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On donne le nom
général de Mont Athos ou de Haghion oros (mots grecs qui
signifient Montagne Sainte) au promontoire oriental de la presqu'île
de Chalcidique,
du Nord-Est de la Grèce,
dont la longueur est d'environ 45 km et la moyenne largeur de 6 km. Ce
pays pittoresque couvert de bois, est dominé par la haute montagne
(1935 m), en forme de mamelle selon Strabon,
qui portait dès l'Antiquité
le nom de mont Athos. Les Grecs considéraient l'Athos comme la cime la
plus haute du monde, et assuraient qu'Ã certains jours son ombre se projetait
jusqu'Ã Lemnos. Au bas de la montagne, le cap Saint-Georges qui termine
la presqu'île est abrupt, difficile à doubler. Lors de la première expédition
de Xerxès contre la Grèce (Les
Guerres médiques),
une partie de la flotte persane périt à cet endroit; dans la suite, Xerxès
pour éviter ce péril préféra, disait-on, percer un canal dans l'isthme
étroit qui rattache la presqu'île de l'Athos à la Chalcidique.
Plus tard un architecte, Dinocrate, proposa de tailler la cime de l'Athos
en statue colossale d'Alexandre.
Plusieurs villes existaient alors dans cette région, Acrothoon, Olophyxos,
Cléoné, etc., mais n'ont guère laissé de traces. Au contraire, dans
le Moyen âge byzantin,
l'Athos acquiert un rôle important qu'il a conservé jusqu'à nos jours;
il devient pour les Grecs orthodoxes l'endroit sacré par excellence où
se multiplient les monastères. D'après
les légendes byzantines la Vierge Marie
aurait visité l'Athos; d'autres légendes font intervenir Constantin,
attribuent à Arcadius la fondation du monastère
de Vatopédi, etc.
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Carte
de la péninsule du mont Athos.
Si l'on écarte toutes ces légendes, les
moines de l'Athos sont pour la première fois mentionnés en 842, lors
d'un synode contre les iconoclastes. On peut croire que déjà des moines
y avaient vécu aux siècles précédents, mais que les persécutions des
iconoclastes eurent pour résultat de pousser vers le mont Athos les fugitifs
de Constantinople. En 911 les moines
athonites obtiennent déjà une certaine autonomie. Vers le milieu du Xe
siècle, un noble de Trébizonde devenu moine, Athanase, s'établit Ã
l'Athos, y fonde le grand monastère de
Lavra (961), réforme la vie monastique des Athonites. Vers la même époque
apparaissent et se développent les monastères de Xiropotamos, d'lviron,
de Vatopédi, d'Esphigmènon. Au XIe siècle,
Docheiarion, Phiothéos, Caratalla, Xenophon, Rossicon, etc. Chilandarion,
Zographos, Pantocrator, Coutloumousi, Grenorios, Saint-Paul, etc., datent
du XIIIe et du XIVe
siècle. A côté des couvents grecs viennent se placer les couvents slaves
: Simonos Petra fondé par le despote de Serbie,
Jean Ounglesi, etc. Des monastères anciens, tels que ceux de Zographos,
de Philotheos, de Chilandarion, etc., devinrent aussi la possession des
Serbes, des Bulgares. Les Russes
s'établirent au monastère de Saint-Pantéleimon, souvent désigné par
suite sous le nom de Rossicon.
Dès le XIe
siècle, des chrysobulles d'Alexis Comnène établissent
que les monastères athonites ne relèvent ni d'un évêque, ni même du
patriarche de Constantinople, mais
seulement de l'autorité impériale. A cette époque l'Athos avait déjÃ
reçu dans les documents officiels le titre d'Hagion Oros
= Montagne Sainte. Les empereurs Jean Tzimiscès et Constantin
Monomaque avaient réglé l'organisation des monastères dans deux
Typiques (972 et 1046). L'ensemble des couvents était placé sous
l'autorité d'un supérieur général, le Prôtos ou Premier, investi d'attributions
judiciaires et administratives. L'évêque d'Hiérissos, voisin du mont
Athos, essaya plusieurs fois d'y étendre son autorité, mais des chrysobulles
impériaux, des décrets des patriarches de Constantinople ne lui reconnurent
d'autre droit que de consacrer les moines qui étaient appelés aux fonctions
de prêtres et de diacres.
A partir du XIe
siècle, l'Athos eut souvent à souffrir des incursions des pirates. Ce
fut pour se défendre contre eux que les moines donnèrent aux enceintes
de leurs couvents cet aspect militaire qu'elles conservent encore. Au XIIIe
siècle, les conquérants de la quatrième croisade
firent subir aux Athonites de mauvais traitements dont le souvenir n'a
pas disparu des traditions monastiques. Ceux-ci finirent par recourir Ã
Innocent III qui les prit sous sa protection.
