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L'histoire de la logique

Aperçu

La logique classique

On a fait remonter la logique, comme procédé scientifique, jusqu'à Zénon d'Élée (Ve siècle av. J.-C.); mais il ne faut pas la confondre avec la dialectique, qui était alors le procédé suivi. On la retrouve non seulement chez Zénon, mais chez les sophistes, dans l'école de Mégare, chez Socrate, et chez Platon dans ses Dialogues

La dialectique s'attache Ă  rĂ©futer; la logique dĂ©montre, elle procède dogmatiquement et par dĂ©duction. C'est ce qu'on voit chez Aristote, environ 4 siècles av. J.-C., dans un ensemble d'Ă©crits auquel on a donnĂ© le nom d'Organon, et qu'on nomme ordinairement la Logique d'Aristote. Cet ensemble comprend : 

1° le traité des Catégories

2° celui de l'Interprétation

3° les Premiers Analytiques, ou traitĂ© du syllogisme; 

4° les Derniers Analytiques, ou traitĂ© de la dĂ©monstration; 

5° les Topiques

6° le traitĂ©  des Sophismes.

A ces écrits on joint ordinairement l'Introduction aux Catégories, de Porphyre, mort 304 ans après J. -C. Ainsi, la Logique du Stagirite va des catégories à la théorie de la proposition, de celle-ci au syllogisme, et de ce dernier à la forme parfaite du raisonnement, qui est la démonstration; les deux derniers traités sont consacrés à l'application. Après Aristote, deux de ses disciples, Théophraste et Eudème, continuèrent ses travaux, sans rien y ajouter, mais non sans quelques critiques de détail. Cette controverse nous a été transmise par Alexandre d'Aphrodisie, dans ses Commentaires

Du LycĂ©e, la logique passa Ă  l'Ă©cole du Portique. Les stoĂŻciens lui donnèrent la première place dans leur philosophie; il est Ă  remarquer qu'ils essayèrent d'y comprendre une psychologie et une mĂ©thode; malheureusement leurs travaux sur cette partie de leur doctrine ne sont pas arrivĂ©s jusqu'Ă  nous. Epicure, en donnant Ă  sa logique le nom de canonique, ne lui laissa qu'un rĂ´le tout Ă  fait insuffisant; il en fit une partie de la physique, comme l'y contraignait son sensualisme Ă©troit. Galien (IIe  siècle) avait fait sur la logique d'immenses travaux, qui tous ont pĂ©ri; on lui attribue, mais Ă  tort, l'invention de la 4e figure du syllogisme. De siècle en siècle on vit se succĂ©der une foule de commentateurs de la Logique d'Aristote. Les Ă©tudes sur l'Organon commencèrent dès le règne des PtolĂ©mĂ©es, pour ne plus cesser : outre Galien et Alexandre d'Aphrodisie, on vit Porphyre, ThĂ©mistius, Simplicius, et Jean Philopon. Pendant les derniers siècles du Bas-Empire, on compte un David, qui traita des CatĂ©gories d'Aristote et des PrĂ©dicables de Porphyre, un NicĂ©phore Blemmydas, un Georges Pachymère, etc. 

A Rome, la philosophie ne compta pas un seul logicien proprement dit, malgrĂ© l'Ă©crit de CicĂ©ron intitulĂ© Topiques, qui a fort peu d'analogie avec celui d'Aristote. Au Ve siècle, Boèce traduisit ou commenta les traitĂ©s qui composent l'Organon; il commenta aussi l'Isagoge de Porphyre, et par lĂ  il exerça une grande influence sur les siècles suivants. Le Moyen âge vit rĂ©gner la logique despotiquement, au nom d'Aristote. Avec AbĂ©lard elle avait pris une importance capitale, en inclinant quelque peu vers la dialectique de Platon; mais, vers la fin du XIIe siècle, les travaux des Arabes, en rĂ©pandant, la connaissance des Ă©crits d'Aristote, assurèrent Ă  sa Logique un empire longtemps incontestĂ©. 

