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A partir du moment
où les médecins ont renoncé à l'ancienne conception
des entités morbides et qu'ils n'ont plus vu dans les maladies un
ennemi mystérieux venant s'attaquer à l'organisme, mais une
simple perturbation de son état normal, l'idée des altérations
matérielles des tissus
et des organes
est devenue inséparable de celles des troubles fonctionnels en pathologie.
Il est évident en effet qu'à tout changement dans les actes
organiques doit correspondre une modification dans la constitution des
parties qui agissent. Parmi ces modifications les unes sont d'ordre biochimique,
les autres portent sur la structure même des organes et relèvent
par conséquent de l'anatomie; il n'est
guère possible d'ailleurs de tracer une limite rigoureuse entre
la biochimie et l'anatomie pathologique. L'anatomie pathologique a donc
essentiellement pour objet l'étude des altérations survenues
dans les tissus et les organes du corps humain; elle détermine quels
sont les organes atteints, les changements éprouvés par ces
organes dans leurs rapports, leur forme, leur volume, leur consistance,
leur structure, leur composition, etc.
L'anatomie
pathologique ne possède pas d'histoire avant le XVIe siècle,
époque où les remarquables travaux de Vésale,
Varole, etc., en posèrent les premières bases. On trouve
bien déjà des altérations anatomiques décrites
dans diverses régions par Arétée,
Celse, Galien, etc., mais
il ne s'agissait encore que de faits isolés signalés plutôt
à titre de curiosité que comme éléments d'une
science sérieuse. C'est à Th. Bonnet et surtout à
Morgagni que revient le mérite d'avoir entrevu le premier le lien
rattachant entre elles ces diverses altérations, d'avoir réuni
et rapproché les différents faits signalés par les
auteurs, d'avoir, en un mot, créé la science de l'anatomie
pathologique que des découvertes incessantes ne devaient pas tarder
à faire progresser de plus en plus. Après eux, en effet,
les travaux de Lieutaud, Vicq-d'Azyr,
Baillie, Conradi continuent à élargir
le cadre des connaissances acquises, bien que tout se borne encore à
la connaissance seule des lésions des divers organes. Paraît
ensuite Bichat, et la connaissance des tissus
pathologiques ouvre une large voie aux travaux des Corvisard, Portal, Laennec,
Andral, Lobstein, Meckel, Otto, Cruveilhier,
etc.
L'avènement
de l'histologie pathologique, agrandissant encore le champ de ces recherches,
donne lieu aux découvertes de Johannes Müller,
H. Lebert, Ch. Robin, Gluge, Henle,
Rokitansky, Virchow, Reinhardt, Broca, Verneuil, Follin, Foerster, Billroth,
Rindfleisch, Bonnet, Cornu et Ranvier et tant d'autres qu'il serait trop
long d'énumérer. Favorisant ces travaux et leur donnant toute
la publicité et l'autorité nécessaires, il faut indiquer
la fondation des nombreuses associations savantes
(Académie des curieux de la nature en 1652, Société
des sciences de Londres en 1650, Académie
des sciences de Paris, en 1664, etc.), les revue spécialisées,
les collections iconographiques, les musées, les chaires d'enseignement
dont la création et l'organisation ne cesseront de donner un essor
de plus en plus marqué aux études anatomo-pathologiques.
Pour se rendre un compte exact de l'importance
de l'anatomie pathologique il est nécessaire d'étudier cette
science dans les rapports qu'elle affecte avec les autres branches de la
médecine. Tout d'abord l'anatomie normale
trouve en elle d'utiles indications.
Lorsque Bichat
notamment, s'appuyant sur les idées de Pinel, établit que
deux tissus sujets aux mêmes altérations ont entre eux une
parenté anatomique incontestable, faisait-il autre chose que déduire
un fait d'anatomie normale d'un fait anatomo-pathologique? Elle donne également
un concours précieux à la physiologie. Le physiologiste tire
certainement la plupart de ses renseignements de l'expérimentation
et des autopsies faites sur des animaux normaux; mais les résultats
acquis ne sauraient toujours s'appliquer intégralement à
l'humain, car les mutilations accessoires modifient dans bien des circonstances
les conclusions obtenues; mais la maladie arrive et réalisant d'elle-même,
chez l'humain, les conditions expérimentales que cherchait l'opérateur,
elle permet de constater plus tard par l'autopsie, actuellement par la
clinique, les faits demandés par le physiologiste et que sa science
était impuissante à lui fournir. Le physiologiste essaie
d'enlever les deux reins
d'un animal, et les délabrements qu'il produit influent nécessairement
sur les résultats qu'il va obtenir; une atrophie rénale se
produit-elle chez l'humain à la suite d'un processus pathologique
donné, et voilà le médecin à même de
vérifier les conclusions du physiologiste par les faits cliniques
qu'il a sous les yeux et dont l'autopsie ne tarde pas à lui donner
la vraie valeur.
