|
. |
|
Le fait colonial |
| | | |
Condition générale des premières colonies grecques Le trait qu'il faut marquer avant tout quand il s'agit des premières colonies grecques, c'est que ce sont des cités nouvelles; elles ne dépendent en rien de la métropole; politiquement leur indépendance est entière. Le lien qui subsiste entre la cité fille et la cité mère est un lien religieux. Elle honore comme héros, à côté des dieux nationaux, son fondateur (oikisths). On a soin d'emporter le feu sacré allumé au foyer de la métropole; on l'entretient soigneusement pendant toute la durée de la migration, et c'est avec lui qu'on allume le foyer de la cité nouvelle. S'il vient à s'éteindre, on va le chercher dans la patrie première. Celle-ci donne ses dieux à la colonie et les formes du culte; Poseidon, Apollon Delphinios, Athéna sont les protecteurs des douze colonies d'Ionie, comme d'Athènes; Ephèse fait des concessions aux cultes lydiens au détriment de ceux de l'Attique, mais on lui en sait très mauvais gré. Strabon affirme que lorsqu'on rencontre dans deux villes différentes des cultes identiques, on peut être certain que ces deux villes ont une origine commune. Nous avons vu que les colonies ioniennes furent toutes, à l'origine, gouvernées par des représentants de la famille royale attique. Elles avaient naturellement emporté et reproduit les institutions politiques et sociales de la métropole. On n'invente pas si aisément un système politique et social; on conserve celui qu'on connaît, quitte à l'adapter aux conditions de la vie nouvelle. Celles-ci étaient en effet sensiblement différentes, surtout en Ionie. Là, se pressaient, sur une petite bande de côtes, douze villes. Bâties en un temps de luttes, dans les positions les plus faciles à défendre au bord de la mer, sur des presqu'îles peu accessibles pour l'ennemi du continent, elles se trouvèrent écartées des plaines cultivables; l'agriculture, et par suite la propriété foncière, n'eut pas la même importance prépondérante que dans la Grèce continentale. Les colons venus par mer continuèrent par vocation et par nécessité à s'orienter vers la mer. L'élément rural fut subordonné de suite à l'élément urbain. Tandis que sur le continent, les campagnards groupés autour des châteaux de leurs rois et des grands propriétaires formaient presque toute la population, et que les villes ne jouaient qu'un rôle secondaire, ici ce fut le contraire; les colons, groupés d'abord dans l'enceinte des villes, y restèrent en plus grand nombre. La vie urbaine fut naturellement plus intense, et l'évolution politique bien plus rapide. Les anciennes traditions perdirent leur ascendant; les chefs héréditaires, dont l'autorité n'était plus appuyée sur la fortune matérielle et la puissance de fait, virent leur autorité contestée. Le commerce maritime et l'industrie occupant la majorité de la population, enrichissant rapidement un grand nombre d'hommes nouveaux, l'ancienne constitution ne put être conservée. Quand les membres de l'État sont agglomérés dans une ville, qu'ils se touchent, il leur paraît évident que le mieux est de gérer leurs affaires eux-mêmes; la monarchie traditionnelle n'a pas de raison d'être. Elle disparut donc; les grandes familles profitèrent d'abord seules du changement, mais l'aristocratie fut à son tour battue en brèche. La démocratie ne put s'organiser paisiblement; dans plusieurs villes, on confia à des arbitres politiques, les Aesymnètes, des pouvoirs extraordinaires pour réorganiser la constitution. D'autres fois, les titulaires des magistratures ou les chefs populaires s'emparèrent de la dictature, l'appuyèrent sur des bandes armées et fondèrent des tyrannies. Ils s'entendirent avec les princes asiatiques du continent, et s'entendant avec eux, rendirent constants et étroits les rapports entre Hellènes et barbares. Dès le VIIIe siècle av. J.