 |
L'Asie
Mineure et les îles de la Mer Egée
La première cause de l'émigration des
Grecs
du continent vers les îles et des régions transmarines fut l'invasion
dorienne. Les tribus descendues des montagnes du Nord asservirent ou refoulèrent
devant elles les populations de l'Hellade et du Peloponnèse. Sans
raconter ici l'ensemble des guerres et des mouvements de peuples qu'on
réunit sous le nom d'invasion dorienne, nous rappellerons que les Thessaliens,
les Doriens et d'autres tribus épirotes subjuguèrent dans la plaine du
Pénée (plus tard Thessalie )
les Eoliens; une fraction des Eoliens vint conquérir la plaine du Copaïs
(Béotie )
sur les Minyens, Achéens, Ioniens; les vieilles populations du Péloponnèse
(Epéens, Minyens, Achéens, Doriens), furent envahies et durent céder
la place aux Doriens et aux Eoliens (d'Etolie); les Achéens reculant devant
eux expulsèrent les Ioniens du nord de la presqu'île. Dans tous les pays
grecs si profondément bouleversés, puisque l'Acadie et l'Attique
seules échappèrent à ces invasions, une grande partie de l'ancienne
population refusa d'accepter de nouveaux maîtres; refluant vers les côtes,
elle s'embarqua. En bien des cas elle vit se mettre à sa tête ses chefs
héréditaires, les familles princières, qui, dépossédées de leur situation,
refusèrent d'accepter le joug étranger. Ajoutons que l'esprit d'aventures
qui animait les vainqueurs ne les abandonna pas après le succès; beaucoup,
soit qu'ils fussent mécontents de leur lot, soit qu'ils eussent conservé
le goût des migrations et l'espoir d'une meilleure fortune, s'embarquèrent
avec ou à la suite des vaincus.
Le mouvement d'émigration maritime consécutif
à l'invasion dorienne eut lieu de l'Ouest à l'Est de l'Europe vers l'Asie;
il couvrit d'un flot de Grecs
la côte occidentale de l'Asie Mineure et les îles voisines. Le plus grand
nombre des émigrants vinrent s'embarquer en Attique .
Cette péninsule était la seule où la vieille population eût résisté
au choc; ni les Eoliens venant du Nord, ni les Doriens refluant du Sud
n'avaient pu l'entamer. Les vaincus y vinrent chercher un refuge et c'est
de là qu'ils partirent pour se créer de nouvelles patries; ils affluèrent
de Thessalie ,
de Béotie ,
du versant méridional du Parnasse, de toutes les parties du Péloponnèse ,
de la vieille Pylos ,
des contrées qui devenaient l'Argolide
et la nouvelle Achaïe ;
d'autres populations, Abantes de l'Eubée ,
Epéens, Taphiens et Céphalléniens des rives de la mer occidentale (mer
Ionienne), Minyens et Lélèges du sud du Péloponnèse et des côtes orientales,
suivirent la direction donnée par les Ioniens et se fondirent avec eux;
cette émigration ionienne eut son centre en Attique. De Béotie partirent
les colons Eoliens, qu'ils vinssent du Nord ou du Midi; à leur tête se
mirent les grandes familles achéennes; Aulis fut leur principal port d'embarquement.
Enfin les Doriens, maîtres du Péloponnèse, se propagèrent dans les
îles méridionales de l'Archipel et jusque sur la côte asiatique.
La
seconde colonisation
Le premier mouvement de colonisation qui
avait été un contre-coup de l'invasion dorienne, avait conduit ou ramené
les Eoliens, les Ioniens et les Doriens dans les îles de la mer Egée
et sur la côte asiatique. Il y eut ensuite un temps d'arrêt. On
estime que la première colonisation eut lieu entre le XIIe
et le Xe siècle.
La seconde est sensiblement postérieure.
