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Histoire de l'Europe > La France > Le XIXe siècle > [la Seconde République / Le Second Empire] |
La résistance au Deux-Décembre en Province |
Aperçu | Les prémices | Le coup d'Etat à Paris | La résistance en province |
En un grand nombre
de points de la France, des hommes d'opinion et de condition très diverses,
unis seulement par leurs convictions démocratiques et le respect de la
légalité, s'efforcèrent de mettre la force au service du droit et de
prendre la défense de la constitution violée et de la République en
péril. Ces tentatives de résistance au coup d'Etat du 2 décembre
1851 se produisirent sur toute l'étendue du territoire français,
dans des bourgs et des villages comme dans des villes; elles prouvent la
force qu'avaient dès ce moment les idées républicaines.
L'impitoyable répression dont elles furent le prétexte consolida plus
que la terreur exercée à Paris le régime impérial. Les proscriptions
qu'il décréta décapitèrent le parti démocratique,
laissant les foules livrées à l'influence des autorités officielles;
les calomnies odieuses par lesquelles il s'efforça de déshonorer les
démocrates maintinrent, dans la bourgeoisie, la conviction que seul le
dictateur militaire avait pu la préserver d'une jacquerie.
La tardive justice de l'histoire n'a accordé aux victimes du Deux-Décembre
qu'une réparation bien faible. L'histoire de la résistance en province
a été faite avec une conscience et une impartialité remarquables par
Eugène Ténot (La province en 1851, étude historique sur le coup d'Etat,
1868). On en retracera ici, d'après son travail, les événements principaux.
Il s'agit d'un fait presque unique dans l'histoire de France, car généralement la province suit docilement l'impulsion donnée par la capitale: elle la suit même contre les pouvoirs administratifs et militaires. La résistance opposée au coup d'Etat de 1851 fut significative, car elle fut partout le fait de républicains, n'ayant à compter que sur eux-mêmes et se levant spontanément pour la défense des institutions. Le duc de Morny qui s'installa au ministère de l'intérieur dans la nuit du 1er au 2 décembre, télégraphia aux préfets un résumé des décrets et des proclamations du président de la République; tous obéirent, la plupart firent du zèle. Toute l'administration civile suivit docilement l'impulsion. Le général de Saint-Arnaud, ministre de la guerre, obtint de l'armée le même concours; chefs et soldats reconnurent le coup d'Etat et se déclarèrent disposés à réprimer toute résistance. L'attitude de la population fut variable; dans plusieurs grandes villes les masses ouvrières, hostiles à l'Assemblée et satisfaites de récupérer le suffrage universel, restèrent indifférentes; les conservateurs, tout ce qu'on appelait le parti de l'ordre, bourgeois et cléricaux, hantés par la crainte de l'échéance de 1852, acceptèrent avec joie la nouvelle et se rallièrent sans hésiter au prince Louis-Napoléon, sauveur de l'ordre social. Non seulement ils ne songèrent pas à résister, mais ils acclamaient un pouvoir qui débutait en emprisonnant leurs chefs. Ils n'eurent pas les hésitations des conservateurs parisiens. Les républicains non plus n'hésitèrent pas; ils comprirent sur-le-champ que la suppression de la constitution entraînait la ruine de la République, de la liberté, des réformes sociales; ils ne furent divisés que sur l'opportunité de la résistance; sur cette question ils ne se partagèrent pas d'après leur nuance plus ou moins avancée, mais d'après leur sentiment personnel; des socialistes se contentèrent de protester, des modérés prirent les armes. La conduite et l'énergie de la résistance furent très diverses selon les régions; faibles au Nord, à l'Ouest, à l'Est, résolues et violentes sur certains points du Centre et du Midi, presque générales dans plusieurs département du bassin de la Garonne et de la vallée du Rhône. Le Nord, l'Est,
l'Ouest.
A Nancy et à Strasbourg, la foule s'amassa, mais céda sans lutte devant la force armée. De même à Nantes et à Angers. La petite cité industrielle de La Suze (Sarthe) s'arma à l'instigation de Trouvé-Châtel et se fortifia; mais, après trois jours de cette protestation à main armée, les républicains, apprenant le triomphe général du président, se soumirent spontanément. Dans les autres régions de l'Ouest, nulle tentative ne fut faite. Le Centre.
Le
Loiret.