-C., nous trouvons à Milet des aesymnètes et des tyrans. A ce moment, la monarchie traditionnelle et la noblesse dynastique possédaient encore le gouvernement dans la Grèce continentale. On voit combien l'évolution avait été plus rapide dans les colonies. Elles fournirent les premières le type de la cité démocratique. Les colonies, celles d'Ionie surtout, rendirent un service non moins éminent à la Grèce en lui servant d'intermédiaire avec les civilisations plus avancées de l'Orient. Elles profitèrent de tous les progrès réalisés par celles-ci, les transmirent avec de nouvelles améliorations à leurs compatriotes, dont toute la vie sociale et économique fut transformée. Les deux plus considérables acquisitions furent celles d'un système rationnel de poids et mesures et celle de la monnaie, empruntés l'un et l'autre aux Mésopotamiens. Contentons-nous de rappeler son immense importance et la part qui revient dans l'invention aux Phocéens. Cette cité eut l'idée de se charger de la frappe de la monnaie et d'en garantir la valeur. Après une telle invention, dans les cités où le commerce était la principale ressource, la propriété mobilière devint absolument prépondérante et il en résulta des conditions économiques qui ne se sont guère retrouvées que dans les sociétés modernes. L'égalité civile parut s'imposer et fut vite proclamée dans ces cités où la propriété foncière, base ordinaire de l'aristocratie, était presque négligeable. Plus riches, plus avancées en civilisation, peuplées d'hommes plus instruits, d'idées plus larges, les colonies réagirent sur leurs métropoles et en hâtèrent le développement. Elles eurent dans la magnifique floraison de la Grèce antique une influence décisive. Mais ici il convient de faire une part aux colonies de la seconde période, qui elles aussi prirent bientôt l'avance sur les Hellènes du continent. Causes de l'expansion coloniale des Hellènes De même que nous avons étudié les conditions générales d'existence des colonies grecques de la première période, il nous faut consacrer ici une étude analogue à celles de la seconde période. Marquons sur-le-champ une différence essentielle. Les colonies d'Eolie, d'Ionie, de Doride furent créées par des émigrants à la recherche de nouveaux foyers, sous l'impulsion d'une nécessité urgente; celles des côtes de Thrace et d'Hellespont, de la mer Noire, de la mer Adriatique, de Sicile, d'Italie, de Gaule, de Cyrénaïque furent créées en vertu d'un dessein politique, pour l'exploitation au profit des Grecs de contrées voisines. Elles sont plus, que les précédentes le résultat d'expéditions concertées et réfléchies. Les considérations qui motivèrent ces fondations de colonies si nombreuses qu'elles frangèrent tout le littoral de la Méditerranée d'une bande de terre grecque (Barbarorum agris quasi attexta ora graecia, dit Cicéron), ces considérations furent très diverses. D'abord intervint évidemment l'intérêt commercial, et la part dirigeante qu'eurent dans le mouvement Milet et Chalcis suffirait à le prouver. Un très grand nombre de ces colonies furent et restèrent surtout des entrepôts commerciaux où les navires faisaient escale, trouvaient un abri et centralisaient le négoce avec les tribus voisines de l'intérieur. Ceci explique pourquoi presque partout les colons grecs ne s'avancent pas dans les terres; leurs villes sont au bord de la mer; ils ne cherchent pas à conquérir les indigènes, mais à les attirer sur leur marché. D'autres colonies furent fondées pour donner un débouché à un excédent de population; tel fut le cas pour la Cyrénaïque, pour les colonies achéennes d'Italie; quelques-unes furent fondées pour se débarrasser d'éléments démocratiques ou autres dont les réclamations troublaient l'État. La fondation d'une colonie Nous sommes assez exactement renseignés sur la manière dont on s'y prenait pour fonder une colonie grecque du VIIIe au VIe siècle avant notre ère. La première chose était de s'assurer le concours des dieux. Cicéron affirme qu'aucune colonie grecque n'a été installée en Eolie, en Ionie, en Sicile, en Italie, sans qu'on ait pris l'avis de l'oracle de Delphes, de celui de Dodone ou d'Ammon. La divination a tenu une trop grande place dans la vie politique des Hellènes pour qu'il y ait lieu de mettre en doute cette