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L'architecture romane |
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Le nom d'architecture romane, qui a été inventé par Charles Duhérissier de Gerville et popularisé à partir de 1825 par Caumont, a d'abord été adopté pour désigner le mode de bâtir en usage dans tout l'Occident entre le Ve siècle de notre ère et le XIIe. On y voyait une transformation du style romain tardif, et l'expression de style roman a été formée, par analogie, de celle de langues romanes, qui désigne les langues dérivées du latin ou langue des Romains. Par la suite on n'a appliqué la dénomination de style roman qu'aux constructions du XIe et du XIIe siècle, et on a rapporté celles des âges antérieurs à un style particulier, dit style latin. L'art des premiers siècles du Moyen âge portant l'empreinte, non seulement de l'influence latine ou romaine, mais encore de l'influence grecque ou byzantine, l'abbé Bourassé a proposé l'expression d'architecture romano-byzantine, qui ne conviendrait en réalité qu'aux monuments des XIe et XIIe siècles. - Eglise romane du XIe s. (Til-Châtel, Côte d'Or). Aujourd'hui on n'applique le terme d'architecture romane qu'au mode de bâtir en usage en Occident depuis les environs de l'an mil jusqu'au milieu du XIIe siècle. Bien plus exactement que ceux d'architecture lombarde, saxonne et byzantine dont on se servait auparavant, cette appellation répond à la réalité des choses; car la manière de bâtir qui la caractérise n'appartient en propre à aucun des peuples désignés par ces dénominations. C'est une architecture qui n'est plus romaine et n'est pas encore gothique, de même que le langage parlé à la même époque n'était plus du latin sans être encore du français. Aussi l'assimilation entre l'un et l'autre ne laisse-t-elle rien, à désirer et le nom indiqué est heureusement trouvé. L'apparition de l'architecture romane coïncide avec l'abandon des pratiques romaines (L'architecture romaine) proprement dites qui se retrouvent, bien que diversement altérées, dans toutes les constructions élevées par les Mérovingiens et les Carolingiens. Ce qu'on a appelé le roman primitif n'existe donc pas, à proprement parler, et, vainement, pour en déterminer les caractères, a-t-on mis en avant certaines particularités d'appareil et d'ornementation. Les éléments constitutifs étant les mêmes que précédemment, rien n'obligeait à établir une nouvelle catégorie. Autant qu'on peut s'en rendre compte par le petit nombre d'églises remontant à ces âges éloignés, la forme basilicale prévalait presque partout. Naturellement il n'y avait pas de voûte sur la nef principale, non plus que sur les bas-côtés. Un simple lambris reposait sur des murs peu épais, aux ouvertures multipliées, et largement évidés à la base. S'il en eût été autrement, d'ailleurs, on ne s'expliquerait pas les incendies multipliés dont parlent les historiens. Les destructions rapides opérées par les envahisseurs vikings auraient elles-mêmes droit de nous surprendre. Puis, quelle signification faudrait-il accorder au passage si souvent cité de Raoul Glaber où il est dit que peu de temps après l'an mil, "tous les édifices religieux, cathédrales, moûtiers des saints, chapelles de villages, furent convertis par les fidèles en quelque chose de mieux"?. Coupe d'une basilique romane. Evidemment, il ne s'agit pas là de simples embellissements, de modifications de détail plus ou moins importantes; les améliorations dont parle le chroniqueur affectent l'édifice dans ses parties essentielles, le transforment profondément et font qu'il ne ressemble guère à ce qu'il était autrefois. Pour combattre les causes de ruine qui tenaient au mode de construction employé jusqu'alors, il était nécessaire de remplacer les lambris par des voûtes et c'est le parti que l'on prit dès la première moitié du XIe siècle. En même temps, et comme conséquence d'un pareil changement, les relations établies entre les vides et les pleins se trouvèrent renversées; plus de ces larges ouvertures que l'on aimait tant jadis, plus de ces murs légers portés sur une série de colonnes; désormais les