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Francis Glisson
est un médecin et philosophe
anglais, né en 1597 dans le comté de Dorset, en Angleterre,
et mort à Londres, en 1677.
Reçu agrégé an collège
Caïus à Cambridge, il étudia
la médecine et l'enseigna pendant
quarante ans à cette université. Il se fit agréger
ensuite au collège des médecins de Londres et fut chargé
d'y professer l'anatomie. Il eut un immense
succès dans cet enseignement. Entre autres découvertes, signalons
celle de l'enveloppe fibreuse du foie
désignée sous le nom de capsule de Glisson et consignée
dans son Anatomia hepatis, etc. (Londres, 1654, in-8, et autres
éd.). Citons encore : De Rachitide, sine morbo puerili qui vulgo
« rickets » dicitur, etc. (Londres, 1660, in-12, 2e
éd., et autres éd.); Tractatus de ventriculo et intestinis,
etc. (Londres, 1671, in-12, et autres éd.).
Par son ouvrage : Tractatus de
natura substantiae energetica, seu Vita naturae ejusque tribus primis facutalibus,
perceptive, appetitiva, motiva (in-4, Londres, 1672), il appartient
à la philosophie. C'est là qu'on trouve exposée dans
un langage malheureusement inabordable et tout hérissé de
formules scolastiques, une théorie
de la substance assez semblable à celle de Leibniz,
et qui probablement n'est pas restée inconnue à l'auteur
de la Monadologie.
D'après Glisson, la substance
n'est pas une simple abstraction de l'esprit
ou un attribut général qui se
rapporte simultanément à plusieurs objets; elle a, au contraire,
une existence et une vertu qui lui sont propres, qui lui appartiennent
de la manière la plus absolue. Tout ce qu'elle est, c'est-à-dire
tous ses attributs et toutes ses modifications elle les tire de son propre
fonds (substantia fundamentalis), parce qu'elle a la vertu d'agir
sur elle-même et de se développer par sa propre énergie
(natura energetica). Ces deux caractères, que l'analyse
est forcée de distinguer, mais qui, dans la réalité,
sont parfaitement identiques, constituent l'essence invariable de toute
substance; ce qui signifie qu'être c'est agir, que tout mode de l'existence
est un mode de l'activité, et que toute substance est une force.
C'est en cela même, ou dans la vertu qu'a chaque substance de tirer
de son propre fonds ces diverses manières d'exister, que Glisson
fait consister la vie. Qu'est-ce, en effet, que la vie, sinon le développement
spontané de toutes les propriétés
et de toutes les facultés d'un être?
et qu'est-ce que ces propriétés, ces facultés sont
à leur tour, sinon des modes divers de l'activité essentielle
de la substance?
C'est un principe
sur lequel Glisson insiste particulièrement, et qui joue aussi,
comme l'on sait, un grand rôle dans le système de Leibniz
qu'une substance ne reçoit rien du dehors; qu'il ne peut y avoir
aucune communication directe, aucun point de contact entre une substance
et une autre. Substantia exclusive est negatio foederationis cum quavis
natura aut supposilo extraneo (ch. V).
C'est sur ce principe de l'incommunicabitilé
des substances que Glisson se fonde pour admettre la distinction de l'âme
et du corps. Il rejette la preuve cartésienne,
tirée de l'inertie et de la divisibilité de la matière;
car la matière même, mais la matière considérée
dans son essence, la matière première, ainsi qu'il l'appelle
d'après les Anciens, est pour lui un principe actif et vivant, une
force comme l'esprit, quoique d'une nature bien inférieure à
celle de l'esprit. Il la regarde comme la cause
de toutes les formes qui affectent nos sens, et
que nous réunissons dans notre esprit sous le nom de corps. Les
corps, et, par conséquent leurs propriétés les plus
essentielles, ne sont donc que des manifestations fugitives et sensibles
d'une force qui échappe à nos sens et qui demeure toujours
la même au milieu de ces changements.
Il est curieux de voir comment, avec cette
théorie de la substance, Glisson nous rend compte des facultés
de l'esprit et des propriétés de la matière. Ce n'est
pas par ces facultés et ces propriétés qu'il remonte
jusqu'au principe matériel ou spirituel; mais, au contraire, il
les fait dériver par voie de déduction de la substance à
laquelle elles appartiennent. Ainsi, puisque toute substance est une nature
énergique, c'est-à-dire une force, elle a d'abord la faculté
d'agir. Mais elle agit de deux manières : d'une manière positive
en se concentrant sur elle-même, et d'une manière négative,
en repoussant loin d'elle toute action d'une force étrangère.
De là deux premières facultés:
la faculté appétitive et la puissance motrice. L'une et l'autre
supposent la faculté perceptive ou plutôt la perception elle-même,
qui n'est que l'union de la substance avec sa propre forme; car la concevoir
sans forme est tout à fait impossible. La forme représentée
par la perception, c'est l'universel; la substance elle-même, considérée
dans son existence propre et dans son activité, c'est le particulier.
L'universel et le particulier ou l'essence
et l'existence ne sont pas deux choses différentes
et même opposées, comme on l'a cru; elles se réunissent
et se confondent dans la nature des êtres. Il n'y a pas de forme
ou d'idée universelle qui ne se manifeste dans une substance, c'est-à-dire
dans un être déterminé; il n'y a pas d'être semblable,
qui ne renferme en lui la forme générale de son existence.
C'est pour cela que la matière aussi, du point de vue ou nous l'avons
considérée plus haut, est douée en un certain sens
de la faculté perceptive; car il n'y a point de matière sans
forme. Quant aux deux autres facultés, elles reçoivent ici
les noms de pesanteur et de divisibilité. C'est, en effet, à
ces deux propriétés que Glisson veut ramener toutes les qualités
essentielles de la matière.
Tout le système de Leibniz
se trouve ici en germe : les substances sont considérées
comme des forces; ces forces se suffisent à elles-mêmes, et
tirant de leur propre fonds toutes leurs modifications sont de véritables
monades; ces monades n'ont aucune action les unes
sur les autres; la divisibilité et l'étendue ne sont que
des phénomènes; enfin, il ne faut pas séparer les
idées des réalités; il faut tâcher de concilier
Platon avec Aristote.
Mais, en admettant comme certain que Leibniz eût connu le traité
de Glisson, combien de génie il lui eût fallu encore pour
tirer de cette oeuvre informe la Théodicée et les
nouveaux Essais sur l'entendement humain! . (A. B.). |
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