A Montargis, dirigés par le conseil général, Souesmes et l'imprimeur Zanotte firent le 6 décembre une manifestation sans armes et drapeau tricolore en tête; ils furent attaqués par la gendarmerie dont ils désarmèrent une brigade après un combat où plusieurs hommes furent tués ou blessés des deux côtés; les autres brigades de gendarmerie les défirent et leurs chefs furent arrêtés. A Bonny-sur-Loire, le mouvement eut lieu le dimanche 7 décembre après la messe, le gendarme Denizeau fut tué; le curé fut arrêté, mais traité avec de grands égards; deux jours après les insurgés se soumirent. La
Nièvre. Clamecy.
Dans les arrondissements de Cosne et de Nevers on avait arrêté les chefs socialistes, ce qui paralysa le parti de ce côté; mais au nord du département l'antagonisme entre les démocrates et les bourgeois n'était pas moins violent. Ainsi s'expliquent les regrettables incidents de Clamecy. Dans cette petite ville, les réactionnaires accueillirent avec enthousiasme la nouvelle du coup d'Etat. Ils se préparèrent à exercer sur leurs adversaires une vengeance complète; le procureur de la République, Baille-Beauregard, réactionnaire fanatique, prépara l'arrestation de tous les chefs républicains : Millelot père et fils, imprimeurs; Guerbet, les restaurateurs Kock et Goumier, etc. Ceux-ci étaient décidés à résister; le maire conservateur arma ses partisans; la lutte s'engagea le soir du vendredi 5 décembre. Les paysans des environs, réunis au son du tocsin, arboraient le drapeau rouge et venaient se réunir à Clamecy aux démocrates de la ville. On délivra les prisonniers, les gendarmes et les gardes nationaux réactionnaires furent battus après un échange de balles, la mairie occupée. Dans la ville et dans les environs, une série de crimes firent le plus grand tort aux insurgés; à Clamecy, l'avocat républicain Mulon fut assassiné; à Pousseaux, le sieur Bonneau, qui voulut résister, fut tué on tenta de tuer le curé d'Arthel et un jeune homme du nom de Poulain; des bandes armées parcouraient les rues de Clamecy terrifiant les bourgeois, réclamant leurs armes, mais sans piller; le gendarme Bidan fut égorgé; plus tard on guillotina un de ses meurtriers, Cuisinier, en même temps que G. Cirasse, celui de Bonneau; en revanche, on commua la peine de mort prononcée contre Galloux qui avait assassiné deux paysans inoffensifs. Le comité révolutionnaire social fit de grands efforts pour empêcher ces crimes et décréta de mort tout voleur ou pillard. Plus de quatre mille insurgés étaient massés à Clamecy et proposaient de marcher sur Auxerre. Les nouvelles arrivées de Paris décourageaient les chefs, mais on voulait tenir bon; des barricades furent élevées pour défendre la ville, le préfet vint avec deux cents hommes occuper une colline voisine; les parlementaires envoyés par les insurgés furent massacrés ou incarcérés; le troisième jour, les insurgés évacuèrent la ville, se réfugiant en armes dans les bois des rives de l'Yonne, près de la route d'Auxerre; le 8 décembre la ville fut occupée par le général Petlion avec le 41e de ligne et le 10e chasseurs, puis le commissaire du gouvernement Carlier, l'ancien préfet de police, arriva avec des renforts. Les troupes affluaient, organisant de vastes battues dans les bois où s'étaient réfugiés les insurgés; des centaines furent pris, plusieurs tués; les propriétaires guidaient les troupes; bientôt il y eut plus de quinze cents prisonniers à Clamecy; la terreur y régna et les soldats, maîtres de la ville, s'y comportèrent comme en pays ennemi. Leurs excès égalèrent au moins ceux qu'on avait reprochés aux insurgés; on avait interdit de donner refuge aux insurgés sous peine d'être traité comme complice, et plus tard on vit des conseils de guerre condamner des gens, accusés pour ce seul fait, à vingt ans de travaux forcés! Le terrorisme était tel que la légende fabriquée par le gouvernement est restée presque sans démenti pendant des années. On profita des quelques crimes dont nous avons parlé pour raconter que la ville de Clamecy avait été livrée trois jours durant au pillage, au meurtre, à l'incendie et au viol : pillage de la sous-préfecture, des maisons des riches, vol de la caisse du receveur, incendie des registres des notaires, viol des filles du receveur de l'octroi, de la femme du sous-préfet, soixante meurtres, dont celui d'un enfant de treize ans dans les bras de sa mère; danses sauvages autour d'un gendarme éventré; rien ne manque aux récits officieux. Tout est faux; il n'y eut pas un vol, pas un viol, pas d'incendie de registres; la caisse du receveur fut rendue intacte, sauf un prélèvement de 240 F pour l'assistance publique. On sait, en revanche, comment agirent les défenseurs de l'ordre. L'attitude du colonel Martimprey, présidant le conseil de guerre de Clamecy; fut odieuse. A Neuvy-sur-Loire se passèrent des événements analogues à ceux de Clamecy. Lorsqu'on y apprit l'insurrection de ce chef-lieu d'arrondissement, on suivit l'exemple : le 7 décembre le maire fut emprisonné avec les notables, le curé blessé; ce crime resta isolé. Le lendemain, le secrétaire général du département marcha sur le bourg, enleva la barricade, fusilla sur place ou après coup les principaux insurgés, emprisonna la plus grande partie de la population masculine traquée dans les bois des environs. L'Yonne.
