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Histoire de la géographie antique
Les précurseurs grecs
[La Terre]
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Le  temps des expéditions Accomplissements alexandrins La géographie à Rome

Jalons
Une des plus anciennes légendes grecques nous conduit dans une région exploitée par les Phéniciens, celle de la mer Noire; la fabuleuse expédition des Argonautes fut dirigée vers ces parages; partie d'lolcos, elle serait allée en Colchide, à l'embouchure du Phase. Les poèmes consacrés à cette expédition sont de date relativement récente; le plus ancien est dû aux Orphiques, et, bien qu'il ait dû utiliser d'anciennes légendes, nous ne pourrons l'utiliser que pour indiquer les idées qu'on se faisait sur la géographie des régions septentrionales. 

Le monde d'Homère
Les plus anciens documents de la pensée grecque sont les poèmes d'Homère. Aussi leur géographie a été étudiée dans le détail. Elle nous apprend ce que croyaient et savaient les populations de la Mer Egée vers le VIIIe siècle av. J.-C
On se représentait la Terre comme un disque plat et rond, autour duquel coulait une sorte de fleuve énorme, l'Océan, dont les eaux, s'enfonçant sous terre, alimentaient toutes les rivières. On le distinguait de la mer aux eaux salées, c.-à-d. de la Méditerranée; l'Odyssée signale toutefois à l'Ouest une communication par le détroit ouvert entre les colonnes d'Hercule (détroit de Gibraltar). Homère distingue le côté du jour et le côté de la nuit, Orient et Occident. Il ne connaît bien que la Mer Egée, les côtes de la Grèce et de l'Asie Mineure, au delà la Thrace, la Phénicie, l'Égypte, la Libye, l'Éthiopie; sans en préciser l'emplacement. A l'extrême Orient, il place le pays du Soleil ou d'Aetès, celui des Asimes avec ses montagnes de feu (peut-être les volcans du Taurus?), celui des Amazones, les Halizones du pays d'Alybé où naît l'argent, les Paphlagoniens, les Caucones, les Hénètes, les Solymes, les Lyciens, les Phrygiens; de ce côté, ses informations ne dépassent pas l'Asie Mineure. Au Sud, il place les Éthiopiens, les Erembos (Araméens?); les Phéniciens et Sidoniens habitent au midi de ceux-ci, puis à l'Ouest on trouve l'Égypte, à l'Ouest de celle-ci la fertile Libye, puis les Lotophages; au Sud de l'Égypte, touchant à l'Océan, l'Iliade place les Pygmées, peut-être déjà une allusion aux populations d'Afrique centrale auxquelles on donnera beaucoup plus tard ce nom. Le poète dit ailleurs que les Éthiopiens, les plus reculés des humains, sont partagés en deux peuples, l'un vers le Soleil couchant, l'autre vers le levant, ce qui répondrait à leur répartition des deux côtés de la mer Rouge. Son savoir se précise en approchant de la mer Égée. Troade, Méonie, Carie, Lycie la bordent à l'Est. De la Grèce européenne, il connaît bien la Béotie, la Phocide, la Locride, Attique, le Péloponnèse oriental; moins le Péloponnèse occidental (Arcadie, Elis, Pylos), l'Hellade occidentale (Etolie, Acarnanie) et les pays de Thessalie et d'Épire. Il est peu question des îles Eubée, Salamine, Egine, Délos; même l'Odyssée est mal informée sur celles de l'Ouest. Au Nord de la Grèce, on place la Piérie, l'Émathie, la Péonie, les Cicones, les Mysiens, les Thraces, les Hippemolges, les Abiens. Sur l'Occident, on n'a que des idées vagues, des récits légendaires de marins, rapportés dans l'Odyssée. On y place les Cyclopes, les Lestrygons, les Siceles, les Sicanes, l'île d'Aeguse, le pays d'Éole, maître des vents, la Thrinakia avec ses roches errantes, Charybde, Scylla; tout cela dans les parages de la Sicile et de la mer Tyrrhénienne; mais à quoi répond l'île des Sirènes? le pays de Circé à l'extrême Occident? Au bord de l'Océan vivraient les Cimmériens; au Nord-Ouest serait l'île de Calypso, Ogygie. Ces mythes n'ont pas beaucoup plus de précision géographique que n'en auront chez les Arabes les voyages de Sindbad le marin. En résumé, les poèmes homériques dénotent une connaissance précise des bords de la Mer Egée, approximative de la péninsule des Balkans, de l'Asie Mineure, de l'Égypte, légendaire des contrées plus lointaines de l'Occident, du Nord ou du Midi.

