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Le
XVIIIe
siècle est une époque de contrastes
et de luttes : contrastes dans les régimes politiques, dans la littérature,
dans la philosophie ,
dans les théories médicales, etc. La philosophie, dont l'influence continue
à se faire sentir sur le développement de la médecine,
est sensualiste-idéaliste
avec Condillac, idéaliste avec Leibniz,
matérialiste
avec l'Encyclopédie .
C'est dans ce siècle que Lamettrie publie
son Homme-machine, d'Holbach son Système
de la nature, et que Leibniz, à la fois mathématicien et philosophe
et de plus très versé dans les sciences naturelles et la médecine, crée
cet admirable système qui, par l'introduction des idées de continuité,
d'évolution et d'analogie
universelles, donna une orientation toute nouvelle à la pensée humaine,
principalement dans le domaine scientifique. Mal comprise par ses élèves
et dénaturée par eux, surtout par Wolf, la philosophie
de Leibniz est devenue la base du système de Kant,
à l'insu de ce philosophe, qui, souvent croyant contredire Leibniz, ne
contredisait que le scolastique Wolf et ne faisait que retrouver et rétablir
sa véritable doctrine.
«
Quoique diffuse et secrète, dit Boirac, l'influence exercée sur la science
et la philosophie contemporaine par les idées leibniziennes, n'en est
pas moins profonde, et c'est elle qui les pousse de plus en plus à chercher
dans la vie intérieure et psychique des choses l'explication fondamentale
du mécanisme universel. »
Cette influence se traduisit
de bonne heure en médecine par le mécanico-dynamisme de Frédéric Hoffmann,
puis par l'animisme de Stahl
et, en passant par l'irritabilité hallérienne, par le vitalisme
de l'école de Montpellier, elle ne devint
réellement féconde pour les sciences naturelles en général qu'au XIXe
siècle, après la disparition des idées
cartésiennes. La fin du siècle, très disposée au mysticisme,
fit bon accueil au mesmérisme, et vit naître l'homéopathie.
La chimie, en progressant,
devait également influer sur la médecine; elle fit la premier pas avec
Stahl, qui l'arracha à l'empirisme en donnant sa véritable expression
à la théorie du phlogistique imaginée par Becker; mais cette tentative
synthétique, si remarquable qu'elle soit, n'exerça qu'une médiocre influence
sur l'art de guérir, d'autant plus que la théorie animique du même auteur
ne faisait aucune place à la chimie. Ce n'est qu'après la découverte
de l'oxygène et les travaux de Lavoisier,
de Priestley et de Scheele
que la chimie contracta d'étroites relations avec la physiologie
et la médecine. Les découvertes de Galvani
et de Volta retentirent également sur la médecine,
en particulier sur la physiologie.
Au XVIIIe
siècle, la science médicale ne progresse
pas également dans les différents pays. La médecine italienne est encore
florissante, mais des signes de décadence se manifestent dès la seconde
moitié du siècle. En Angleterre ,
la médecine conserve sa splendeur. La France
garde une prééminence en chirurgie et en obstétrique, mais perd du terrain
dans toutes les branches vers le dernier tiers du siècle, et cela par
suite d'un défaut inhérent aux Français et qui leur a été si souvent
fatal : l'erreur de croire qu'ils peuvent se suffire à eux-même et n'ont
pas besoin de s'enquérir de ce qui se passe à l'étranger.
Quoi qu'il en soit,
pendant la première moitié du siècle, le centre de gravité, principalement
en ce qui concerne l'enseignement, est en Hollande ;
Leyde
est alors la plus célèbre faculté de l'Europe; elle ne commence à décliner
qu'après la mort du grand Boerhaave, dont
les deux principaux élèves, Haller et Van Swieten,
vont transporter son prestige le premier à Göttingen ,
le second à Vienne. Dans les universités
allemandes, l'enseignement est très précaire, et au dehors c'est le règne
du charlatanisme, du reboutage, de la polypharmacie surtout profitable
aux apothicaires; la fondation de l'université de Göttingen en 1737
améliore l'état des choses; elle devient la première de l'Allemagne
sous Haller, de même que quelque temps après Vienne devient la première
de l'Autriche .
