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Justinien Ier
est un empereur byzantin (527-565), né
vers 483, mort en novembre 565. Il était issu d'une obscure famille de
paysans de l'Illyricum, établis aux environs de Scupi (auj. Uskub), qui,
plus tard, reçut, en l'honneur de l'empereur, le nom de Justiniana
prima; une tradition fort répandue, mais dont le caractère apocryphe
est aujourd'hui pleinement établi, veut même qu'il ait été d'origine
slave et raconte qu'il portait le nom d'Upravda. Quoi qu'il en soit, il
dut à son oncle Justin, d'abord haut dignitaire
et bientôt maître de l'Empire, de faire, lui aussi, une rapide fortune
: consul en 521 et désigné à la faveur du peuple par la splendeur des
jeux qu'il célébra, puis nommé magister militum et patrice, adopté
enfin par Justin et associé à l'Empire en avril 527, quelques mois plus
tard, Justinien succéda sans contestation à son oncle; pendant près
de quarante ans, il allait occuper le trône de Byzance et dominer de sa
puissante figure l'histoire du VIe siècle.
Au moment de l'avènement du nouveau prince, la situation de l'Empire ne laissait pas d'être difficile. A l'intérieur, les factions de l'hippodrome déchiraient la capitale de leurs rivalités et entretenaient contre la dynastie nouvelle la sourde opposition de la famille d'Anastase; dans les provinces, abandonnées à toutes les exactions des gouverneurs, rançonnées sans merci autant par les brigands que par les soldats chargés de les défendre, un désordre affreux régnait, et par surcroît les questions religieuses, nées de la querelle des monophysites, augmentaient le trouble et les divisions intestines. Au dehors, la frontière orientale de l'Empire était sans cesse menacée par les Perses; l'Occident semblait irrémédiablement perdu, et la monarchie trop affaiblie pour tenter de reconquérir l'ancien empire romain. Justinien sut pourtant faire face à la lourde lâche qui lui était imposée. C'était, quand il prit le gouvernement, un homme fait, mûri par l'expérience des grandes affaires. Nourri de bonne heure des traditions de l'éducation romaine, il avait un sentiment très net des droits et des devoirs d'un empereur. Au dedans, il prétendait rétablir dans son intégrité le pouvoir que jadis avaient possédé les césars et centraliser entre les mains d'un souverain absolu tous les ressorts du gouvernement. Un État, une religion, une loi, telle était la formule où se résumaient les théories de son impérial orgueil. Au dehors, il aspirait à reconstituer dans sa plénitude tout l'empire qu'avaient jadis gouverné les Constantin et les Théodose. Considérant comme de simples vassaux les rois barbares établis en Afrique, en Espagne ou en Italie, il rêvait de remettre en vigueur les droits imprescriptibles de Rome. Élevé, d'autre part, dans les enseignements du christianisme, d'une piété ardente et souvent obtuse, il trouvait dans les motifs religieux des encouragements à ses visées politiques; ses guerres eurent toujours des allures de croisades; son autorité s'exerça sur l'Église comme sur l'État. Or, malgré les faiblesses, les défauts d'un caractère souvent mesquin et jaloux, Justinien, plus que tous ses prédécesseurs, était capable de réaliser ces grandes pensées. Nature ambitieuse et tenace, il sut tout à la fois agir avec résolution et profiter habilement des circonstances favorables : avide de gloire et de conquêtes, portant à un haut point l'orgueil de son rang impérial, il sut entreprendre et poursuivre une tâche qui n'était pas sans grandeur. Du prestige moral demeuré attaché au souvenir de l'empire romain, il sut refaire une réalité; dans la monarchie reconstituée, il sut fonder des institutions durables. Sans doute, il se laissa gouverner par Théodora, qu'il associa à son pouvoir et décora du titre d'Augusta; mais l'impératrice, en dépit des calomnies accumulées autour de son nom, se montra femme de tête et de bon conseil. Sans doute aussi, Justinien eut la bonne fortune de grouper autour de lui les hommes les plus capables de réaliser ses desseins; pour généraux, il eut Bélisaire et Narsès, Solomon et Carmanos; pour ministres, Tribonien et Jean de Cappadoce; mais il eut le mérite de les deviner et de les choisir. Sans doute encore, on peut signaler les contrastes qui éclatent dans son caractère, son esprit indécis et parfois abattu, ses défiances mesquines, son despotisme soupçonneux; ses qualités pourtant, son assiduité au travail, son amour de l'ordre et de la discipline, son goût des arts, ses nobles ambitions surtout ne sont pas d'un homme ordinaire. Sans doute enfin, l'exécution a trahi parfois la pensée, mais la pensée était grande, et, malgré d'incontestables faiblesses, le règne de Justinien a jeté un dernier rayon de lumière sur l'Empire. Les accomplissements d'un règne Procope a fort bien mis en lumière ce mélange singulier de splendeur et de décadence; c'est ce double aspect également qu'il importe ici d'étudier. D'une part, c'est le côté brillant du règne, les guerres heureuses, les provinces réorganisées et défendues, la législation unifiée et comme créée à nouveau, la prospérité industrielle et commerciale, l'éclat des arts et le prestige de l'Empire s'étendant à travers tout le monde chrétien. Là , c'est le revers de la médaille, ce sont les tristesses et les misères, les expéditions désastreuses, les frontières forcées, l'armée désorganisée, les provinces épuisées par les exactions du pouvoir central, les progrès du despotisme impérial, engendrant les luttes civiles et religieuses, et le relâchement de la fin du règne, quand le pouvoir s'énerve aux mains d'un empereur fatigué et vieilli. C'est à ce double point de vue qu'on examinera cette histoire pour juger avec équité l'oeuvre que tenta le grand empereur du VIe siècle. Les
Conquêtes de l'Ouest.