Le physiologiste étudie chez l'animal
les effets de la section expérimentale de la corde du tympan
et en déduit l'action du rameau nerveux; l'anatomie pathologique,
aidée de l'étude des faits cliniques, vient contrôler
ces résultats chez un malade qu'une carie du rocher ou une lésion
traumatique a placé dans les conditions expérimentales voulues,
du fait même de la maladie. La médecine et la clinique ne
sauraient établir un fait, discuter une théorie, poser une
indication thérapeutique sans s'appuyer incessamment sur les données
de l'anatomie pathologique. Le chirurgien qui n'opère que sur des
organes modifiés par la maladie n'a-t-il pas sans conteste une bien
plus grande sûreté à mesure qu'il connaît de
mieux en mieux le siège précis, la nature, les limites de
la lésion sur laquelle il doit agir? Le traitement des anévrismes
et des hernies ne repose-t-il pas, entre autres, exclusivement sur les
données fournies par l'anatomie pathologique? Le médecin
lui-même peut-il bien saisir les divers symptômes physiques
d'une maladie, les diverses causes qui ont présidé à
son début, les diverses considérations thérapeutiques
qui en découlent, s'il n'a présentes à son esprit
les modifications pathologiques auxquelles ceux-ci répondent et
sur lesquelles il doit agir? La médecine légale elle-même
s'appuie en majeure partie sur la connaissance exacte des lésions
constatées sur le cadavre. Comment préciser, en effet, la
cause qui a déterminé la mort du sujet soumis à l'examen
si l'on n'est pas au courant, par des notions antérieures, des diverses
lésions produites par les maladies ou les actions extérieures
de tel ou tel ordre?
Sans doute l'école organicienne
allait trop loin lorsqu'elle prétendait montrer au bout du scalpel
les causes de toutes les maladies. Dans bien des
cas il s'agit d'altérations moléculaires, souvent impossibles
à constater directement. Mais de ce fait qui est vrai, on ne saurait
conclure raisonnablement à l'inutilité de l'anatomie pathologique
dans les nombreuses affections organiques où des altérations
morbides sont reconnues. Les renseignements que fournit l'anatomie pathologique
au sujet du diagnostic, du pronostic sont faciles à comprendre.
On a vu que l'étude de la lésion indiquait la nature de celle-ci,
autrement dit en permettait le diagnostic sur le cadavre; or ce diagnostic
n'amène-t-il pas au véritable diagnostic clinique, celui
que l'on fait sur le vivant? N'amène-t-il pas à la solution
du degré de curabilité ou d'incurabilité, à
l'indication de toutes les terminaisons, c.-à-d. au pronostic? L'anatomie
pathologique éclaire enfin le traitement ; elle permet en effet
de constater la possibilité d'un retour à l'état normal
des organes altérés, les causes d'insuccès, les indications
négligées, etc.
L'anatomie pathologique en un mot, comme
le dit Cruveilhier,
«
loin d'exclure, de déprécier l'observation clinique, l'épure,
la dirige, la perfectionne, lui imprime un caractère de sévérité
inconnu jusqu'à elle, lui fournit des éléments nouveaux
de diagnostic et de traitement, lui communique, lui infuse en quelque sorte
sa certitude et ne lui est peut-être jamais plus utile que lorsqu'elle
ne découvre pas dans les lésions matérielles des causes
suffisantes de mort. »
Quels sont les moyens dont dispose l'observateur
pour entreprendre l'étude de l'anatomie pathologique? Dans les premiers
temps le scalpel était le premier et le principal de ces moyens.
Le sujet, une fois mort, était transporté sur la table d'amphithéâtre
où le médecin cherchait à rattacher aux symptômes
observés sur le vivant les diverses altérations constatées
sur le cadavre; c'est ainsi que Laënnec établissait sur des
bases réellement scientifiques la science de l'auscultation et de
la percussion par le contrôle réciproque de la clinique et
de l'autopsie; c'est ainsi que d'autres observateurs constataient qu'à
un même symptôme tel que la paralysie ou les convulsions répondaient
des altérations différentes et par suite une thérapeutique
également dissemblable. Est-il besoin de dire que dans toutes ces
recherches, comme dans les études d'anatomie normale, l'observateur
ne se privait d'aucun des procédés le mettant à même
de simplifier sa tâche : macérations dans les liquides de
toutes natures, examen sous l'eau, dessiccation, injections vasculaires,
analyse chimique, etc.? Ces moyens, malgré tout, devaient se trouver
insuffisants et voilà pourquoi l'application du microscope à
l'anatomie pathologique permit de réaliser un véritable progrès
dans l'étude des altérations. Les nombreux services qu'a
rendus le microscope entre les mains des anatomo-pathologistes ne sont
plus aujourd'hui à démontrer; mais, pour ne citer que quelques
exemples, n'est-ce pas lui qui a permis dès les débuts de
son utilisation de constater la nature des tumeurs acéphalocystes
par l'existence des crochets d'échinocoques que tout autre moyen
d'étude disponible à l'époque n'eût pu
faire constater? N'est-ce pas lui qui met tous les jours l'histologiste
à même de différencier d'un seul coup d'oeil la nature
si diverse des tumeurs enlevées par le chirurgien et dont bien souvent
la marche clinique n'ont pu éclairer la constitution? Bien souvent
d'ailleurs le médecin ne fait-il pas sans cesse de l'anatomie pathologique
presque sans le vouloir, lorsqu'il examine par exemple l'oeil d'un malade
qui se plaint de troubles de la vue et qu'il constate une opacité
du cristallin ou une lésion quelconque des différents milieux
transparents de l'organe.
