de l'Asie, et en plein hiver passe à Lesbos, qu'il reprend sans résistance. Une paix conclue la même année restitue cette possession importante à l'Empire latin de Constantinople (1224). Mais la guerre ayant repris, après maintes alternatives de succès et de revers, Vatace assure définitivement à l'Empire grec de Nicée la possession de Chio, Samos et Lesbos (1247). Douze ans plus tard, le fils de Vatace, Théodore Ducas Lascaris, meurt dans les bras de l'évêque de Mytilène, son confesseur (1259).

En 1305, des aventuriers, connus sous le nom de Catalans ou Almogavares, viennent, sous la conduite de Roger de Flor, se mettre au service de l'Empire grec. Mais, presque aussi cruels que les Turcs qu'ils allaient combattre, ils rançonnent chemin faisant les provinces de leurs nouveaux alliés. Partout où ils sentaient de l'or, qu'il appartînt à un moine, à un prêtre ou à un officier impérial, ils l'arrachaient par des menaces de mort et des tortures. Qui n'avait pas de richesses à livrer payait de sa vie le malheur d'être indigent. C'est ce qui arriva à l'infortuné Machrama, à Mytilène.
C'était un des principaux officiers impériaux, tout-puissant dans la faveur du prince. Il avait sa demeure habituelle près du Scamandre; dans la terreur causée par les invasions, les populations, pleines de confiance, s'étaient réfugiées spontanément sous sa protection, et il était resté dépositaire des richesses de ceux qui émigraient. Mais, forcé de fuir à son tour, il était passé à Mytilène, avec le reste des habitants de la côte. A l'arrivée des Catalans, il fut le premier désigné à leur avidité. Il est pris, enchaîné; on lui impose pour rançon cinq mille pièces d'or. En vain proteste-t-il qu'il ne peut les payer; après mille tortures, il est décapité.

En 1338, sous le règne d'Andronic III, le Génois Dominique, fils d'André Catanes, qui tenait de la faveur de l'empereur le gouvernement de la nouvelle Phocée, se voyant maître d'immenses richesses, que lui apportait la succession de son père, songea à s'emparer de Lesbos et à s'y faire une principauté. Les chevaliers de Rhodes et le prince des Cyclades, Nicolas Sanudo, se joignirent à lui. Mytilène, dans la terreur et la surprise d'une attaque inattendue, livrée peut-être par la trahison, fut emportée sans peine. On se préparait à s'en partager les richesses et à conquérir le reste de l'île, quand Catanes introduisit par ruse une garnison dans Mytilène; et devenu seul maître de la ville, il refusa d'y recevoir ses alliés. A lui seul il avait fourni dix trirèmes à la confédération, les chevaliers quatre, les Cyclades sept. Catanes se sentait donc aussi fort que Sanudo uni aux Rhodiens. Outrés de ce manque de foi, les alliés repartirent sans vouloir entendre aucune proposition. Catanes commença par chasser de Mytilène les anciens habitants, et faisant venir sa femme et ses enfants, qu'il avait laissés à Phocée, il prit le parti de s'établir dans sa nouvelle conquête. Toutes les autres bourgades et tous les châteaux de l'île se rendirent sans résistance.

Érésus seule et Méthymne repoussèrent victorieusement toutes les attaques. A ces nouvelles, l'empereur, qui se trouvait alors à Constantinople, entra dans une violente colère, et reprocha vivement aux Génois leur fourberie et leur parjure. Puis il fit ses préparatifs de guerre. En vingt jours une flotte de quatre-vingt-quatorze vaisseaux, dont vingt-quatre étaient à deux et trois rangs de rames, se trouva prête à partir. Suivaient d'autres navires, portant les soldats de terre, les vivres et les machines de guerre. A l'époque de la canicule, dans la saison où les vents du nord se précipitent sur la mer inférieure, l'empereur mit à la voile avec toutes ses forces, et se dirigea sur Mytilène (1337). A la hauteur de Gallipoli, des éclaireurs découvrirent la flotte impériale, et l'annoncèrent aux vaisseaux génois. On n'était pas en force pour combattre. Cinq trirèmes furent chargées de porter des renforts et des vivres à Calloni, ville alors très opulente de Lesbos. Le reste de la flotte alla couvrir Mytilène. 

