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La civilisation romaine
L'armée romaine
L'armée primitive. 
Aussi loin que nous remontons dans l'histoire de Rome, nous voyons l'armée s'identifier d'une façon absolue avec la cité. Tout citoyen, c.-à-d. tout patricien, est par le fait même, de sa naissance soldat, et doit servir en temps de guerre. Au temps de Romulus, dit la tradition, l'armée se composait de 3000 fantassins (milites) et de 300 cavaliers (celeres ou equites), fournis par les trois tribus dont se composait la cité (Ramnes, Titii, Luceres); elle était subdivisée en trois troupes de 1000 milites et de 100 celeres, chaque troupe ne renfermant que des soldats de la même tribu de cette manière, l'armée présentait comme l'image en raccourci de la cité romaine. Chaque troupe était commandée par "un homme de la tribu", un tribunus. La cavalerie avait son chef spécial, le tribunus celerum (quoique la question du tribunus celerum n'ait pu être encore résolue par les érudits). L'armée tout entière était commandée par le chef de la cité, le roi. Sous le roi Tullus Hostilius, l'effectif de la cavalerie fut doublé par l'adjonction de 10 turmae (la turma étant de 30 equites) de cavaliers albains (d'après Tite-Live, 1, 30). Tarquin l'Ancien porta à 1800 hommes l'effectif de la cavalerie romaine, et, comme nous l'apprend Cicéron, l'organisa à peu près de la manière où elle demeura constituée jusque sous la République (De rep., 2, 20). L'organisation de l'infanterie fut, en revanche, complètement remaniée par Servius Tullius, dont la réforme créa véritablement l'armée romaine de l'époque classique.

La réforme de Servius Tullius.
Servius Tullius voulut que les plébéiens, quoique n'étant pas véritablement des citoyens, servissent à l'armée, aux mêmes conditions que les patriciens; tout habitant de l'État romain, propriétaire de biens-fonds (locupletes, assidui), doit le service actif (juniores) depuis l'âge de seize ans révolus (? quelques-uns disent dix-sept ans) jusqu'à la fin de sa quarante-cinquième année (? quarante-sixième année d'après quelques-uns) soit pendant trente ans, Au delà, le Romain sert dans la réserve (seniores). On s'explique pourquoi les riches seuls doivent servir : le soldat romain est toujours tenu de s'équiper, de s'armer et de se nourrir à ses frais. Les pauvres, les prolétaires (capite censi, proletarii) ne prennent les armes qu'en cas de nécessité absolue, de tumultus; et dans ce cas, ils sont armés et entretenus aux frais du trésor public. Ce rapport entre la service militaire et la fortune est la base de tout le système de l'armée romaine depuis Servius jusqu'à la fin de la République, et il règle le détail même de l'organisation des troupes. L'armée romaine (exercitus) est divisée en classes ou appels (classes) : ces classes sont formées d'après le revenu des citoyens. Ces classes sont divisées en compagnies (centuriae); dans chaque classe, les centuries sont réparties en centuries actives (ou de juniores) et centuries de réserve (ou de seniores); enfin, à chaque classe se trouvent annexées des compagnies de musiciens ou d'ouvriers (fabri).

La cavalerie conserve l'organisation qu'elle a reçue sous Tarquin l'Ancien, avec ses 18 centuries, son effectif de 1800 hommes; elle est rattachée à la première classe, ne se composant que des plus riches citoyens. Le cheval leur est d'ailleurs fourni par l'État. Chaque classe avait un armement spécial, plus ou moins complet, suivant le cens des citoyens qui la composaient. La première classe possédait l'armure complète, à savoir le casque en métal ou gales, la cuirasse (lorica), les jambières (ocreae), le bouclier rond en métal ou clipeus. La seconde classe était armée du bouclier carré en bois recouvert de cuir ou scutum et n'avait pas de cuirasse; la troisième manquait d'ocreae. Ces trois classes formaient, sur le champ de bataille, la phalange ou l'ordre compact : en dehors, les soldats de la quatrième et de la cinquième classe formaient l'infanterie légère, destinée à opérer en avant de la phalange. Les ouvriers et les musiciens étaient équipés par les soins de l'Etat, étant pris, vu les besoins du service, parmi les pauvres. Cette organisation fut complétée par les réformes de Camille qui fit décider, vers 406-400 : 1° qu'une solde (stipendium) serait allouée, en temps de guerre, aux citoyens servant sous les armes; 2° qu'indépendamment des 18 centuries de cavaliers, il y aurait d'antres cavaliers spécialement annexés à chaque corps de fantassins; 3° qu'on créerait une VIe levée ou classe, renfermant les citoyens possédant au moins 4000 as; 4° enfin, les subdivisions de l'armée furent modifiées, et l'on renonça en partie au principe de la division par classes pour y substituer celui du groupement, suivant l'âge et par centuries.

L'armée de la République. 
L'armée romaine, telle quelle était formée après Camille, n'était pas permanente : les levées avaient lieu en temps de guerre, suivant les besoins du moment. A chaque nouvelle levée d'hommes, il fallait constituer à nouveau tous les cadres de l'armée. Levée et organisation de l'armée appartenaient aux magistracs souverains de l'Etat, aux rois d'abord, puis aux consuls, le Sénat décidant, d'ailleurs, au préalable, quel devait être l'effectif de l'armée. L'unité militaire, pour ainsi dire, étant la légion, le Sénat disait combien on devait lever de légions : le chiffre normal était de quatre légions (Polybe, 6, 19).

