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Histoire de la géographie antique
Premières reconnaissances géographiques
[La Terre]
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Le  temps des expéditions Accomplissements alexandrins La géographie à Rome

Jalons
Les plus anciens documents géographiques retrouvés sont les inscriptions hiéroglyphiques ou cunéiformes où les conquérants égyptiens ou assyro-babyloniens énumèrent les pays qu'ils ont traversés, les nations qu'ils ont vaincues et mises à contribution : peuples, provinces, rivières, villes défilent dans ces nomenclatures souvent illustrées de bas-reliefs, où l'ethnographe retrouve la physionomie, le costume, les animaux et les accessoires caractéristiques des peuples figurés. Dans les temples égyptiens, on voit, sculptés sur les murs, des processions de personnages dont chacun représente un peuple ou une province apportant au pharaon le tribut. Ces listes et les autres témoignages permettent de reconstituer la géographie politique de la vallée du Nil, Égypte et Éthiopie, de la Syrie, du bassin de l'Euphrate et du Tigre; elle fournit des renseignements sur celles de l'Asie Mineure, de l'Arabie, de la Libye, de la Mer Egée et des pays limitrophes. Clément d'Alexandrie cite parmi les vieux livres égyptiens attribués à Thot une cosmographie, une géographie générale, description de la Terre, une chorographie ou géographie de l'Égypte, enfin une description du Nil et de ses canaux. Les inscriptions assyriennes et chaldéennes mettent en scène (sauf dans la période relativement récente des invasions en Égypte) les habitants de contrées moins lointaines, bassin de l'Euphrate et du Tigre, Caucase, Iran, Asie Mineure, Syrie.

La pauvreté des connaissances géographiques et ethnographiques, même à une époque voisine de l'Antiquité hellénique, est attestée par les documents bibliques. Ceux-ci méritent quelques détails en raison de l'importance qui leur fut longtemps attribuée. La Genèse classe les peuples entrés en contact avec les Hébreux; elle les fait descendre des trois fils de Noé, Sem, Cham et Japhet. Au centre, les Sémites, tribus en partie pastorales qui occupent la Syrie, le Nord de l'Arabie, la plaine de l'Euphrate; au Sud, les Chamites, peuples sédentaires de l'Égypte, de la Libye, du Yémen, de la Phénicie, des bords de la mer Érythrée et du golfe Persique; au Nord, les Japhétides de l'Iran (Mèdes), du Pont, de l'Arménie, de la Mer Egée. Les Noirs de l'Afrique, les populations turques, les Indiens, les Perses même semblent également inconnus aux auteurs; leur monde va de l'océan Indien à l'Iran, à la Caspienne, à la mer Noire, à la Mer Egée; c'est à peu près celui des pharaons égyptiens. Leur classification renferme des erreurs. La géographie biblique offre aux investigations des érudits d'autres problèmes : l'itinéraire depuis la sortie d'Égypte jusqu'à la Terre promise; la division de la Palestine entre les Chananéens, pays entre les douze tribus. Sur la Terre, les Hébreux se faisaient des idées peu subtiles; leur cosmographie a pesé sur celle du Moyen âge (La cosmographie médiévale) et retardé ses progrès. La Terre est envisagée comme un disque plat et rond, autour duquel règnent les ténèbres. Jérusalem en occupe le centre.

Les éclaireurs : Phéniciens et Carthaginois.
Les Phéniciens, ces hardis navigateurs et commerçants, ont beaucoup contribué à l'extension des connaissances géographiques. Ils furent jusqu'au bout de la mer Rouge, dans leurs voyages à Ophir. De l'autre côté, ils sortirent de la Méditerranée et, franchissant les fameuses colonnes d'Hercule, avaient pénétré dans l'océan Atlantique. Mais surtout, ils couvrirent les rivages de la Méditerranée de leurs comptoirs, entrant en relations suivies avec les peuples variés qui habitaient au bord, Égyptiens, Libyens, Pélasges (premiers habitants de la Grèce), Hellènes, Italiens, Ligures, Celtes, Ibères, Bretons, Scythes, Caucasiens ; dans une autre direction, ils commerçaient avec les riverains de l'océan Indien, Himyarites, Africains, Indiens.