L'empereur, abordant à Erésus, félicita les habitants de leur fidélité, qu'il promit de récompenser, et se dirigea sur Chio. Le long de la côte, une de ces vigies placées sur les hauteurs pour dénoncer l'approche des vaisseaux, héla la flotte au passage : A qui la flotte? - On répondit que c'était celle de l'empereur, montée par l'empereur lui-même. - Mais les trirèmes de Calloni, à qui donc sont-elles? repartit le veilleur. - L'empereur crut comprendre que toute la flotte ennemie qu'il savait à Mytilène, s'était transportée à Calloni, et il fit virer le bord pour l'atteindre. Il n'y trouva que les cinq trirèmes échouées à terre, vides et sans maîtres. Il fit donner la chasse aux matelots, réfugiés dans les bois, et repartit emmenant ses prises. Son oncle, Alexis Philanthropène, resta à Lesbos avec un nombre suffisant de cavaliers et de soldats. Toutes les villes de l'île, proie facile du premier venu, se rendirent à lui. Il lui fallut faire cinq mois le siège de Mytilène, à qui on avait laissé le temps de se pourvoir et de se fortifier. Enfin, grâce à son esprit conciliant et aux nombreuses largesses faites aux mercenaires de la garnison ennemie, Philanthropène parvint à remettre les choses dans leur premier état et à faire rentrer l'île tout entière sous l'obéissance de l'Empire grec.

Lesbos sous le gouvernement de la famille des Gateluzi.
En 1355 Lesbos changea de maître, Jean Paléologue ler, pour récompenser François Gateluzio, qui l'avait aidé à purger la mer Egée des pirates catalans, lui donna en mariage la princesse Marie, sa soeur, et pour dot l'île de Lesbos. Aussitôt après la noce, les deux époux partirent pour Mytilène. Peu à peu les possessions du prince génois s'accrurent de la ville d'Aïnos, des îles d'Imbros, Thasos, Lemnos, Samothrace, et il eut peine à protéger tout son vaste domaine contre les incursions continuelles des Turcs. Sous Orkan, Oumourbeg, émir des côtes d'Ionie, ravage Lesbos. Sous Amurat ler, Younis, officier des janissaires, assiège, mais sans succès, Methymne. Bajazet s'y prit autrement pour réduire les insulaires, ses ennemis il leur coupa les vivres; à peine est-il maître de la côte asiatique, qu'il interdit toute exportation de blé du continent dans les îles, spécialement dans les îles de Lemnos, Rhodes, Chio et Lesbos (1380). 
On en était là lorsque se livra la bataille de Nicopolis, où le duc de Nevers et tant d'autres restèrent prisonniers aux mains de Bajazet. Jacques, fils de François Gateluzio, lui avait succédé sur la souveraineté de l'île. Ce"moult vaillant baron, qui étoit assez en la grâce et amour de l'Amorah", intervint avec le sire d'Abydos en faveur des captifs; il resta même en gage pour le sire de Coucy, "un sien cousin", qui malade et trop faible pour suivre l'émir, était demeuré à Brousse, où il mourut peu après (Froissart). 

Quand le prix de la rançon eut été arrêté d'un commun accord à 200,000 ducats, les sires de Mételin (Lesbos) et d'Abydos en firent leur dette, et en répondirent à l'émir (Ducas); et quand les prisonniers eurent leur congé et délivrance, Jacques Gateluzio vint les chercher à Brousse, 

« et tant exploitièrent par mer les gallées de Mételin, qu'elles vinrent à port. Si furent le comte de Nevers et tous les seigneurs de France reçus à grand joie. La dame de Mételin, femme au dit seigneur, était moult révérente [...] si se tint la bonne dame à bien parée et honorée quand elle vit venir en son hôtel le comte de Nevers, messire Henry de Bar, messire Gui de la Trémouille et tous les autres, et en fut moult réjouie; et les recueillit joyeusement et doucement, et se ordonna de tous les points à leur faire plaisir. Et premièrement elle revêtit tous les seigneurs de France, et rafraîchit et renouvela de nouveaux draps, linges, et de robes et vêtures de fins draps de Damas, selon l'ordonnance et coutume de Grèce, et après tous les serviteurs des seigneurs, chacun selon son état de degré en degré; et le fit la dame pleinement bonnement sans rien épargner. De quoi les seigneurs lui sçurent bon gré, et dirent grand bien d'elle en recommandant son état et ordonnance, et aussi du bon seigneur de Mételin et du seigneur d'Abyde, qui les honoroient tant qu'ils pouvoient et leur administraient tous leurs nécessités. 

Quand on sut que les seigneurs français se tenaient à Mételin, Jacques de Braquemont, maréchal de Rhodes, équipa deux galères, et vint au-devant d'eux. a Et depuis qû il fut venu, il se rafraîchit quatre jours, et eu cinquième les gallées furent toutes prêtes et chargées de l'ordonnance et pourvéance nouvelles des seigneurs de France, dont elles furent rafraîchies. Le comte de Nevers et les seigneurs de France, qui avec lui étoient prirent congé de la dame de Mételin, et la remercièrent grandement, et aussi firent-ils les seigneurs de leurs bienfaits et courtoisies à desservir au temps à venir; et par spécial le comte de Nevers, qui chef était de tous, se disoit et obligeoit de bonne volonté à être grandement tenu. La dame à tous comme bien pourvue répondit sagement, et ainsi se firent les départies. Si entrèrent les seigneurs de France és gallées au port de Mételin, et jusques a tant qu'ils furent dedans la mer, le sire de Mételin les convoya de paroles et de vue, et puis retourna en arrière. »  (Froissart).