Mais la dépréciation de la profession médicale persiste encore assez
longtemps pour qu'en Prusse
on songe en 1798
à fonder un examen spécial, le « Staatsexamen », destiné à fournir
une catégorie de praticiens dont la valeur soit incontestable.
L'anatomie ,
surtout l'anatomie microscopique, ainsi que la physiologie,
font des progrès rapides. Parmi les anatomistes, citons en Italie
: Valsalva (1666-1723),
Santorini (1681-1737),
Morgagni
(1682-1771),
Colugno (1736-1822),
etc.; en France
: Winslow (1669-1760),
Senac (1693-1770),
Portal (1742-1832),
Dodart
(1634-1707),
Ferrein (1693-1769),
etc.; en Hollande
: Albinus (1697-1770),
Camper
(1722-1789),
Sandifort (1740-1819);
en Angleterre
: Cheselden (1688-1752),
Douglas (1675-1742),
A. Monro (1697-1767)
et son fils (1732-1817),
et surtout W. Hunter (1718-1783)
et J. Hunter (1728-1793);
en Allemagne
: Heister (1683-1758),
Weitbrecht (1702-1743),
J.-F. Meckel (1724-1774),
Lieberkuhn (1711-1765),
J.-G. Walter (1734-1848),
Loder (1753-1832),
enfin S.-T. von Soemmerring (1755-1830),
dont plusieurs appartiennent également au XIXe
siècle.
Le physiologiste
le plus célèbre de cette époque est Haller
(1708-1777),
le fondateur de la doctrine de l'irritabilité; nommons encore Spallanzani
(1729-1799),
F.
Fontana (1730-1805),
Fr. Quesnay (1694-1774),
Hales
(1677-1761),
C.-G.
Ludwig (1709-1773).
L'embryologie progressa avec C.-F. Wolff (1735-1794).
La chirurgie est
brillamment représentée en France
par Maréchal et par F. Gigot de La Peyronie (1678-1747),
les fondateurs de l'Académie de chirurgie, par l'éminent J.-L. Petit
(1674-1750),
puis par Garengeot (1688-1759),
Le
Dran (1685-1770),
Antoine Louis (1723-1792),
Desault
(1744-1795),
Chopant (1743-1795),
etc. En Angleterre ,
les chirurgiens les plus célèbres sont les deux frères Hunter,
P. Pott (1733-1788),
A. Monro et B. Bell; en Allemagne ,
L.
Heister, A.-G. Richter (1742-1812),
Rau (1658-1719),
etc.; en Italie ,
A. Nannoni (1715-1790)
et son fils (1749-1812),
Pallucci (1716-1797),
Valsalva, Flajani (1741-1808),
etc.
L'obstétrique est
cultivée en France par des hommes remarquables tels que Levret (1703-1780),
Puzos, A.-F. Petit, Deleurye, Solayrès de Renhac, Baudelocque,
etc., auxquels on peut ajouter Fried, de Strasbourg; en Allemagne par Reederer,
Heister, Stein, J.-F. Meckel, etc.; en Angleterre par Palfyn,
W. Hunter, Smellie, etc.; dans les Pays-Bas ,
par R. Van Roonhuyze, Van Doeveren, L. Van Leeuwen, etc. ; au Danemark,
par Saxtorph (1740-1800).
Les
systèmes au XVIIIe siècle
Dans la première
moitié du XVIIIe
siècle, les systèmes prédominants sont
l'iatromécanisme avec Hoffmann et Boerhaave,
l'animisme avec Stahl; dans la seconde moitié,
c'est surtout l'irritabilité avec l'illustre Haller,
le stimulisme avec Brown, Girtanner, etc, le vitalisme
avec Bordeu et Barthez.