"Hurlez, vaisseaux de Tarsis!"
Au bout de la Méditerranée, ils allèrent d'abord jusqu'à leur colonie de Gadir (Cadix), au riche pays de Tarsis; derrière, ils trouvèrent l'Océan, la mystérieuse ceinture maritime qui, durant tant de siècles, arrêta à l'Occident les plus aventureux chercheurs. Le mot d'océan aussi bien que l'idée longtemps répandue que là s'arrêtait le monde habitable, furent empruntés aux Phéniciens par les autres peuples. Les audacieux négociants s'y hasardèrent cependant ; apparemment sur la trace des marins locaux, ils allèrent chercher l'étain aux îles Cassitérides  (îles Scilly?); la côte de la Gaule, la future Grande-Bretagne entrent dans le cercle de la géographie phénicienne. En même temps, les Phéniciens vont à Ophir, au pays des aromates : Yémen, côte des Somalis, Malabar. Entre l'Égypte et le Yémen, entre celui-ci et les rivages africains d'une part, indiens de l'autre, les relations étaient d'ailleurs régulières. Originaires du golfe Persique, les Phéniciens restèrent en rapports avec les bords de la mer Érythrée. Comme Tarsis, Ophir est une désignation vague. Rien ne montre mieux combien nous sommes encore loin d'avoir affaire à une géographie que le vague et l'imprécis de récits de navigation commerciale.

Hérodote nous a cependant transmis le souvenir d'une véritable exploration scientifique, entreprise à l'instigation d'un souverain égyptien. Mais le fait était si exceptionnellement étranger aux habitudes du temps que l'on conteste la réalité de ce merveilleux voyage, qui pourrait bien avoir été la circumnavigation de l'Afrique. Voici ce que raconte Hérodote (IV, 42) :

« Lorsque Nécos [ou Néchao], roi d'Égypte, eut fait cesser les travaux du canal qui devait conduire les eaux du Nil au golfe Arabique, il fit partir des Phéniciens sur des vaisseaux avec l'ordre de revenir en Égypte par la mer septentrionale en passant les colonnes d'Hercule. Les Phéniciens, s'étant donc embarqués sur la mer Érythrée, naviguèrent dans la mer australe. Quand l'automne était venu, ils abordaient à l'endroit de la Libye où ils se trouvaient et semaient du blé. Ils attendaient le temps de la moisson et, après la récolte, ils reprenaient la mer. Ayant ainsi voyagé pendant deux ans, la troisième année ils doublèrent les colonnes d'Hercule et revinrent en Égypte. Ils racontèrent, à leur retour, qu'en faisant voile autour de la Libye ils avaient eu le Soleil à leur droite, ce qui ne me parait pas croyable, mais ce qui pourra le paraître à d'autres personnes. C'est ainsi que pour la première fois la Libye fut connue. »
L'observation sur la position du Soleil, qui fait douter Hérodote, est le meilleur argument en faveur de l'authenticité du récit. Il est clair que les Phéniciens de Néchao avaient dépassé la pointe méridionale du continent et navigué de l'Est vers l'Ouest le long du pays actuel du Cap. Il n'y a d'ailleurs aucune bonne raison de rejeter ce récit du périple de l'Afrique. En outre, l'historien grec raconte aussitôt après une tentative faite pour renouveler ce périple. Il n'en reste pas moins singulier que ce voyage, d'une hardiesse sans exemple, n'ait laissé aucune trace. Peut-être cela s'explique-t-il par le fait qu'il s'agissait d'un voyage de simple curiosité, que nul intérêt commercial n'était en jeu. Il fut si complètement oublié que l'opinion la plus répandue était qu'il était impossible de passer de la mer Érythrée à l'Océan (Atlantique) en réalisant la circumnavigation de l'Afrique; on admettait plutôt que la mer Érythrée était fermée au Sud, la côte africaine rejoignant l'Asie orientale.

Le long des côtes de l'océan Atlantique, les Phéniciens avaient étendu fort loin leurs opérations commerciales. Au Septentrion, ils s'avancèrent jusqu'à la Chersonèse cimbrique (Jutland), peut-être jusqu'au fond de la Baltique, à la recherche de l'ambre, récolté sur la côte du Nord-Est de l'Allemagne (Prusse). De ce côté, comme dans l'Afrique septentrionale, leurs investigations furent poursuivies par les Carthaginois.

La grande cité africaine de Carthage ne nous a laissé aucun témoignage direct de sa science. Le foyer de son activité étant la Méditerranée occidentale. Il paraît certain que, non seulement la région de l'Atlas, mais le Sahara furent parcourus, explorés, leurs peuples et leurs localités relevés, et que l'on se rattacha aux contrées libyennes connues des Égyptiens. La destruction totale de la littérature carthaginoise fut, comme celle de la littérature phénicienne, un désastre irréparable pour la géographie antique.