Il est à croire que ces prévenances et ces égards étaient peu du goût de Bajazet; aussi les seigneurs génois ne le faisaient-ils que pour "complaire au roi de France, car sans ce moyen ils n'en eussent rien fait. »  Mais l'allié qu'ils recherchaient était loin, et le barbare n'avait qu'un pas à faire pour s'emparer de ces richesses, qu'il convoitait. Les seigneurs génois pour conjurer le danger de ce terrible voisinage redoublèrent de zèle et de servilité. Quand Tamerlan, vainqueur de Bajazet, se fut emparé de Smyrne (1402 ), les seigneurs de Lesbos, épouvantés, vinrent se reconnaître tributaires du Tartare, et se tirent honneur de recevoir de Mohammet-Mirza, son petit-fils, un riche sceptre d'or, en échange des somptueux présents qu'ils lui apportaient. Quand Mehemet Il, vint à son tour soumettre Smyrne, révoltée (1414 ), les seigneurs de Lesbos étaient dans cette foule de vassaux empressés qui vinrent le chercher sur le continent, pour lui apporter leur tribut, et renouveler leur hommage. En 1425 ils étaient encore à Éphese, où Amurat Il avait convoqué tous ses vassaux d'Europe et d'Asie. Mais s'ils retardèrent ainsi leur ruine, ce ne fut pas pour longtemps.

Le métropolitain de Lesbos assista au concile de Bâle (1438), et prit place après ceux de Trébizonde, de Cyzique, de Nicée et de Nicomédie.

Le 3 décembre (1441) Lesbos était en fêtes; Géorges Phrantza, l'historien, venait de débarquer avec mission d'accomplir les fiançailles du César Constantin et d'Ecatérina, fille de Notaras Paléologue Gateluzi, prince de l'île; et le 27 juillet suivant Constantin lui-même venait sur les galères impériales célébrer le mariage. Il repartit bientôt, laissant dans le palais de son beau-père sa jeune épouse; il la revint chercher l'année suivante, pour la conduire à Lemnos, où elle devait mourir. En 1444 l'Église de Mytilène étant sans pasteur, par la mort de Dorothée, le pape Eugène IV nomma à sa place Léonard de Chio. Deux ans plus tard le même pontife lui donna pour mission d'aller auprès de l'empereur Constantin, que des liens de famille rattachaient, comme nous l'avons dit, au prince de Lesbos, renouveler et confirmer l'alliance des deux Églises Grecque et Latine, conclue au concile de Florence. II était trop tard. Cette réunion, opérée le 12 décembre 1452, n'arrivait plus à temps pour empêcher Mehemet II d'anéantir l'empire de Constantinople , qui avait refusé jusque là les secours de l'Occident. Après la prise de la capitale de l'empire, Léonard se réfugia à Chio, d'où il envoya au pape le récit authentique des événements auxquels il avait assisté. Il revint à Lesbos, et y resta jusqu'à la prise de l'île par les Turcs. Il n'attendit pas longtemps.

A l'avènement de Mehemet Il (1451) les ambassadeurs de Lesbos, comme ceux de Rhodes et de Chio, étaient venus le féliciter à Andrinople (Edirne). Le 30 juin 1455, Doria Gateluzio, prince de Lesbos, mourut. Le 1er août suivant l'historien Ducas, qui tenait un rang considérable à la cour de Lesbos, partit pour porter au sultan et les tributs de l'année pour les îles de Lesbos et de Lemnos, et les hommages du nouveau prince. Admis tout d'abord à l'audience, il obtint la faveur de baiser la main du sultan et de s'asseoir en face de lui jusqu'à ce qu'il eût achevé de dîner. Les vizirs comptèrent l'argent qu'il apportait, puis, feignant d'ignorer la mort du vieux prince de Metelin, ils s'informèrent de sa santé. 

