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L'esclavage à Rome et dans l'Empire romain
Aspects économique 
et sociaux de l'esclavage
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Aspects économique et sociaux
Sortir de l'esclavage
Sources de l'esclavage.
Les sources qui alimentent l'esclavage sont les mêmes dans le monde romain que dans le monde grec. Selon le langage des Institutes, on naît ou on devient esclave. On naît esclave; c'est une conséquence du droit de propriété; plus tard, on discutera pour savoir si l'enfant d'une esclave est un fruit, s'il faut l'attribuer à l'usufruitier ou au propriétaire. Dans les exploitations rurales, l'esclave n'est pas privé de la vie de famille; il se reproduit comme le cultivateur libre; ses enfants ne coûtent pas cher à élever, et ce produit est assimilé à celui des bêtes de somme, le nom de verna qui le désigne l'indique clairement. Dans les domaines plus vastes, on charge une mère d'élever plusieurs nourrissons, renvoyant les autres femmes au travail. On se félicite de la fécondité des esclaves. Columelle conseille de l'encourager. Un lien plus étroit attache au maître l'esclave qui a vu le jour dans sa maison. On cite des esclaves (verna) adoptés par leurs maîtres. Plus tard, les moeurs grecques s'introduisirent, l'accroissement de l'Etat mit plus de distance entre les maîtres et les esclaves, la vie urbaine les sépara et l'équilibre fut rompu dans la classe servile par la destruction ou la restriction de l'organisation familiale.

A côté des esclaves de naissance figurent de tout temps les autres. On devenait esclave, et logiquement c'est même par là qu'on devait commencer. La loi prévoyait plusieurs cas de réduction en esclavage : 1° La volonté du père de famille qui avait le droit de vendre son enfant; ce droit était si absolu que la vente même ne l'épuisait pas ; dès que l'acheteur abandonnait son titre par l'affranchissement, le père reprenait le sien; ce n'était qu'après avoir vendu trois fois son fils qu'il cessait de pouvoir le faire. Quant à l'enfant exposé, il ne devient pas l'esclave de celui qui l'a recueilli, car la liberté, étant son droit de naissance, n'a pas été aliénée. - 2° Le créancier avait sur la personne de son débiteur un droit presque aussi absolu que celui du père sur son fils. Le débiteur s'engageait à lui par une convention spéciale (nexus) et travaillait à son service sans déchoir de sa liberté; mais à l'échéance, faute de transaction ou de répondant, il était adjugé pendant deux mois, tenu à la chaîne et nourri par son maître; la loi détermine le poids des entraves et la ration de farine; à trois jours de marché consécutifs, il était annexé devant le préteur et on proclamait le prix auquel il était adjugé; au bout de ce délai, il était mis à mort ou vendu au delà du Tibre. La loi prévoit même que si le corps du débiteur est le gage de plusieurs créanciers, ils pourront le couper et se le partager. On n'a pas de témoignage historique de cruauté de ce genre et on ne devait se partager que le prix. Pour le débiteur asservi comme pour le fils vendu par son père, et d'une manière générale pour tout citoyen romain réduit-en esclavage, la condition légale et les conséquences de la servitude ne sont pas aussi radicales que pour les autres esclaves. L'ingénuité, la qualité de celui qui est né libre, est indélébile et reparaît dès que cesse la servitude de, fait. C'est par trois ventes simulées que le père de famille donne à son fils la pleine liberté, le faisant père de famille et citoyen autonome. Quintilien distingue expressément entre le débiteur vendu (addictus) et l'esclave. 

« L'esclave mis en liberté par son maître devient affranchi, l'addictus redevient ingénu; l'esclave ne peut obtenir la volonté contre la volonté du maître; l'addictus la recouvre en payant, même contre sa volonté. Point de loi pour l'esclave; la foi comprend l'addictus. Ce qui est le propre de l'homme libre, ce qui n'appartient qu'à lui, le prénom, le nom, le surnom, tout cela reste à l'addictus. » (Inst. orat., VII, 3.) 
Il y a cependant des cas où un homme libre peut devenir tout à fait esclave. Il subit alors ce qu'on appelle maxima capitis deminutio; il perd ses droits de famille, ses droits politiques et sa qualité d'homme libre. Cette peine peut être infligée pour plusieurs motifs : quand on se soustrait au recensement, se refusant aux devoirs envers l'Etat; quand on refuse de se laisser inscrire sur les rôles des légions, déclinant le service militaire; quand on se faisait vendre frauduleusement comme esclave pour escroquer l'acheteur en réclamant ensuite la liberté; enfin dès qu'on avait été condamné à la peine capitale, laquelle frappait de mort civile, les condamnés quand on les laissait vivre étaient affectés aux travaux publics, dans les carrières ou les mines. L'esclavage pour dettes fut, ainsi que nous l'avons dit, très fréquent dans les premiers siècles de la République. A partir de 495 jusqu'en 367, ce fut un constant motif de plaintes de la part des plébéiens et de conflits. Les lois liciniennes contiennent une clause portant abolition des dettes, et pour la défendre Licinius s'écriait :
« Vous plaît-il de voir la plèbe circonvenue par l'usure, le corps du débiteur jeté dans les fers et livré aux supplices; des troupes d'hommes entraînés chaque jour du forum après l'adjudication, et ces captifs emplir les maisons nobles, à ce point que partout où loge un praticien, il y a une prison privée? » 
Dans le même siècle, le IVe, on obtint enfin l'abolition de cette loi cruelle qui donnait en gage au créancier la personne de son débiteur. Un jeune plébéien engagé à un patricien et battu de verges par lui ameuta le peuple. Un plébiscite fut rendu portant que les créanciers auraient, pour garantie les biens du débiteur, mais non plus sa personne (loi Petilia, 325 av. J.-C.). Tite-Live dit que c'est de cette année que la plèbe romaine fit dater le commencement de sa liberté. Toutefois, il ne paraît pas que la mesure ait été sans réserves, car la question se représenta en 289, et, après la bataille de Cannes, le dictateur ayant affranchi les condamnés pour crimes ou pour dettes qui se présenteraient, il en put armer 6000. La servitude pénale fut toujours maintenue et ne comportait nulle restriction; l'enfant d'une femme esclave de la peine héritait de sa condition; le condamné qui voulait y échapper en s'enrôlant dans l'armée était puni de mort, comme l'esclave ordinaire.