Plus tard, après le rétablissement de l'empire byzantin,
les Athonites s'opposèrent avec énergie aux tentatives d'union de Michel
Paléologue avec l'Eglise latine.
Au commencement du XIVe siècle, les bandes
Catalanes ravagèrent la Montagne Sainte. A cette époque, au XVe
siècle et au XVIe siècle, les incursions
des pirates, les dissensions théologiques troublèrent beaucoup la prospérité
des couvents, quelques-uns même furent presque ruinés, et le nombre des
moines diminua. De grands monastères comme
Lavra ne comptaient plus parfois que cinq ou six moines. Cependant la conquête
turque
n'avait pas étendu ses ravages à l'Athos : Mehemet Il avait respecté
les monastères et leurs propriétés; parmi ses successeurs, il s'en trouva
même, comme Sélim II, qui firent aux moines
des donations. A la fin du XVIIe et du
XVIIIe, siècle les libéralités des princes
bulgares, valaques,
serbes, contribuèrent à relever plusieurs
couvents.
A cette époque ottomane, la république
monastique de l'Athos a pour gouvernement central une assemblée qui siège
à Karyès. Elle se compose de 20 membres, représentants des 20 grands
monastères : Lavra, Vatopédi, Iviron,
Chilandarion, Saint-Denys, Coutloumousi, Pantocrator, Xiropotamos, Zographos,
Docheiarion, Caracalla, Plilotheos, Simonos Petra, Saint Paul, Stavronikita,
Xenophon, Grégorios, Esphigmenon, Saint-Panteleimon ou Rossicon, Constamonitos.
Parmi les vingt représentants sont désignés chaque année, grâce Ã
un roulement régulier, quatre épistates qui forment le gouvernement exécutif.
Le sceau de la communauté est divisé en quatre morceaux, que conservent
les quatre épistates. L'un d'eux a le premier rang, c'est le prôtos.
L'assemblée juge les contestations entre les couvents et s'occupe des
intérêts généraux; elle se réunit tous les samedis. Depuis le XVIe
siècle, le patriarche de Constantinople (Istanbul)
connaît des appels portés contre ses sentences. La Porte
est représentée à Karyès par un fonctionnaire turc qui évite d'intervenir
dans les affaires monastiques. La communauté athonite a un représentant
Salonique auprès du gouverneur turc, un autre à Constantinople auprès
de l'administration centrale.
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Le
couvent de Saint Paul, au Mont Athos. Cette montagne a été depuis
le Xe siècle un des plus importants centres monastiques de l'Orient. Ses
couvents, dont le plus grand nombre datent du temps des Comnènes et des
Paléologues, sont, avec leurs murailles de forteresses, leurs cours plantées
d'arbres, leurs églises décorées de fresques, un des endroits où revit
le plus pleinement le souvenir de Byzance.
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Lors de la guerre d'indépendance hellénique,
les Athonites montrèrent ouvertement leurs sympathies pour la cause grecque
et en subirent les conséquences. Il passèrent sous l'autorité nominale
de la Grèce
à partir de 1830, tout en conservant une semi-indépendance jusqu'en 1912,
date à laquelle l'armée grecque occupa la péninsule. Un nouveau statut
fut adopté en 1926, au terme duquel le Mont Athos, tout en faisant partie
intégrante de la Grèce se voyait reconnaître une forme de large autonomie
interne. Malgré cette organisation, cette entité théocratique, placée
sous l'autorité du patriarche de Constantinople, a toujours connu et connaît
encore les discordes intestines. De vives rivalités existent entre les
monastères de nationalités différentes,
notamment entre les monastères grecs, qui ont pour eux l'importance des
traditions et le nombre, et les monastères russes qui ont pour eux la
richesse. Le monastère de Rossicon et la skyte de Sainte-Anne ont été
au XIXe siècle, et jusqu'en 1910, des
centres actifs de propagande russe, le gouvernement de Saint-Pétersbourg
les protégeait et savait habilement s'en servir au profit de sa politique.
Des troubles graves ont parfois éclaté, comme en 1874 à Rossicon. Beaucoup
plus récemment, après le conflit qui a déchiré la Yougoslavie, dans
les années1990, et a conduit à son démantèlement, certains monastères
du Mont Athos ont été soupçonné de donner asile à des criminels de
guerre recherchés par la justice internationale.