"Elle est bonne, répondit Ducas, et il vous salue. - Nous parlons, dirent les vizirs, du vieillard. - Mais, repartit Ducas, il y a quarante jours qu'il est mort. Le prince actuel est depuis six ans reconnu. Son père, épuisé par la maladie, lui avait dès lors et spontanément confié les affaires; et il a eu déjà l'honneur deux fois d'apporter à Constantinople ses adorations au grand sultan. " - Et les vizirs : « Laissons cela. Aujourd'hui il n'y a qu'un moyen de se dire prince de Mételin, c'est de venir et de recevoir ce titre du très sublime sultan. Va donc à ton maître, et reviens avec lui. Sinon,
il sait ce qu'il doit attendre. » 
Il fallut que Ducas repartît et amenât le nouveau princes la cour du sultan, qu'il eut grand peine à atteindre près d'Izlati chez les Bulgares. La réception du premier jour fut des plus gracieuses. Mais le lendemain tout changea. Les vizirs, parlant au nom de Mehemet, exigèrent la cession de Thasos; il fallut l'accorder; puis un double tribut :
« Hélas ! disait le jeune prince, Lesbos tout entière est à vous; mais ne me demandez pas l'impossible. "
On se contenta d'augmenter le tribut d'un tiers; au lieu de trois mille écus, il en fallut payer quatre mille. Le sultan rappela de plus au Génois qu'il avait à sa charge la surveillance de la mer Egée et des côtes Asiatiques depuis Baïram (Assos) jusqu'au Krimakh (le Caïcus), le rendant responsable de toutes les pertes éprouvées par les vaisseaux turcs dans ces parages. Ces conditions acceptées, bon gré mal gré, il offrit à son vassal et aux principaux officiers des vêtements d'honneur. Gateluzio repartit enfin pour Lesbos, content d'en être quitte à si bon marché et remerciant le Dieu qui l'arrachait aux mains du barbare (Ducas, XLIV). A peine était-il de retour, que la flotte ottomane jeta l'ancre en vue de Lesbos. Elle revenait de faire une tentative impuissante sur Rhodes, et était montée par le capitan-pacha, Hamza. Ducas, par ordre du prince, fit servir à l'amiral turc un magnifique repas à bord. Déjà, lors de son passage, Hamza s'était arrêté dans les eaux de Lesbos, s'étant fait cependant un scrupule d'entrer dans le port, de peur d'exciter des troubles dans la ville. Ducas s'était lié alors avec lui d'une étroite amitié et lui avait remis les dons de chaque année. C'étaient huit habits de soie et de laine, 6000 florins d'argent, vingt boeufs, cinquante moutons, plus de huit cents mesures de vin, du pain, du biscuit, dix quintaux de froment et de légumes à foison. La flotte n'avait pris le large qu'après un séjour de quarante-huit eures. Ces prévenances ne purent rien contre les desseins arrêtés du sultan.

Conquête de l'île de Lesbos par les Turcs.
Mehemet avait consenti à s'arrêter dans ses exigences, et à ne pas s'emparer de Lesbos pour l'heure. Mais il enleva de force au jeune prince la nouvelle Phocée d'abord, puis Lemnos, une de ses principales dépendances, et dès l'année suivante les prétextes ne manquèrent pas de s'attaquer directement à lui. En 1457, onze trirèmes, envoyées par le pape Calixte III, arrivèrent dans la mer Egée, montées par de hardis pirates, et s'emparèrent de Lemnos, de Samothrace, de Thasos. Il est à croire aussi que les Gateluzi ne devaient pas mettre grand zèle à réprimer les brigandages des pirates; le commerce des esclaves qui en résultait leur rapportait d'assez gros bénéfices. Partant de Lesbos pour piller les mers, les corsaires y revenaient à leur aise chargés de butin, conduisant de nombreuses prises; ils faisaient alors les parts, et celle du duc de Lesbos n'était pas la plus mince. Méhémet, irrité de la conduite équivoque du prince de Lesbos, envoya contre lui une flotte considérable, commandée par Ismael. Encouragés par les paroles et l'exemple d'une jeune fille exaltée, les Lesbiens attendirent de pied ferme, et anéantirent complètement armée musulmane. La victoire fut telle, que le pape la fit annoncer dans toutes les cours chrétiennes, pour y réveiller le zèle endormi. Le sultan, occupé ailleurs, laissa pendant cinq ans reposer son ressentiment  mais vers la fin de l'été 1462 , à son retour de Valachie, il songea au vassal qui recevait ainsi ses armées.

Lesbos était alors gouvernée par Nicolas Gateluzio, qui pour s'emparer du pouvoir avait étranglé son frère Dominique. Méhémet, pour se faire un parti dans l'île même, s'annonça comme le vengeur du prince assassiné. Soixante galères et sept navires, chargés d'un grand nombre de canons, de mortiers, et de plus de deux mille boulets de pierre, arrivèrent sous les murs de Mytilène, conduits par Mahmoud-Pacha. En même temps Méhémet amenait par terre plusieurs milliers de janissaires. Il donna ses instructions a son lieutenant, surveilla les travaux commencés, et, confiant dans l'activité éprouvée de Mahmoud, il repassa sur le continent. La ville assiégée était en état complet de défense. Nicolas Gateluzio commandait dans la citadelle, son cousin Lucio dans la ville proprement dite. Cinq mille soldats, vingt mille habitants, déterminés à se défendre, se tenaient derrière les murailles. Après un bombardement de vingt-sept jours; la partie de la cité nommée Melanudion, se trouva ruinée; mais le courage de ses défenseurs repoussa tous les assauts. Mahmoud, impuissant à vaincre, eut recours à l'intrigue. Des offres furent faites à Lucio, qui défendait la ville. La promesse de la souveraineté de l'île le tenta. La ville fut livrée aux Turcs. Nicolas, pressé dans la citadelle consent à partir, si on lui assure une existence honorable. Mahmoud promet tout; mais il exige que Nicolas installe lui-même les troupes ottomanes dans les différents postes de l'île.