assertion. Il faut remarquer qu'en s'adressant à un oracle, non seulement on recevait des conseils émanés d'une autorité supérieure à l'humanité, mais on s'adressait aussi à des gens très bien informés. Ces oracles, celui de Delphes surtout, furent les institutions centrales et dirigeantes du monde hellénique dans la période de colonisation. Perpétuellement il y affluait des pèlerins et des gens d'affaire venus de tous les coins de la Méditerranée. Les prêtres, qui eux-mêmes n'étaient pas étrangers aux affaires, se trouvaient donc fort bien renseignés sur les chances de succès des émigrants et les avantages de tel ou tel choix. On sait combien ils blâmèrent les colons de Chalcédoine d'avoir préféré s'établir sur la rive asiatique du Bosphore, au lieu de s'emparer du magnifique emplacement où plus tard s'éleva Byzance. Une fois pourvu de la réponse de l'oracle, on réunissait les colons. Parfois c'était une fraction de la population qui émigrait, d'autres fois on les recrutait individuellement. On publiait des proclamations, on apposait des affiches pour informer les citoyens qu'on organisait une colonie et les inviter à donner leurs noms aux magistrats chargés de dresser la liste des émigrants. Nous avons conservé des inscriptions relatives à la fondation de la colonie athénienne de Bréa, sur la côte de Thrace, pour laquelle on recruta ainsi les colons par voie d'engagement volontaire, mais seulement dans les classes pauvres de la cité (Thétes et Zeugites). Dans certains cas on formait les listes de colons sans consulter les intéressés; à Théra on décida que pour coloniser l'île de Plateia (d'où l'on partit pour Cyrène), chaque famille qui avait plusieurs enfants mâles en désignerait par le sort un sur deux. Dans une foule de cas on adjoignait aux colons originaires de la cité qui prenait l'initiative de l'expédition des émigrants étrangers, soit d'une cité voisine, soit de toute une contrée, ou même quiconque voulait s'enrôler. Nous avons vu les Chalcidiens embarquer ainsi, pour fonder leurs cinquante colonies, des aventuriers de tout pays. Il fallait toutefois prendre quelques précautions; tantôt on excluait nominativement les étrangers qui viendraient de pays hostiles; tantôt on réservait aux seuls nationaux le droit de cité dans la nouvelle colonie. Lorsqu'on avait ainsi recruté les colons, il restait à organiser le gouvernement. Le chef de l'expédition, fondateur de la ville (oikisths), était désigné, en général d'accord avec l'oracle. Lorsque la ville colonisatrice était elle-même une colonie, l'usage invariable était qu'elle s'adressât à sa métropole qui lui donnait le chef de la nouvelle ville. Un trésorier était adjoint. On emmenait en outre des prêtres, des devins, souvent on désignait d'avance les magistrats qui répartiraient le sol entre les arrivants. Tous ces préparatifs une fois achevés, on indiquait aux émigrants la date du départ. Lorsqu'ils ne possédaient pas de ressources suffisantes, le trésor de la métropole y subvenait par l'allocation de provisions de route (efodion) et d'armes. Les rapport des colonies avec la métropole « Les Grecs unissaient à un degré qu'on ne rencontre chez aucun autre peuple un désir insatiable de pénétrer dans les régions les plus lointaines avec le patriotisme le plus fidèle. Ils emportaient partout leur patrie avec eux. Le feu allumé au foyer de la cité, les images des dieux de leur race, les prêtres et les devins issus des anciennes familles accompagnaient les citoyens en route pour l'étranger. Les divinités protectrices de la métropole étaient invitées à prendre part au nouvel établissement où l'on aimait à tout reproduire, citadelle, temple, places et rues, sur le modèle de la ville natale. D'après les idées des Grecs, ce qui constituait la cité, ce n'était pas le sol et les constructions qu'il portait, mais les citoyens. Par conséquent, là où habitaient les Milésiens il y avait une Milet. C'est pour cela qu'on transportait volontiers à la colonie le nom de la métropole, ou le nom de quelque bourgade appartenant au territoire de la métropole