La principale source de l'esclavage était la guerre. Les prisonniers que l'on n'avait pas échangés ou tués étaient vendus au profit du Trésor; après une seule campagne de la guerre du Samnium on en avait vendu pour 3.500.000 as; déjà Tarquin l'Ancien avait vendu les habitants de Corniculum; vers la fin de la seconde Guerre punique, ces prisonniers de guerre se multiplient. C'est par dizaines de mille qu'on réduit en esclavage les Sardes, les Gaulois cisalpins, les Espagnols. Plus tard, César se vantera d'avoir vendu un million de Gaulois. La population entière de l'Epire avait été dispersée aux enchères; l'llyrie, la Macédoine, la Grèce fournirent aussi leur contingent après la défaite. Quand on opère en Orient au milieu de ces populations plus molles, dociles à la servitude, on ne compte même plus les prisonniers; sauf après de grandes hécatombes, quand Marius ramène d'Aix 90.000 esclaves teutons, et de Verceil, 60.000 Cimbres. Ces grands coups de filet avilissaient le prix de la marchandise humaine. Quand Lucullus vient de ravager le Pont, un esclave se vend 4 drachmes; il est vrai qu'un boeuf ne vaut que 1 drachme. Du petit pays des Salasses, canton alpestre, Auguste ramènera 44.000 esclaves, toute la population. Un peu plus tard, c'est parmi les barbares de la frontière du Danube que les généraux romains exécuteront ces grandes razzias. Les abus de pouvoir des gouverneurs, les exigences fiscales et les rapines des chevaliers et des collecteurs de l'impôt ne faisaient pas moins d'esclaves en temps de paix que ces expéditions. Quand on avait complètement pressuré un pays et dépouillé ses habitants, après les biens on prenait les hommes. Quand Marius réclame à Nicomède, roi de Bithynie, son contingent d'auxiliaires, le malheureux roi répond qu'il n'a plus de sujets en état de porter les armes; les fermiers chargés de lever l'impôt les ont tous pris et vendus comme esclaves au dehors. A côté des agents romains, les pirates font aussi des esclaves. En supprimant les marines rivales et la police des mers, Rome a laissé s'organiser de formidables bandes de pirates qui deviennent au Ier siècle av. J.-C. Un danger public. La traite des esclaves est très lucrative, et des chevaliers romains y prennent part, équipant des navires pour la piraterie. Au temps de Pompée, plus de 400 villes ont été prises par les pirates qui viennent enlever en Italie des magistrats romains. Même après que Pompée eut traqué les pirates dans leurs antres de Cilicie, le métier continua pour ne disparaître que sous l'Empire et pas complètement. Le brigandage faisait le même office sur terre; en pleine Italie, durant les guerres civiles, des bandes armées attaquaient les voyageurs et les enfermaient dans des ergastules ou prisons domestiques. Auguste, Tibère, leurs successeurs, font inspecter ces prisons domestiques pour relaxer les malheureux qu'on y a enfermés de force, hommes libres on esclaves volés aux voisins.

Ce bétail humain que la guerre, la piraterie, le brigandage privaient de la liberté, alimentait le commerce des esclaves, un des plus importants des commerces de l'Antiquité. Les armées en campagne ont à leur suite des marchands qui achètent en bloc les prisonniers. Les pirates amènent les leurs sur les marchés organisés, tel que celui de Délos dans la Mer Egée, le grand entrepôt de ces mers. En effet, si l'on demande encore à l'Afrique ses Noirs ou ses Maures, à l'Espagne, à la Gaule, au monde germanique des cultivateurs ou des pasteurs ou des gladiateurs, c'est surtout aux pays orientaux qu'on s'adresse pour le service domestique et pour l'industrie. L'Asie Mineure, la Syrie sont les grands centres d'exploitation; c'est un marchand d'esclaves qui est le véritable roi de Cappadoce, dit Horace. Rome est le marché central, le grand centre des importations. On y amène les esclaves de toutes les parties de l'Empire pour les distribuer dans les divers emplois, à la ville ou à la campagne. Le commerce du bétail humain donne lieu à de vastes spéculations; il est très lucratif; Caton l'Ancien s'y livre sans scrupule; il achète de jeunes esclaves et les revend après les avoir dressés. Ce commerce est surtout aux mains des Grecs; le quartier où ils se tiennent est au milieu de Rome, dans les tavernes de la Subura, près de la Voie Sacrée ou du temple de Castor. C'est une classe d'hommes très méprisée, et à juste raison. Le commerce des esclaves est frappé d'un double impôt une taxe douanière (patorium), droit d'importation, et un droit de vente (vectigal). Le premier de ces droits est affermé aux publicains et donne lieu à une lutte acharnée entre eux et les marchands qui s'efforcent de s'y soustraire, d'autant qu'il s'agissait d'une taxe ad valorem; elle était du 1/40e de la valeur des esclaves, mais s'élevait au 1/8e pour les eunuques. L'impôt sur la vente, créé par Auguste, était du 1/23e, d'après Tacite; Dion dit 1/50e. Il était payé par l'acheteur; on tenta, mais vainement, de le faire payer par le vendeur.

Voici quelles étaient les formalités de la vente : 