La
CĂ´te-d'Or.
Le
Cher.
L'Allier.
Le Donjon est un chef-lieu de canton de l'arrondissement de La Palisse; les chefs des républicains étaient le notaire Terrier, le médecin Giraud de Nolhac, les frères Prévereaud; ils résolurent, dès le 3 décembre, de résister au coup d'Etat; le juge de paix Dollivier et le maire Laboutresse, chefs des réactionnaires, furent arrêtés, puis une centaine d'hommes marchèrent sur La Palisse; le sous-préfet se mit à la tête de la garde nationale; elle fut mise en déroute. Les démocrates défirent ensuite la gendarmerie et restèrent maîtres de la ville, ils revinrent ensuite au Donjon; dans la nuit, ils marchèrent sur Moulins par Jalligny, mais, réduits à leurs forces, ils ne purent tenir tête aux troupes qui, le 5 décembre au soir, occupèrent le Donjon. Le département avait été mis en état de siège. Le général Aynard, mis à la tête, s'illustra par un arrêté d'une illégalité complète; il rétablit la confiscation : le 18 décembre 1851, il décida que les biens de vingt inculpés seraient mis sous séquestre. Les calomnies dirigées contre ceux-ci ont été entièrement réfutées. La
SaĂ´ne-et-Loire.
Le
Jura.
L'Ain.
Lyon, Auvergne,
Limousin.
Plusieurs villes du département du Puy-de-Dôme préparèrent une résistance, mais ni à Clermont-Ferrand, ni à Thiers, ni à Issoire, ni ailleurs, on ne prit les armes. Les régions voisines du plateau central ne bougèrent pas non plus. Même Limoges se soumit sans combat au régime nouveau, dès que les chefs qui tentaient de soulever les campagnes voisines eurent été chargés et défaits à Linards par un détachement de cavalerie. Le bassin de la
Garonne.
Bordeaux,
Toulouse, Bergerac.
A Toulouse, les forces militaires étaient très considérables, disposant d'une artillerie formidable, et toute effusion de sang eût été inutile : les chefs républicains se contentèrent d'une protestation pacifique qui parut le 4 décembre dans la presse locale-: ils furent arrêtés dans la nuit suivante. Les républicains des petites villes et des campagnes du Sud-Ouest furent plus résolus que ceux de Bordeaux et de Toulouse. Dans les Landes, la Gironde, la Dordogne, il n'y a rien à signaler, sauf à Bergerac où l'on essaya de faire voter par le conseil municipal la déchéance des autorités administratives. Le
Lot.
L'Aveyron.
Le
Lot-et-Garonne.