qui avait fourni un contingent notable de colons. » (E. Curtius, Histoire grecque, trad. Bouché-Leclercq, t. I, p. 575.)La colonie grecque est une cité neuve fondée à l'image de la métropole, voilà ce qu'on ne saurait oublier sans méconnaître le caractère fondamental de toute cette histoire; on voit combien cette conception diffère de celles qu'appliquèrent les peuples européens dans l'oeuvre de la colonisation moderne. Les Grecs cherchaient moins à créer des exploitations au profit de la cité mère que des êtres politiques nouveaux. Il y eut quelquefois entre la colonie et la métropole des traités réglant d'avance les rapports; nous avons conservé celui de Bréa, mais il s'agit d'une colonie athénienne de date récente. Il est vraisemblable que les grandes colonies, fondées en un temps où on n'écrivait guère, ne furent liées par aucun traité, mais par les coutumes. C'est un pacte de ce genre, une tradition constante qu'invoquent les Corinthiens dans leur différend avec Corcyre au début de la guerre du Péloponnèse. La colonie était autonome; elle n'était pas sujette de la métropole, même pas vassale, sauf exception; elle se gouvernait et s'administrait elle-même. Corinthe tenta de modifier cet usage et de fonder à son profit un véritable empire colonial; elle nommait les magistrats supérieurs de Potidée et fit de grands efforts pour conserver la haute main sur Corcyre, mais sans y parvenir. Toutes ces villes d'outre-mer conservaient pour la grande patrie un respect filial. Ce n'était pas un sentiment vague et inactif, mais une solidarité étroite, parfaitement comparable à celle qui persiste entre les membres séparés d'une famille. Les colonies restaient soigneusement fidèles aux usages et aux cultes de leurs ancêtres; elles cherchaient dans les familles de la métropole des prêtres, des magistrats. Le scoliaste de Thucydide déclare que le grand pontife était ordinairement choisi de cette manière. Par des ambassades et des sacrifices, la colonie participait aux fêtes de la métropole. Elle en accueillait les citoyens avec déférence; ils avaient droit aux places d'honneur dans les temples et au théâtre. Si la patrie première était en danger, elle pouvait compter sur le secours de ses colonies même après des siècles, celles-ci ne se soustraient guère à ce devoir. Réciproquement elles invoquent à l'occasion le secours de la métropole. « De même, dit Diodore de Sicile, que des enfants maltraités se réfugient près de leur père, de même les villes opprimées ont recours à leurs métropoles. »Toutefois les conflits d'intérêts pouvaient amener des ruptures et la guerre du Péloponnèse en offre maint exemple (Corcyre et Corinthe, Amphipolis et Athènes). Mais où se marque surtout la déférence que les colonies conservaient pour la cité de leurs ancêtres, c'est dans l'appel qu'ils font à ses conseils dans leurs graves crises politiques. Ceci est d'autant plus remarquable que l'évolution politique et sociale des colonies fut plus rapide qui celle de l'Hellade; il y a loin de ce respect filial des colons grecs pour la tradition conservée dans leur cité d'origine, au dédain qu'affectera plus tard la jeune Amérique pour la vieille Europe... Après la chute du régime pythagoricien, les colonies de la Grande-Grèce s'adressent à la pauvre Achaïe, moins peuplée tout entière que l'une seule de ces grandes cités, pour lui demander des institutions stables; plus tard encore Syracuse fait appel à Corinthe pour le même objet. « On ne saurait imaginer, dit E. Curtius, rien de plus salutaire pour les deux parties à la fois que cette solidarité de la métropole et de la colonie, l'une empruntant à la jeune cité de quoi ranimer sa vigueur, l'autre remplaçant ce qui lui manque en fait de traditions locales et d'histoire par un attachement fidèle à la cité mère. Pour tout ce qui concerne le droit sacré et les prescriptions religieuses, les colonies ont fait preuve d'une grande fidélité aux vieilles coutumes. C'est même chez elles que, çà et là, s'est le mieux conservé le legs du passé. On retrouve par exemple à Cyziquela