Iatromécanisme.
Au siècle précédent
et même au début du XVIIIe,
Baglivi
fut le représentant le plus pur de la doctrine; celui-ci et Sydenham rendirent
possible l'avènement d'hommes tels que Boerhaave
et Hoffmann.
Boerhaave, de Leyde
(1668-1738),
admirateur d'Hippocrate et d'Arétée
chez les anciens, de Sydenham parmi les modernes, est un hippocratique
décidé en ce qui concerne la pratique médicale, mais travaille en outre,
avec conviction, à fonder la science médicale sur l'anatomie
et la physiologie. Il pose en règle que tout le savoir du médecin a pour
point de départ l'observation sensible, que les mouvements de la machine
humaine obéissent aux mêmes lois qui régissent les autres phénomènes
de la nature, mais que les phénomènes psychiques échappent aux méthodes
physiques, au même titre que les causes premières
et les finales. Plus solidiste qu'humoriste en pathologie, il attribue
la plupart des maladies à la contraction ou au relâchement des fibres;
viennent ensuite les effets des mouvements trop lents ou trop rapides des
humeurs, dépendant de leur degré de fluidité ou de viscosité, sans
compter leurs qualités chimiques; de sorte que les obstructions, les inflammations,
les stases, etc., jouent un grand rôle dans la pathologie de Boerhaave,
avec les désordres du fluide ou des esprits
nerveux qui sont les agents des fonctions nerveuses et de leur influence
sur l'organisme. Malgré les imperfections de son système, Boerhaave fut
certainement le plus génial dés iatrophysiciens, et son grand savoir,
uni à la noblesse de son caractère et à ses vertus, en avait fait l'homme
le plus célèbre de l'Europe.
A côté de Boerhaave
se place Frédéric Hoffmann, de Halle (1660-1742),
dont la réputation égala presque celle de son rival. Son oeuvre fut considérable,
et ses ouvrages les plus importants sont : Medicina rationalis systematico
(1718-1740,
9 vol.) et Medicina consultatoria (1721-1739,
12 vol.). L'iatromécanisme de Hoffmann est plus élevé que celui de ses
prédécesseurs; pour lui, la vie ne repose pas seulement sur des facteurs
matériels, mais aussi sur des facteurs dynamiques. L'élément du corps,
c'est la « fibre», dont la propriété fondamentale est le « ton »,
c.-à -d. la faculté de se contracter et de se dilater, qu'elle reçoit
du « fluide nerveux » qui n'est lui-même qu'une portion de l'éther
répandu dans la nature entière. Dès lors la pathologie se fonde sur
les anomalies du « ton », en d'autres termes sur le strictum et
le taxum des anciens, avec cette différence qu'ici ces états sont
dus à des accumulations ou à des déviations du fluide nerveux. C'est
en somme une pathologie solidiste. En philosophie ,
Hoffmann fut partisan de Leibniz dont le système
était le mieux en rapport avec ses tendances religieuses et scientifiques.
Parmi les élèves les plus célèbres de Hoffmann, on cite J.-H. Schulze,
professeur à Altorf et à Halle, E.-A. Nikolai,
professeur à Halle et à Iéna, etc.
Animisme.
La doctrine de l'animisme
a eu pour fondateur Georges-Ernest Stahl (1660-1734),
professeur à Halle, l'un des plus grands chimistes
de son époque. Elle prit naissance comme une réaction contre les applications
exagérées des sciences physiques, mais à son tour dépassa le but. Stahl
fut frappé tout d'abord de la différence qui sépare les organismes ou
la matière vivante des corps bruts; il admira ce consensus, cette harmonie
de toutes les fonctions, se coordonnant vers un même but, et à côté
des facteurs physico-chimiques qui interviennent chercha le facteur d'ordre
supérieur qui régit les fonctions et pensa le trouver dans l'âme
chez l'humain et également dans un principe immatériel chez les animaux .