«
Et cette anatomie pathologique, comme le dit Barth, cette anatomie pathologique
que tout praticien ne manque pas de faire sur le malade, ne prend-elle
pas chaque jour et pour le plus grand profit de l'art, un développement
plus grand et plus incontestable, à mesure que se multiplient les
moyens de voir plus parfaitement dans les parties vivantes, dans des cavités
jusqu'alors inaccessibles, à l'aide de L'ophtalmoscope, qui constate
au fond de l'oeil des injections, des épanchements sanguins jusqu'alors
inaperçus, du laryngoscope qui fait reconnaître des polypes
jusqu'au niveau des cordes vocales et met à même de les exciser,
de l'endoscope enfin qui donne accès à l'oeil dans la cavité
de la vessie et permet d'y constater des dépôts morbides,
des végétations de diverses natures dont on ignorait L'existence?
»
La diversité et la multiplicité
de ces moyens d'exploration donnent une idée des altérations
nombreuses et dissemblables qu'il est possible de constater. Mais si nombreuses
et si dissemblables que soient ces lésions, elles ne sont pas sans
offrir entre elles de nombreux points de rapprochement; on s'explique donc
la nécessité d'une classification permettant de les ranger
d'une façon méthodique de manière à en faciliter
l'étude et la compréhension. Le point de vue auquel on peut
se placer dans une classification de ce genre est essentiellement variable,
d'où par suite les nombreuses tentatives essayées par les
différents auteurs qui se sont occupés de la question. Lobstein,
qui envisageait les diverses altérations au point de vue anatomique
et anatomo-pathologique, avait proposé les six grandes classes suivantes
:
1° les
changements de forme et de volume;
2° les changements
de position et de connexion;
3° les raréfactions
de tissu (infiltrations gazeuses et séreuses, inflammation);
4° les développements
de tissus nouveaux analogues;
5° les développements
de tissus nouveaux différents;
6° enfin le développement
de produits morbides sans connexion avec les tissus (corps étrangers,
concrétions, porosités).
Rokitansky, se fondant sur les propriétés
physiques des tissus, a admis dix classes ainsi distribuées :
1° anomalie
de nombre (monstruosités);
2° anomalie de
grandeur;
3° anomalie de
forme;
4° anomalie de
position;
5° anomalie de
rapport;
6° anomalie de
couleur;
7° anomalie de
consistance;
8° anomalie de
continuité,
9° anomalie de
texture (hyperémie, hémorragie, anémie, inflammation,
gangrène, néoplasmes organisés, formés de tissus
analogues ou de tissus différents, néoplasmes non organisés,
maladies des tissus);
10° déviation
de contenu, pneumatose, corps étrangers, parasites, maladies du
sang.
Grâce aux progrès accomplis par
l'embryologie et l'anatomie normale, on a
renoncé à faire des classifications anatomo-pathologiques
autonomes. La pathologie étant essentiellement une science de comparaison,
comparaison du morbide au normal, on divise aujourd'hui l'anatomie pathologique,
parallèlement à ce qui se fait en anatomie normale, en anatomie
pathologique générale et anatomie pathologique spéciale.
La première comprend l'étude des altérations des éléments
anatomiques, des tissus et des humeurs, à savoir : les névroses,
les atrophies, les dégénérescences, les hypertrophies,
et les hyperplasies des éléments; les inflammations, les
tumeurs, l'hématologie pathologique, etc., les parasites et les
malformations en général. La deuxième s'occupe des
altérations des organes et des appareils en particulier. Ces classifications
n'ont pas seulement un but didactique. Rapprochant les lésions analogues
les unes des autres, permettant dès lors par le raisonnement d'assimiler
entre elles les origines et las causes productives des différentes
affections, elles permettent d'en déduire des conséquences
pratiques pour le traitement. (Dr G. Alphandéry). |
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