Au jour fixé par l'édit des consuls annonçant la levée, tous les citoyens valides en âge de porter les armes (la levée immédiate ne visait d'ailleurs que les juniores) se réunissaient sur le Capitole. On commençait par trier ceux qui devaient servir comme cavaliers légionnaires, puis on choisissait les fantassins, en tirant au sort les noms des citoyens jusqu'à ce que l'effectif décidé fût réalisé. Le consul était seul juge des cas de réforme on d'exemption : et il y avait des peines sévères contre ceux qui ne, répondaient pas à l'appel de leur nom. Tout citoyen devant le service militaire, qui ad dilectum non respondebant, ut proditores libertatis in servitutem redigebantur : les insoumis étaient réduits en esclavage, comme traîtres à la liberté de l'Etat (Digeste, 49, 16, 4, 10) : chaque citoyen choisi pour servir (dilectus) prêtait serment séparé (sacramentum) devant le consul.
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Fantassin romain.
Un fantassin romain.

C'était ce qu'on appelait la levée régulière (legitimus dilectus). En cas de danger de la patrie, de tumultus, on procédait autrement : il y avait levée en masse, ou conjuratio; il n'y avait ni tirage ni triage ni serment individuel. On faisait appel à tous les citoyens et un les inscrivait pêle-mêle dans l'ordre où ils se présentaient; puis on les faisait prêter serment en masse, d'où le nom de conjuratio (Servius, ad Aen., 8, 1). Il y eut, enfin, sous la République, ce qu'on appelait les "rengagés", evocati : c'étaient d'anciens soldats ayant fait leurs années de service et reprenant les armes spontanément.

Les légions ainsi formées, comment étaient-elles organisées? Les légions sont commandées par les consuls, chefs suprêmes de l'armée romaine. Il y a d'ordinaire deux légions sous les ordres d'un seul consul, et elles forment ce qu'an appelle l'armée consulaire, exercitus consularis. La légion elle-même n'a pas de commandant spécial; elle dépend de six tribuns militaires (tribun militum), qui commandent chacun à tour de rôle, alternant soit de jour en jour, soit de mois en mois : d'abord choisis par les consuls, puis élus par le peuple en partie d'abord (6 depuis 362; 16 depuis 311), en totalité ensuite (depuis 207), les 24 tribuni militum étaient nommés pour un an. Ces tribuns appartenaient toujours à l'aristocratie de Rome, et presque en règle générale, on ne les choisissait que parmi les jeunes gens qui se destinaient à la carrière des honneurs; s'ils étaient de naissance sénatoriale, on les appelait tribuns au laticlave (tribuni laticlavii) du nom du vêtement réservé aux sénateurs. Les autres, du fait même de leur nomination au grade, avaient rang de cavaliers, c'étaient les tribuni angusticlavii. Toutefois, pour que le tribun ne fût pas absolument incapable de commander, on décida qu'il devait avoir fait soit cinq campagnes (pour quatorze tribuns), soit dix (pour les dix autres), et la règle était, en outre, qu'on choisit les tribuns parmi les jeunes gens ayant déjà exercé quelque fonction publique. Il y avait une autre classe de tribuns, ceux que créa une lex Rutilia Rufa (d'où leur nom de tr. mil. rufuli); c'étaient des tribuns complémentaires, nommés directement par les consuls. Au-dessous des tribuns étaient les centurions les centurions étaient, avec les tribuns, les seuls officiers de la légion. Ils étaient divisés, du reste, en classes, suivant la nature de la compagnie à laquelle ils commandaient : l'organisation du centurionat était calquée sur celle des subdivisions de la légion. 

A la phalange de Servius Tullius, à la légion en ordre compact subdivisée en trois groupes formés des trois premières classes de citoyens, on avait substitué, depuis le Ve siècle avant notre ère, le frac tionnement de la légion suivant les centuries, les centuries formées d'ailleurs elles-mêmes d'après l'âge et l'armement des soldats. C'est ce qu'on a appelé la tactique manipulaire, essentiellement romaine, par opposition à la phalange de Servius. L'unité tactique est ce qu'on appelle le manipule, formé de deux centuries : le nombre des manipules et des centuries est toujours le même; il y a 30 manipules et 60 centuries par légion, quel que soit l'effectif de cette dernière. Mais les manipules n'avaient pas tous le même effectif : leur force variait suivant l'âge des soldats, la nature de l'arme. Sur une légion de 4200 hommes, effectif normal, il y avait : 1200 hastati, possédant l'armure complète et armés du javelot, choisis parmi les plus jeunes et groupés en 10 manipules de 120 ou 20 centuries de 60 hommes; - 1200 principes, armés et groupés de la même manière, mais choisis parmi les citoyens d'âge mûr; - 600 triarii, armés de la lance et choisis parmi les plus âgés : ils formaient 10 manipules de 60 hommes ou 20 centuries de 30; - les velites, au nombre de 1200, formaient une quatrième classe, composée des plus pauvres citoyens et des plus jeunes; c'était l'infanterie légère; elle ne formait pas de centuries distinctes, mais était répartie entre toutes les centuries, à raison de 20 vélites par chacune des 6O centuries. A ces 1200 hommes, il faut joindre, pour avoir l'effectif complet de la légion, 300 cavaliers formant 10 turmae. - Sur le champ de bataille, on combattait par manipule, chaque manipule ayant son étendard particulier, ou signum, hampe droite ornée d'un insigne; les manipules des hastati étaient placés sur le front de bataille, puis venaient ceux des principes, enfin ceux des triarii; les manipules étaient séparés les uns des autres par des intervalles qui servaient à l'évolution des velites. L'ensemble d'une armée romaine rangée en bataille (acies) présentait donc à peu près l'aspect d'un échiquier.