Au XVe siècle elle fut attaquée par Laurent Valla (De dialectica contra Aristotelicos), un siècle plus tard par un grand nombre et surtout par Ramus (Aristotelicae animadversiones), et enfin par Francis Bacon. Ce dernier opposa, en 1620, son Novum Organum à l'Organon d'Aristote. C'était une méthode nouvelle qui ramenait la philosophie à l'observation et à l'expérience. Bacon croyait détruire la logique d'Aristote; il ne faisait que la compléter, en montrant la nécessité de joindre l'induction au procédé déductif.

Descartes fit plus encore dans son Discours de la Méthode (1637), en proclamant l'indépendance absolue de la raison dans l'ordre des choses humaines, en rappelant l'humain à l'observation et à l'analyse des faits de la vie spirituelle, et en substituant les quatre règles de sa méthode aux préceptes si nombreux et souvent si obscurs de la logique scolastique

Cependant la vieille logique, attaquĂ©e de toutes parts en haine des abus qu'elle avait engendrĂ©s, fut soutenue par Leibniz, notamment dans son Discours touchant la mĂ©thode de la certitude et l'art d'inventer, et par son disciple Wolff (Philosophie rationalis, sive Logica methodo scientifica pertractata, 1728). Mais si Leibniz dĂ©fendit l'ancienne logique, il ne s'en satisfit par pour autant. Il chercha, toute sa vie, Ă  rĂ©duire le raisonnement au calcul. Il fallait, pour cela, transformer chaque proposition en une formule : puis, ces formules trouvĂ©es, les combiner, selon des règles fixes pour obtenir d'autres formules. C'Ă©tait, Ă  ses yeux, le moyen de supprimer les discussions philosophiques et de dĂ©couvrir des vĂ©ritĂ©s nouvelles, parce que ce procĂ©dĂ© devait rendre impossible toute erreur dans la dĂ©duction. Leibniz essaya divers systèmes. La grande invention leibnizienne passa inaperçue. 

L'Ă©cole de Locke et de Condillac nĂ©gligea la logique, qui se trouva rĂ©duite aux Ă©troites proportions de l'IdĂ©ologie; l'Ă©cole Ă©cossaise n'en tint pas non plus grand compte, mais la logique trouva en Allemagne, dans la personne de Kant, un penseur qui lui donna dans la philosophie une place nouvelle. Kant, dans sa Critique de la raison  pure, entreprit de dĂ©gager de tout Ă©lĂ©ment empirique et de considĂ©rer dans toute leur puretĂ© les principes Ă  priori qui se rapportent Ă  la connaissance de certains objets. De lĂ  deux sortes de lois qui constituent la vĂ©ritĂ© : l'une subjective et rationnelle, l'autre objective et matĂ©rielle. Avec Hegel, la logique se dĂ©nature, et devient une ontologie qui conduit Ă  l'idĂ©alisme le plus exagĂ©rĂ© (La Logique de Hegel). 

Au XIXe siècle la logique sembla revenir en Allemagne Ă  un esprit plus raisonnable, et reprendre en Écosse et en France quelque faveur : en Écosse ont paru, Ă  partir du milieu du siècle, des Ă©crits d'une valeur mĂ©diocre, mais qui ont donnĂ© lieu Ă  une polĂ©mique de bon augure, et qui a fait connaĂ®tre W. Hamilton, l'auteur d'une Nouvelle Analytique; en France,  BarthĂ©lemy Saint-Hilaire a publiĂ© une traduction complète de la Logique d'Aristote.

C'est aussi vers ce moment que les idées de Leibniz ont refait surface. Le symbolisme littéral de l'algèbre a permis la simplification des raisonnements souvent compliqués de l'arithmétique. Il s'agissait d'imaginer un ensemble de symboles assez souples pour s'adapter à tout raisonnement, qu'il se rapporte à la quantité ou à la qualité.

Vers 1850, un anglais, George Boole, sans connaître les tentatives du philosophe allemand, inventa de son côté une algèbre de la logique. A partir de là, les travaux se sont multipliés. Parmi les promoteurs de cette science nouvelle il convient de citer au premier rang : Stanley Jevons, Delboeuf, Schröder, Peirce, MacColl, Peano, Whitehead, Russel, Hilbert. (R).

La Logique moderne

Le début du XXe siècle a vu une formalisation accrue avec l’émergence de la logique symbolique, marquée par les travaux de Frege, Russell, et d'autres, comme David Hilbert. Hilbert a proposé un programme de formalisation des mathématiques basé sur des systèmes axiomatiques.