Mais comment l'âme peut-elle présider à des phénomènes plastiques
et à des mouvements dont elle n'a pas conscience? C'est que l'âme, selon
Stahl, possède à la fois des facultés supérieures, avec conscience
et raisonnement (logismos) et des
facultés inférieures, où il y a intuition
sourde, instinct, sagesse sans raisonnement
(logos). Ainsi, c'est par sa force végétative que l'âme préside
aux fonctions nutritives; c'est là en réalité de l'animo-vitalisme.
Stahl flotte plus ou moins entre l'animisme et l'animo-vitalisme : l'âme
agirait parfois avec réflexion dans les actes vitaux; mais le plus souvent,
pour lui, son activité n'est là qu'une sagesse instinctive. En somme,
pour Stahl, l'âme raisonnable est en même temps le principe
de la vie; ainsi formulée, la doctrine de Stahl devient l'animisme pur,
tel qu'il a été professé au XIXe
siècle par Tissot, Bouillies, Franck,
Ravaisson,
de Rémusat, etc. Mais on peut dire que le vitalisme
émane également de Stahl, nous verrons plus loin pourquoi. La doctrine
médicale de Stahl peut se résumer en quelques lignes. L'âme veille sur
l'organisme dont elle a la charge, lui envoie des armes telles que la fièvre,
les hémorragies spontanées, etc., pour combattre la maladie; c'est l'équivalent
de la nature médicatrice des Anciens,
d'où une thérapeutique exclusivement expectante; cependant son expectation
est active; le médecin suit la marche de la nature, l'aide, la redresse,
etc. L'ouvrage fondamental de Stahl est son Theoria medica vera...,
publié pour la première fois en 1707.
L'influence de Stahl
sur le développement des théories médicales modernes fut considérable,
mais elle ne se fit pas sentir immédiatement; l'action de Boerhaave
et de Hoffmann était alors prédominante. Parmi les partisans les plus
connus de Stahl, mentionnons : J.-S. Carl, d'Oehringen (1675-1757),
et J. Juncker (1679-1759),
professeur à Halle, puis J.-A. Unzer, de Halle (1727-1799),
qui cependant entama le stahlianisme par sa théorie des « mouvements
réflexes »; E. Platner (1744-1818),
professeur à Leipzig, un adversaire de Kant,
et qui supposait l'âme liée à un « esprit nerveux » répandu dans
le corps tout entier; Abraham Kaauw-Boerhaave réintroduit entre l'âme
et le corps le médiateur que Stahl excluait et l'assimile à l'enormon
d'Hippocrate; ce qui fait le principal mérite de ce médecin, c'est qu'il
admet déjà des nerfs de la sensibilité et du mouvement. L'adepte le
plus franc de Stahl fut François Boissier de Sauvages (1706-1767),
professeur à Montpellier, l'auteur de
la fameuse Nosologia methodica, publiée en 1760,
dans laquelle il mit à exécution les idées de classification de Sydenham,
en prenant pour type la classification artificielle des plantes
de Linné. Les ennemis les plus déterminés de
l'animisme furent Leibniz et Fr. Hoffmann.
Irritabilité.
Les propriétés
des tissus vivants furent longtemps méconnues; l'enormon d'Hippocrate,
l'archée de Paracelse,
les esprits vitaux de Descartes, le fluide
nerveux des iatrophysiciens, la force vitale des modernes, etc., détournèrent
de tout temps l'attention de ce sujet, qui fut cependant effleuré par
Aristote,
par Galien et par la scolastique.