L'organisation du commandement, dans l'intérieur de la légion, était modelée sur celle de la tactique. Chaque manipule a deux centurions : celui qui commande la première centurie, ou centurion prior, celui qui commande la seconde (c. posterior). L'ensemble des centurions était hiérarchiquement groupé, suivant les corps auxquels ils commandaient : les centuriones triarii (on disait centuriones pili) étant les premiers en grade, les c. principes les seconds, les c. hastati les troisièmes; dans chaque manipule, le c. prior était supérieur au c. posterior. On avançait d'un rang à l'autre dans le centurionat à peu près de la manière suivante :

60° rang : decimus hastatus posterior. 
59°-51° rangs : IX-I hastatus posterior. 
50°-41° - : X-I hastatus prior. 
40°-31° - : X-I princeps posterior. 
30°-21° - : X-I princeps prior. 
20°-11° - : X-I pilus posterior.
10°-2°   -  : X-II pilus prior.
1er  rang :  primus pilus.
Le premier centurion en grade était le commandant de la première centurie du premier manipule des triarii. C'était le primus pilus ou primipilus par excellence : aussi l'appelait-on ainsi simplement. C'était le premier officier de la légion après le tribun; il avait la garde de l'étendard de la légion: il assistait aux conseils de guerre.

La légion se composait uniquement de citoyens romains. Le principe qu'un légionnaire ne pouvait être qu'un citoyen romain n'a jamais varié ni sous la République ni sous l'Empire. Mais à côté des légions, il y avait le contingent fourni par les villes alliées italiennes, les troupes dites auxiliaires, ou socii. Les troupes alliées étaient groupées suivant la ville qui les avait fournies, chaque ville envoyant sa cohorte, cohors, commandée par un homme du pays, praefectus cohortis; les cohortes étaient réunies en ailes et chaque aile était commandée par trois officiers appelés préfets des alliés (praefecti sociorum), ceux-là Romains et choisis par le consul. L'aile alliée correspondait à peu près à la légion et les préfets des alliés aux tribuns militaires. La cavalerie alliée est groupée en alae equitum commandées par des praefecti equitum nommés par le consul.

La légion et l'aile alliée forment les troupes ordinaires de l'armée romaine. Il y a à côté des troupes extraordinaires ou d'élite, à savoir : 

1° troupes extraordinaires : les auxilia, formés de corps de troupes d'origine non italienne, envoyés par les rois ou recrutés chez les Barbares

2° troupes d'élite, divisées elles-mêmes en deux corps correspondant aux légions et aux ailes : la cohorte prétorienne (cohors praetoria) chargée surtout de la garde de la tente du général en chef (praetorium et praetor), composée surtout de rengagés ou evocati et aussi, semble-t-il, de jeunes gens de grande famille, amis, parents ou élèves du général; les cohortes et les ailes extraordinaires (cohortes et alae extraordinariae) prises dans la cavalerie et d'infanterie alliées et chargées surtout de la garde du camp. 

Depuis Camille, nous l'avons vu, tout légionnaire recevait une solde (stipendium) du trésor public de Rome. L'administration de l'armée et le paiement de la solde étaient confiés aux questeurs, aides des consuls en cette matière. Comme la solde, dit Polybe (6, 39), n'est pas le paiement du service militaire, mais une simple indemnité, on décompte de la somme les fournitures en blé, vêtements, armes, faites par l'Etat. Quant aux troupes alliées, l'Etat ne se charge pas de les payer, mais leur donne des rations en nature, destinées à leur entretien.

Le général romain est le maître absolu de ses soldats, leur juge naturel aussi bien que leur chef. Tout délit commis par un soldat en armes est justiciable de ses chefs, car la discipline était la chose du monde à laquelle l'Etat romain tenait le plus. Les peines étaient très rigoureuses. C'étaient : 1° la réprimande (castigatio) sans retenue de solde ni corvée. Toutefois, si elle était appliquée pour paresse à l'exercice, le soldat voyait une ration d'orge se substituer à sa ration de blé; - 2° la retenue de solde (pecuniaria multa) : trois retenues de ce genre pouvaient mêime entraîner la condamnation à mort; - 3° la corvée (munerum indictio); - 4° le changement de service (militiae mutatio) : le hastatus devenait par exemple vélite; - 4° la dégradation (gradue dejectio) de un ou plusieurs rangs; 6° le congé infamant (ignominiosa missio) prononcé toujours avec solennité. Le général, en présence de toute l'armée en armes, disait au coupable : « Je n'aurai plus besoin de toi » : tua jam opera non utar. Le soldat sortait des rangs et quittait ses armes et ses vêtements militaires; - 7° la flagellation (fustuarium), exécutée d'abord par le tribun, puis par tous les soldats de la légion la mort s'ensuivait d'ordinaire; si le condamné en réchappait, il était noté d'infamie pour le reste de sa vie; - 8° la peine de mort (capitis damnatio), appliquée soit par voie de lapidation, soit à coups d'épée, soit par crucifixion ou par décapitation; - 9° la décimation : en cas de sédition on de fuite d'un corps de troupes, on tirait au sort un dixième ou un vingtième des coupables, pour être battus de verges ou décapités.

