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Histoire de l'Europe > La France  > Le XIXe siècle > [la Seconde République / Le Second Empire]

 
Le coup d'Etat du 2 décembre 1851
La résistance au Deux-Décembre en Province
Aperçu Les prémices Le coup d'Etat à Paris La résistance en province
En un grand nombre de points de la France, des hommes d'opinion et de condition très diverses, unis seulement par leurs convictions démocratiques et le respect de la légalité, s'efforcèrent de mettre la force au service du droit et de prendre la défense de la constitution violée et de la République en péril. Ces tentatives de résistance au coup d'Etat du 2 décembre 1851 se produisirent sur toute l'étendue du territoire français, dans des bourgs et des villages comme dans des villes; elles prouvent la force qu'avaient dès ce moment les idées républicaines. L'impitoyable répression dont elles furent le prétexte consolida plus que la terreur exercée à Paris le régime impérial. Les proscriptions qu'il décréta décapitèrent le parti démocratique, laissant les foules livrées à l'influence des autorités officielles; les calomnies odieuses par lesquelles il s'efforça de déshonorer les démocrates maintinrent, dans la bourgeoisie, la conviction que seul le dictateur militaire avait pu la préserver d'une jacquerie. La tardive justice de l'histoire n'a accordé aux victimes du Deux-Décembre qu'une réparation bien faible. L'histoire de la résistance en province a été faite avec une conscience et une impartialité remarquables par Eugène Ténot (La province en 1851, étude historique sur le coup d'Etat, 1868). On en retracera ici, d'après son travail, les événements principaux. 

Il s'agit d'un fait presque unique dans l'histoire de France, car généralement la province suit docilement l'impulsion donnée par la capitale: elle la suit même contre les pouvoirs administratifs et militaires. La résistance opposée au coup d'Etat de 1851 fut significative, car elle fut partout le fait de républicains, n'ayant à compter que sur eux-mêmes et se levant spontanément pour la défense des institutions. Le duc de Morny qui s'installa au ministère de l'intérieur dans la nuit du 1er au 2 décembre, télégraphia aux préfets un résumé des décrets et des proclamations du président de la République; tous obéirent, la plupart firent du zèle. Toute l'administration civile suivit docilement l'impulsion. Le général de Saint-Arnaud, ministre de la guerre, obtint de l'armée le même concours; chefs et soldats reconnurent le coup d'Etat et se déclarèrent disposés à réprimer toute résistance.

L'attitude de la population fut variable; dans plusieurs grandes villes les masses ouvrières, hostiles à l'Assemblée et satisfaites de récupérer le suffrage universel, restèrent indifférentes; les conservateurs, tout ce qu'on appelait le parti de l'ordre, bourgeois et cléricaux, hantés par la crainte de l'échéance de 1852, acceptèrent avec joie la nouvelle et se rallièrent sans hésiter au prince Louis-Napoléon, sauveur de l'ordre social. Non seulement ils ne songèrent pas à résister, mais ils acclamaient un pouvoir qui débutait en emprisonnant leurs chefs. Ils n'eurent pas les hésitations des conservateurs parisiens. Les républicains non plus n'hésitèrent pas; ils comprirent sur-le-champ que la suppression de la constitution entraînait la ruine de la République, de la liberté, des réformes sociales; ils ne furent divisés que sur l'opportunité de la résistance; sur cette question ils ne se partagèrent pas d'après leur nuance plus ou moins avancée, mais d'après leur sentiment personnel; des socialistes se contentèrent de protester, des modérés prirent les armes. 

La conduite et l'énergie de la résistance furent très diverses selon les régions; faibles au Nord, à l'Ouest, à l'Est, résolues et violentes sur certains points du Centre et du Midi, presque générales dans plusieurs département du bassin de la Garonne et de la vallée du Rhône.

Le Nord, l'Est, l'Ouest.
Dans les grandes villes du Nord, tout se borna à des manifestations que la police dissipa : à Lille, à Cambrai, à Reims; les exilés de juin 1849 qui tentèrent de rentrer ne purent soulever personne. 

A Nancy et à Strasbourg, la foule s'amassa, mais céda sans lutte devant la force armée. 