Glisson, le premier, admet dans toutes les parties
des animaux trois facultés inhérentes, la perceptive, l'appétitive,
la motrice. La perceptivité se montre avec ou sans conscience. Les parties
vivantes, ou du moins leur dernier élément, la fibre, sous l'influence
des impressions, des stimulations, se contractent et se dilatent successivement,
en d'autres termes réagissent en vertu de l'irritabilité. C'est Jean
de Gorter (1689-1762),
disciple de Boerhaave, qui reprit les idées
de Glisson et admit chez tous les êtres vivants, même chez les végétaux,
une force motrice vitale, inhérente à toutes leurs parties, indépendante
et de l'âme et du système nerveux, cause de tout mouvement et des fonctions
du métabolisme, forcé que les stimulants mettent en jeu. Mais c'est Ã
Albert
de Haller, de Berne (1708-1777),
Ie plus grand physiologiste de son siècle, qu'est due la détermination
des lois de l'irritabilité et de ses rapports avec les autres forces de
l'organisme. Haller distingue l'irritabilité de l'élasticité qui est
une simple propriété physique et de la sensibilité que Glisson avait
confondue avec elle. Malheureusement il la confond, Ã son tour, avec la
contractilité de la fibre musculaire. Gaubius, d'Heidelberg (1705-1780),
de même que Gonthier, de Breslau ,
et Tissot, de Lausanne ,
transporte l'irritabilité dans la pathologie et se lance dans de nouvelles
hypothèses.
Dans ses Institutions pathologicae (1758),
il traite des maladies des solides, des liquides, de l'esprit, et s'efforce
de concilier l'animisme, l'irritabilité, le mécanisme, la chimiatrie,
le galénisme.
Cullen
(1712-1780),
le créateur du système appelé neuropathologie, relève de Haller, mais
aussi de Hoffmann; son système n'est autre chose que le nervoso-dynamisme
de celui-ci uni à l'idée d'excitabilité de celui-là . Solidiste, il
rapporte toutes les maladies internes à des affections contre nature du
génie nerveux. Ses adeptes et successeurs les plus célèbres furent :
Gregory,
comme lui professeur à Edimbourg ;
Macbride (1726-1778),
professeur à Dublin; puis Musgrave, Thaër
et surtout Schaeffer, de Ratisbonne
(1753-1826).
Stimulisme.
John
Brown (1735-1788),
élève de Cullen, dont il fut ensuite l'adversaire acharné, transforma
l'irritabilité de Haller en incitabilité et
fonda le stimulisme. Plusieurs circonstances se réunirent pour procurer
au brownisme une vogue étendue, quoique éphémère. Ce système séduisait
par sa simplicité même : la vie est le résultat de l'incitation entretenue
par un stimulus perpétuel; l'équilibre entre l'incitation et les stimulants
constitue la santé, le déséquilibre la maladie. Croyant à la plus grande
fréquence des maladies asthéniques, Brown fut conduit à user immodérément
de la médication stimulante. Mais l'ensemble de la doctrine, paraissait
si satisfaisant, que des hommes tels que Pierre Frank
et Kant ne furent pas éloignés de l'accepter.
D'ailleurs, les idées révolutionnaires de la fin du siècle et la «
sensibilité » qui avait envahi la littérature ne furent pas étrangères
au succès du brownisme.
Quoi qu'il en soit,
ce n'est pas en Angleterre
que le stimulisme fit fortune, bien qu'il eût des adhérents comme Jones
et Lynch. Le premier auteur qui le fit connaître sur le continent fut
C. Girtanner (1760-1800).
Dès 1793,
le célèbre médecin américain Rush (1745-1813)
prit fait et cause pour lui. Mais c'est en Italie
et en Allemagne
qu'il eut le plus de vogue, auprès d'hommes tels que Moscati, Locatelli,
Rasori, Joseph Frank, d'une part; Weikard, Markus, Roeschlaub (1768-1835)
de l'autre. Mais en Italie il fit tout à coup volte-face, avec Rasori
et Tomasini, son élève, qui arrivèrent à la persuasion que la plupart
des maladies sont sthéniques et que, à l'inverse de la médication stimulante,
il fallait, au contraire, employer la médication contre-stimulante (saignées,
évacuations spoliatrices, tartre stibié à haute dose, etc.). D'où vient
cette divergence énorme? « Derrière l'exagération commune à Brown
et à Rasori, dit Barbillion, il y a cette vérité capitale et essentiellement
clinique que l'on doit ne pas soigner à Edimbourg comme on soigne à Rome,
que d'une façon générale la médication excitante convient aux pays
du Nord comme la médication débilitante s'applique aux pays méridionaux.