Le système des récompenses était réglé aussi minutieusement que celui des peines. A l'origine, comme nous l'apprend Polybe (6, 39), lorsqu'un soldat s'était particulièrement signalé pendant la bataille, le général, le faisant venir sur le front de l'armée, lui rappelait avec éloge sa bravoure - ce qui équivalait à une citation à l'ordre du jour, puis il recevait un harnais si c'était un cavalier, une lance si c'était un fantassin. Plus tard, il y eut des récompenses plus variées, consistant en colliers d'or et d'argent (torques) qu'on portait soit sur le cou, soit autour de la poitrine; - des bracelets en spirale (armillae); - des médaillons d'or ou d'argent (phalera); - des aigrettes ou des cornes qu'on portait sur les casques (cornicula); - puis venaient les récompenses plus sérieuses, plus importantes, consistant en couronnes (coronae) : couronne vallaire (c. vallaris ou castrensis), pour le soldat qui avait escaladé le premier le retranchement ennemi; - murale (c. muralis) pour celui qui entrait le premier par escalade dans une ville ennemie; - navale (classica ou navalis), pour le matelot monté le premier à l'abordage d'un vaisseau. Ces trois sortes de couronnes étaient d'or. Elles étaient cependant moins estimées-que les couronnes d'olivier (c. oleagina), pour l'officier qui a contribué à la victoire; de chêne ou civique (c. civica, quernea), la plus élevée des récompenses militaires, décernée à celui qui avait sauvé la vie à un Romain et tué son adversaire : la couronne portait l'inscription : OB CIVEM SERVATVM; le citoyen qui l'avait obtenue, dit Pline l'Ancien (31, 4), était exempté de toutes les charges publiques, prenait place parmi les sénateurs et faisait participer son père à toutes ses faveurs. Enfin, comme récompenses particulières aux généraux, il faut citer la couronne de siège (c. obsidionalis), faite de gazon et offerte par l'armée romaine à son général; la couronne de l'ovation (c. ovalis), celle de triomphe (c. triumphalis); le triomphe et l'ovation, enfin, cérémonies diverses. 

L'armée à la fin de la République.
A partir de la fin du IIe siècle avant notre ère, l'armée romaine subit des changements considérables qui devaient en modifier complètement l'organisation et créer une armée toute différente de celle de la République. C'est à Marius surtout qu'il faut rapporter ces changements : c'est l'administration militaire de Marius qui déforma l'armée de la République créée par Camille. D'abord, on cessa de lever les soldats d'après leur fortune : tous les prolétaires, les pauvres, les gens sans aveu ni avoir, à la condition qu'ils fassent citoyens, purent servir : cela arriva pour la pre mière fois, disent les historiens, en l'an 107, lorsque Marius fut chargé de la guerre contre les Cimbres. Dès lors, l'armée romaine, au lieu d'être une réunion de citoyens riches, intéressés à défendre la patrie, fut un ramassis de pauvres, qui cherchaient dans le service militaire un gagne-pain : l'armée devint mercenaire, à la merci des ambitieux, comme dit Suétone (Guerre de Jugurtha, 87, 3). Une autre mesure acheva d'enlever aux légions leur caractère national : en 89, le droit de cité fut accordé aux Italiens qui, dès lors, ne servirent plus que comme légionnaires; désormais, les contingents des socii disparaissent, puisqu'il n'y a plus de socii italiens; en revanche, les auxilia augmentent en proportion, et ces auxilia sont de plus en plus recrutés parmi les provinciaux et les Barbares d'au-delà des Alpes ou des bords du Danube. 

Le même Marius, pendant la guerre sociale; ouvrit les rangs des légions aux affranchis; et peu après, Pompée et César acceptèrent comme légionnaires tous les provinciaux qui auraient reçu d'eux le titre de citoyens. Marius encore, en gardant les soldats sous les drapeaux, fit établir en principe un service militaire continu de seize ans : il fit préter serment aux conscrits non plus pour l'année, mais pour tout le temps qu'il plairait au chef de les garder. Vers la même époque disparaissent toutes les distinctions en vélites, hastati, etc. : tous les soldats de la légion sont armés de la même matière. Les manipules sont également supprimés, et, tout en conservant la division en centuries, on établit un autre groupement par cohortes, à raison de six centuries par cohorte. Par suite, l'étendard du manipule fut supprimé : on donna à la cohorte un vexillum, à la légion un aigle. L'importance de la légion s'accrut encore; on commença à donner à chacune d'elles un numéro d'ordre, un nom, des épithètes. Et, enfin, sous César, pendant la guerre des Gaules, elle reçut un chef spécial, un légat. Dès lors, la transformation de l'armée romaine était achevée.
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Les camps de guerre

Les camps romains avaient ordinairement la forme d'un carré fermé par un fossé et par un parapet surmonté d'une palissade. Il y avait une porte sur chaque face. La porte prétorienne était tournée vers l'ennemi, la porte opposée s'appelait décumane et les deux autres étaient dites principales de droite et de gauche. Deux rues se coupant à angle droit aboutissaient à ces portes et partageaient le camp en quatre parties égales. 

Les Romains établissaient leurs camps avec une très grande rapidité; ils les fortifiaient toujours, mais la force des retranchements variait nécessairement avec la durée de leur séjour. Ils campaient dans l'ordre de marche, c.-à-d. que l'avant-garde occupait la partie du camp la plus rapprochée de l'ennemi, appelée partie supérieure.

Le forum, le logement du général (praetorium) et ceux des tribuns militaires se trouvaient au centre; les légions se plaçaient dans la partie inférieure (opposée à l'ennemi). Les soldats couchaient sous des tentes de peaux; quelquefois aussi ils construisaient des baraques, comme on le voit dans le récit du siège de Véies. On appelle aujourd'hui camps de César les vestiges d'anciens camps romains ou autres qu'on découvre le plus souvent près des voies romaines.

L'armée sous l'empire. 
Sous l'empire, le principe du service militaire est le même que sous la République. Tout citoyen le doit. Seulement, l'empire était assez vaste, les guerres trop peu nombreuses pour qu'on fût obligé d'appeler chaque année tous les citoyens sous les armes. Ces appels n'avaient lieu qu'en cas de danger, par exemple après le désastre de Varus, lors de la chute de Néron, lors de l'invasion de l'Italie par les Marcomans sous Marc-Aurèle. En temps ordinaire le recrutement des légions était assuré par les engagements volontaires ou par les rengagements. Il y avait assez de citoyens aimant la carrière des armes pour que le service militaire prit être regardé, à certains égards, comma un métier. C'était ce qui a fait dire, par exemple, qu'Auguste dispensa les Romains de l'Italie des fatigues de la guerre (Hérodien, 2, 11) : c'est là le résultat d'un fait, mais ni Auguste ni ses précurseurs n'exemptèrent les Italiens du service militaire par une loi formelle. Si les Italiens ne servent pas, c'est qu'il n'y a pas de raison pour les appeler et que, comme dit le Digeste (49, 16, 4, 18), les enrôlements volontaires suffisent Plerumque voluntario milite numeri supplentur. Le fait diffère, le droit est le même que sous la République.