Il faut tenir compte cependant de ce fait
que les habitants du littoral asiatique, dépossédés par les colons grecs ,
s'associèrent à quelques-uns de ceux-ci pour chercher de nouveaux établissements;
ils errèrent à travers les mers, et ces déplacements, dont on a parfois
dit que les poèmes homériques ont conservé
le souvenir confus, en les rattachant au grand épisode de la légendaire
guerre de Troie ,
peuvent être regardés comme intermédiaires entre les deux grands mouvements
de migrations maritimes et de colonisation. Ces courses sur les mers que
les poètes font vivre aux héros troyens ou grecs, dépassent de beaucoup
le cadre de la mer Egée; on les promène sur la côte méridionale de
l'Asie, Mineure, celles d'Afrique ,
de Sicile, d'Italie
où furent installées les établissements grecs de la seconde période
de colonisation. Ces nouvelles cités furent assez disposées à chercher
parmi ces héros des fondateurs ou des précurseurs mythiques. Pour nous
en tenir aux faits, sinon pleinement historiques du moins à peu près
établis, nous constaterons que les Hellènes ne se hasardèrent guère
avant le VIIIe
siècle au delà de la mer Egée. Ils craignaient également
les ouragans du cap Malée et les courants de l'Hellespont et du Bosphore .
Ils ne suivirent que lentement les traces des Phéniciens et leur laissèrent
longtemps le monopole du commerce de la Méditerranée occidentale.
Comme on pouvait s'y attendre, l'initiative
du nouveau mouvement colonial vint des colonies, où les connaissances
nautiques acquises ajoutées au développement rapide de la démocratie,
facilitèrent les nouvelles migrations. En Asie Mineure, les débouchés
étaient difficiles. Les Eoliens, qui avaient devant eux les beaux massifs
de l'Idae et les fertiles plaines de la Mysie ,
se détournèrent assez volontiers de la navigation pour s'agrandir vers
l'intérieur. De même firent en Ionie les Ephésiens ,
placés au bout de la vallée du Caystre; de même aussi les citoyens de
Colophon, où prévalaient les Nélides, se revendiquant les descendants
du vieux Nestor
de Pylos et éleveurs de chevaux; l'aristocratie terrienne y gardait la
haute main. Mais dans les autres cités maritimes, surtout dans celles
de Milet
et de Phocée, la navigation et l'industrie effaçaient tout. Les Cariens
et les autres riverains de la mer Egée avaient autrefois accompagné les
Phéniciens dans leurs voyages maritimes; ils leur avaient ensuite disputé
l'empire de la mer et les avaient exclus de leurs parages, mais sans perdre
la mémoire des pérégrinations communes. Ils transmirent ces connaissances
aux Ioniens. Les villes grecques fondèrent à leur tour des comptoirs.
Ce furent d'abord des marchés volants; puis des magasins et des marchés
permanents, enfin, des factoreries dont les plus prospères devinrent Ã
leur tour des colonies, des cités helléniques copiant leur métropole.
La colonisation fut régularisée et devint pour les grandes cités ioniennes
une affaire d'état. Les petites se groupèrent autour des grandes et de
celles-ci chacune eut à peu près le monopole de l'exploitation d'un bassin
maritime.
Un
empire de confettis
On trouvera dans une autre page une image
plus structurée et complète de la géographie
des colonies grecques, mais d'ores et déjà voici un aperçu de ce
qu'étaient ces colonies à l'apogée de leur extensions, vers le VIe
siècle; nous indiquerons la distinction des colonies selon
l'origine (ionienne, dorienne, éolienne, achéenne).
Les principales colonies éoliennes qui
regardaient Thèbes
comme leur métropole étaient Aenos et Sestes en Thrace ,
Abydos
(Mysie), Sigeion, Assos ,
Antandros ,
Pitane, Elée ,
Gryneion, Myrina, Kyme ou Cumes ,
Smyrne
partagée plus tard avec les Ioniens, les îles de Ténédos, Hécatonnèse,
Lesbos
avec Mytilène ,
Methymne, Eresos. Les douze cités ioniennes étaient Phocée, Chios ,
Erythrae ,
Clazomène ,
Teos ,
Lebedos ,
Colophon ,
Ephèse, Samos ,
Priène ,
Myonte ,
Milet .