A Marmande, l'insurrection s'organisa encore plus solidement. Ce qu'elle eut de remarquable, c'est qu'elle fut faite par les républicains modérés qui respectèrent scrupuleusement la légalité. On commença, le 3 décembre, par convoquer le conseil municipal, en grande majorité républicain; on tint une séance de nuit. Après de longues hésitations, on décida qu'en vertu de l'article 68, le président de la République était déchu de ses fonctions et qu'on lui refuserait obéissance; le peuple assemblé accueillit avec joie cette nouvelle. Le sous-préfet, mis en demeure de se prononcer, se déclara pour le président, mais permit de réorganiser la garde nationale. Le soir du 4, le conseil municipal destitua le maire et le sous-préfet et transmit ses pouvoirs à une commission de trois membres (Vergnes, Goyneau, Mouron aîné); le sous-préfet et les gendarmes se retirèrent; huit cents fusils furent distribués au peuple, les maraudeurs emprisonnés. On nomma commandant supérieur des gardes nationales de l'arrondissement l'ancien chef d'escadron Peyronni. Il accepta la défense de la constitution, convoqua à Marmande tous les citoyens disponibles des autres communes, les invitant à organiser leur défense intérieure. Les hommes affluaient; il fit mettre en état deux petits canons, fabriquer des muinitions et manoeuvrer ses troupes; il avait près de quatre mille hommes avec lesquels il eut peut-être pu s'emparer de Bordeaux; mais il n'y songeait pas, sa grande préoccupation était de maintenir l'ordre. Il congédia même les paysans, empêcha d'élever des barricades. Quand on apprit la répression de Paris et la marche des troupes sur Marmande, la foule accusa Feyronni de lâcheté. Exaspéré, il se mit en campagne, mit en déroute un escadron de gendarmerie, mais emmena ses troupes le plus loin possible de l'adversaire; elles se débandèrent dans la journée du 9 décembre, tandis que les soldats entraient à Marmande. L'état de siège fut proclamé dans le département du Lot-et-Garonne; les insurgés, réfugiés dans les fermes et les bois, furent successivement arrêtés par les colonnes mobiles. Le
Tarn-et-Garonne.
« Un grand événement vous est annoncé; les circonstances vous demandent plus que jamais l'ordre, l'union, la paix. Vos intérêts les plus chers et les plus sacrés vous y convient. Cependant, la conscience a des appréciations souveraines et des lois inflexibles. J'ai donc demandé un successeur... »Il n'y eut d'essai de lutte qu'à Castelsarrasin et à Moissac où il fallut appeler des troupes de Toulouse et où l'on fit une foule d'arrestations. Le
Tarn.
Le
Gers.
Quand arriva la nouvelle du coup d'Etat, partout on songea à résister. Les autorités du département se contentèrent d'inviter la population au calme, sans se prononcer pour ou contre le président. Dans le chef-lieu, à Auch, l'opinion modérée prévalut; les hussards de la garnison comprimèrent la foule à qui les chefs républicains déconseillaient l'insurrection. Lorsque les insurgés des campagnes se présentèrent venant de Vic-Fezensac, de Jégun, de l'Isle-de-Noé, de Bassones, onu les amusa par des pourparlers; ils étaient d'ailleurs peu belliqueux, observaient un ordre scrupuleux et songeaient plutôt à manifester qu'à combattre. Ils ne songèrent pas à se couvrir par des barricades et, chargés à l'improviste par les hussards, après une trêve négociée avec leurs chefs, ils furent dispersés; les autorités profitèrent de ce succès pour emprisonner les plus influents républicains. A Fleurance, où l'on avait arrêté le nouveau préfet du Gers et le sous-préfet de Bayonne, les hussards rétablirent l'ordre. Les gens de Mirande furent plus énergiques. Le sous-préfet fût arrêté et faillit périr; les auteurs du mouvement, Boussès, Paseau, Passama, B. Lasserre, le sauvèrent à grand-peine; un gouvernement révolutionnaire fut institué; la population masculine des communes de l'arrondissement fut convoquée; on la levait en masse pour la défense de la constitution. Elle répondit à l'appel; les hussards et les gendarmes furent repoussés, et dans la journée du 4 décembre tout l'arrondissement de Mirande se souleva au son du tocsin; toutes les communes des canton de Masseube, Mirande, Montesquiou, Miélan, envoyèrent leurs contingents an chef-lieu; de même le canton de Marciac. On réunit à Mirande plus de six mille hommes armés; pas un excès n'est signalé et les bandes républicaines qui restèrent durant trois jours maîtresses du pays y maintinrent un ordre rigoureux. De Mirande, de Masseube, on marcha sur Auch; mais des renforts (chasseurs et artillerie) arrivaient de Toulouse et de Pau. La résistance était inutile; les chefs se dévouèrent noblement : ils restèrent après avoir licencié leurs hommes, pour endosser seuls la responsabilité; c'était compter bien naïvement sur la générosité des bonapartistes. A Condom, les faits ressemblèrent beaucoup à ceux de Mirande. Les républicains occupèrent le pouvoir, constatèrent au nom de l'article 68 de la constitution la déchéance des autorités exécutives, formèrent un gouvernement provisoire. Apprenant les événements de Paris, ils cessèrent spontanément la résistance. Le 8 décembre le département du Gers fut mis en état de siège. Parcouru par des colonnes mobiles, qui multipliaient les arrestations au point de dépeupler des villages entiers, il fut terrorisé. La répression fut atroce; plus de deux mille républicains furent déportés, exilés ou internés. Le Midi méditerranéen.