Le périple d'Hannon.
On en peut juger par le fragment qui a survécu à ce naufrage, le périple d'Hannon, si admiré de Montesquieu, et qui paraît dater du VIe siècle avant notre ère. Nous le réduirons ici à un simple résumé :

« Les Carthaginois avant ordonné à Hannon d'aller fonder des colonies au delà des stèles Héracléennes, il partit avec soixante vaisseaux portant trente mille personnes de tout sexe. A deux journées au dehors du détroit il forma l'établissement de Thymiatérion. dominant une vaste plaine; puis continuant de voguer à l'ouest, il atteignit Soloïs, promontoire boisé où il éleva un autel à Neptune; il courut ensuite une demi-journée vers l'est jusqu'à une lagune voisine de la mer, remplie de grands roseaux et fréquentée par les éléphants. Après avoir fait encore une journée, il échelonna sur la côte cinq comptoirs ; après quoi il se rendit au grand fleuve Lixos où il s'arrêta; les Lixites étaient nomades, et avaient au-dessus d'eux des Éthiopiens, au milieu desquels s'élevaient des montagnes habitées par des Troglodytes. Ayant pris des interprètes en cet endroit, il longea pendant deux jours une côte déserte, et tourna à l'est pour gagner, en une autre journée, le fond d'un golfe où il trouva une petite île de cinq stades de tour, qu'il appela Kernè. Il estima sa route, et en conclut que Kernè devait être, à l'égard du détroit des Colonnes, à la même distance, mais à l'opposite de Carthage.
De là, traversant le grand fleuve Khrétès, Hannon arriva dans une lagune renfermant trois îles plus grandes que Kernè , au delà desquelles il navigua une journée pour atteindre le fond, où s'élevaient de hautes montagnes peuplées d'hommes sauvages; il passa de là dans un autre fleuve très large rempli de crocodiles et d'hippopotames, et revint à Kernè.

Repartant de Kernè pour aller vers le sud, Hannon longea pendant douze jours une côte habitée par des Éthiopiens qui fuyaient à son approche, et parlaient une langue inconnue à ses interprètes lixites; il atteignit ainsi de grandes montagnes couvertes de bosquets odoriférants; après avoir mis deux jours à les doubler, il entra dans un immense golfe terminé, vers la terre, par une plaine d'où l'on voyait briller de toutes parts et par intervalles des feux, tantôt plus, tantôt moins nombreux. Il avança pendant cinq jours encore le long du rivage jusqu'à un grand golfe dont le nom, suivant les interprètes, signifiait Corne du couchant.

Là se trouvait une grande île, et dans cette île un estuaire renfermant à son tour une autre île, où l'on aborda; le jour on n'y voyait qu'une forêt, mais la nuit c'étaient des feux ardents, des sons de flûte, des bruits de cymbales et de tambourins, des milliers de cris; la peur s'empara des navigateurs, et sur l'ordre de leurs devins, ils quittèrent l'île au plus tôt et longèrent la contrée brûlante des Parfums, d'où il s'écoulait vers la mer des courants embrasés; on ne pouvait marcher sur le sol à cause de la chaleur, et l'on s'en éloigna au plus vite. Pendant quatre journées on aperçut, la nuit, la terre couverte de feux, au milieu desquels s'en élevait un plus considérable que tous les autres; au jour il n'offrait qu'une haute montagne appelée Théôn okhèma ou chariot des Dieux.

Après avoir mis trois journées à doubler ces torrents de feu, Hannon atteignit un golfe nommé Corne du midi, au fond duquel était une île pareille à la précédente, ayant comme elle un estuaire, et dans cet estuaire une autre île, peuplée de sauvages; les femmes, proportionnellement beaucoup plus nombreuses, avaient le corps velu, et les interprètes les appelaient Gorilles ou plutôt Gorgades. Il ne put s'emparer d'aucun homme; mais il parvint à saisir trois femmes, qui se défendirent si opiniâtrément à coups de dents et d'ongles, qu'on finit par les tuer et emporter leurs peaux à Carthage. Ce fut là le terme de cette navigation, faute de vivres pour aller plus loin.