Les principales cités de la Doride
étaient Iasos ,
Bargylia, Myndos, Halicarnasse ,
Cnide ,
Cos ,
et dans l'île de Rhodes ,
lalysos ,
Camiros, Lindos .
Les colonies de la côte de Pamphylie et de Cilicie ,
celles de l'île de Chypre
étaient regardées comme éoliennes, quelques unes doriennes. Les Cyclades,
sauf la rangée méridionale (Melos, Thea, Astypalea), étaient ioniennes;
de même les villes de la Chalcidique ,
excepté Potidée (dorienne) et la plupart de celles de Thrace ,
Amphipolis ,
Erénides, Abdère .
Autour de l'Hellespont et de la Propontide,
les Ioniens avaient Eleussa, Callipolis ,
Crithote, Pactye, Cardia, Héraclée, Ganos, Bisanthe, Hereon, Perinthe,
au Nord; Abydos, Lampsaque ,
Parion, Priapos, l'île de Proconnèse, Cyzique ,
Artake, Miletopolis, Apollonia (à l'intérieur), Myrleia, Cios, Pronectos,
Astacos au Sud. Les parages du Bosphore
appartenaient aux colons doriens de Selymbria, Rhegion, Byzance ,
Chrysopolis ,
Chalcédoine ,
Amycos; ils tenaient les abords par Calpé, Heraclée (en Asie), Salmydessos
(Europe) et Mesembria. Suivaient les colonies ioniennes de Paphlagonie
et du Pont ,
Sesamos, Kytoros, Abonouteichos, Sinope, Carousa, Amisos, Chadisia, Themiscyra,
Cotyora, Choerade, Cérasonte ,
Hermonassa, Trapézonte, Adiénos, Phasis, Dioscurias , Pityonte (en Asie).
Dans la Chersonèse taurique ,
les Doriens avaient Chersonèse ou Héraclée, Lampas et Lagyra au Sud
de la péninsule, les Ioniens Athenaeon, Theodosie, Panticapée
à l'Est, en face Phanagorie, Sinda, Tyrambe; plus loin, Tanaïs, Nauaris,
Exopolis; à l'Ouest Olbia, Ordesos, Tyras ou Ophioussa, l'île Leuké,
Istros, Tomes, Callatis, Krounoi, Odessos, Anchiale, Apollonia.
La Cyrénaïque avait
été colonisée sous la direction des Doriens.
De même les côtes de l'Adriatique où
nous citerons après Ambracie
et Corcyre ,
Oricon, Apollonia, Epidamne, Lissos, Olcinion ou Colchinion, Bouthoe, Rhizon,
Epidaure ,
Issa ,
Pharos, Epetion, Tragyrion, etc., dans l'Illyrie
et les îles adjacentes; à l'embouchure du Pô, Hatria. Autour du mont
Garganus étaient des colonies achéennes, Hyrion, Sipontum. Dans l'Italie
méridionale les Doriens avaient le talon de la botte par Tarente ;
puis en allant vers l'Ouest on rencontrait la cité achéenne de Metaponte,
la cité ionienne de Siris, les grandes colonies achéennes (avec mélange
d'Ioniens?) de Sybaris ,
Crotone ,
Locres et leurs nombreuses dépendances; à l'angle Rhegium ,
ville ionienne, puis après une longue bande de terre achéenne, Pyxonte
(Bunenturn) et Velia (Elée) ioniennes, Posidonia achéenne, et les cités
ioniennes du golfe de Naples, Neapolis, Palaepolis,
Cumes ,
Liternum. Les îles Lipari
étaient doriennes; la côte Nord orientale de la Sicile ionienne (Mylae,
Zancle, Phoenix, Naxos ,
Akion, Catane, Leontini); la côte méridionale dorienne (Megara Hyblaea ,
Syracuse ,
Acrae, Abolla, Heloros, Hybla Heraea, Camarina, Gela, Agrigente ,
Heraclea Minoa, Selinonte ,
Mazara); au Nord de l'île, Himera et Therma
étaient ioniennes.