La
société des Montagnards.
On leur donnait la forme de sociétés de secours mutuels. L'organisation était presque militaire. Les affiliés étaient groupés par dix formant une décurie qui élisait un décurion; dix décurions se réunissaient pour nommer un centurion et un sous-centurion lesquels recevaient les instructions d'un comité directeur établi dans la ville voisine. Les paysans entraient en grand nombre dans ces cadres; on ne leur demandait qu'une petite cotisation mensuelle destinée à subventionner les publications démocratiques et à secourir les sociétaires. Au bout de quelque temps l'affilié devenait un initié; il s'engageait à défendre la République par les armes, à s'en procurer, à obéir aux chefs tant pour le vote que pour la lutte éventuelle à main armée. La réception avait lieu avec un cérémonial mystérieux et l'initié jurait de quitter père, mère, femme et enfants pour voler à la défense de la liberté ou encore d'armer son bras contre toutes les tyrannies politiques et religieuses. Cette société des Montagnards, qui comptait ses adhérents par dizaines de mille dans chaque département, s'étendait sur ceux de la vallée du Rhône, Ardèche, Drôme, Vaucluse et Basses Alpes, non moins que sur ceux de la Méditerranée, Gard, Hérault, Bouches-du-Rhône et Var. C'est elle qui dirigea la résistance qui dans la Provence fut acharnée. Les
Pyrénées-Orientales.
L'HĂ©rault.
On était persuadé que la troupe ne tirerait pas sur le peuple et on négligea de se barricader dans ces rues étroites et tortueuses où l'insurrection eût été inexpugnable. Les délégués du peuple, Redon et Pujol, vinrent sommer le sous-préfet de résigner ses fonctions. Il refusa. Quand les insurgés avancèrent, les soldats après une longue hésitation firent feu à bout portant; l'effet fut terrible; une courte lutte s'engagea, mais bientôt la garnison eut le dessus dans toute la ville. A ce moment on apprit l'atroce assassinat de Bernard Maury et de Vernes par des misérables du bas peuple. Ce crime, dont on allait les rendre responsables, démoralisa les républicains. La ville de Béziers était domptée. Les campagnes environnantes avec les bourgs et petites villes de Pézenas, Servian, Florensac, Vias, Bessan, Capestang, Marseillan, étaient insurgés. Ce mouvement n'eut d'ailleurs à aucun moment le caractère d'une jacquerie et il n'y eut ni meurtre ni pillage. A Pézenas, on se contenta de faire relâcher les républicains arrêtés et consigner les soldats dans les casernes. A Capestang, on occupa la mairie, malgré les gendarmes; les démocrates furent maîitres de la ville jusqu'au 10 décembre où une colonne mobile vint l'occuper sans résistance. La ville industrielle de Bédarieux fut le théâtre de scènes déplorables. La population ouvrière, en conflit fréquent avec les gendarmes, avait conçu contre eux un ressentiment profond. Le mot d'ordre de l'insurrection vint de Béziers; on décida d'occuper la mairie, ce qui fut fait malgré le refus du maire que remplaça l'horloger Bonnal. Le maréchal des logis Léotard et le gendarme Bruguière, exaspérés par la surveillance des insurgés, firent feu sur des passants inoffensifs, dont l'un, Cabrol, vieillard de soixante-dix ans, fut tué. Cet assassinat mit la ville en fureur. On se rua sur la caserne de gendarmerie; on y mit le feu dans la nuit du 4 au 5 décembre; les gendarmes s'évadèrent, mais furent découverts; les plus détestés, Léotard, Bruguière et Lamm, furent tués; un seul des insurgés commit un vol; c'est celui qui plus tard dénonça les autres auteurs du meurtre de Léotard et fut non seulement relâché, mais traité avec faveur par l'administration. Après ces malheureux événements les insurgés rétablirent et maintinrent l'ordre. Le 8 décembre, le département de l'Hérault fut mis en état de siège; le 10, le général Rostolan occupa Bédarieux. Les insurgés s'étaient enfuis dans les forêts des Cévennes; ils furent pourchassés par des colonnes mobiles qui tuaient sans hésiter quiconque essayait de s'enfuir. Il y eut plus de trois mille arrestations, plus de deux mille déportations. Le
Gard.