En fait, on leva encore un assez grand nombre de soldats en Italie pendant le Ier siècle. Mais déjà sous Vespasien, ces levées étaient assez rares pour qu'on pût appeler la légion militia provinciales fidelissima. L'Italie ne donne guère que des prétoriens. Dès la fin du IIe siècle, les soldats sont fournis presque exclusivement par les deux régions les plus guerrières de l'empire, la Gaule et la vallée du Danube. C'est, en particulier, la vallée du Danube qui fait la force militaire de l'empire : Septime Sévère décide même que les soldats du prétoire seront choisis surtout parmi les anciens légionnaires du Norique ou de la Pannonie

Un autre fait qu'il importe de noter et qui résulte des listes de soldats dressées par les soins de Mommsen (Ephemeris Epigraphica, IV), c'est que les corps de l'armée romaine, aussi bien les légions que les troupes auxiliaires, avaient chacun une sorte d'unité géographique et ethnographique on s'arrangeait de manière à ce que les soldats d'une même troupe fussent des compatriotes et qu'ils fussent originaires du pays même qu'ils étaient chargés de défendre. Du reste, rien de plus légitime : les levées n'étaient pas générales à tout l'empire, elles avaient lieu tantôt à l'Est, tantôt sur le Rhin, tantôt sur le Danube, elles avaient pour but de compléter l'effectif des légions campées à cet endroit : il était naturel de verser dans les corps de la province les conscrits recrutés dans la province même. De là, la naissance dans les armées d'un esprit de corps très marqué et qui apparaît visiblement dans toutes les guerres civiles de l'empire. Enfin, les armées demeurant toujours aux frontières, il se créa rapidement une sorte d'esprit militaire en opposition avec l'esprit civil; on distingua le soldat, ou plutôt le soldat se distingua volontiers du citoyen, distinction absolument inconnue à l'époque républicaine.

Le choix des soldats appartenait à des légats impériaux, dilectatores, legati ad dilectum, aidés par des agents subalternes, anciens tribuns ou anciens centurions. Leur fonction était d'examiner les qualités physiques et morales de ceux qui se présentaient pour servir; les conditions requises pour le service militaire étaient : pas d'infirmités, une taille de cinq pieds dix pouces, 16 ans révolus. Si l'on voulait servir dans une légion, il fallait être citoyen romain : condition que les empereurs éludaient constamment, puisqu'il n'y avait guère que des provinciaux parmi les légionnaires; ils accordaient purement et simplement le droit de cité au provincial avant de l'envoyer dans une légion, et c'est surtout de cette manière que le droit de cité romaine s'est répandu avec une telle rapidité dans l'Empire romain. Les non-citoyens, qu'ils soient sujets de l'Empire ou Barbares, servent dans les auxilia. On voit que la distinction traditionnelle entre la légion - romaine - et les auxilia - étrangers - subsiste toujours. Les corps spéciaux se recrutent d'une façon particulière : la garde prétorienne et la garde urbaine, parmi les jeunes Italiens, et, depuis Septime Sévère, parmi les soldats des légions; les corps de police et la flotte sont fournis par les affranchis, les esclaves ou les pérégrins. Le temps de service est de 25 ans; d'ailleurs, on trouve bon nombre de légionnaires ayant servi 40 à 45 ans. Ces prolongations de service semblent avoir été parfois imposées par l'empereur. Souvent même, une fois libéré, le soldat pouvait reprendre service en qualité d'evocatus Augusti. Il paraît, du reste, que ces rengagements ne sont permis qu'aux soldats privilégiés, à ceux qui font partie des cohortes prétoriennes et urbaines.

Le simple soldat porte le nom de gregalis, caligatus. Mais il y a désormais des catégories infinies de soldats, dont on a pu retrouver la liste, grâce aux inscriptions. On distingue entre le soldat exempt de corvées (immunis) et l'autre (munifex), entres soldats ordinaires et les principaux (principales) ou sous-officiers qui paraissent avoir été en nombre considérable : sous-officiers auxiliaires ou optiones; ordonnances, cornicularii; courriers, singulares; instructeurs, doctores, campidoctores; secrétaires, commentarienses; scribes, librarii, notarii, exceptores, codicillarii; archivistes, tabularii,capsarii; teneurs de livres, actarii; caissiers, arcarii; préposés aux diverses fournitures, horrearii (pour les greniers), pecuarii (pour les vivres), armorum custodes, a balneis; préposés aux tribunaux militaires, quaestionarii (pour la torture), carcerarii (pour la prison); agents du culte, victimarii, haruspices; musiciens, tubicines, cornicines, bucinatores; les porte-drapeaux, signiferi, vexillarii, etc.

Au-dessus des principales et des immunes venaient les centurions échelonnés comme par le passé, du centurion de la dernière centurie de la dernière cohorte à celui de la première centurie de la première cohorte ou primipile; le primipile garde toujours le rang qu'il avait autrefois: il est d'usage maintenant qu'on le fasse chevalier. Dans l'intérieur de la cohorte, on distingue encore les centurions en hastati, principes et pile, sans que ces noms désignent autre chose que des différences de rang.

Au-dessus des centurions, les officiers des milices équestres, à savoir : le praefectus cohortis (troupes auxiliaires), tribunes militum (légion), praefectus equitum. Plus tard, le primipilat (?) fut regardé également (sous Sévère?) comme une milice équestre. On appela a quatuor militiis le soldat qui avait passé par ces quatre grades.