points d'appui doivent être solides et résistants, partant les espacements moins considérables bien que l'élancement soit plus grand. Raoul Glaber, on ne saurait s'y méprendre, fait donc allusion à l'avènement de l'architecture romane qui, précisément, a la voûte pour générateur de toutes ses parties. La métamorphose qui fut le résultat de l'introduction d'un élément aussi important était bien faite pour frapper les esprits et l'on comprend que le souvenir s'en soit conservé par écrit. Au reste, de tous côtés, on mit une ardeur incroyable à marcher dans la voie qui venait d'être ouverte. Même des églises en bon état furent jetées bas pour être aussitôt reconstruites suivant le nouveau modèle. Toutes les églises romanes ne sont pas voûtées de la même façon, ce qui introduit également une grande différence dans la conformation des autres parties de l'édifice. Suivant que l'on emploie, par exemple, la voûte en berceau continu ou la voûte en berceau sur arcs-doubleaux, le système de supports se trouve plus ou moins compliqué. Dans le premier cas, les murs, à l'intérieur, peuvent être entièrement lisses, tandis que, dans le second, des pilastres ou des colonnes engagées font saillie de distance en distance. A moins de recourir, comme on le voit quelquefois, à d'énormes consoless, c'est le seul moyen de fournir aux doubleaux l'assiette dont ils ont besoin. En outre, les architectes de l'époque romane, dans l'introduction d'un élément de construction déjà connu des Romains, cherchaient bien moins un soulagement pour leurs voûtes qu'une certaine atténuation de la poussée par le déplacement de cette force à chacun des points où les arcs aboutissaient. La même préoccupation, d'ailleurs, devait les pousser assez promptement non seulement à un fractionnement dans le sens de la longueur, mais encore dans celui de la hauteur. Car, contrairement à ce que l'on a dit bien souvent, l'arc brisé a fait çà et là son apparition dès la première moitié du XIIe siècle. La partie de tête qui dans le berceau plein-cintre fournit l'élément le plus considérable de la poussée étant ainsi enlevée, les deux murs latéraux non moins que les pieds-droits se trouvaient de beaucoup allégés. Coupe d'une église voûtée en arceau brisé. A côté de la voûte en berceau, qui est la plus fréquemment employée, se présente la voûte sur nervures dont l'invention appartient en propre à la période romane. C'est alors seulement que pour couvrir un espace carré ou barlong on imagina de bander des arcs en diagonale sur lesquels vinrent reposer quatre triangles de remplissage indépendants les uns des autres. Au lieu d'en être réduit comme autrefois à simuler indéfiniment deux cylindres creux qui se pénètrent à angle droit, rien n'empêchait, en changeant la courbe des arcs, de varier la forme des voûtes. Quant à la poussée, sa localisation était complète et il suffisait, aux points où elle se produisait, d'élever un épais contrefort. Plus tard, à l'époque gothique, le système se perfectionnera, nous assisterons à la création des arcs-boutants qui permettront de porter encore à une plus grande hauteur les voûtes sur croisée d'ogives, car tel est le nom véritable dont il faut se servir en cette occasion. Nous ne parlerons pas des nefs couvertes par une série de coupoles, car ce serait empiéter sur l'architecture byzantine. Dans les églises romanes un pareil genre de voûtes ne se rencontre qu'à l'intertransept et alors, pour racheter les angles du carré, au lieu de se servir de pendentifs, on fait usage de trompes. Ces dernières sont très variables de forme. Cependant, le plus souvent, à défaut de voussures concentriques, elles présentent une section de voûte conique ou un quart de cercle. Dans la partie située au Nord de la Loire, de même qu'en Bourgogne et en Provence, la nef principale qui se soutient d'elle-même domine les bas-côtés et verse à l'intérieur une grande lumière. Au contraire, dans le Poitou, en Auvergne et dans le Toulousain, les collatéraux élevés à la hauteur de la nef principale qu'ils maintiennent en équilibre éclairent seuls tout l'édifice. Un grand secours, également au point de vue de la