Les départements provençaux déployèrent plus d'énergie que ceux du Languedoc. La société des Montagnards y était maîtresse du terrain. Il est possible qu'elle eut réussi à provoquer une véritable guerre civile, si la capitale désignée de l'insurrection ne lui eût manqué. Marseille.
Le
Var.
Sur d'autres points la résistance fut plus violente. Le bourg du Luc, au centre du département, forma une commission révolutionnaire qui se déclara au nom de la loi en état de défense contre le chef du pouvoir exécutif. La Garde-Freinet, au centre des exploitations forestières, et Vidauban furent le centre de mouvements analogues. Partout les autorités furent destituées, emprisonnées avec la gendarmerie; on fit plus, on procéda à l'arrestation arbitraire des plus notables légitimistes, lesquels servirent d'otages. La commission révolutionnaire fut maîtresse de ces cantons à partir du 4 jusqu'au 8 décembre. A Brignoles, l'insurrection fut provoquée par le journaliste marseillais, Camille Duteil; tout l'arrondissement suivit l'exemple du chef-lieu, et plusieurs milliers d'hommes s'armèrent pour la défense de la constitution. A Draguignan, la garnison intimidait les démocrates; après de vives discussions, leur chef, opposé à l'insurrection, réussit à l'empêcher; il fit dire aux cantons du nord du département et à ceux de l'arrondissement de grasse qu'il ne fallait pas bouger. Il n'en fut pas moins exilé ensuite. On obéit à ce mot d'ordre, sauf dans le canton de Fayence et dans celui de Cagnes où on essaya un mouvement. A Draguignan, la garnison fut renforcée par les cléricaux de la société de Saint Martin, et la foule se borna à des manifestations tumultueuses. On prit des mesures pour résister à l'attaque prévue des contingents républicains des cantons voisins; la troupe barricada les rues, fortifia la préfecture, amassa des vivres et des munitions. En effet, les contingents du Luc et de La Garde-Freinet, renforcés par ceux de la région de Saint-Tropez, marchaient sur le chef-lieu. La nuit du 6 au 7, ils étaient à Vidauban au nombre d'environ trois mille. De ce moment leurs derrières étaient menacés par le colonel Trauers et le préfet Pastoureau qui venaient de Toulon. Les insurgés acceptèrent pour chef le journaliste Duteil, bavard irrésolu qui leur fit grand tort. Il marcha sur Salernes par Les Arcs et Lorgues; dans cette dernière ville, d'opinion légitimiste, on désarma les gardes nationaux et on fit une quinzaine de prisonniers. Ceux-ci furent traités très cordialement. Arrivés à Salernes et reçus triomphalement, les insurgés apprirent la victoire du président à Paris et l'approche des troupes. Ils se laissèrent surprendre à Aups où les soldats les dispersèrent aisément le mercredi 10 décembre; seul le contingent de La Garde-Freinet battit en retraite en bon ordre et, par les Basses-Alpes, se réfugia dans le Piémont. Le reste des insurgés se dissipa; cinquante étaient morts, quatre-vingts prisonniers; ils furent traités avec la plus extrême dureté. Alors eurent lieu avec la connivence du préfet des crimes atroces. L'insurgé Martin, dit Bidouré, arrêté comme éclaireur et fusillé sur place, avait survécu à ses blessures; livré par le fermier qui l'avait recueilli, il fut fusillé une seconde fois le 14 décembre. A Salernes, on décida pour l'exemple de tuer deux prisonniers; on choisit au hasard; heureusement le gendarme chargé de l'exécution les manqua. Un autre gendarme demanda qu'on lui remit quatre hommes qui l'avaient blessé dans l'insurrection; on lui livra ceux qu'il crut reconnaître, dont un enfant de dix-sept ans, victime d'une méprise, et il les assassina de sang-froid. Enfin, lorsque l'ordre fut rétabli, on déporta ou exila plus de seize cents habitants du Var. Les
Basses Alpes.