« Les esclaves étaient amenés au marché les pieds enduits de blanc; c'était le signe de la servitude; et quelquefois les généraux emportaient de la craie pour marquer les pieds de leurs captifs. Ils étaient communément exposés en public sur un échafaudage, ou, au contraire, s'ils étaient d'un plus grand prix, retenus dans une sorte de cage, qui attirait par le mystère les amateurs sérieux. Le même mot catasta, proprement lieu d'exhibition, s'appliquait à ces deux choses, et, à la rigueur, on concevait que la chose elle-même servit aux deux usages, cage au dedans et plate-forme au-dessus. Ceux qui étaient sur cette plate-forme, livrés aux regards de tous, portaient quelques emblèmes généraux : une couronne (c'étaient les prisonniers de guerre que désignait cet emblème de la victoire) on un bonnet (il signifiait qu'on ne les garantissait pas). Quelquefois un écriteau, pendu au cou, énonçait ce qui était propre à chacun d'eux : leur origine, leurs qualités, leur aptitude, et jadis (c'est le préteur qui le commandait ici) leurs défauts. Après l'exposition, la vente; elle se faisait aux enchères ou de gré à gré, en masse ou en détail, et, dans le cas des enchères publiques, l'annonce s'en faisait ordinairement à l'avance. Quand on vendait tout un lot d'esclaves, aux esclaves de travail, aux esclaves de plaisir, on ajoutait quelques vieillards qui n'avaient plus que les os et la peau; c'étaient, qu'on nous pardonne la trivialité de cette expression, les esclaves « de réjouissance » (coemptionales). Dans les ventes au détail, tandis que le marchand produisait les esclaves l'un après l'autre, les faisait tourner, sauter ou accomplir quelque autre épreuve de gymnastique ou de littérature, le héraut, monté sur une pierre, proclamait leur provenance et leurs noms, renchérissait sur leur mérite, et, autant que possible, sur le prix. » (Wallon, t. II, p. 53.)
L'habileté des maquignons était extrême et les fraudes fréquentes; ils savaient les recettes pour rajeunir leurs esclaves, donner plus d'éclat et de poli à la peau; on a pris de grandes précautions contre eux; les cas rédhibitoires sont nombreux. L'édit des édiles et le commentaire d'Ulpien sont intéressants à lire. Ceux qui vendent des esclaves sont tenus d'informer les acquéreurs des maladies ou vices de chacun, de prévenir s'ils sont fugitifs, vagabonds, liés par quelque obligation judiciaire. Toutes ces déclarations doivent être faites à voix haute et en public le jour de la vente. Si une vente d'esclaves s'est accomplie en dehors de ces stipulations générales, on bien si l'esclave ne répond pas aux choses affirmées ou promises au moment ou il a été vendu, les édiles donnent jugement à l'acquéreur on à son ayant cause pour que cet esclave soit repris par le vendeur. Il en est de même quand l'esclave a commis un crime capital, a tenté de se suicider, est descendu dans l'arène pour combattre les bêtes féroces, sans qu'on le déclare dans la vente. La loi permet encore l'action pour les fraudes qui ne seraient pas prévues nommément. Les vices physiques rédhibitoires sont : le mutisme, la surdité, la myopie, la vue trop faible pour qu'on voie au crépuscule, la fièvre tierce ou quarte, la goutte, l'épilepsie, un polype, des clous, des varices, un vice de conformation dans les jambes et les hanches, une haleine qui révèle une maladie des poumons ou du foie; pour les femmes, la stérilité, etc. Les maladies apparentes ne sont pas spécifiées ici; c'est à l'acheteur à les voir. Quant aux vices qu'on suppose communs à la majorité des esclaves, le vendeur n'est pas tenu de les déclarer; tels sont l'ivrognerie, la gourmandise, la passion du jeu, le tempérament querelleur, l'improbité. Mais de simples défauts de caractère (colère, mélancolie, cupidité, timidité) peuvent, s'ils sont accentués, donner lieu à indemnité, et, si le vendeur les a niés, à une action rédhibitoire. Les commentaires des jurisconsultes sont très détaillés. Pour qu'un esclave soit noté comme fugitif, il suffit qu'il ait essayé de fuir. L'indication d'origine est très importante, à cause des présomptions qui en résultent sur le caractère. Le Cappadocien, le Cilicien, le Crétois sont peu estimés, le premier comme lourdaud, le dernier comme menteur; le Maure est vantard, le Sarde et le Corse indociles, le Dalmate méchant, le Phrygien timide; on recherche les Syriens à cause de leur vigueur, les Ioniens à cause de leur beauté, les Alexandrins à cause de leur intelligence, de leur art, et aussi de leur dépravation. On préfère le novice, plus commode à dresser, au vétéran. L'action en indemnité pour moins-value doit s'intenter dans l'année, l'action rédhibitoire dans les six mois. Bien entendu, l'habileté des maquignons à tourner la loi leur donne souvent l'avantage dans ce duel avec l'acheteur.

Les métiers des esclaves.
Dans l'État républicain du Ve siècle, les esclaves tiennent bien peu de place. Leur nombre n'augmente rapidement qu'à partir de la fin du IVe siècle. Après la conquête de l'Italie centrale et méridionale, celle de la Sicile, de la Sardaigne accroissent beaucoup la quantité des esclaves. On en ignore le nombre; Dureau de La Malle et Wallon ont essayé de le calculer, mais par des hypothèses bien contestables. Ils arrivent à des chiffres tout à faits différents pour la population de l'Italie; mais ils s'accordent à dire que la population servile devait au IIIe siècle av. J.-C. être encore fort inférieure numériquement à la population libre. On distingue deux catégories d'esclaves, ceux de l'Etat et ceux des particuliers. Les esclaves de l'Etat sont affectés aux services et travaux publics; service des temples, des assemblées, distributions publiques, police des jeux, des incendies (vigiles), etc.; service des magistrats à Rome ou dans les provinces où les esclaves publics font office de courriers, appariteurs, gardiens dans les prisons, bourreaux, etc.; travaux publics, tels que l'entretien ou la construction des routes, des aqueducs, service des bains, nettoyage des égouts, l'exploitation des mines et des carrières. Les esclaves publics affectés aux services publics étaient relativement bien traités, soigneusement distingués des criminels, esclaves de la peine. Les villes autres que Rome ont aussi leurs esclaves; de même les collèges et corporations ou associations. Ainsi la compagnie des publicains a les siens. Ces esclaves des communautés plus ou moins étendues sont intermédiaires entre ceux de l'Etat et ceux des particuliers.

Les esclaves privés sont naturellement infiniment plus nombreux que les esclaves publics. Ils se divisent en deux groupes nettement séparés; ceux de la ville et ceux de la campagne. La maison romaine s'est partagée ainsi en deux familles : familia rustica et familia urbana, mais cette distinction ne fut pas absolue, car les riches ne résidaient pas constamment à la ville et ils passaient l'été à la campagne dans leurs villas où ils menaient un train et déployaient un luxe équivalent à celui de la ville; aussi y eut-il en fait quelque confusion entra les esclaves de la famille urbaine et ceux de la famille rustique; néanmoins cette division subsista en principe et fut consacrée par la loi. Nous nous y tiendrons pour passer en revue les emplois des esclaves privés. La grande propriété avait à peu près complètement dévoré la petite; les nobles avaient annexé à leurs propres terres celles du domaine public, et ces possessions leur étaient restées malgré les efforts des démocrates. Le résultat de cette extension de la grande propriété fut la substitution du travail servile au travail libre. Il était plus commode et plus économique de posséder l'ouvrier agricole que de le louer; c'est donc par des esclaves que les riches firent cultiver leurs vastes domaines. Ces exploitations rurales furent organisées sur un très grand pied, et la division du travail y fin fort bien entendue, à ce point que des esclaves spéciaux furent chargés de chaque service. Il y avait d'abord l'état-major de la ferme, composé d'esclaves et quelquefois d'affranchis c'étaient le fermier (villicus) auquel on avait soin de donner une femme pour l'aider; le sous-fermier (subvillicus); les surveillants (monitores), les gardes (saltuarii, circitores), les conducteurs des travaux (magistri operum). Au-dessous-de ceux-ci venaient les laboureurs, les vignerons, ceux qui soignaient les oliviers, les hommes de peine (mediastini) qu'on employait de côté ou d'autre, les esclaves chargés des fonctions accessoires de l'exploitation; ceux qui préparaient le vin, l'huile et entretenaient le grenier, le cellier, etc. 