Tous les monastères appartiennent à l'ordre
de saint Basile, mais ils se divisent en idiorythmes et kinovites,
selon le genre de vie qu'on y mène. La règle est plus commode dans les
premiers : les moines mangent chacun à part, les obligations sont moins
rudes, l'administration est confiée à deux épitropes. Dans les
kinovites, les moines mangent ensemble au réfectoire et sont gouvernés
par un higoumène; on n'y mange jamais de viande, les jeûnes
et le carême
y sont observés avec la plus austère rigueur. Il faut d'abord distinguer
à l'Athos les monastères proprement dits. Quelques-uns, comme Lavra,
Vatopédi, Iviron, Rossicon, etc., sont de telle étendue que plusieurs
centaines de moines peuvent y vivre. Châteaux-forts
par leur aspect extérieur, ils comprennent à l'intérieur plusieurs églises,
un grand nombre de chapelles, des appartements
et des bâtiments de tout genre. Viennent ensuite les skytes : ce
nom désigne tantôt de véritables couvents, mais qui n'ont pas rang officiel,
tantôt un groupe de kellia ou ermitages, habités par un ou plusieurs
moines. Chaque skyte est administré par un dikaios élu annuellement
et relève d'un grand monastère.
L'existence de ces moines du Mont Athos
est fort monotone, elle est presque entièrement absorbée par de longs
offices qui ne laissent pas de place régulière au travail manuel ni au
travail scientifique. Les propriétés qu'ils possèdent en dehors de l'Athos
sont cultivées par des laïques et administrées par quelques moines délégués
à cet effet. Toutes les précautions ont été prises pour les défendre
contre les tentations du monde. Nulle femme, et même nul animal femelle
(autant du moins qu'on peut l'empêcher) ne pénètre à l'Athos; l'accès
est également interdit aux mineurs de 21 ans et aux eunuques. Cette défense
se trouve déjà dans le Typique promulgué par Manuel Paléolope
en 1393. A ces notables restrictions près, l'hospitalité y est pratiquée.
L'Athos est pour les Grecs orthodoxes une destination de pèlerinage:
les grandes fêtes des monastères
y ont attiré naguère une affluence considérable de pèlerins. Aujourd'hui,
se rendre au Mont Athos est plus difficile, et requiert une autorisation,
valable seulement quatre jours, délivrée, à Athènes,
par le ministère grec des affaires étrangères.
Pour les voyageurs occidentaux les couvents
du Mont Athos ont un autre genre d'attrait. Leurs archives sont riches
en diplômes impériaux (chrysobulles) et chartes de donation de tout genre.
Les bibliothèques de l'Athos sont encore plus célèbres : outre des manuscrits
religieux et théologiques, elles s'étaient enrichies d'un très grand
nombre de manuscrits d'oeuvres de la littérature antique et de la littérature
byzantine.
Depuis le XVIIe siècle, elles ont été
l'objet d'explorations nombreuses et fructueuses. Beaucoup des manuscrits
les plus importants sont parvenus, il est vrai, dans les bibliothèques
d'Occident; cependant on ne saurait affirmer que les couvents athonites
ne ménagent encore de belles découvertes.
Le Mont Athos n'est pas moins intéressant
pour ceux qui s'occupent d'art byzantin.
L'architecture
des couvents et des églises n'a guère varié
depuis le Moyen âge,
et les constructions y rappellent d'une façon frappante les édifices
d'Istanbul, de Salonique, etc., qui
datent du Xe au XIVe
siècle. La décoration n'a pas changé non plus. Maintenant comme autrefois,
sur les parois des églises, au fond des absides
et des coupoles se développent ces compositions sacrées que l'école
byzantine répète depuis tant de siècles déjà . L'Athos a du reste été
un centre célèbre d'art religieux. Là a travaillé un des plus fameux
maîtres byzantins, le peintre Panselinos, dont malheureusement la biographie
est encore si obscure. Un de ses disciples a consigné les traditions,
les procédés de la peinture
byzantine, dans un manuel qui est devenu le livre pratique des ateliers
et que Didron a traduit en français sous le titre de Manuel d'iconographie
chrétienne. Malheureusement les oeuvres les plus anciennes ont disparu
à l'Athos : parmi les peintures murales
datées, il ne s'en rencontre pas d'antérieures au XVIe
siècle. (C. Bayet).
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Jean-Yves
Leloup, Ferrante Ferranti, Mont
Athos, sur les chemins de l'infini, Philippe Rey, 2007. -
Lieu mythique, difficile d'accès, interdit aux femmes, le Mont Athos est
un des endroits les plus fascinants du monde. Cette république théocratique,
avec son propre gouvernement, établie au sein de la démocratie grecque,
est un territoire autonome qui s'étend sur une superficie de 325 kilomètres
carrés. Le mont Athos se dresse dans une splendide solitude à l'extrémité
de la péninsule qui porte son nom, bordée de la mer Égée. Son importante
communauté monastique lui vaut le qualificatif de « Sainte Montagne
» (Hagion Oros) car elle représente depuis plus d'un millénaire l'un
des hauts lieux de la chrétienté. Perchés à flanc de falaises, les
170 monastères et skites renferment l'une
des plus grandes collections d'art chrétien du monde : iconostases flamboyantes,
bibliothèques remplies d'incunables précieux, églises
recouvertes de fresques remontant pour les
plus anciennes au VIIe siècle. (couv.). |
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