Le monde d'Hésiode
Les poèmes d'Hésiode renferment des opinions cosmographiques et géographiques analogues à celles des poèmes homériques, mais incontestablement plus étendues. Ils savent le nom du Nil; ils connaissent le Strymon, l'Ister (Danube), l'Éridan (Pô ou peut-être Rhône), place bien le Phase. Ils nomment les Scythes, les Galactophages. Ils ont développé les connaissances vers l'Italie où sont nommés les Tyrrhéniens, Latinus, l'Etna, Ortygie (Syracuse); mentionnés les Egyens (Ligures?); on place vis-à-vis de l'Atlas le jardin des Hespérides (Espagne); il est vrai que le long du fleuve Océan on met, au lieu de l'Élysée d'Homère, les îles des Bienheureux et celle d'Érythie. On a attribué à Hésiode une géographie qui n'était qu'une sorte de collection, faite par Ératosthène, des indications géographiques et cosmographiques disséminées dans les oeuvres mises sous le nom du poète.

Malgré les progrès de la colonisation grecque vers le VIe siècle, les poètes cycliques, Pindare, Eschyle même, n'ajoutent pas grand-chose à la géographie homérique; ils en respectent le côté mythique. Pourtant il faut noter chez Eschyle la distinction des parties du monde: Asie, Libye, Europe, celle-ci séparée de l'Asie par le Phase ou par le Bosphore cimmerien (détroit de Kertch), de la Libye par les colonnes d'Hercule. Ce sont à peu près les divisions que nous avons conservées. Mais à cette époque les poètes ne sont déjà plus les interprètes autorisés des idées de leur temps. La science rationnelle est née avec la prose aux rivages ioniens; la philosophie, l'histoire, la géographie se développent en même temps.

Les logographes.
Les premières oeuvres des logographes sont des géographies. Nous n'avons plus ni la description de la Terre de Denys de Milet, ni ses Persikos. On doit déplorer plus encore la perte des oeuvres d'Hécatée de Milet, le vrai père de la géographie. Il mit à profit les découvertes scientifiques de l'école ionienne et les explorations des VIIe et VIe siècles. Thalès avait pressenti sinon reconnu la sphéricité de la Terre, déterminé la latitude par la hauteur méridienne du Soleil ou la distance des étoiles au pôle boréal, partagé la sphère en cinq zones. Anaximandre avait figuré sur un plan la partie connue du globe; il serait ainsi le premier cartographe. Les pythagoriciens établirent, enfin, les principes de la cosmographie. Au VIIIe siècle, la Sicile et l'Italie méridionale avaient été colonisées par des Grecs; les Milésiens avaient couvert les rives du Pont-Euxin (mer Noire) de leurs établissements, visitant les bouches de I'Ister, du Tanaïs, le Palus Méotide (mer d'Azov); des rapports réguliers s'étaient établis avec l'Égypte; les colons de la Cyrénaïque avaient exploré la Libye; le Samien Coleus, entraîné par les vents, avait pénétré dans l'Atlantique que bientôt visitèrent les Phocéens; l'expédition de Darius contre les Scythes avait élargi les connaissances du Nord du Danube, tandis qu'on pouvait profiter de l'organisation de l'empire des Perses pour pousser les itinéraires mesurés et les voyages réguliers jusqu'à l'Indus et à l'Iaxartes (Syr Daria). Darius fit exécuter par l'Ionien Scylax de Caryanda une exploration des rivages de la mer Erythrée depuis les bouches de l'Indus jusqu'à l'Égypte. Tels sont les matériaux dont purent disposer les écrivains du VIe siècle av. J.-C