Cependant Méhémet lui épargna cette humiliation; il fit grâce aux deux Génois, qui vinrent l'implorer à Constantinople. Il installa dans l'île deux cents janissaires et trois cents soldats, et ayant saisi à Mytilène trois cents corsaires, auxiliaires des Génois, il les fit scier en deux. Il fit ensuite trois catégories des habitants de l'île: 1° la classe pauvre, qui resta dans la ville; 2° la classe moyenne, qu'il donna en propriété aux janissaires; 3° la classe des riches, qu'il envoya à Constantinople. Pour lui-même, il se réserva dans les familles nobles huit cents filles et garçons choisis. La population de l'île fut ainsi à peu près renouvelée. Une partie même des anciens habitants qui avaient obtenu d'y rester, fut bientôt après transportée par Kilidj-Ali-Pacha à Samos, qu'il s'agis, sait de repeupler. En revanche, une foule d'étrangers vinrent s'établir à Lesbos. Parmi ces derniers se trouvait le spahis roumiliote Yacoub d'Yénidjewardar, qui vint se fixer dans la capitale de l'île avec ses quatre fils Ishak, Ouroudj, Khizr ou Khaïreddin et Elias. Le premier se fit commerçant, les trois autres corsaires; Éliàs périt dans un combat contre les chevaliers de Saint-Jean; les deux autres devinrent les corsaires si fameux sous le nom de Barberousse.

Quant aux Gateluzi, ils ne jouirent pas longtemps de la bienveillance du vainqueur. Lucio, qui était resté à Lesbos, fut mandé bientôt à Constantinople sous l'inculpation d'avoir converti un jeune enfant à la religion chrétienne. Il y répondit en se faisant circoncire, et son cousin l'imita. La réponse parut bonne, et Méhémet eut l'air de s'apaiser; mais bientôt, sous le plus léger prétexte, il leur fit à tous deux trancher la tête (1462).

Efforts des Chrétiens pour reconquérir Lesbos.
La conquête de l'île fut complète et définitive, mais c'était une place trop importante pour que la possession n'en fût pas longtemps encore contestée par les armes chrétiennes, Le jour de Pâques 1464, Orsato Giustiniano, successeur de l'amiral vénitien Loredano, fait une descente à Lesbos, dont il assiège la capitale pendant six semaines. Le 15 mai un dernier assaut est repoussé, et l'approche d'une flotte considérable, conduite par Mahmoud-Pacha, force l'amiral vénitien à lever le siège. II se rembarqua, emmenant avec lui tous les Grecs qu'il put recueillir. Il alla les déposer à Nègrepont, et revint le 10 juillet jeter l'ancre au port San-Théodoro , où l'attendaient encore de nombreux proscrits.

En 1500 l'amiral français Ravestein, nommé gouverneur de Gênes par Louis XII, équipe une flotte et va croiser dans les mers de l'Orient. Ses dix-huit vaisseaux se réunissent à trente-quatre trirèmes vénitiennes qu'ils rencontrent, et d'un commun concert on fait voile sur Lesbos. La ville soutenait le siège depuis vingt jours, quand Korkoud, gouverneur de Magnésie, accourt avec de nombreux renforts. A son approche, Ravestein repart, sans attendre l'arrivée de vingt-neuf voiles que lui amenait le grand-maître de Rhodes. A la hauteur de Cythère, la flotte française, surprise par un ouragan, périt presque tout entière.

Lesbos sous la domination des Turcs.
Dès lors Lesbos fut à l'abri de toute agression de ce genre. Respectée par les galères européennes, elle n'eut plus guère à souffrir que de ces corsaires asiatiques qu'elle avait si longtemps protégés. La population de l'île, presque entièrement renouvelée, s'attacha à ses derniers maîtres, et prit parti pour eux au besoin. En 1560 la flotte du sandjak de Lesbos, commandée par Mustafa-Beg, prend part à la conquête de l'île de Djerba (I'ancienne Méninx, ou île des Lotophages). Mustafa-Beg fut même un instant généralissime de la flotte turque tout entière. En 1565 cinq cents spahis et deux galères de Lesbos se trouvaient dans l'armée qui tenta inutilement de prendre Malte. Enfin à la bataille de Lépante (1571) peu s'en fallut que Mahmoud, sandjak de Lesbos, ne décidât le défaite des chrétiens. Survenant à propos avec cinq vaisseaux au secours de l'amiral turc, il fut sur le point de faire prisonniers les trois chefs de la flotte alliée. L'arrivée en toute hâte de l'arrière-garde, commandée par Santa-Croce, vint changer la fortune. Mlahmoud périt dans l'action.