A côté des esclaves affectés à l'agriculture, on en trouvait autant affectés à l'élevage du bétail, car de plus en plus en Italie les pâturages se substituaient aux champs; il y avait les esclaves chargés des chevaux, ânes et mulets (equitii, agasones, superjumentarii), les esclaves chargés des boeufs, vaches laitières (bubulci), des moutons (opiliones), des porcs (subulci), des chèvres (caprarii); enfin tout le personnel de la basse-cour (aviarii, aliturii). Dans la ferme même, affectés à son propre entretien, on trouvait le sommelier, le meunier, le boulanger, les cuisinières (pulmentariae, focariae), puis un certain nombre d'artisans, car il fallait que la maison rustique se suffit complètement; elle comprenait donc des tisserands et des fileuses qui faisaient les vêtements, des foulons, des forgerons, des charpentiers, des maréchaux ferrants, des vétérinaires, des médecins et infirmiers (valetudinarii) confectionnaient ou réparaient les instruments, soignaient les humains et les bêtes. Lorsque la villa servait de maison de plaisance au maître, elle avait aussi un personnel de chasseurs, des oiseleurs. Enfin il ne faut pas oublier le personnel de la prison (ergastulum) où l'on enfermait les esclaves indociles, ou même parfois ceux qu'on voulait faire reposer. La spécialisation était poussée assez loin; cependant il va de soi que souvent un même esclave pouvait cumuler plusieurs attributions et que souvent on le transférait d'un service à un autre. Sur les grands domaines on groupait encore les esclaves en escouades, pour chaque fraction du travail agricole; ces escouades de 10 ouvriers étaient appelées décuries; à la tête on plaçait le décurion qui était un esclave ou un affranchi. 

Si l'on veut évaluer le nombre total des esclaves d'une exploitation rurale, on n'a guère que les chiffres donnés par Caton l'Ancien (De Re rustica, X et XI); pour 100 arpents (25 hectares) de vignes, il compte 16 esclaves, le fermier, la fermière, un bouvier, un porcher, un ânier, un homme qui fasse les liens de la vigne (salictuarius) et 10 travailleurs; pour 240 arpents (61 hectares) d'oliviers, il suffit d'avoir 13 esclaves, fermier et fermière, ânier, porcher, 3 bouviers, un pasteur de brebis, 5 travailleurs; pour le blé, on peut admettre qu'il fallait tout compris 10 hommes pour 100 arpents ou jugères (1 jugère = 25 ares environ), soit un homme pour 10 arpents (2 hectares 53 ares). On avait un pâtre pour 80 à 100 moutons, dans un troupeau de 700 à 800. En ajoutant les pâturages qui occupent moins de monde à surface égale et les ouvriers accessoires dont ne parle pas Caton, on peut admettre que pour l'Italie entière il fallait compter au moins 1.500.000 fermiers et ouvriers agricoles; ce n'étaient pas tous des esclaves, car, outre les cultivateurs libres qu'on retrouve encore sur certains points, il y avait les journaliers qu'on louait pour les défrichements et aussi au moment de la moisson et de la vendange. Pourtant la grande majorité des ouvriers agricoles font partie de la maison ou famille rustique; Columelle nous dit que pour les vignerons qui sont évidemment le type de l'ouvrier libre et, en France, du petit cultivateur, on les prenait de préférence parmi les esclaves à la chaîne. Il faut maintenant tenir compte des femmes et des enfants; dans le personnel de la ferme de Caton, on n'emploie qu'une femme, la fermière, et un ou deux enfants pour garder les porcs et les moutons; tout le reste vient donc en surcroît. Sans doute tous les esclaves ne sont pas mariés et pères, mais ce devait être le cas général. Les agronomes romains sont favorables au mariage de leurs esclaves. Varron recommande de marier les pâtres des pâturages de la montagne, que la femme suit, préparant les aliments; il conseille aussi de marier les bergers de la ferme, les chefs des travaux; quant aux femmes on ne distingue pas; toutes peuvent être utilement consacrées à la reproduction; Columelle veut même qu'on l'encourage en dispensant du travail ou en affranchissant celles qui ont plusieurs enfants. Outre les unions permanentes, les propriétaires accordent à leurs esclaves des unions temporaires ou accidentelles, souvent même an tirent parti, comme faisait le vieux Caton. En somme, si on tient compte des femmes, des enfants, des vieillards, il est probable qu'il faut à peu près tripler le chiffre des esclaves ouvriers de la ferme pour avoir le personnel total de la famille rustique.