Hécatée de Milet (549-472) écrivit une géographie accompagnée d'une carte; jusqu'à Ératosthène, son oeuvre fit autorité. Il paraît s'en être tenu à la conception de la Terre comme un disque plat entouré par l'Océan, et il a distribué les parties du monde des deux côtés de la Grande Mer, notre Méditerranée : au Nord l'Europe, dans laquelle il comprenait la plaine nord-asiatique; au Sud la Libye et l'Asie. Hécatée avait des notions précises sur l'Ibérie, la Celtique, l'Italie, l'Illyrie, la Thrace, le Pont, le Caucase et l'Ouest de la Caspienne, la Perse, même sur l'Inde. Sur la Méditerranée occidentale, il était plus complet qu'Hérodote. Sa carte doit être celle qu'Aristagoras de Milet montra aux Spartiates. Après Hécatée, Charon de Lampsaque donna des détails sur la Perse, la Libye, l'Éthiopie, rédigea un périple de l'océan Atlantique. Xanthus, Hippys, Hellanicus écrivirent des traités géographiques et ethnographiques. Damastès s'efforça de préciser les distances d'un lieu à l'autre; bien informé sur l'Occident, il cite Rome; Phérécyde est aussi bien renseigné sur l'Italie.

Le monde d'Hérodote.
Avec Hérodote, la géographie est encore mêlée à l'histoire, mais elle existe déjà comme science. C'est aussi l'époque où naît la cartographie, dont les premiers éléments paraissent avoir été empruntés par les Grecs aux Égyptiens et aux Phéniciens. Anaximandre dressa la première mappemonde connue, où il donnait à la Terre la forme d'un cylindre convexe à sa partie supérieure et ayant un diamètre trois fois plus considérable que sa hauteur. Un peu plus tard, Aristagoras, tyran de Milet, apporte au roi de Sparte, Cléomène, pour le décider à soutenir les Ioniens contre les Perses et à aller attaquer le grand roi jusqu'au coeur de ses États, une planche de cuivre où étaient représentés les contours de la Terre, les mers et les rivières, les noms et l'emplacement des peuples établis entre la Grèce et le centre de l'empire persan. Hérodote, après avoir parlé de cette carte, donne la description d'un itinéraire, véritable livre da postes, indiquant, par journées de routes et par parasanges, la distance d'Ephèse à Suze.

Hérodote a sur ces logographes l'avantage que son livre nous est parvenu. Il ne sépare pas la géographie de l'histoire. Ses théories générales sont peu avancées; il regarde la Terre comme plate, de forme ovale, entourée par la mer. Il lui donne une longueur de 40 000 stades, la partage en deux : Europe au Nord, Asie au Sud, regardant la Libye comme une presqu'île de l'Asie. Ses deux parties du monde sont séparées : détroit de Gadès, la Méditerranée, la mer Noire, le Phase, l'Araxes, la Caspienne; il ne va pas plus loin. Il place à l'Ouest des colonnes d'Hercule, l'Ibérie presque entière, la Celtique, faisant naître près de la ville de Pyréné (Brenner ou Pyrénées?) le Danube qui traverse l'Europe pour aboutir à la mer Noire en face de Sinope; plus à l'Ouest encore, il nomme les Cynestes. Ses informations sont plus rigoureuses sur le Sud de la Gaule, sur l'Italie dont il est le premier à donner le nom; il connaît les Ombriens, les Tyrrhéniens, mais pas Rome. Sur la Grèce, l'Épire, la Macédoine, il est complètement renseigné, même sur la Thrace, dont il ignore les frontières septentrionales.