En 1632 au commencement de la décadence ottomane, profitant de toutes les tentatives d'usurpation et de l'anarchie militaire qui agitaient Constantinople, Élias-Pacha, gouverneur de Karasi, s'était proclamé en pleine révolte contre la Porte. Deux de ses lieutenants, Kara-Mahmoud et Sari-Osman, à la tête de forces considérables, se dirigèrent par son ordre sur Lesbos, Mais les habitants résistèrent à l'usurpation, et les deux chefs furent exterminés avec tous leurs soldats.

C'est à la hauteur de Lesbos que se rencontrèrent en 1698 la flotte vénitienne et la flotte turque, commandées celle-là par Dolfino, celle-ci par Mezzo-Morto. La bataille n'eut qu'un résultat douteux, et les deux amiraux s'attribuèrent la victoire.

Le XVIIIe siècle ne nous offre aucun fait remarquable à recueillir. Les corsaires qui s'abritent derrière les Musconisi, ou dans les profondeurs du golfe d'Edremit , s'enhardissent et ravagent fréquemment les côtes de l'île. Ils passent de l'Asie sur de petits bateaux, s'embusquent derrière les rochers et dans les bois, pillent et s'en retournent impunément. En 1755 la ville de Mytilène, que de violents tremblements de terre avaient réduite depuis longtemps à n'être plus qu'une chétive bourgade en comparaison  de sa grandeur passée, manque d'être anéantie par une dernière secousse qui ébranle l'île dans toute son étendue. 

Au commencement du XIXe siècle c'est le feu qui la détruit tout entière; on relève chaque fois les ruines, on rebâtit à la place où l'on habitait la veille, mais sans ordre, sans précautions; sans que le désastre du jour serve de leçon pour le lendemain.

Lesbos au temps de la guerre d'indépendance.
Quand éclata l'insurrection grecque, les raias de Lesbos étaient de beaucoup inférieurs en nombre aux Turcs. Ils furent tous désarmés sans résistance. Les plus riches, soupçonnés d'être en secret favorables à la cause de l'indépendance, furent pris et décapités. L'île, considérée dès lors comme un poste sûr, devint l'entrepôt général et le rendez-vous de la marine ottomane. Cependant l'un des premiers exploits des Hydriotes se passa sur les côtes de Lesbos. La flotte turque s'y était donné rendez-vous; elle n'y arriva que poursuivie par soixante-dix bricks des insurgés, et eut le temps à peine de se réfugier à Skala Loutron,  dans le golfe de Gera. Dix-huit brûlots grecs s'apprêtent à l'y aller chercher. Sur l'ordre de l'amiral ottoman, un conseil de guerre s'assemble en toute hâte. Il s'agit de sortir de ce mauvais pas. La flotte turque, comptant cinq vaisseaux de ligne, quatre frégates, quatre corvettes ne se croit pas de force à livrer bataille; et tandis que l'amiral grec, changeant de dessein, se retire vers Samos, pour engager les ennemis à prendre le large, un vaisseau turc, portant soixante-quatorze canons, fait force de voiles pour aller chercher du secours à Constantinople. Il avait traversé le golfe d'Edremit, et touchait déjà au cap Baba, quand quatre bricks, envoyés en éclaireurs, l'atteignent et lui barrent le passage. Le vaisseau turc veut rebrousser chemin, et se lance à pleines voiles dans le port Sigri; l'eau lui manque; il s'échoue. Les Grecs s'avancent sur lui, d'avant et d'arrière, par brigades de deux bricks, portant chacun douze canons et 150 hommes d'équipage; et tandis que le vaisseau ennemi, immobile, fait feu de toutes pièces, ils l'abordent dirigés par un vieux marin, Papa Nicolas, qui avait assisté à l'incendie de Tchesmé; ils s'y cramponnent, clouent dans son immense carène des chemises de soufre et de goudron, et y mettent le feu. Quelques instants après le vaisseau turc éclate et saute avec ses neuf cent-cinquante matelots. A peine une barque montée par quelques hommes parvint-elle à gagner la terre. A cette nouvelle l'amiral ottoman, qui manquait de résolution pour combattre, en trouve pour fuir et donne l'ordre de regagner Constantinople (mai 1821).