On distinguait dans l'armée romaine d'alors : 1° les légions, comprenant 10 cohortes, 60 centuries, commandées chacune par un légat assisté de six tribuns, chevaliers ou fils de sénateurs de rang prétorien, et d'un praefectus castrorum, lequel, à partir de Gallien, remplace le légat dans le commandement de la légion; il y a 23 légions à l'avènement d'Auguste, 33 sous Septime-Sévère; l'effectif normal est de 6000 hommes; - 2° les troupes auxiliaires formant soit des cohortes, soit des ailes, commandées celles-là par des praefecti coh., celles-ci par des praefecti equitum. La cohorte est un corps d'infanterie légère, l'aile un corps de cavalerie. A partir de Vespasien, on voit apparaître des cohortes pourvues de cavaliers (coh. equitatae). Quelques cohortes renferment des volontaires italiens. L'effectif de ce corps est de 500 ou de 1000 hommes pour les cohortes, 480 ou 960 cavaliers pour les ailes. L'armement diffère essentiellement, suivant le pays où le corps a été levé. Les noms des troupes rappellent soit leur manière de servir (coh. scutata, coh, sagittariorum, ala catafractarum), soit plus souvent leur pays d'origine (ala Gallerum, cohors Nerviorum, ala Batavorum), soit le nom de l'empereur ou du général qui les a formées (ala Claudiana nova, ala Flavia pia fidelis, cohors prima Flavia Aquitanica). Elles possèdent, en outre, des numéros d'ordre, au cas où plusieurs d'entre elles ont reçu le même nom  : c'est ainsi qu'on trouve au moins 7 cohortes Breucorum, 5 cohortes Dalmatarum, 14 cohortes Rauricorum. Le nombre total des cohortes et des ailes de l'empire nous est inconnu; il a dû varier, mais très certainement, il a dû atteindre et dépasser le chiffre de 500. Indépendamment de ces deux catégories de soldats provinciaux, nous trouvons des numeri, sur lesquels nous sommes assez peu renseignés, qui semblent se rapprocher beaucoup des troupes auxiliaires et qui n'apparaissent, d'ailleurs, qu'assez tard. Quant à ce que les inscriptions appellent les vexillationes, lesquelles étaient placées sous las ordres de praepositi, ce sont des détachements provisoires, formés de troupes légionnaires et auxiliaires groupées momentanément pour les besoins de la guerre.
 

 Les sagittaires

Les sagittaires (sagittarii) constituèrent toujours, dans l'armée romaine, une troupe auxiliaire; ils ne faisaient pas partie de la légion. Ce fut peut-être au début des guerres puniques que les Romains recrutèrent des archers, en même temps que des frondeurs (funditores), pour se défendre plus efficacement contre les archers et les frondeurs des armées carthaginoises. 

Les sagittarii étaient sortent des fantassins; sous l'Empire, on trouve pourtant des corps d'archers montés. Rome les recruta principalement en Numidie et en Maurétanie, en Crète, en Asie Mineure et en Syrie. Les archers formaient des cohortes auxiliaires; ils gardaient leurs armes nationales. 

Les documents épigraphiques de l'époque impériale nous ont fait connaître plusieurs cohortes d'archers, entre autres une cohorte d'archers apaméniens, une cohorte d'archers chalcidiens, une cohorte d'archers thraces; la ville d'Emèse fournissait, sous les Gordiens, une cohorte d'archers montés; des archers thraces constituaient une aile de cavalerie. Au Bas-Empire, on trouve des archers parmi les troupes du palais impérial. 

On donnait aussi, chez les Romains, le nom de sagittarii aux ouvriers militaires qui fabriquaient les flèches. (J. Toutain).

Les troupes d'élite et les troupes municipales de la ville de Rome étaient : 1° les cohortes prétoriennes, institution qui dérive directement de la coh. praetoria des armées de la République. Elles sont chargées spécialement de la garde de l'empereur : leur nombre est de 9 ; porté à 16 par Vitellius, ramené à 9 par Vespasien, reporté à 10 par Domitien (??). Depuis Tibère, elles campent dans un camp (castra) fortifié, à Rome même, devant la porte Viminale. L'effectif de la cohorte prétorienne est de 1000 hommes, que commande un tribun ayant sous ses ordres des centurions-chefs : les praefecti praetorio; - 2° les cohortes urbaines, au nombre de trois, campées à Rome, près du forum suarium. Elles sont organisées comme les précédentes. Chef : le pr. urbi; - 3° les cohortes vigilum, au nombre de sept, fortes chacune de 1000 hommes, réparties entre les 14 régions de Rome, chargées de veiller à la police nocturne et aux incendies. Chef : le praefectus vigilum; - 4° les germani corporis custodes, esclaves germains appartenant à l'empereur et formant la garde privée; ils sont supprimés en 69; - 5° les equites singulares Augusti, qui sont créés vers 90 et recrutés parmi les meilleurs soldats des troupes auxiliaires, sont chargés de la garde des empereurs; - 6° les peregrini et les frumentarii, sorte de police de sûreté, dont un ignore l'organisation et l'origine. - L'ensemble de l'armée romaine, avec ses 33 légions, son demi-millier de troupes auxiliaires, ses troupes d'élite, ses milices municipales, ses flottes, devait probablement atteindre un million d'hommes. L'empereur, en sa qualité d'imperator, était le chef suprême de toute cette armée. L'intermédiaire entre lui et les commandants des corps spéciaux était marqué par les gouverneurs des provinces militaires, legati, qui commandaient à toutes les troupes stationnées dans leur district. 