Les travaux de Gottlob Frege ont jeté les bases de la logique moderne avec sa Begriffsschrift (1879) et ses contributions à la logique des prédicats, ainsi qu'à la théorie des ensembles et à la sémantique. Frege a introduit la notion de fonction et argument en logique, posant des bases pour la logique des propositions et des prédicats. Avec Alfred North Whitehead, Bertrand Russell a produit les Principia Mathematica (1910-1913), un travail fondamental en logique et en philosophie des mathématiques, visant à montrer que toute la mathématique peut être réduite à des principes logiques.

Ludwig Wittgenstein a contribué avec son Tractatus Logico-Philosophicus (1921), influençant la philosophie du langage et la logique. Il a proposé que la structure logique du langage reflète la structure du monde. Kurt Gödel (1931) a démontré les théorèmes d'incomplétude, qui montrent les limites fondamentales des systèmes axiomatiques formels : il est impossible de prouver tous les vérités mathématiques au sein d’un système formel complet et cohérent.

Alan Turing a introduit le concept de machine de Turing (1936), établissant les fondements de l’informatique théorique et la théorie de la calculabilité. John von Neumann, de son côté, a contribué à la théorie des ensembles, à la logique des opérations et aux premières idées sur l'architecture des ordinateurs.

Introduite par Lotfi Zadeh (1965), la logique floue permet de traiter des concepts qui ne sont pas parfaitement vrais ou faux, mais plutôt partiellement vrais, ce qui est utile pour modéliser l'incertitude. A partir des années 1960, des logiques modales et temporelles ont également été développées pour formaliser des concepts comme la possibilité, la nécessité, et les propriétés temporelles des systèmes. L.E.J. Brouwer et Arend Heyting ont développé la logique intuitionniste, qui rejette le principe du tiers exclu et se concentre sur les preuves constructives.

Au début du XXIe siècle, on assiste à l'émergence de la logique des types, développée par Alonzo Church et plus tard par Per Martin-Löf, et qui a été intégrée dans les langages de programmation et les preuves formelles pour garantir la cohérence et la sécurité des systèmes logiciels.

Avec les développements en mécanique quantique, des logiques non-classiques comme la logique quantique ont été étudiées pour décrire des systèmes quantiques et des phénomènes de superposition.

La logique formelle est  aussi utilisĂ©e pour vĂ©rifier et raisonner sur les programmes informatiques, avec des approches comme les logiques de Hoare et les logiques de sĂ©paration. L'utilisation de la logique dans l'apprentissage automatique et l'intelligence artificielle pour le raisonnement et la prise de dĂ©cision est en croissance.

Notons aussi que les débats sur la nature des vérités logiques, l’ontologie des objets logiques, et la relation entre logique et langage continuent de façonner les discussions en philosophie et en logique.



En bibliothèque. - Outre les ouvrages originaux déjà cités, on peut consulter : Gassendi, De origine et varietate Logicae, dans le Syntagma philosophicum, Lyon, 1658; G.-J. Vossius, De natura et constitutions Logicae; Buhle, Recherches sur l'état de la Logique chez les Grecs avant Aristote, dans les Mémoires de la Société de Goettingen, t. X; Dugald Stewart, Considérations sur la Logique d'Aristote; Fulleborn, Histoire de la Logique chez les Grecs; Barthélémy Saint-Hilaire, De la Logique. d'Aristote, 1838, 2 vol. in-8°; Franck, Esquisse d'une histoire de la Logique, 1838; la Logique de Bossuet; celles de Crousaz et du P. Buffier; l'Art de penser et de raisonner, de Condillac; la Logique de Destutt de Tracy, partie de son idéologie: Damiron, Traité de Logique, 1836; Charma, Leçons de Logique, 1846; Duval-Jouve, Traité de Logique, 1843; Waddington-Kastus, Essais de Logique, in 8°; Bénard, La Logique enseignée par les auteurs, 1858; Cournot, Essai sur les fondements de nos connaissances, etc. On cite en Angleterre les Éléments de Logique de Richard Whately, Londres, 1829, et un Traité de Logique d'après les principes d'Aldrich, par John Huyshe, Oxford, 1833; mais la qualité de ces deux écrits a été contestée.
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