résistance, est tiré des galeries de premier étage qui, le plus souvent, sont voûtées en quart de cercle. Les bras du transept sont tantôt contenus dans l'alignement du vaisseau et tantôt dépassent sa longueur de plusieurs mètres. Parfois, dans les églises les plus vastes, comme Saint-Remy de Reims, Sainte-Foy de Conques et Saint Sernin de Toulouse, ils possèdent des bas-côtés. En France, sauf de rares exceptions, tous se terminent par un mur droit. Mais, en Allemagne, sur les bords du Rhin, on en rencontre fréquemment qui ont les extrémités arrondies. Le sanctuaire, d'abord réduit à une simple abside en cul-de-four ouverte directement sur le transept, prend peu à peu un grand développement. Suivant les pays il s'allonge isolément du côté de l'orient, grâce aux travées qui le précèdent, ou se montre entouré d'un collatéral et de nombreuses chapelles. Sauf à Saint-Hilaire de Poitiers, l'une d'elles est toujours placée au centre, dans l'axe de l'église, et l'on en compte alors trois, cinq ou sept. Portion de façade romane de l'église Saint-Etienne, à Beauvais. Photo : © Serge Jodra, 2009. Certaines églises, dans l'Est de la France (cathédrale de Besançon, de Verdun), sur les bords du Rhin (cathédrales de Mayence, de Worms, de Spire), et même en Bavière (cathédrale de Bamberg), ont deux sanctuaires opposés, chacun précédé d'un transept. D'autres, particulièrement celles qui ont été bâties par les bénédictins, possèdent un vestibule ou atrium, destiné à recueillir l'assistance durant les processions auxquelles les moines devaient seuls prendre part (L'architecture monastique). Ce vestibule voûté à la hauteur des galeries de premier étage est surmonté d'une chapelle consacrée à saint Michel. Par exception il se compose de plusieurs travées (Cluny, Vézelay, Paray-le-Monial) et prend alors le nom d'avant-nef. Sa place ordinaire est sous le clocher formant façade (Saint-Julien de Tours, Saint-Maixent, Saint-Savin, etc.). L'intérieur des églises romanes, le long des nefs, est généralement assez simple. Beaucoup de fenêtres sont simplement chanfreinées; les plus élégantes ont une première voussure décorée d'un tore qui repose sur des colonnettes placées dans un angle rentrant. Quant aux contreforts, leur forme est très variable. Quelques-uns, à l'imitation de l'antique, simulent des colonnes engagées ou des pilastres servant de pieds-droits, d'autres, bien plus souvent, présentent un massif rectangulaire dont la saillie, divisée en étages, diminue en montant. Le transept, à ses extrémités, est quelquefois éclairé par des arcs en mitre. Du reste, c'est bien à tort que le plein-cintre a été regardé comme la caractéristique de l'architecture romane. On trouve également des cintres surhaussés, en fer à cheval, tréflés, voire même brisés. Seulement cette dernière forme ne s'applique jamais aux ouvertures proprement dites, mais bien à la voûte de la grande nef et aux maîtresses arcades, particulièrement en Bourgogne, à partir du XIIe siècle. Coupe d'une église voûtée en plein cintre. Sauf des exceptions locales, à l'époque romane, on ne rencontre plus le petit appareil. Les parements sont faits en pierres de moyenne grandeur, tantôt à faces hachées avec mortier rabattu en grande épaisseur sur les joints, et tantôt, au contraire, layées avec soin et assemblées à joints fins. Dans le Nord de la France et en Belgique, des briques massives continuèrent d'alterner avec les pierres de taille, tandis que, en Auvergne, grâce à l'emploi de matériaux de différentes couleurs, le revêtement des murs a l'aspect d'une mosaïque. Tout d'abord, il y eut une tendance visible, en ce qui concerne les profils, à se rapprocher de l'Antiquité. Mais bientôt l'originalité de conception prévalut et pour les bases, par exemple, tores, senties, listels, furent combinés suivant un programme tout nouveau. Pendant ce temps les chapiteaux se compliquaient de l'introduction d'un élément peu fait en apparence pour prendre place sur des surfaces courbes et dont l'oeil ne pouvait embrasser qu'une partie à la fois. L'histoire sainte ou la légende occupent en bien des cas la surface réservée jusqu'alors à des feuillages dégénérés ou à des ornements imités des étoffes orientales. C'est ce qu'on peut voir à l'abbaye de Vézelay, à l'église de Cunault (Maine-et-Loire), à l'église d'Airvanlt (Deux-Sèvres) et à celle de Châtillon-sur-Indre. Les corniches suivent un mouvement analogue et la simple tablette des premiers jours, chanfreinée a sa partie inférieure, ne tarde pas à reposer sur une série de consoles ornées de sujets les plus curieux. Dans le but d'atténuer l'effet produit par l'épaisseur des murailles, l'architecture romane a pratiqué, sur une grande échelle, le système des ébrasements, c.