Les esclaves de la ville sont extrêmement nombreux chez les riches. A la tête de la famille urbaine est l'intendant (dispensator) assisté de ceux qui gardent le mobilier, le vestiaire, l'argenterie; puis vient le service domestique proprement dit : le portier enchaîné à l'entrée, les valets qui gardent l'atrium (atrienses, atriarii), annoncent les visiteurs (admissionales), soulèvent les portières (velarii), travaillent dans les chambres intérieures (cubicularii, diaetarii); le personnel des bains, chauffeurs, baigneurs et masseurs qui frottent le corps d'huile et le parfument; les médecins et leurs aides, esclaves que l'on retrouve dans toute bonne maison; vient ensuite la chose capitale, le service de la table. Au temps de la simplicité primitive, le cuisinier est le dernier des esclaves; plus tard, quand le luxe grec se répand, on louait un cuisinier pour les banquets; mais à la fin de la République il n'en est plus ainsi; dans une maison bien montée, le service de la table occupe tout un peuple d'esclaves : le maître d'hôtel (conclus promus), les sommeliers (cellarii), les pourvoyeurs (penarii), les cuisiniers chefs (archimagiri), les cuisiniers (coci), leurs aides (vicarii), les chauffeurs (foci), les boulangers, les pâtissiers de divers ordres; puis une nouvelle série : la chef de la salle à manger, les esclaves qui dressent les lits (lectisterniatores), préparent la table et la desservent (structures), ceux qui portent les invitations (invitator, vocator), le découpeur (scissor), ceux qui servent le pain, les viandes (diribitores, carptores), les dégustateurs (praegustatores), les jeunes esclaves qui s'allongent aux pieds du maître pour attendre ses ordres ou causer avec lui, ceux qui viennent verser le vin ou la neige dans les coupes, parfumer les convives; pour ces emplois on prend les enfants les plus beaux et les plus élégamment vêtus, les groupant selon leur âge, leur taille, leur couleur, Gétules, Maures, Lyciens, Phrygiens; à côté d'eux, et servant autant aux plaisirs des convives qu'à l'égayement des yeux et de l'ouïe, les danseuses et les chanteuses, voluptueuses Andalouses ou gracieuses Ioniennes; tous ces adolescents étaient dressés avec soin dans des écoles (paedagogia); on leur donnait le nom significatif de deliciae, delicati. A côté d'eux on avait aussi des grotesques, nains ou monstres dont on s'amusait; puis des histrions, acteurs et bouffons. Au dehors de la maison, le maître avait pour l'accompagner une suite d'esclaves qui marchaient devant ou derrière lui (ante ambulones pedisequi), l'escortaient en portant des torches le soir, sans parler de celui qu'il chargeait de lui rappeler ses affaires, de lui souffler le nom des gens qu'il rencontrait. La femme avait à son service autant de monde; d'abord son esclave dotal, personne de confiance; les portières, les eunuques, les silentiaires, la sage-femme, la garde, la nourrice, les berceurs, les nourriciers, les porteurs; puis tout le service intérieur : les domestiques qui balayaient et nettoyaient la maison, celles qui filaient (quasillaria), tissaient (textrices), cousaient (sarcinatrices) les vêtements de la maîtresse et de tout le personnel de la famille urbaine; celles qui s'occupaient de sa garde-robe (vestiplica) sous la direction d'une intendante, celles qui l'aidaient à sa toilette, la coiffaient, lui teignaient les cheveux, la parfumaient, la fardaient; on sait combien une toilette raffinée peut absorber de monde. Les femmes aussi font élever de jeunes esclaves, les faisant jouer autour d'elles, enfants, les emmenant à leur suite, adolescentes; elles ont en effet pour leur sortie un cortège extrêmement nombreux de beaux jeunes gens aussi bien que de femmes : la litière est portée par des Cappadociens ou des Syriens, précédée de Noirs ou d'Africains bronzés sur la poitrine desquels on suspend des plaques d'argent aux initiales du propriétaire; ajoutez le personnel de l'écurie, cochers, palefreniers, ceux qui soignent les chars et les attelages, chevaux, mules, etc. Nous n'avons encore rien dit des plaisirs intellectuels; pour ceux-là on a aussi une foule d'esclaves, les musiciens, les lettrés; comme l'homme, la femme a son secrétaire, son rhéteur, son philosophe; pour l'enfant, des pédagogues et précepteurs. Sénèque raconte que le riche Sabinus, voulant se donner l'apparence d'un lettré, acheta à grand prix des esclaves dont l'un savait Homère par coeur, l'autre Hésiode, neuf autres chacun des neuf lyriques; il se faisait souffler des citations. Quand on a une bibliothèque, il y faut tout un personnel : bibliothécaires, annotateurs, copistes, ouvriers parcheminiers; pour embellir la maison on achète des artistes architectes, peintres, sculpteurs.

Tous ces esclaves que nous venons de passer en revue sont uniquement ceux du service domestique; mais on en avait d'autres dès que l'on faisait des affaires. Pour le commerce comme pour les affaires financières, ce sont des esclaves qui servent de commis, qui tiennent les livres. Un riche peut ainsi posséder des légions d'esclaves par l'intermédiaire desquels il exerce les métiers les plus variés : marchand de chevaux, de boeufs, patron de bateaux, prêteur sur gages, etc.; le consulaire Mamercus Scaurus fait tenir une maison de prostitution. Comme en Grèce, l'industrie tombe aux mains des esclaves et dans les grandes villes, à Rome surtout, elle a pris un grand développement. Il arrive, comme à la campagne, que le riche préfère avoir à lui ses ouvriers d'industrie : foulons, teinturiers, tailleurs, lingers, cordonniers; la famille urbaine se développe ainsi sans limites. En dehors de ces immenses ruches, nous trouvons une foule de professions exercées par des esclaves : les diverses industries où souvent on les groupe en ateliers; les esclaves de louage que les gens moins riches se procurent pour les fêtes et les banquets; ceux fort nombreux que l'on voue à la prostitution; les acteurs et histrions organisés en troupes par leurs maîtres. Enfin nous rencontrons à Rome une spécialité nouvelle, qui fait une grande consommation d'esclaves, celle des gladiateurs. On y met encore des restrictions sous la République et les premiers empereurs; mais cette passion se répand dans tout l'Empire; partout le spectacle d'hommes s'entr'égorgeant ou combattant les bêtes fauves paraît le plus séduisant. On n'a laissé César mettre en ligne que 320 couples de gladiateurs. Mais Caligula et Claude, puis Néron multiplient ces égorgements; Trajan, après la guerre de Dacie, fit combattre dans l'arène 10.000 prisonniers. Commode les dépasse tous et donne plus de mille combats de gladiateurs. La classe de ces esclaves destinée à la boucherie est donc nombreuse; on y verse les plus robustes prisonniers de guerre et aussi des esclaves achetés, Germains, Sarmates, Thraces, Gaulois, Blemmyes; on les entraîne dans des écoles, en Campanie, en Emilie. Ces bandes devenaient un danger public au dernier siècle de la République.