De même à Nantes et à Angers. La petite cité industrielle de La Suze (Sarthe) s'arma à l'instigation de Trouvé-Châtel et se fortifia; mais, après trois jours de cette protestation à main armée, les républicains, apprenant le triomphe général du président, se soumirent spontanément. Dans les autres régions de l'Ouest, nulle tentative ne fut faite.

Le Centre.
Dans les départements du Centre, où les conservateurs étaient moins maîtres du terrain, on fit davantage. 

Le Loiret.
A Orléans, les députés Michot et Martin firent décider le 4 décembre une protestation pacifique; elle se dirigea sur l'hôtel de ville; la municipalité refusa d'y adhérer; les troupes arrivèrent, refoulèrent les manifestants et arrêtèrent leurs chefs, le tout sans coup férir. 

A Montargis, dirigés par le conseil général, Souesmes et l'imprimeur Zanotte firent le 6 décembre une manifestation sans armes et drapeau tricolore en tête; ils furent attaqués par la gendarmerie dont ils désarmèrent une brigade après un combat où plusieurs hommes furent tués ou blessés des deux côtés; les autres brigades de gendarmerie les défirent et leurs chefs furent arrêtés. 

A Bonny-sur-Loire, le mouvement eut lieu le dimanche 7 décembre après la messe, le gendarme Denizeau fut tué; le curé fut arrêté, mais traité avec de grands égards; deux jours après les insurgés se soumirent. 

La Nièvre. Clamecy.
Dans la Nièvre, les républicains avaient une grande majorité même dans les campagnes, gagnées aux idées socialistes. Tous s'y préparaient activement aux élections de 1852, décidés à revendiquer le suffrage universel; les sociétés secrètes organisées à cet effet étaient très influentes dans toute cette région (département de l'Yonne, de la Nièvre, du Cher, de l'Allier). Des troubles avaient eu lieu dans le val de la Loire en octobre 1851, et les départements de la Nièvre et du Cher avaient été mis en état de siège. 

Dans les arrondissements de Cosne et de Nevers on avait arrêté les chefs socialistes, ce qui paralysa le parti de ce côté; mais au nord du département l'antagonisme entre les démocrates et les bourgeois n'était pas moins violent. Ainsi s'expliquent les regrettables incidents de Clamecy

Dans cette petite ville, les réactionnaires accueillirent avec enthousiasme la nouvelle du coup d'Etat. Ils se préparèrent à exercer sur leurs adversaires une vengeance complète; le procureur de la République, Baille-Beauregard, réactionnaire fanatique, prépara l'arrestation de tous les chefs républicains : Millelot père et fils, imprimeurs; Guerbet, les restaurateurs Kock et Goumier, etc. Ceux-ci étaient décidés à résister; le maire conservateur arma ses partisans; la lutte s'engagea le soir du vendredi 5 décembre. Les  paysans des environs, réunis au son du tocsin, arboraient le drapeau rouge et venaient se réunir à Clamecy aux démocrates de la ville. On délivra les prisonniers, les gendarmes et les gardes nationaux réactionnaires furent battus après un échange de balles, la mairie occupée. Dans la ville et dans les environs, une série de crimes firent le plus grand tort aux insurgés; à Clamecy, l'avocat républicain Mulon fut assassiné; à Pousseaux, le sieur Bonneau, qui voulut résister, fut tué on tenta de tuer le curé d'Arthel et un jeune homme du nom de Poulain; des bandes armées parcouraient les rues de Clamecy terrifiant les bourgeois, réclamant leurs armes, mais sans piller; le gendarme Bidan fut égorgé; plus tard on guillotina un de ses meurtriers, Cuisinier, en même temps que G. Cirasse, celui de Bonneau; en revanche, on commua la peine de mort prononcée contre Galloux qui avait assassiné deux paysans inoffensifs. 