forme primitive du calendrier religieux ionien et les noms des tribus supprimées à Athènes par Clisthènes. »La fidélité témoignée par les colonies grecques à leurs traditions n'empêcha pas la formation en un grand nombre de points de populations métissés, intermédiaires entre les Hellènes et les peuples colonisés; les Ioniens, qui étaient peut-être déjà le produit d'une fusion analogue, se montrèrent surtout disposés aux unions mixtes. Au Nord de la mer Noire naquit le peuple scytho-hellénique dont Anacharsis fut le plus célèbre représentant; Hérodote nous parle des Gélons, barbares hellénisés, qui, refoulés dans les plaines de la Russie méridionale, continuèrent d'y vivre à la mode hellénique, et à adorer Dionysos. La légende d'Euxène montre les Phocéens procédant de même à Marseille; en Cyrénaïque se créa une population gréco-libyenne. Enfin, dans les ports d'Égypte naquit cette population demi-hellénique des Levantins, qui peuple encore les ports de la Méditerranée orientale. Nous avons dit comme les Italiens s'hellénisèrent vite; de même une partie des Sicules. Ces éléments étrangers formèrent certainement une partie de la population des grandes colonies grecques, et leur présence rend compte des destinées politiques de celles-ci. Le régime politique des colonies grecques Ce que nous avons dit de la vie politique des colonies de la première période s'applique aussi bien à celles de la seconde. Elles continuèrent l'histoire de leurs métropoles. Elles en acceptèrent l'organisation politique et sociale à l'origine monarchique ou oligarchique, et Platon fait observer qu'alors même que les colons étaient des émigrants qui avaient quitté leur ville natale, victimes des défauts de sa constitution et des discordes qui en résultaient, ils veulent cependant par habitude se soumettre aux lois qui ont fait leur malheur. Mais les colonies renfermaient des éléments bien plus défavorables à la cause conservatrice que leurs métropoles. Ayant au contraire de celles-ci trop peu de citoyens et trop de terres, elles se montraient peu jalouses de leur droit de cité, disposées à le conférer volontiers : souvent le noyau primitif des colons comprenait des gens venus de cités, de régions différentes, n'ayant nullement cette étroite solidarité de cultes et de traditions qui s'imposaient dans les cités de l'Hellade. Il résulta de là que les colonies ont eu une croissance infiniment plus rapide que leurs métropoles. Quelques-unes sans doute ont plutôt retardé comme celles du Bosphore cimmérien (Crimée) où surgit au IVe siècle une famille héroïque que Curtius compare aux Pélopides, comme ses tombeaux ressemblent à ceux de Mycènes. Ceci se passait aux confins extrêmes du monde hellénique; c'est là un cas exceptionnel. Ceci est aussi vrai des colonies achéennes et doriennes de l'Occident que des colonies ioniennes; quoique l'esprit dorien fût bien plus conservateur et que les grandes familles achéennes eussent des qualités et un prestige exceptionnels. La démocratie prévalut. Le peuple ne voulut plus être régi par des coutumes dont la connaissance complète était l'apanage de classes sacerdotales ou privilégiées ; il refusa d'en subir l'arbitraire et réclama des lois écrites. Pittacus à Lesbos, Zaleucus à Locres, Charondas à Catane sont les plus anciens législateurs qui aient rédigé un code et une constitution. Dans les colonies de la Grande-Grèce se fit l'extraordinaire expérience morale et sociale des pythagoriciens. Il n'y a peut-être pas d'autre exemple d'une réforme aussi profonde inspirée de vues abstraites. Le gouvernement de l'État par les philosophes échoua totalement; mais il fallait des esprits bien avancés pour qu'il ait pu même être essayé. En général, les colonies grecques finirent par aboutir à la tyrannie; appuyée tantôt sur la foule démagogique, tantôt sur les capitalistes, tantôt sur l'alliance des princes barbares, la tyrannie fut relativement douce. Les Grecs continentaux passèrent d'ailleurs par les mêmes étapes que leurs cousins des colonies, plus lentement puisque la démocratie ne fut prépondérante