-à-d. la multiplication des pieds-droitset des voussures aux principaux percements. Et comme cette nécessité de construction ouvrait aux décorateurs un vaste champ, les portes de certaines églises atteignent une richesse véritablement inouïe. Le tympan, placé de la sorte sous une série d'arcs concentriques et qui généralement déroule les scènes religieuses (Vézelay, Autun, Conques, Beaulieu, etc.), a un cadre digne de lui. Du reste, la façade entière, comme à Notre-Dame de Poitiers et à Sainte-Croix de Bordeaux, est quelquefois historiée du haut en bas. Clocher de l'abbaye Notre-Dame de Saintes (XIe siècle). Presque toujours sur l'intertransept s'élève une tour qui tantôt conserve la forme carrée, et tantôt passe rapidement à l'octogone. A l'église de Cruas (Ardèche) et à Notre-Dame de Saintes on trouve même des exemples de tours rondes. Dans le Limousin, la tour centrale n'est jamais seule, il y en a une seconde à l'Ouest, au-dessus de l'entrée. Dans d'autres contrées, telles que la Normandie et la Bourgogne, la façade est souvent flanquée de deux hautes tours. Enfin, quelques grandes églises possèdent jusqu'à quatre tours, dans les encoignures du transept. Quelle que soit leur place, d'ailleurs, elles présentent toutes plusieurs étages ajourés de nombreuses fenêtres. Nous ne parlons pas du couronnement qui remonte rarement à l'époque primitive. On dirait qu'une guerre acharnée a été faite aux toits en bâtière et aux pyramides aussi bien qu'aux coupoles ovoïdes. Partout où la chose était possible on a remplacé l'ancien amortissement par une flèche en pierre ou en charpente. Si l'on s'en tient seulement à la conformation des églises, on reconnaît en France, vers le milieu du XIIe siècle, c.-à-d. à l'époque où l'architecture romane avait atteint son plus grand développement, huit écoles d'art bien caractérisées (française, germanique, normande, toulousaine, auvergnate, poitevine, bourguignonne et provençale). Mais, en observant certaines particularités de détail, la commission des monuments historiques est arrivée jusqu'au nombre de treize (française, champenoise, bourguignonne, rhénane, poitevine, saintongeoise, périgourdine, auvergnate, languedocienne, provençale, picarde, normande et angevine). On aurait pu même en ajouter une quatorzième, car à notre avis le roman limousin diffère beaucoup de celui des contrées voisines. Façade de l'église de Marie-Madeleine, de Vézelay. A citer également : Saint-Germain-des-Prés, à Paris; les cathédrales d'Avignon, du Puy, et d'Angoulême; les abbayes du mont Saint-Michel, de Jumièges, de Preuilly; la Trinité, à Angers; Saint-Remi, à Reims; Notre-Dame-de-la-Couture, au Mans; l'ancienne collégiale de Saint-Gaudens; les églises de Saint-Germer, de Saint-Georges de Bocherville; une partie de Notre-Dame de Noyon. Ajoutons à cela quelques églises sur plan circulaire ou octogonal, telles que Sainte-Croix de Quimperlé, Neuvy-Saint-Sépulcre (Indre), Rieux-Minervois (Aude) et Ottmarsheim (Alsace). Il reste enfin, de l'époque romane, quelques cloîtres remarquables (Moissac, le Puy, Montmajour, Arles, Saint-Lizier,etc.) et de nombreux débris de bâtiments monastiques. Quant aux châteaux, tout se réduit peut-être à une centaine de donjons carrés flanqués de contreforts peu saillants. Nous ne parlons pas des maisons qui naturellement sont plus susceptibles de destruction. C'est à peine si on en trouve encore quelques-unes à Clermont-Ferrand, la Réole, Cluny et Tours. (Léon Palustre). |
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