L'Afrique semblait conquise; bientôt ce fut le tour de l'Italie. La mort violente d'Amalasonte, assassinée par son cousin Théodat (535), fournit à l'empereur une raison d'intervenir. Cette fois pourtant, malgré l'appui que fournit aux impériaux l'Église catholique, hostile à ses maîtres ariens et toute-puissante en Italie, la lutte fut plus longue et plus difficile. Bélisaire put bien occuper sans coup férir la Sicile, prendre Naples par surprise (fin 536), entrer dans Rome, que les habitants lui livrèrent (décembre 536) et pendant une année entière (mars 537 - mars 538) s'y maintenir glorieusement contre les attaques de l'énergique Vitigès, que les Goths avaient proclamé roi à la place de l'incapable Théodat; il put même, malgré l'appui que le roi franc Théodebert prêtait aux Barbares, malgré les intrigues qui paralysaient l'activité de ses soldats, enfermer Vitigès dans Ravenne et se faire livrer perfidement le roi et la capitale des Ostrogoths (539). Mais la résistance continua après le départ de Bélisaire (540). En 542, le successeur de Vitigès, Totila, battit les impériaux à Faenza; bientôt il reprenait possession de l'Italie presque entière, et Bélisaire lui-même, renvoyé dans la péninsule, mais sans troupes, sans ressources, ne pouvait empêcher, en 546, les Goths d'emporter Rome. Désespéré d'une lutte inégale, Bélisaire demandait, en 549, son rappel, et Totila, maître de l'Italie, de la Sicile, de la Corse, étendait ses ravages aux côtes mêmes de l'Empire. Pour venir à bout de ce terrible adversaire, Justinien se résolut à un suprême effort: Narsès, envoyé comme général en chef, fut vainqueur à la journée de Tagina (juin 552), où Totila trouva la mort ; l'année suivante, le successeur du roi barbare, Téïas, périssait avec les derniers débris des Ostrogoths dans une sanglante bataille livrée au pied du Vésuve. L'Italie était définitivement soumise. A cette conquête, Justinien put même un instant se flatter d'ajouter l'Espagne (554); du moins, il profita des discordes qui troublaient le royaume wisigoth pour prendre pied dans la péninsule et occuper dans la Bétique plusieurs places importantes, entre autres Carthagène, Malaga et Cordoue. Ainsi il tenait par le Nord les colonnes d'Hercule, que commandait au sud la forte citadelle de Septum (Ceuta) ; de nouveau, comme au temps des césars, la Méditerranée était un lac romain. L'Empire
fortifié
Le
Code de Justinien.
Cette compilation, qui parut en 533 et forma cinquante livres, s'appela les Pandectes ou le Digeste. Puis, à l'usage des étudiants, Justinien fit également composer par Tribonien, assisté des jurisconsultes Théophile et Dorothée, un manuel disposé sur le plan des Institutes de Gaius, et qui porta comme son modèle le nom d'Institutes (533); ce traité en quatre livres servit de base à l'enseignement du droit, réservé désormais aux seules écoles de Constantinople, de Rome et de Béryte (Beyrouth). Enfin, les Novelles, c.-à -d. les constitutions impériales, promulguées postérieurement à 534, vinrent compléter l'immense monument législatif connu sous le nom de Corpus juris civilis, et qui, à travers le Moyen âge, a transmis jusqu'à nous les principes du droit romain. Sans doute, on a pu reprocher aux rédacteurs du Code et du Digeste, d'avoir, conformément aux instructions impériales, traité avec une liberté parfois excessive les textes qu'ils étaient chargés de rassembler et de coordonner, d'avoir, en particulier, mutilé de façon lamentable les traités des anciens jurisconsultes romains; malgré ces critiques, la législation de Justinien n'en a pas moins exercé une influence capitale, et, en révélant aux nations occidentales du Moyen âge l'idée de l'État fondé sur la droit, elle a constitué une des oeuvres les plus fécondes dans l'histoire de l'humanité. Justinien,
le bâtisseur.