La vie militaire, on le voit par ces chiffres, devait donc être singulièrement intense sous l'empire. Ajoutez à cela qu'elle se prolongeait bien au delà du temps de service et que l'ancien soldat avait des droits et des privilèges qui le distinguaient nettement du simple citoyen. A l'expiration de son temps, le soldat avait droit à des récompenses (premia militiae), ce qui correspondait à notre retraite : 12.000 sesterces pour le légionnaire, 20.000 pour le prétorien. Les auxiliaires recevaient, par leur diplôme de congé (honesta missio) gravé sur des tablettes de bronze (nous en possédons un assez grand nombre), le droit de cité pour eux et leur femme ou leurs enfants nés ou à naître. Les centurions, les primipiles recevaient des fonctions d'intendants à la cour de l'empereur : l'ancien primipile, ou primipilaire, revenu dans sa ville natale, y exerçait souvent les plus hautes charges. Il y avait véritablement, dans l'empire, une classe militaire formée de tous ceux auxquels le service à l'armée valait privilèges, droits et considération. La séparation entre soldats et civils devait s'accentuer encore sous le bas-empire, alors que les vrais citoyens romains et, en particulier, les sénateurs étaient, les uns de fait, les autres de droit, exclus des armées et qu'elles n'étaient plus recrutées que par des mercenaires.

L'armée sous le Bas-Empire.
L'armée romaine, telle que nous la font connaître le Code théodosien et le Notitia dignitatum, diffère assez fortement de celle du Haut-Empire, quoiqu'on s'exagère généralement les différences et qu'il ne soit pas difficile de retrouver la transition entre l'une et l'autre. C'est surtout aux réformes des empereurs Gallien, Gordien III (ce dernier conseillé par le préfet du prétoire Timésithée), Aurélien, Dioclétien et Constantin que l'armée romaine dut son organisation nouvelle que devait achever et codifier Honorius, sous la direction de son maître de milice Stilicon.

L'armée se recrute de la même manière, par voie de levées générales ou locales et d'enrôlements volontaires. Toutefois, les levées sont plus fréquentes que par le passé. En revanche, si tout citoyen en principe est, comme autrefois, astreint au service militaire, il peut, en fait, ne pas servir, même si on l'appelle, à la condition de fournir un homme ou de payer un impôt militaire, mesure dont nous trouvons, d'ailleurs, des exemples même sous le Haut Empire. Cet impôt porte le nom de aurum tironicum. Les conscrits étaient souvent livrés et vendus aux propriétaires par des espèces de marchands qui faisaient le commerce de soldats. Du reste, l'aurum tironicum variait suivant les besoins du moment et était fixé plus ou moins arbitrairement par les empereurs, se montant tantôt à 25, tantôt à 30, tantôt à 36 sous. Avec cet argent, les employés du prince achetèrent les conscrits, ce qu'on appelait protostasia ou prototypia. Il existait du reste une catégorie de personnes qui ne pouvaient, en aucun cas, se soustraire au service militaire, pas même à prix d'or, pas même en entrant dans les ordres. C'étaient les fils des vétérans, c. -à-d. de ceux qui étaient sortis du service avec un diplôme en règle et tous les avantages attachés à ce diplôme. Les fils de vétérans étaient inscrits d'office sur les registres (matricule) et le service militaire tendait ainsi à être à la fois un impôt matériel pour les uns et une charge héréditaire pour les autres, ce qui explique que l'on distingue toujours, dans les textes de lois, les soldats des simples citoyens, les milites des privati. Le recrutement et le choix des conscrits (tirones) constituaient à eux seuls une charge qui incombait aux magistrats et aux décurions des villes, surveillés par les agents du prince. Les conditions avaient peu changé : 18 ans révolus, 5 pieds 7 pouces, condition libre (les esclaves sont toujours tenus à l'écart des armées, à moins de nécessité absolue, auquel cas on leur donne au préalable la liberté); en outre, les Juifs sont exclus des armées de l'empire.

L'armée romaine comprenait, comme autrefois, des légions, dont le nombre était, d'ailleurs, singulièrement plus considérable et l'effectif plus restreint. Il devait y avoir une centaine de légions. Elles n'étaient plus composées que de fantassins; servir dans une légion, c'était servir à pied. Les numéros d'ordre ont disparu, l'épithète subsiste et distingue seule la légion. Ce qui est nouveau, c'est la distinction entre classes de légions. Il y a les légions palatines (palatine) les plus considérées de toutes, qui séjournent d'ordinaire auprès du palais; les légions « du cortège », comitatenses, chargées sans doute d'accompagner le prince dans les campagnes; les pseudo-comitatenses, à peu près réservées aux provinces-frontières. Tout cela, d'ailleurs, en principe : en fait, la résidence des légions se modifie sans cesse. Ce qui subsiste, c'est le rang : on passe d'une légion du cortège à une légion palatine, pour avancer en dignité et voir augmenter la solde. Les légions sont généralement dédoublées en legio juniorum et l. seniorum, ce qui correspond sans doute à un ancien état de choses. L'organisation du commandement n'a guère varié, les titres seuls ont été un peu modifiés les centuriones s'appellent maintenant centenarii; il y a toujours des tribun militum et des praefecti legionis. - La cavalerie est groupée : 1° en vexillationes, lesquelles semblent avoir remplacé la cavalerie légionnaire : on distingue les vex., comme les légions, en palatinae etc. Elles étaient commandées par des praepositi ou des tribuns; 2° en ailes et en cohortes qui dérivent directement des anciennes et ont à peu près la même organisation. Le nombre des numeri s'est accru; il faut y ajouter les cunei qui y sont intimement rattachés et semblent avoir surtout un rôle de tactique.