Par ce brillant début les Grecs préludaient aux triomphes qui les attendaient à Ténédos. Mais ils ne tentèrent pas de descentes à Lesbos; ils se contentaient de croiser le long des côtes, bien défendues, bien surveillées, et ne se hasardaient que sur le continent, où le butin était abondant et facile et les villes mal protégées. En janvier 1823 les matelots d'Ipsara, pénétrant dans le golfe d'Adramiti, enlèvent de riches magasins turcs déposés aux Mosconisi, et parviennent à débarquer à Sigri. Mais la garnison, aidée des Musulmans des campagnes, intercepte toute communication avec les Chrétiens. Dans l'impossibilité de s'établir à terre, force est de se rembarquer. Une trentaine de Grecs restent morts sur la plage. A peine les assaillants partis, un massacre général des raias commence à Sigri et à Molivo. Les Chrétiens, colons pour la plupart, et répandus dans les champs, se réfugient sur les montagnes. L'Olympe surtout se peuple de fugitifs. Mais les marins d'Ipsara en partant avaient promis au vizir, campé alors à Mytilène, de revenir lui faire visite. Une grande expédition grecque est résolue. On comptait sur des intelligences dans l'île, sur les proscrits des montagnes, sur le courage des opprimés, sur la fortune de la bonne cause. Au cornmencement d'octobre, deux escadres abordent à Lesbos, l'une au port Sigri, l'autre à Coloni. 4000 soldats se précipitent à terre; tout ce qui est musulrnan tombe sous leurs coups. La petite armée grecque est bientôt plus que doublée par les auxiliaires qui lui arrivent de toutes parts. Elle se divise : la moitié marche sur Molivo; le reste ravage la campagne. En peu de jours le nord de l'île est aux Chrétiens; c'est pour eux le moment de la vengeance. Les vainqueurs font partout place nette sur leur passage : d'abominables représailles ensanglantent tout le pays.

Pendant ce temps, l'aga de l'île rassemble des troupes, et, sans plus attendre, marche au-devant des Grecs. 12,000 hommes sont bientôt réunis sous ses ordres; chaque jour grossit cette armée des fuyards de Sigri et de Coloni. Les chrétiens, atteints deux fois; sont deux fois battus; ils sont contraints de laisser la plage et de reprendre le large. Avec eux partent tous les proscrits qui peuvent les suivre. Ceux que leur malheureux sort condamne à rester regagnent leurs montagnes; mais là, soutenus par l'espérance de secours prochains, ils ne déposent pas les armes, et entretiennent une guerre de partisans contre les Turcs de la plaine. Ce fut là le seul avantage que retira la cause grecque d'une expédition si heureusement commencée. De temps en temps les hardis insulaires d'Ipsara tentaient bien quelque course nouvelle, pillant la côte, rançonnant les villages; mais les Turcs étaient maîtres du pays. Dans la seule année 1824 leur flotte vient s'y rallier deux fois. Lors del'expédition de Samos, les bâtiments de transport et une division de guerre y restèrent en permanence. L'amiral ottoman ne sortait jamais qu'à regret de cette bonne rade de Mytilène, où il était à l'abri des brûlots des Grecs. A la paix définitive, Lesbos resta à l'Empire ottoman, comme toutes les autres îles grecques de l'Asie Mineure.

Lesbos jusqu'à son rattachement à la Grèce moderne.
S'il est à cette époque une terre qui porte la trace des effets de la conquête ottomane, c'est Lesbos. Ses campagnes, autrefois si fertiles, sont devenues des marais ou des déserts, et l'on ne voit plus que des ruines sur l'emplacement de ses antiques cités. De ces treize cents châteaux, qu'y laissait, dit-on, la domination génoise, de cette prospérité qui la désignait encore à un auteur du XVIIe siècle pour y placer l'idéal de sa république aristocratique, il ne reste plus que d'informes débris. C'est une possession oubliée, dont on ne parle au divan que lorsqu'il s'agit d'y nommer un gouverneur ou de lever un impôt. La population générale de l'île monte à peine à 60,000 habitants, dont les Turcs forment la majorité. Les Grecs disséminés dans l'île, rares dans les villes, plus nombreux dans les campagnes, vivent dans un grand dénuement. Mais, comme tous les paysans grecs, ils se sont faits des moeurs simples, et savent supporter patiemment la misère. Leur plus grand fléau était la fiscalité des Turcs; il n'y a pas longtemps encore que l'aga comptait les gerbes de la moisson; que les gerbes battues il mesurait le blé; que le muzelim de l'île venait ensuite prendre la dîme, lever la capitation, puis fixer le prix des denrées et, bon gré mal gré, les acheter au taux qu'il lui plaisait d'indiquer. Ainsi faisait-on de toutes les récoltes. Les dernières réformes, en assignant aux officiers un traitement fixe, ont à peine arrêté ces abus.