» Mais, bien entendu, cette proposition ne peut elle-même avoir la prétention
à une absolue généralité. Nous n'insisterons pas davantage sur le contre-stimulisme
qui appartient d'ailleurs plutôt au commencement du XIXe
siècle.
Théories chimiques
et galvaniques.
Les découvertes
faites en physique et en chimie, celles surtout du galvanisme et de l'oxygène,
devaient réagir sur la médecine. Les iatrophysiciens et les iatrochimistes
s'en emparèrent, tout en subissant l'influence des doctrines régnantes,
de l'irritabilité et de l'animisme. Il en résulta un profond désarroi
dans les doctrines, et comme réaction la tentative d'introduire un principe
d'unité, la « force vitale ».
Mais, avant tout,
signalons le système de C.-L. Hoffmann (1721-1807),
qui créa une sorte de pathologie humorale, mélangée de solidisme, dans
laquelle les acides et les alcalis jouent un grand rôle; ce n'est qu'une
tentative de conciliation entre la chimiatrie et la doctrine hallérienne.
Ce système eut beaucoup moins de succès que les théories fondées sur
la découverte de l'oxygène; ce gaz joua d'ailleurs un grand rôle dans
la thérapeutique entre les mains de Beddoes, de Bristol
(1754-1808);
de L. Jurine (1751-1819),
de l'auteur d'un mémoire célèbre sur le croup; de L. Odier (1748-1847),
de Genève, comme le précédent ; du chimiste
Fourcroy,
dont l'élève, J. Rollo, publia un ouvrage remarquable sur le diabète
(1797);
de B.-T. Baumès (1756-1828),
de P. J. de Ferro, de Vienne (1753-1809),
qui a excellemment écrit sur la peste,
etc.
Le règne du galvanisme,
pour brillant qu'il fut, a été encore plus éphémère. A.
Galvani, de Bologne
(1737-1798),
reconnut en 1794
que l'organisme produit de l'électricité et en mit la source dans le
cerveau, fondant toute sa physiologie et toute sa pathologie sur cette
donnée. Après A. de Humboldt, P.-W. Ritter,
de Munich, et Reinhold déclarèrent le galvanisme
la force primordiale de la nature.
Vitalisme.
Stahl
avait été assez ondoyant entre l'animisme pur et l'animo-vitalisme. L'intelligence
intuitive qui joue un si grand rôle dans son système, a été transformée
par l'école de Montpellier en « principe
vital ». Th. de Bordeu (1722-1776),
qui appartenait à cette école, admettait que chaque partie de l'organisme
avait sa vie spéciale; ce fut la base de l'anatomie
générale de Bichat et de la théorie cellulaire
moderne. Son élève Barthez (1734-1806)
alla plus loin et réunit toutes ces propriétés vitales, toutes ces forces,
en une seule entité, le principe vital. pour lui, l'organisme est gouverné
à la fois par l'âme et par le principe vital; ce dernier communique Ã
tous les éléments de l'organisme la sensibilité et la motilité, en
mène temps qu'une« force de situation fixe », c.-à -d. la faculté de
conserver sa forme originelle ou de la rétablir si elle est modifiée.
La maladie n'est plus alors qu'un effort de la nature en vue de la guérison.