Des colonies doriennes de la Méditerranée
occidentale une seule dura, Zacynthe ou Sagonte; les autres étaient ioniennes.
La
décadence des colonies grecques
C'est un fait capital dans l'histoire grecque
que la révolution politique du Ve
siècle qui rendit aux cités de la Grèce
proprement dite le rôle dirigeant qu'elles n'avaient certes plus au VIe.
La vie hellénique semblait alors éparpillée de l'Asie Mineure à la
Sicile; elle se concentra de nouveau par suite des désastres qu'essuyèrent
les colonies vaincues par l'ennemi étranger et de la résistance victorieuse
qu'opposa la Grèce continentale. Affaiblis par leurs dissensions intestines,
les Grecs d'Italie
furent chassés de l'intérieur par les tribus sabelliennes et les Lucaniens
héritèrent de l'empire de Sybaris ,
imprudemment détruite par Crotone ;
les Ioniens ,
dirigés par Athènes, ne purent relever
à Thurium, sur les ruines de Sybaris, qu'une colonie bien moins prospère.
En Sicile, les Grecs divisés aussi ne résistèrent qu'avec peine aux
assauts des Carthaginois .
Sélinonte ,
Agrigente
succombèrent; Syracuse
fut à deux doigts de la ruine. Les colonies d'Asie Mineure furent subjuguées
par les monarchies continentales; après les Lydiens vinrent les Perses
auxquels, après l'inutile révolte de l'Ionie, se soumirent toutes les
colonies grecques de l'Orient depuis la Chalcidique
et les Cyclades jusqu'à la Cyrénaïque .
Lorsque les Athéniens et les Péloponnésiens
eurent repoussé les barbares, ils recueillirent le profit d'une lutte
dont ils avaient eu la peine. Athènes devint
la capitale du monde hellénique, au moins de celui de la mer Egée. Elle
profita de son ancien titre de métropole des colonies ioniennes
pour fonder au Ve
siècle un véritable empire maritime. Elle créa à cette époque
quelques grandes colonies comme Amphipolis ,
mais elle s'attacha plutôt à faire de ses colonies un instrument de domination;
elle les organisa sur un plan qui ressemble à celui que Rome appliqua
plus tard. Quant aux anciennes colonies grecques, celles de la mer Egée,
impliquées dans les querelles d'Athènes et de Sparte,
suivirent la destinée de la Grèce
continentale; momentanément affranchies au IVe
siècle, elles tombèrent aux mains des Macédoniens ,
puis des Romains .
Les royaumes gréco-barbares de Cyrénaïque
et de Crimée
durèrent jusqu'au Ier siècle
av. J.-C.; les républiques de la Grande-Grèce
et de Sicile passèrent, au IIIe
siècle av. J.-C. sous la domination romaine.
Les
colonies d'Alexandre et de ses successeurs
L'historique de la colonisation grecque
serait incomplet si nous ne parlions des nombreuses cités fondées en
Asie et jusqu'aux frontières de l'Inde
par Alexandre le Grand, colonies où il
établit ses vétérans et appela de nombreux immigrants. Il créa ainsi
plus de soixante-dix villes dont plusieurs eurent une destinée magnifique
et durent encore, telles Alexandrie et
Hérat .
On trouvera aux pages consacrées à la Bactriane
l'histoire d'un royaume grec fondé au coeur de l'Asie par les colons grecs
et dont l'influence fut très considérable sur l'Inde. Les successeurs
d'Alexandre, en particulier les Séleucides,
continuèrent sa politique et créèrent eux aussi de nombreuses cités
helléniques en terre asiatique. Nous ne faisons qu'indiquer ici cette
partie de la colonisation grecque : consécutive à une conquête militaire,
elle eut surtout pour objet la fusion des populations hellénique et asiatique.
Ses conséquences furent immenses. Le cadre de cet article ne permet pas
d'aborder ici cette question, qui est une des plus importantes de l'histoire;
nous nous bornons à la signaler. (GE). |
|