Le sol de l'île est toujours puissant et fertile, et ne demande qu'à être cultivé pour produire. On trouve encore abondamment dans les montagnes le pin, l'arbousier, l'andrachné, le lentisque, le térébinthe, le laurier, le myrte, l'agnus castus, l'orme, le platane, le hêtre, le cyprès. Dans les jardins les statices sinués, aux larges feuilles, à la tige ailée, les scabieuses, les fleurs purpurines des lavatères, la fleur gracieuse d'une espèce. de safran, jadis fort recherché pour le fard des dames (carthamus corymbosus) s'étalent derrière des haies de phyllirea, arbuste toujours vert, que l'on cultive en palissades et en bosquets. Les oliviers, longtemps principale richesse de l'île, y prospèrent. Les forêts sont pleines de cerfs, de gazelles, et de chevaux sauvages, bas et trapes, comme disait Bélon. Les boeufs et les moutons, le gros et le menu bétail abondent partout à Lesbos. Le blé y est toujours excellent et fort recherché des Turcs. Les raisins sont délicieux; les Turcs en font un raisiné qu'ils affectionnent, et les Grecs, de l'eau-de-vie. Les insulaires exposent les grappes qu'ils réservent au soleil pendant plusieurs jours de suite, pour donner au vin plus de force et de douceur. Ils savent encore lui faire prendre de la couleur avec des baies de sureau ou d'hièble; mais préparé, conservé sans soin et sans art, le vin de Lesbos, quoique payé fort cher à Constantinople, n'a pas soutenu son antique réputation.

Les richesses du sol, si faciles, si abondantes ont détourné les habitants du commerce. La navigation est à peu près abandonnée au cours du XIXe siècle. Mytilène seule n'est pas absolument sans industrie; elle contient une douzaine de manufactures de savon, dont les plus belles sont celles du pacha, un chantier qui tous les dix ans donne un vaisseau, et plusieurs bazars, assez bien fournis, et très fréquentés. Mais c'est tout, et le reste de l'île se borne à exporter d'immenses cargaisons d'huile d'olive, d'une qualité médiocre, des sardines, du tabac, des pipes. Les figues de Molivo, enfilées en colliers, se vendent alors par toute la mer Egée, et sont fort recherchées.

Midilli  (Lesbos) est un des six livas que comprend le gouvernement de Djézair (c'est-à-dire, des îles de la mer Egée). Un gouverneur, sous le nom de Nasir y représente le sultan. Il y avait à Mytilène un juge de premier rang , dont les appointements mensuels, d'après l'ordonnance de Mahmoud II, sont de 400 aspres; et un des dix-sept bureaux de santé institués spécialement pour combattre la lèpre dans tout l'Empire ottoman. (L. Lacroix).

Lesbos après 1912.
La Grèce s'empare de Lesbos en novembre 1912, lors des Guerres Balkaniques. Intégrée complètement  au royaume hellénique en 1914, l'île sert ensuite de base aux flottes britanniques et françaises pendant la Première Guerre mondiale. Au lendemain de ce conflit, Lesbos devient le point d'arrivée de noubreux réfugiés en provenance d'Anatolie, tandis que la minorité turque restée dans l'île doit fuir vers la Turquie. Des villages-colonies sont construits pour accueillirs les nouveaux venus, bientôt employés comme une main-d'oeuvre bon marché afin de tenter de relever l'économie de l'île, qui s'est effondrée depuis son détachement de la Turquie.

Pendant la Seconde Guerre mondiale, de 1941 à 1944, Lesbos est occupée par l'armée allemande. Par la suite, le sous-développement de l'île, dont l'économie repose surtout sur la monoculture de l'olivier, conduit de nombreux habitants à émigrer. Mal traitée par le pouvoir d'Athènes, Lesbos l'est encore davantage au moment de la dictature des colonels (de 1967 à 1974), qui, par ailleurs, y enferment, à Pagani,  dans une ancienne usine transformée en prison, leurs opposants politiques. A l'avènement de la démocratie, Pagani sert de prison de droit commun, puis, à la demande de l'Union Européenne, de centre de rétention pour les réfugiés afghans. Le lieu n'a qu'une capacité de 160 personnes, mais à certaines périodes 1000 réfugiés y sont retenus dans des conditions déplorables. L'ONU s'insurge, la Cour européenne de Justice condamne la Grèce, et le centre finit par fermer ses portes en 2009.

Cette situation n'a pas empêché le tourisme de se développer à Lesbos, comme dans les autres îles grecques, à partir des années 1980. Cette industrie, associée à des industries de transformation agricoles, participent ainsi au redressement  de l'économie de l'île. Mais à partir de 2015, Lesbos est de nouveau confrontée à un afflux de réfugiés venus d'Irak, d'Afghanistan ou de Syrie principalement, et passant par la Turquie, dont la côté n'est qu'à une dizaine de kilomètres. Selon le Haut Commissariat des Nations Unies pour les réfugiés, sur les 770 838 migrants arrivés en Europe de janvier à début novembre 2015, 379,000 (soit plus de 45%) sont passés de Lesbos. Des centres d'accueil ont été créés à Moria et à Kara Tepe. Malgré les moyens très insuffisants dont ils disposent, de nombreux habitants de l'île ont montré un remarquable effort de solidarité vis-à-vis de ces réfugiés, qui contrastetristement avec la conscience morale défaillante dont la plupart des gouvernants des pays européens, et une part notable de leurs opinions, font montre face ce drame humain. 

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Dictionnaire Territoires et lieux d'Histoire
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