Sa doctrine des éléments morbides fut développée surtout par Bérard,
qu'on retrouve au siècle suivant. Reconnaissons, pour être juste, que
Barthez n'envisageait son principe vital que comme une hypothèse. Ses
élèves ont été moins réservés : Guilaume de
Grimaud (1750-1799),
professeur à Paris, a singulièrement compliqué
son système; citons encore : L. Dumas (1765-1813).
qui lui succéda à Montpellier; Richerand, P. Pinel, Chaussier,
Lordat, Chauffard, etc., qui appartiennent au XIXe
siècle, En Allemagne ,
nous mentionnerons Blumenbach, Reil (1759-1843);
en Angleterre ,
Erasme
Darwin (1734-1802),
le grand-père de Charles Darwin.
-
Médecins
pendant la peste de 1720, Ã Marseille.
Médecine,
pratique et clinique
En Italie ,
Malpighi
avait fait école, et Valsalva (1662-1783),
professeur à Bologne ,
maintint le grand renom de la médecine italienne au XVIIIe
siècle; on peut en dire autant de Lancisi,
de Rome (1654-1720),
dont les travaux sur les maladies de l'encéphale ,
ont fait date; d'I.-F. Albertini (1662-1738),
professeur à Bologne ;
de G.-B. Borsieri (Bursierus) de Kanilfeld (1725-1785),
professeur à Pavie .
La médecine française ne fait que médiocre figure à côté de ces grands
noms. Nous n'avons guère à nommer que Sauvages, puis Senac (1693-1770)
et Lieutaud (1703-1780,
surtout connus par leurs travaux d'anatomie
pathologique, enfin Astruc (1684-1766).
La Société royale de médecine fondée en 1776,
supprimée ensuite par la Révolution,
jouit cependant d'une grande réputation par la valeur et la variété
de ses travaux.
Les médecins anglais,
tout en étant encore iatromécaniciens, suivent en clinique les préceptes
de Sydenham. Citons : A. Pitcairn et son élève
G. Cheyne (1671-1743),
J. Keill (1673-1719),
Nicolas et Bryan Robinson, qui ont introduit dans la physiologie
du système nerveux
la théorie vibratoire de l'éther due aux physiciens; W. Cockburn, qui,
en 1696;
publia un important ouvrage sur le scorbut. Mais le praticien anglais le
plus important de la première moitié du XVIIIe
siècle est certainement Richard Mead
(1673-1754),
un éclectique. J. Freind (1675-1728),
surtout connu par ses travaux sur l'histoire de la médecine, fut un iatrophysicien
décidé. J. Pringle (1707-1782),
compagnon d'étude de Haller, est célèbre par
un remarquable traité sur les maladies des armées. Parmi les autres médecins
remarquables de cette époque, mentionnons encore : C. Wintringham (1710-1794),
qui étudia particulièrement la force de résistance des artères et des
veines; J. Haxham (1694-1768),
épidémiologiste distingué; J. Fothergill (1712-1780
ou 1801?), renommé pour son ouvrage
sur la diphtérie et son travail sur la névralgie du trijumeau, quelquefois
appelée « maladie de Fothergill »; W. Heberden (1719-1801),
dont on a admiré les travaux sur l'angine de poitrine et certaines formes
de rhumatisme chronique.
En Allemagne ,
le mouvement de rénovation partit, comme nous l'avons dit, de deux élèves
de Boerhaave, Haller,
qui fonda l'école de Göttingen ,
et Van Swieten qui appela à l'existence l'école de Vienne.
Parmi les principaux
noms qui se rattachent à l'école de Göttingen, nous relevons : P.-G.
Werlhof, de Helmstaedt (1699-1767),
l'ami de Haller et l'auteur d'un ouvrage célèbre sur les fièvres intermittentes
et d'un autre sur l'antiquité de la variole; J.-G. Zimmermann (1728-1795),
élève de Haller, dont les ouvrages « sur la solitude » et « sur l'expérience
» ont joui d'une réputation supérieure à leur mérite; L.-B. Lentin
(1736-1804),
E. Wichmann (1740-1801),
P.-G. Hensler (1733-1805),
l'un des fondateurs de la pathologie historique, et J.-A. Tissot (1728-1797),
de Lausanne, l'ami le plus intime de Haller, éminent épidémiographe
et auteur d'ouvrages populaires tels que : Avis au peuple sur sa santé;
- Avis aux gens de lettres sur leur santé, etc.