Sur la Scythie (la plaine russe), il demeure le principal magasin d'informations, indique exactement ses grands fleuves. Il est le premier à savoir que la Caspienne est une mer fermée. Toutefois, quand il s'agit de l'extrême Nord, il glisse aux fables; ce qu'il raconte des Arimaspes, des Hyperboréens, des Aegipodes est peu sérieux. Il connaît bien le Caucase et les mers qui séparent l'Europe de l'Asie. Le Phase marque pour lui la limite. Dans l'Asie, il distingue deux parties, des deux côtés de l'Halys, ce qui suffirait à prouver l'insuffisance de l'orientation à cette époque; le golfe Arabique (mer Rouge), qu'il croit petit, achève la séparation. Il se représente l'Asie comme une masse centrale formée par le bassin de l'Euphrate, pays des Colchiens, des Saspires, des Mèdes et des Perses ; autour se distribuent de vastes presqu'îles : Asie Mineure, Assyrie, Perse, Arabie, Libye. Il ne connaît que les confins de l'Inde, ignore le Gange, bien que les explorateurs du Darius lui aient communiqué un certain nombre de faits exacts. 

Sa géographie administrative de l'empire perse est excellente. Il connaît parfaitement l'Égypte; au delà il sait qu'on peut remonter le Nil pendant quatre mois sans arriver à sa source ; il est disposé à le faire venir de l'Ouest; on voit poindre la confusion avec le Niger, jadis appelé le Nil des Noirs. Sur l'Éthiopie, ses assertions sont suffisantes. Les Égyptiens et les Cyrénéens l'ont bien renseigné sur la Libye, peuples du littoral et du Sahara oriental. Au delà des Syrtes commence la confusion; à peine nomme-t-il Carthage; il n'a pas mis à profit l'oeuvre d'Hécatée. Bref, l'historien grec ignore l'Europe septentrionale, l'Asie au delà des confins de l'empire perse, l'Afrique intérieure; mais il connaît et décrit bien tout le bassin de le Méditerranée orientale et de la mer Noire, à peu près celui de la Méditerranée occidentale, bien l'Iran. Sa mappemonde est exacte en ce qu'il admet la jonction de nos océans Indien et Atlantique.

Au siècle suivant, on ajouta peu aux descriptions d'Hécatée et d'Hérodote. Ctésias raconte une foule de particularités plus ou moins fantastiques sur les moeurs de la Perse et de l'Inde. Il sait que celle-ci est aussi grande que l'Asie antérieure. Xénophon précisa la connaissance des montagnes de l'Arménie et de l'Asie Mineure. Hippocrate donna quelques renseignements sur les Scythes voisins du Pont. Platon par son mythe de l'Atlantide, terre engloutie sous les eaux de l'Atlantique, préparait un sujet d'inépuisables controverses à l'avenir. Un second Scylax rédige un périple des côtes de la Méditerranée, abondamment détaillé et plein de noms nouveaux.

Le géographe du IIe siècle av. J.-C. fut Eudoxe de Cnide, disciple de Platon et héritier des traditions pythagoriciennes. On a perdu sa Description du monde; célèbre mathématicien, il parcourut l'Égypte, l'Asie, la Sicile, relevant la latitude; il fit une large place dans son ouvrage à la géographie physique, aux curiosités naturelles et aux produits de chaque pays. Il enseigna que la Terre est une sphère, la divisa en soixante parties, trente d'un pôle à l'autre, attribuant huit de ces bandes à la zone torride, entre les tropiques, cinq à chacune des zones tempérées, six à chacune des bandes glaciales. Il est vrai qu'il imaginait que la Terre habitée (oekoumène) se limitait à une grande île deux fois plus longue que large et comprise dans la zone tempérée du Nord. L'usage des cartes se vulgarisait, ainsi que l'attestent les plaisanteries d'Aristophane. Ephore, d'un mérite scientifique moindre qu'Eudoxe son contemporain, écrivit une Description de la Terre très goûtée. On admit généralement sa division ethnographique; autour des régions centrales occupées par les Hellènes et les Perses, il plaça quatre grands peuples : au Nord les Scythes, à l'Ouest les Celtes, au Sud les Éthiopiens, à l'Est les Indiens. L'expédition d'Alexandre et des voyages contemporains allaient élargir les limites du monde connu.

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