chez eux qu'au Ve et au IVe siècle, la tyrannie au IIIe siècle. Les clérouchies athéniennes. Clérouchies instituées par assignations faites à diverses époques, notamment en 509 et en 453, sur les territoires de Chalcis et d'Eretrie; Scyros, clérouchie en 470-469; Eïon, en 469; assignations probables sur la côte de Thrace, enlevée aux Thasiens, en 412; Naxos, en 453; assignations dans la Chersonèse de Thrace, en 453 et 448; à Lemnos, entre 451 et 448, assignations qui constituent les clérouchies Myrina et Hephaestia; Andros, en 450 ; Oreos (Hestiaea) en Eubée, en 446; Imbros, en 443; Egine, en 431; Potidée dans la Chalcidique, en 429; confiscations et assignations à Lesbos, en 426, sur les territoires de Mytilène, Antissa, Eresos, Pyrra; Torone (?) dans la Chalcidique, en 422 ; Scione dans la Chalcidique, en 424; Mélos, en 415; Bréa (vers 444), Thurioi (443) et Amphipolis (437), sont des colonies proprement dites, qui, peuplées d'éléments divers, ne font pas partie de la cité athénienne.Le territoire confisqué et destiné à être partagé entre les colons athéniens était mesuré par des géomètres et divisé en lots équivalents suffisants pour qu'une famille puisse y subsister. Ces lots étaient ensuite répartis par la voie du sort outre les Athéniens, d'où le nom donné aux colons (klhroucoi). Ceux-ci étaient recrutés par voie d'engagement volontaire; nul n'était contraint d'accepter, le tirage au sort n'ayant lieu qu'entre les Citoyens qui se présentaient eux-mêmes. Naturellement c'étaient surtout des pauvres, car il semblait pénible de s'éloigner de la patrie, et de renoncer à l'exercice de ses droits de citoyen. Quelquefois cependant on autorisa les clérouques à rester à Athènes en faisant exploiter leurs lots par des fermiers. Ce fut le cas pour Lesbos où les 2700 clérouques athéniens furent seulement superposés aux insulaires qui restèrent sur leurs terres et payèrent seulement aux colons une somme annuelle de deux mines. Dans ce cas, il n'y a pas eu réellement fondation de colonie. Le fait essentiel c'est que les clérouques, tout en formant une cité nouvelle, ne cessaient pas d'être citoyens de la cité mère, ceci les différencie des habitants des colonies ordinaires. Ils conservent le nom d'Athéniens; leurs biens (sauf ceux qu'ils possèdent en qualité de clérouques) figurent dans la liste des propriétés attiques. Quand ils se trouvent à Athènes, ils exercent tous les droits civiques, prennent part aux délibérations de l'assemblée. Ils sont justiciables des tribunaux athéniens, sont soumis au service militaire avec toute ses charges, aux liturgies, etc. Néanmoins la cité habitée par les clérouques n'est pas une simple possession athénienne, elle forme un état distinct, état vassal, il est vrai, dans la dépendance politique de la métropole. Les affaires judiciaires graves sont jugées à Athènes; les clérouques pendant la guerre servent souvent au milieu des Athéniens sur leurs navires, sous leurs généraux. La cité mère contrôle les actes législatifs de sa clérouchie; elle y expédie des inspecteurs (epimelhtai) souvent même nomme les prêtres et les magistrats. Enfin elle s'est réservé une portion du domaine de la colonie qui appartient à l'État athénien, est affermée à son bénéfice et dont les revenus sont affectés aux dieux. Ajoutons enfin que les clérouchies athéniennes n'eurent qu'une existence éphémère; victimes de la guerre du Péloponnèse, les colons furent expulsés après la défaite d'Athènes; rétablis sur certains points, ils ne purent se maintenir après la ruine de l'empire athénien. Vie intellectuelle et artistique La part des colonies d'Asie et d'Italie dans la vie intellectuelle et artistique de la Grèce est trop considérable pour qu'on puisse l'étudier ici; ce serait la moitié de l'histoire de l'art, de la littérature, de la philosophie, des sciences helléniques. Contentons-nous de rappeler une fois de plus que l'initiative appartint aux colonies et que la conception rationnelle du monde fut élaborée en Ionie d'où vinrent aussi les premiers idéalistes. (GE). |
. |
|
| ||||||||
|