L'école de Vienne
compta dans son sein des hommes tels que Van Swieten (1700-1772),
de Leyde, qui inaugura à Vienne l'enseignement clinique et publia ses
fameux commentaires sur les aphorismes
de Boerhaave; il est encore bien connu par
sa méthode de traitement de la syphilis par le sublimé (liqueur de Van
Swieten); puis A. de Haèn (1704-1775
), autre clinicien remarquable; A. Stoerck (1731-1803),
surtout organisateur et thérapeute; le célèbre Maximilien Stoll (1742-1788),
élève et successeur de A. de Haèn, auteur de remarquables travaux d'épidémiologie;
enfin J.-P. Frank (1745-1821),
qui établit sur de nouvelles bases la police sanitaire. Parmi les autres
médecins allemands, surtout de la deuxième moitié du siècle, mentionnons
encore : B.-L. Trailes (1708-1797),
pharmacologue distingué; Marius Herz (1747-1803);
S.-G. von Vogel (1750-1837);
enfin, parmi les Scandinaves : Nils Rosen de Rosenstein (1706-1773),
professeur à Upsala, un des rénovateurs
de la médecine; J.-C. Tode (1736-1806),
professeur à Copenhague, connu par ses
travaux sur les maladies vénériennes.
De grands progrès
signalent le XVIIIe
siècle dans le domaine de la médecine
pratique. C'est tout d'abord l'anatomie
pathologique qui, entre les mains de l'illustre Morgagni
(1682-1771),
professeur à Padoue, subit une transformation
telle qu'on peut le considérer comme son véritable créateur. Son ouvrage,
De
Sedibus et causis morborum per anatomen indagatis (Venise, 1761
et nombr. édit.), sera encore consulté un siècle plus tard. Après lui
nous devons citer, en Italie ,
B. Monteggia (1762-1805),
professeur de chirurgie à Milan, et les deux
cliniciens Lancisi et Albertini. En France ,
Senac et Lieutaud; en Hollande
Sandifort et Bonn, contribuèrent puissamment
aux progrès de l'anatomie pathologique. En Allemagne ,
Fr. Hoffmann, Haller, Fr. Meckel, Reederer et
Wagler, etc., s'intéressèrent également à cette branche importante
des connaissances médicales.
Un autre important
progrès, c'est le perfectionnement du diagnostic des maladies du coeur
et des gros vaisseaux, sur l'influence de Lancisi, d'Albertini et de Senac;
et la découverte de la percussion en 1761
par J.-L. Auenbrugger de Graz (1722-1809),
assez bien accueillie par Haller, Ludwig, Stoll, négligée par P. Frank,
Reil et Horn, enfin appelée à une nouvelle existence en quelque sorte,
presque un demi-siècle plus tard, par Corvisart.
Enfin, la thérapeutique
ne s'enrichit guère pendant le XVIIIe
siècle; signalons cependant l'introduction
de l'usage interne du plomb par Goulard, celle
de la ciguë, de l'aconit, du datura, du colchique, etc., par Stoerck.
L'hydrothérapie progressa considérablement, grâce à J. Floyer (1649-1734),
S. Hahn (1664-1742)
et ses deux fils, Schwentner et J. Currie (1756-1805).
Fr. Hoffmann fit beaucoup pour l'usage des eaux minérales.
C'est à la fin du
XVIIIe
siècle que l'immortel E.
Jenner (1747-1823)
fit la découverte de la vaccine (1796).
La vaccine venait remplacer avantageusement l'inoculation variolique qui
présentait des dangers sérieux. (Dr L. Hahn). |
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