La ville de Digne fut bloquée; elle fut occupée par les insurgés. Ceux-ci étaient animés d'un grand enthousiasme, persuadés que dans toute la France on faisait de même son devoir. La garnison de la ville signa une capitulation. Les caisses des différents services furent centralisées à la préfecture; le comité central de résistance procéda méthodiquement; organisant des comités communaux et cantonaux pour remplacer les municipalités, désarmant la gendarmerie, remplaçant les juges de paix, abolissant l'impôt impopulaire sur les boissons. Les forces réunies à Digne se montaient à huit mille hommes environ. Mais le comité apprenait la défaite générale des républicains, l'inertie de Marseille, la marche du 14e léger sur Digne. On décida de résister; l'armée républicaine se porta à Malijay; les soldats de ligne furent repoussés et le lieutenant-colonel Parson dut battre en retraite. Le soir de leur victoire, les républicains, sentant l'inutilité d'une plus longue résistance, décidèrent de poser les armes. Successivement, les divers centres du département furent réoccupés par les troupes. Pendant tout le temps qu'ils avaient été maîtres des Basses-Alpes, les comités révolutionnaires avaient assuré l'ordre et, sauf une ou deux exceptions, il n'y eut aucune violence commise. Aillaud (de Volx), qui voulait continuer jusqu'au bout la résistance, fut poursuivi (par le colonel Vinoy) dans la montagne de Lure où il se maintint jusqu'au mois de janvier, puis gagna Marseille où il fut pris; on le déporta à Cayenne. Les vainqueurs fusillèrent ou égorgèrent de sang-froid plusieurs républicains. L'insurrection fut terminée par la reprise de Barcelonnette qui eut lieu le 15 décembre. C'est le point de France où la résistance se prolongea le plus tard. Quand ils furent redevenus maîtres, les fonctionnaires eurent grand-peine à réorganiser le département; personne ne voulait accepter les fonctions publiques; il fallut imposer par la menace les fonctions de maires et de conseillers municipaux à des gens du pays. Des villages furent dépeuplés par la proscription; les bras manquèrent pour les travaux des champs. La population terrorisée remit ses armes et vota en masse oui au 20 décembre. Les abus commis furent tels que le colonel de Sercey fut bientôt condamné pour concussion. Le récit de l'insurrection dans les Basses-Alpes montre ce qu'auraient pu faire des sociétés républicaines solidement organisées dans toute la France. Le
Vaucluse.
L'Ardèche.
La
DrĂ´me.
Le canton de Crest et le pays au Sud de la rivière de la Drôme prirent les armes au son du tocsin; beaucoup de bandes étaient conduites par leur maire, drapeau en tête. Elles marchèrent sur Crest qui était solidement gardé; l'attaque fut intrépide, mais échoua; une des bandes venant de Grane et Chabrillant eut l'idée peu généreuse de placer en tête des otages, prêtres et réactionnaires. Les cantons de Dieulefit, de Bourdeaux et de Marsanne se soulevèrent également et concentrèrent leurs volontaires à Saou, marchant, eux aussi, sur Crest où la troupe renforcée s'était fortifiée solidement avec de l'artillerie. Il y eut là une véritable bataille rangée autour de la redoute qui couvrait le pont. Au soir, les républicains se retirèrent. Au bruit du canon, les gens du voisinage s'étaient mis en mouvement et avaient pris Loriol et menacé Valence. Ils se débandèrent d'eux-mêmes. Dans l'arrondissement de Montélimar, l'agitation fut générale, mais il n'y eut de prise d'armes que dans le canton de Marsanne; cinq cents hommes environ se postèrent à Saint-Marcel où ils furent attaqués par deux compagnies d'infanterie; ils les mirent en déroute. Un retour offensif de forces plus considérables détermina la retraite des insurgés. Les plus compromis se réfugièrent dans la forêt de Saou où l'on tira encore quelques coups de feu au mois de janvier. La répression fut moins violente que dans les autres départements. (A.-M. B.). |
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