« Gloire à Dieu qui m'a jugé digne d'accomplir un tel ouvrage! Salomon, je t'ai vaincu. »A Salonique, au couvent du Sinaï, d'autres monuments rappellent les splendeurs de l'art byzantin à cette époque; mais c'est surtout à Ravenne, dans les basiliques de Saint-Apollinaire-Nuovo et de Saint-Apollinaire in Classe, dans celle surtout de Saint-Vital qu'il apparaît dans sa gloire, dans ces mosaïques du choeur, en particulier, où Justinien et Théodora sont figurés dans tout l'éclat de la pompe impériale, vivant portrait et saisissante image de la cour byzantine du VIe siècle. Et ce n'est pas seulement par ces oeuvres magnifiques que s'étendait au loin le renom de l'Empire : où l'autorité du basileus n'atteignait point directement, la diplomatie ou la propagande religieuse portaient du moins l'influence de Byzance. Les missions chrétiennes s'étendent, en Afrique, jusqu'en Nubie, en Éthiopie et dans les premières oasis sahariennes, en Asie jusqu'à Sri Lanka, au Malabar et même en Chine, en Europe, chez les Huns de la Mésie, les Goths Tétraxites de Crimée, les Abasges du Caucase. Contre les ennemis du dehors, les négociateurs byzantins surent armer, tour à tour, en Europe, les Avars, les Hérules, les Gépides; en Asie, les Ibères du Caucase, les Arabes du désert de Syrie et entretenir tout à la fois, par l'action religieuse et par les subsides, ce prestige de l'Empire, si puissant en tout temps sur les souverains barbares. La part de l'ombre Il reste à voir de quel prix furent achetées ces brillantes conquêtes, et si cette apparente splendeur ne cache pas de réelles et profondes misères. L'Est
en péril.
La
misère intérieure.
Les
dérives de l'absolutisme.
Il convient de remarquer que ces regrettables événements marquèrent principalement les dernières années du gouvernement de Justinien. A ce moments ainsi qu'il arrive souvent au terme d'un trop long règne, un profond relâchement se manifestait dans les ressorts de l'administration publique. Depuis la mort de Théodora en particulier, l'empereur vieillissant - il avait à cette date au moins soixante-cinq ans - avait perdu cette énergique activité et abdiqué cet impérial orgueil qui dirigeaient jadis ses résolutions; il laissait l'armée tomber en décadence et les forteresses s'écrouler, il assistait impuissant aux exactions des fonctionnaires, il bornait sa politique à entretenir des divisions parmi les Barbares et à acheter, quand il fallait, leur retraite à prix d'or; avec une molle indifférence, il assistait à la ruine de son Empire et se complaisait à discuter avec les évêques des problèmes de théologie. Mais il ne faut pas que cette décadence trop réelle fasse oublier les gloires et les splendeurs du règne. Sans doute, les conquêtes de Justinien furent éphémères, encore qu'en Afrique et en ltalie les Byzantins aient donné un assez bel exemple de vitalité; sans doute les ressorts de l'administration, tendus à l'extrême, finirent par se relâcher, et sous des princes plus faibles, dans des circonstances moins favorables, cette oeuvre artificielle et fragile s'écroula. Mais, du moins, il faut laisser au basileus le mérite d'avoir repris non sans grandeur la tradition des anciens empereurs; si l'oeuvre fut peu durable, la pensée du moins était grande, et si l'on ajoute que les institutions administratives du règne ont servi de base à la grande réforme des thèmes, que la législation de Justinien a exercé dans le monde une longue et puissante influence, que Sainte-Sophie, son oeuvre de prédilection, a marqué le point de départ d'un art nouveau, on conviendra que son règne n'a pas été stérile. C'est assez pour mériter à Justinien, malgré des défauts et des faiblesses, une grande place dans l'histoire, comme de bonne heure il en a pris une dans les souvenirs légendaires des peuples : dans l'Italie du IXe siècle, aussi bien que parmi les populations slaves de la Dalmatie, de la Serbie, de la Bulgarie, des traces incontestables apparaissent d'un véritable cycle de Justinien le Grand. (Ch. Diehl). |
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