Il y avait à côté de cette armée régulière ce que nous pourrions appeler les soldats irréguliers ou deputati, dont le nombre augmente chaque jour dans l'Empire romain. Ces deputati sont, en particulier, sous le nom de ripenses ou de limitanei, chargés de garder la frontière de l'empire, marquée tantôt par le cours d'un fleuve (ripa), tantôt par un sentier (limes). Ces soldats avaient reçu des terres à la condition que la possession de ces terres entraînât pour eux et pour leurs descendants l'obligation du service militaire. C'est sous le règne de Sévère Alexandre qu'on voit créer pour la première fois de ces sortes de terres militaires (Lampride, Vie d'Alex., 58). D'autres soldats étaient établis dans l'intérieur même des provinces, dans les terres incultes et abandonnées et, semble t-il, aux mêmes conditions que les soldats des frontières : ceux-là étaient vraisemblablement des Barbares, ceux que le Notitia Dignitatum appelle Gentiles ou Laeti. Enfin, un très grand nombre de soldats servaient comme employés dans les différents bureaux de l'administration centrale ou provinciale (officiales) où l'avancement était, du reste, réglé militairement. 

Le Bas Empire a conservé l'usage des corps d'élite et de police. Il faut les grouper en deux catégories : la garde impériale, divisée en domestici et protectores, commandée par un et plus tard deux comes domesticorum, garde à laquelle est annexée celle du labarum ou de l'étendard sacré (praepositi labaro); - la garde du palais, sous les ordres du magister officiorum, qui sert à la fois de troupe de parade, de troupe de garde et de troupe de police et d'inspection : elle comprend diverses scholae (les subdivisions des corps d'élite portent le nom de schola), scholae gentilium, scutariorum, armaturarum, agentium in rebus, ces derniers spécialement chargés de la police supérieure de l'Empire. Les corps d'élite étaient recrutés, comme autrefois les prétoriens, soit parmi les jeunes gens de grande famille, soit parmi les vieux soldats des troupes légionnaires et auxiliaires. Les protecteurs avaient rang d'officiers, à peu près de primipile.

Au-dessus des protecteurs, des tribuns et des différents préfets se plaçait, comme autrefois, toute la hiérarchie des gouverneurs de provinces militaires, les duces et les comices qui ont hérité des fonctions des légats de rang prétorien et de rang consulaire (depuis Gallien?). Au-dessus d'eux, enfin, chefs suprêmes de l'armée romaine, se trouvent les maîtres de la milice, magistri militiae, magistri militum, dont le nombre a d'ailleurs varié, soit qu'on ait donné à la cavalerie un maître spécial, soit qu'on ait créé autant de maîtres de milice qu'il y avait de grands gouvernements dans l'empire. Toutes ces fonctions étaient, d'ailleurs, merveilleusement groupées et échelonnées : jamais la hiérarchie militaire n'a été plus nette, plus observée, plus sévère que sous le Bas-Empire.

En même temps, la discipline militaire était assurée par des règlements d'une rigueur extrême contre les insoumis (vagi), contre les déserteurs et leurs complices (V. dans le Code Théodosien le titre De desertoribus et occultatoribus eorum), et d'autre part, on multipliait les récompenses et les privilèges pour ceux qui voulaient persister dans la carrière militaire. La solde et les indemnités semblent avoir été plus élevées qu'autrefois. Les privilèges accordés aux vétérans par leur congé (testimonialis) sont de toute sorte honneurs et avantages d'amour-propre, comme le titre de protecteur honoraire, exemption de charges municipales, don de terres franches de tribut a perpétuité, permission de faire le commerce avec certaines franchises de douanes, voyage aux frais de l'Etat, etc. Par suite de toute cette organisation militaire : éloignement des citoyens de l'armée, séparation des carrières civile et militaire, sévère règlement de la hiérarchie, distinctions nombreuses entre les corps, hérédité du service militaire, privilèges aux vétérans, l'armée romaine formait, au temps de Stilicon, une sorte d'Etat dans l'Etat : elle avait ses habitudes, son esprit, ses domaines, ses classes et ses castes, ses chefs. Des hommes, comme Stilicon, Aetius et bien d'autres, n'ont jamais été que soldats, fils de soldats. Si l'avancement était réglé, on pouvait, avec le temps, devenir, de simple soldat, maître de la milice. Maître de la milice, on avait à sa disposition cette population chaque jour grandissante de soldats et de vétérans : on commandait à la moitié des provinces et à la moitié des sujets de Rome. Aussi l'élément militaire par la force des armées, par l'esprit des corps, par la puissance des chefs, est vraiment le souverain de l'Empire romain. Or, cet élément est composé à peu près uniquement de Barbares. Si les Barbares sont devenus les maîtres de l'Etat romain, c'est que par le fait ils en étaient les soldats et que les soldats étaient tout alors. La fin de l'Empire romain est, en quelque sorte, le triomphe de l'armée romaine et de l'organisation militaire. (Camille Jullian).



François Gilbert, Légionnaires et auxiliaires du Haut-Empire romain, Errance, 2006. - Sur la base d'une documentation toujours plus large est née récemment la reconstitution historique, appelée aussi Histoire Vivante. Elle est devenue une auxiliaire reconnue de l'étude historique et archéologique. L'Histoire Vivante permet de mieux comprendre la vie dans son quotidien en revivant dans les mêmes conditions, avec les mêmes costumes et le même armement que ceux qui les portèrent. Les membres de l'armée romaine, à l'époque de sa domination incontestable sur le monde qui durera trois siècles, furent équipés d'armements très différents. Légionnaires et auxiliaires possédaient une panoplie extrêmement variée d'armes et de costumes qui évoluèrent sans cesse avec le temps. Très loin des images du péplum ou de la bande dessinée, les combattants de la seule armée qui contrôla tous les pays du pourtour méditerranéen se révèlent dans leur efficacité et leur variété. (couv.).
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