Quel était le nombre de ces esclaves urbains? Il est malaisé de l'apprécier. L'énumération des fonctions fait un peu illusion, car il est clair que fréquemment le même esclave cumule plusieurs emplois ; mais d'autres sont tout à fait spécialisés; Sénèque plaint celui qui passe sa vie à découper la volaille. Dans la maison de Livie, on classe les esclaves par groupes répartis entre les différents services celui de la chambre et de l'antichambre; celui des bains et de la santé; l'éducation des enfants; la toilette féminine; service d'apparat; culte domestique; service des affaires; dans le columbarium, ce vaste édifice où l'on réunit les urnes funèbres des esclaves et des affranchis de la maison, on relève les indications des fonctions propres à chacun; on y voit que la plupart des emplois que nous avons énumérés avaient leurs titulaires : encore n'a-t-on pas fait place aux esclaves de rang inférieur; on s'en fera une idée si l'on pense qu'il y avait des décurions et des décuries de l'escorte, des gardes de l'entrée, des chambellans, des pédagogues, de l'approvisionnement, du secrétariat, des lecteurs, des médecins, des porteurs, des baigneurs, des portiers. On comprend que la maison privée du prince ait suffi d'abord à l'administration de L'Empire. On ne peut prendre à la lettre les exagérations de Trimalcion et les fastueuses descriptions du Satyricon de Pétrone; un des personnages se vante d'avoir dans ses terres de Numidie une famille servile assez nombreuse pour assiéger et prendre Carthage dans le Banquet des Sophistes, on se moque d'Athènes, dont le plus riche propriétaire n'a que 1000 esclaves; c'est un pauvre hère à côté de ces Romains dont un très grand nombre, affirme-t-on, avaient 10.000 et 20.000 esclaves. C'est beaucoup dire, mais Horace dit que Tigellinus se faisait escorter par 200 esclaves; le chevalier Vettius, criblé de dettes, pent encore armer 400 esclaves; Pedanius Secundus, ayant été assassiné, on mit à mort les 400 esclaves qui se trouvaient ce jour-là dans sa maison; une loi défend d'en affranchir plus de 100 à la fois et, comme on est limité au cinquième, cela suppose déjà plus de 500 esclaves; une autre loi défend aux exilés d'emmener avec eux plus de 20 esclaves. Crassus avait 500 esclaves maçons; il en avait des milliers d'autres qu'il louait, lecteurs, scribes, comptables, commis, hommes d'affaires, maîtres d'hôtel, etc. ou qu'il employait dans les mines, dans ses terres. Caecilius, cité par Pline, laisse par testament 4116 esclaves. Les riches avaient donc à leurs ordres des centaines et des milliers d'esclaves. On ne peut en évaluer exactement le nombre, mais il est vraisemblable qu'au dernier siècle de la République, il balançait celui des hommes libres; après les guerres civiles, dès le début de l'Empire, l'équilibre est rompu en leur faveur.

Prix des esclaves. 
Le prix des esclaves dans le monde romain varia selon leurs aptitudes et selon les temps. Les 1200 prisonniers qu'Hannibal avait vendus en Achaïe furent rachetés à 500 drachmes par tête; Hannibal et Fabius avaient convenu de racheter leurs captifs à raison de 2 livres et demie d'argent par tête. Caton, au siècle suivant, n'a jamais payé d'esclave plus de 1500 drachmes ou même 1500 deniers; c'est un maximum; au temps de sa censure, il frappe comme esclaves de luxe ceux qui ont coûté plus de 10.000 as. Dans les comédies, beaucoup de chiffres sont donnés, mais ils nous sont suspects. Pourtant, il faut tenir compte de l'abondance croissante du numéraire et du rapide avilissement de l'argent; des jeunes filles sont couramment payées 20 et 40 mines; les courtisanes, plus cher encore. 

Au dernier siècle de la République, les prix montent encore; on vend à Antoine deux prétendus jumeaux au prix de 200.000 sesterces; les esclaves lettrés de Sabinus, son Homère, son Pindare, lui reviennent à 100.000 sesterces par tête; Martial donne le même prix pour des femmes et de beaux adolescents; un eunuque de Séjan aurait atteint celui de 500.000 sesterces. Ces prix n'ont rien d'exorbitant à une époque où la valeur de l'argent était à peu près la même que de nos jours; un esclave pêcheur ne coûtait pas, dit Juvénal, autant que le turbot qu'il avait pêché et qu'on vendait 6000 sesterces; Columelle évalue à 8000 un bon vigneron, c.-à-d. le prix de 7 jugères de vigne. On promet 1000 deniers à celui qui ramènera un esclave fugitif; c'est que celui-ci valait davantage; un bel esclave qui a le défaut d'être fugitif est vendu 8000 sesterces, et l'acheteur pense faire une bonne affaire. Dans les affranchissements par rachat, sous forme de vente au dieu, les inscriptions relatent des prix analogues. Plus tard, après les grandes crises qui bouleversèrent l'empire romain, les prix s'abaissèrent pour se relever à d'autres moments; aussi trouve-t-on du temps d'Ulpien le prix de 20 sous d'or  comme limite inférieure du prix d'un esclave; le même prix est indiqué du temps de Constantin; il s'agit d'un fugitif, esclave, dont la valeur est médiocre. Au temps de Justinien, les prix ont encore décru : 10 sous d'or pour un enfant au-dessous de dix ans; 20 sous au-dessus de cet âge s'il n'a pas encore de profession; s'il en a une, le prix peut atteindre 30 sous d'or; celui qui sait écrire vaut 50 sous; le médecin et la sage-femme 60 sous; les eunuques plus encore, 30 sous avant dix ans, 50 au-dessus et, s'ils sont instruits dans quelque art, 70 sous.

Condition légale de l'esclave. 
Les lois romaines s'occupent continuellement d'esclaves; ils figurent dans les lois civiles avec les personnes et les citoyens comme parties contractantes; mais ce n'est pas en eux-mêmes qu'ils ont cette puissance; elle procède de la volonté de leur maître et est une conséquence du droit de propriété. Le citoyen est maître chez lui et même lorsque l'autorité illimitée du père de famille eut été bornée vis-à-vis de ses enfants, elle demeura telle vis-à-vis de ses esclaves. Ceux-ci n'ont rien de la personne, ils ne peuvent rien acquérir qui n'appartienne aussitôt et définitivement à leur maître; ils sont transmis avec son héritage. Si l'un des deux maîtres d'un esclave renoncé à sa part de propriété, celle-ci passe à l'autre qui reste seul maître. Pour affranchir un esclave et satisfaire la foule qui le demande à Tibère, celui-ci s'adresse au maître. L'esclave est une propriété comme une autre; il peut être donné en usufruit ou en propriété, en gage, en louage, en échange, vendu, acquis par prescription (upsu capto), saisi pour dettes. Il n'a aucun des droits des personnes; pas d'état civil, pas de mariage; son union avec la femme n'a pas de caractère légal; c'est une cohabitation (contubernum) qu'il peut cesser quand bon lui semble, que son maître peut faire cesser; pas d'adultère, pas de paternité. « Les parentés serviles, dit Gaïus n'ont rien de commun avec les lois. » Point de propriété; le pécule est défini par la loi « ce que le maître a séparé lui-même de son bien, faisant à part le compte de son esclave ». Le vêtement qu'on lui donne n'est mêe pas adjint à ce pécule. Celui-ci ne suit pas l'esclave vendu on légué, à moins d'abandon spécial déclaré par le maître. Le pécule doit être connu du maître, mais il suffit d'une approbation générale. La promesse de pécule doit être suivie d'effet, sinon elle est nulle; il faut que l'esclave le constitue. Ce pécule comprend de l'argent, des meubles, même des immeubles et d'autres esclaves. Ce que l'esclave doit à son maître se déduit du pécule; mais ce que le maître doit à l'esclave ne peut être revendiqué par celui-ci quand on lui a donné la liberté avec son pécule. L'esclave est tellement la chose du maître que celui-ci ne peut s'obliger à son profit, ne peut l'accuser de vol.