Tel est ce voyage de découvertes, le plus ancien dont une relation détaillée soit parvenue jusqu'à nous; les savants en ont trop exagéré ou trop restreint l'antiquité et l'importance sans le faire remonter, commé Vossius et Gossellin, jusqu'à la date incertaine de l'incertaine guerre de Troie, sans l'abaisser non plus, comme Dodevell, jusqu'au siècle d'Alexandre le Grand, on doit le rapporter à un âge antérieur à celui d'Hérodote et d'Aristote; et quant à l'étendue géographique des navigations qu'il raconte, autant d'aucuns ont jugé imprudent de les prolonger avec Campomanes et Bougainville jusqu'au golfe de Guinée, ou même, avec Bochart et Heeren, jusqu'au Sénégal et à la Gambie, autant il serait peu sage de l'arrêter, comme Gossellin, aux environs du cap Noun.

Dans tous les cas, ce n'est pas des îles de la haute mer qu'il est question dans ce fameux périple, mais de quelques îlots collés au rivage; et pour les retrouver aujourd'hui, c'est entre d'obscurs rochers, sans importance et sans nom, qu'il faut rechercher Kerné aussi bien que les Gorgades; la tradition nous y aidera-t-elle? Hélas , elle s'arrête et s'éteint trop tôt. Cependant il n'est pas sans intérêt de la suivre, d'abord dans les instructions nautiques de Scylax, qui compte cinq journées depuis les Colonnes jusqu'à Soloïs, et sept journées de plus jusqu'à Kernè; ensuite dans le périple de Polybe, résumé par Pline avec moins de précision qu'il n'eût été désirable; enfin dans les Tables de Ptolémée, qui énumère un plus grand nombre d'îles littorales, à savoir : Poena ou la Phénicienne, Erythia, Kernè et Autolala, en détaillant en même temps les formes générales de la côte africaine et la situation relative des îles Fortunées, représentées maintenant par les Canaries. 

D'après Faidherbe, ce nom de l'archipel canarien serait dérivé du mot berbèreCanar ou Ganar, attribué jadis au littoral du continent situé dans le voisinage des îles. Les Wolof appellent encore aujourd'hui Ganar la contrée qui s'étend au nord du Sénégal. N'est-ce pas aussi le nom de Canaria que donne Ptolémée à l'un des caps occidentaux de l'Afrique? Et Pline n'énumère-t-il pas des tribus de Canariens parmi les populations qui vivent autour des monts Atlas?
Une comparaison de ces formes avec celles que les reconnaissances modernes ont procurées, permet de déterminer en gros leurs correspondances mutuelles; des traits les plus saillants lassant aux délineations secondaires, on parvient ainsi à reconnaître conjecturalement l'île Poena dans l'îlot de Fedâlah, l'île Erythia dans le rocher de Mazaghan, l'île de Kernè dans celle qui avoisine le cap Cantin et à laquelle Livio Sanuto attribue le nom de Doqâlah , enfin l'île Autolala ou Junonia ou du Soleil dans celle de Mogador.

Puis identifiant le promontoire Soloentia au cap Noun, et le promontoire Arsinarium ou Surrentium au cap Bojador, on retrouve, immédiatement après, la Corne du couchant, avec plusieurs îlots que les Grecs et les Latins, par confusion , appelèrent Gorgades et îles des Gorgones; enfin il semble que ce soit à l'entrée du Rio do Ouro et dans les îlots voisins qu'il faille reconnaître la Corne du midi et l'île des Gorgades de Hannon.

Le voyage d'Himilcon.
Une autre expédition avait eu lieu simultanément dans la direction du Nord; conduite par Himilcon, elle ne nous est connue que par des extraits d'Avienus et une ligne de Pline. Il visita les îles de l'étain qu'il appelle Oestrymnides et signale les barques recouvertes de peaux des indigènes de ces parages. Himilcon passa de là à l'île Sacrée ou des Hiberniens (Irlande) et parle des brouillards qui enveloppent ces mers septentrionales.

« Nul (lui fait dire Avienus) n'a pénétré dans ces eaux inconnues où l'Océan se déploie vers des horizons sans fin; nul n'y a dirigé ses navires, dont un vent propice ne soulèverait jamais la poupe. »
En somme, les Phéniciens et les Carthaginois ont parcouru et décrit à peu près toutes les régions de la Terre qui furent connues des Anciens. Mais si les Grecs n'agrandirent pas beaucoup le cercle de leurs explorations, ils n'en furent pas moins les créateurs de la géographie, parce qu'ils lui donnèrent une base scientifique.
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