L'esclave est naturellement exclu des charges publiques; la transgression est punie de mort; toutefois, en cas d'urgence, on a enrôlé des esclaves dès la République ou les affranchissait généralement; mais, en temps normal, l'esclave qui se glisse dans l'armée est puni de mort; on cite un esclave qui réussit à se faire nommer préteur; il fut précipité de la roche Tarpéienne. Il est aussi en dehors du droit civil; point d'obligation envers lui; il n'a pas de tête (nullum caput habet); il est assimilé à une personne morte; le legs qu'on lui ferait est nul de plein droit. Il n'a pas d'action en justice, ne peut citer de témoins, ni être, en général, reçu en témoignage, bien qu'il soit interrogé à titre de renseignement; dans une affaire grave on le met à la torture, quoique les Romains n'aient pas le goût des Grecs pour ce genre de procédure. Un esclave ne peut être questionné pour charger son maître, puisqu'il est censé se confondre avec lui. Dès que la guerre civile est apaisée, Jules César interdit la déposition de l'esclave contre son maître; mais l'Empire tourne la difficulté Auguste veut qu'avant de l'interroger, en ce cas, da fasse vendre l'esclave. Du reste, pour quelques crimes domestiques, la loi admettait des exceptions; on y joignit le crime de lèse-majesté, celui de fausse monnaie et de famine factice.

Mais si, par lui-même, l'esclave ne peut rien, comme instrument de son maître; il entre dans tout le mécanisme juridique; partout on lui fait une place égale à celle de l'homme libre, car il représente son maître. Ce qu'on doit à l'esclave, le maître a droit de le réclamer; ce que l'esclave doit, on peut le réclamer au maître; l'acte de l'esclave n'entraîne pas obligation de plein droit; c'est d'abord un simple fait, sans caractère légal, un commencement d'engagement. L'esclave oblige au profit du maître de plein droit, même à son insu, même contre son gré : mais il ne peut l'obliger à ses dépens qu'avec son autorisation expresse; il petit acquérir, mais ne peut aliéner; il ne l'expose à perdre que dans les limites de sa volonté; par l'occupation, il lui crée un titre. Quand on arrive à l'héritage qui implique une combinaison de profits et de charges, il faut le consentement du maître pour accepter l'ensemble; bien entendu, c'est le maître qui devient héritier. L'esclave mandataire du maître, s'il outrepasse son mandat, peut bien lui procurer plus d'avantages, mais ne peut l'engager plus; celui qu'il a mis à la tête d'un commerce ne l'oblige que pour les actes de ce commerce; si l'esclave négocie pour son compte, au su de son maître, le pécule sert de garantie aux créanciers; mais s'il a négocié à l'insu du maître, celui-ci a action sur le pécule pour réclamer ce qui lui est dû, le reste étant attribué aux créanciers. Le consentement du maître est présumé toutes les fois qu'il a eu connaissance des actes de son esclave sans y mettre obstacle; s'il le laisse ouvrir une boutique, il faut qu'il le désavoue ou qu'il annonce publiquement dans quelles limites il l'enferme. L'esclave, en résumé, peut acquérir, mais non aliéner de son chef; par exemple, il peut obtenir hypothèque, mais il ne peut en donner mainlevée. 

Le maître qui a commandé ou laissé commettre un acte coupable par son esclave en devient responsable; il doit de même réparation pour les vols, dommages, injures on violences commises par lui, mais dans les limites de la valeur de l'esclave; celui-ci est assimilé au bétail. Le maître a, d'autre part, recours pour les délits et crimes dont son esclave est victime. Jusqu'ici l'esclave n'est considéré que comme une propriété (mancipium), mais la fiction légale ne va pas jusqu'au bout; s'il commet un crime, il en est responsable devant la société; si c'est à l'insu du maître, celui-ci n'a qu'à le livrer à la loi. L'esclave accusé n'a aucune des garanties des citoyens; il est souvent jugé par les triumviri capitales directement; il n'a pas la faculté d'appel, ni de recours aux tribuns; il est puni plus sévèrement à faute égale; le fouet an lieu de la bastonnade; au lieu des travaux des mines la servitude à la chaîne, chez son maître; pour les travaux forcés à perpétuité on ne distingue pas; mais pour la peine de mort il est mis en croix ou pendu. En revanche, la loi protège l'esclave comme une personne. Nulle distinction pour la peine entre le meurtre d'un esclave et celui d'un homme libre. Il ne s'agit pas ici du maître, lequel a le droit de vie et de mort sur son esclave.

Condition privée de l'esclave. 
La condition privée de l'esclave était moins dure que ne le ferait supposer la loi; il était ménagé, ne fût-ce que comme une propriété qu'on a intérêt à ne pas gâter. Il trouve chez son maître ce qui est nécessaire à la vie, la nourriture, le logement, le vêtement. Dans un domaine rural, les vivres étaient donnés pour un mois au fermier, aux surveillants et aux bergers; pour les premiers quatre boisseaux (34 litres) de blé en hiver, quatre et demi en été; pour le pâtre, plus jeune, trois boisseaux; aux esclaves qui travaillaient aux champs on donnait chaque jour leur ration préparée; en outre du pain, du vin, d'un à trois quarts de litre par jour; ce vin était une abondance où Caton verse même quelques setiers d'eau de mer; on donnait aussi des olives, de l'huile, du vinaigre, de la saumure, du sel; tous les deux ans une tunique sans manches et une paire de sabots ferrés. Les esclaves ordinaires sont assez bien logés, les esclaves enchaînés le sont dans un souterrain. Aux esclaves on accorde quelques adoucissements; mais, pour ne pas trop s'apitoyer, il faut se rappeler que dans ces rudes populations, le petit cultivateur n'est pas mieux choyé; Caton l'Ancien partageait la nourriture et les travaux de ses esclaves; il faisait même allaiter leurs enfants par sa propre femme. 

Les principaux agronomes recommandent de marier les esclaves; quand ils ont une famille, ils sont d'autant plus fidèles; on les laisse former de véritables familles dont les inscriptions funéraires perpétuent le souvenir. Le pécule est aussi respecté; on donne au pâtre une brebis de son troupeau, plusieurs même; au chasseur une prime sur son gibier; on laissait l'esclave épargner sur sa nourriture, faire des travaux supplémentaires. Ce pécule était une mesure des qualités de l'esclave, et, pour le maître, comme une assurance sur sa vie; souvent il convenait de lui vendre sa liberté à un certain prix que le pécule parvenait à atteindre. Mais le pécule, comme la famille de l'esclave, dépendait absolument de l'arbitraire du maître. 

Et que devient l'esclave vieilli, incapable de travailler; son sort est misérable; il risque de mourir de faim; il est vrai que jusqu'à notre époque c'est encore le risque que court le travailleur libre dans beaucoup de pays. L'esclave étant un capital viager est exploité âprement par le propriétaire. Les jours de fête, où la religion oblige à laisser reposer les bêtes de somme, Caton emploie l'esclave à nettoyer les anciennes fosses, paver le grand chemin, arracher les ronces, les mauvaises herbes, bêcher le jardin, broyer le blé, curer les réservoirs, etc.; il n'y a de véritable fête et chômage chez un maître aussi dur que celui des Saturnales, la fête des esclaves. Plus on avance, plus la condition des esclaves risque de s'aggraver; l'extension des propriétés les isole complètement du maître.

Vis-à-vis du pâtre, que l'on ne peut beaucoup surveiller, on a des ménagements; on cherche à le retenir en lui donnant une famille, un intérêt dans le bénéfice; mais on pèse plus lourdement sur l'esclave des champs. On y envoie les mauvais sujets et, pour les empêcher de fuir, on les met à la chaîne; même la nuit, dans l'ergastulum, pour dormir, ils gardent la chaîne. C'est en vain que Pline déplore cette centaine. Entre le maître et les esclaves il y a des intermédiaires, le fermier, villicus. Caton en a dessiné le portrait et celui de la fermière qu'on lui donne toujours pour partager son travail. Souvent le fermier exploite à son profit la situation, fait travailler les esclaves pour lui, trafique à son compte. Les abus se propagent d'autant plus que le maître cesse de venir. L'absentéisme est dans toute époque un grand fléau pour les campagnes, car les capitaux qu'elles produisent étant consommés ailleurs, l'épuisement est certain et inévitable. Du IIe siècle av. J.-C. au Ier après, de Caton l'Ancien à Columelle, le pouvoir du villicus a grandi; les champs négligés par le maître rapportent moins. L'esclave subordonné à un autre esclave, rêve de quitter les champs pour suivre le maître à la ville; l'esclave urbain redoute comme un véritable châtiment d'être envoyé aux champs.

A la ville, le sort des ouvriers n'est guère enviable non plus. Ceux qu'on emploie dans la boulangerie ou la fore sont parfois enchaînés comme dans l'ergastulum de la ferme; ils travaillent sous le fouet; on leur passe un carcan autour du cou pour les empêcher de manger la farine. Nous ne parlons pas de ceux qu'on mutile pour les faire mendier; il n'y a là rien de particulier à l'esclavage. Dans le service domestique, le portier enchaîné à la loge n'est pas bien heureux; les gens occupés aux services inférieurs ont à souffrir les caprices et les sévices des esclaves surveillants ou intendants, qui, ordinairement, sont plus durs que les maîtres. Il est vrai que ceux à qui on a confié une boutique, un bateau, un atelier, sont presque libres; les familiers du maître, bien que traités avec un dédain très grand par lui, se rattrapent; on dit que César lui-même flattait les affranchis et les esclaves des gens qu'il voulait gagner à sa cause. C'est à la ville que l'intermède des Saturnales égayait le plus les esclaves; on les étend, César à trois jours, Auguste à quatre, Caligula à cinq; on les porte enfin à sept jours. La familiarité avec le maître n'avait pas que des avantages; on y récolte aussi des coups : les verges, le bâton, les étrivières ne sont pas ménagées; rares sont les esclaves dont le dos ne porte pas la trace de ces corrections; viennent ensuite les menottes, les entraves, la fourche au cou, l'envoi à la prison de campagne, au moulin, aux carrières, qui sont l'enfer de l'esclave qui y travaille sous le fouet jusqu'à l'épuisement complet. 

La fuite est très dangereuse et difficile. Où s'enfuir? Chez un particulier, il sera condamné pour recel; dans un temple, le droit d'asile admis par les Grecs est écarté par les Romains; la jurisprudence permet seulement à l'esclave d'aller chez un ami du maître le prier d'intercéder en sa faveur. Le fugitif est marqué au fer rouge, heureux si son maître ne l'envoie pas à l'amphithéâtre, le livrant aux bêtes, ou ne lui inflige pas quelque atroce supplice, le mutilant ou le faisant mettre en croix ou brûler vif, le donnant au théâtre pour représenter au naturel un supplice mythologique, celui d'Hercule ou de Prométhée, le faisant dévorer par les murènes, comme faisait Vedius Pollion, un ami d'Auguste; le souverain lui-même fit crucifier son homme d'affaires pour avoir mangé une caille de combat. La condition de l'esclave est donc essentiellement précaire; il n'a nulle garantie; le maître l'exploite, sans autre limite que celle de son propre intérêt.

Que pouvaient être les moeurs de l'esclave! On recherche et on encourage en lui les qualités morales, honnêteté, goût du travail, docilité, vigilance, économie, discrétion. Le dévouement au maître, jusqu'à la mort, n'était pas rare. Mais souvent le maître déprave son esclave, soit qu'il s'en fasse un instrument de plaisir ou qu'il l'exploite; Haterius put plaider que l'impudicité, crime chez l'ingénu, est un devoir chez l'affranchi, une nécessité chez l'esclave. En ne veillant pas à maintenir la moralité chez l'esclave, on nuit au maître, car, abandonné à la simple notion de son intérêt, il s'aperçoit que continuellement cet intérêt est opposé à celui du maître. Les comédies de Plaute et de Térence sont significatives à cet égard. Que de fois l'esclave grec, bien plus fin et bien plus vicieux que son maître, lui est bien supérieur? Quelle est la conclusion? « L'esclave qui, sans être en faute, redoute néanmoins le châtiment, est le seul qui serve bien son maître. » La morale se réduit à la politique. L'esclave endurci par les mauvais traitements finit par devenir insensible; à moins que, poussé à bout, il ne se révolte. Les guerres serviles, qui mirent en péril la société romaine, mirent à nu la plaie de l'esclavage, surtout de l'esclavage rural, tout en montrant combien la société avait déjà été profondément atteinte par l'influence démoralisante de l'esclavage. (A.-M. B.).

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