Le comité révolutionnaire social fit de grands efforts pour empêcher ces crimes et décréta de mort tout voleur ou pillard. Plus de quatre mille insurgés étaient massés à Clamecy et proposaient de marcher sur Auxerre. Les nouvelles arrivées de Paris décourageaient les chefs, mais on voulait tenir bon; des barricades furent élevées pour défendre la ville, le préfet vint avec deux cents hommes occuper une colline voisine; les parlementaires envoyés par les insurgés furent massacrés ou incarcérés; le troisième jour, les insurgés évacuèrent la ville, se réfugiant en armes dans les bois des rives de l'Yonne, près de la route d'Auxerre; le 8 décembre la ville fut occupée par le général Petlion avec le 41e de ligne et le 10e chasseurs, puis le commissaire du gouvernement Carlier, l'ancien préfet de police, arriva avec des renforts. 

Les troupes affluaient, organisant de vastes battues dans les bois où s'étaient réfugiés les insurgés; des centaines furent pris, plusieurs tués; les propriétaires guidaient les troupes; bientôt il y eut plus de quinze cents prisonniers à Clamecy; la terreur y régna et les soldats, maîtres de la ville, s'y comportèrent comme en pays ennemi. Leurs excès égalèrent au moins ceux qu'on avait reprochés aux insurgés; on avait interdit de donner refuge aux insurgés sous peine d'être traité comme complice, et plus tard on vit des conseils de guerre condamner des gens, accusés pour ce seul fait, à vingt ans de travaux forcés! Le terrorisme était tel que la légende fabriquée par le gouvernement est restée presque sans démenti pendant des années. 

On profita des quelques crimes dont nous avons parlé pour raconter que la ville de Clamecy avait été livrée trois jours durant au pillage, au meurtre, à l'incendie et au viol : pillage de la sous-préfecture, des maisons des riches, vol de la caisse du receveur, incendie des registres des notaires, viol des filles du receveur de l'octroi, de la femme du sous-préfet, soixante meurtres, dont celui d'un enfant de treize ans dans les bras de sa mère; danses sauvages autour d'un gendarme éventré; rien ne manque aux récits officieux. Tout est faux; il n'y eut pas un vol, pas un viol, pas d'incendie de registres; la caisse du receveur fut rendue intacte, sauf un prélèvement de 240 F  pour l'assistance publique. On sait, en revanche, comment agirent les défenseurs de l'ordre. L'attitude du colonel Martimprey, présidant le conseil de guerre de Clamecy; fut odieuse.

A Neuvy-sur-Loire se passèrent des événements analogues à ceux de Clamecy. Lorsqu'on y apprit l'insurrection de ce chef-lieu d'arrondissement, on suivit l'exemple : le 7 décembre le maire fut emprisonné avec les notables, le curé blessé; ce crime resta isolé. Le lendemain, le secrétaire général du département marcha sur le bourg, enleva la barricade, fusilla sur place ou après coup les principaux insurgés, emprisonna la plus grande partie de la population masculine traquée dans les bois des environs.

L'Yonne.
Dans le département de l'Yonne, la principale insurrection se produisit à la foire Saint-Sauveur (7 décembre) où le professeur de médecine vétérinaire, Thiébault, en donna le signal. Deux bandes marchèrent sur Auxerre; la première fut battue et dispersée à Toucy par la gendarmerie et la garde nationale; la seconde, forte de trois cents hommes, fut battue à Escamps après une vive résistance. Dans toute la Puisaye, dont les chemins creux et les bocages eussent rendu facile une résistance plus vive, la répression fut d'une incroyable violence, malgré la bonne attitude des insurgés. Les gros propriétaires réactionnaires se firent un plaisir de guider les troupes à la « chasse aux rouges ».

La Côte-d'Or.
Dans la Côte-d'Or, il n'y eut pas de mouvement armé comme dans l'Yonne et la Nièvre; à Dijon, les principaux républicains furent arrêtés au cours d'une réunion tenue chez la veuve Noëllat. A Châtillon-sur-Seine, les démocrates occupèrent l'hôtel de ville, mais le maire et le sous-préfet les persuadèrent de rentrer paisiblement chez eux.

Le Cher.
Dans le Cher qui était en état de siège, et, comme la Nièvre et l'Yonne, sous la coupe du fameux Carlier, il n'y eut de résistance qu'à Saint-Amand; la foule essaya d'envahir la sous-préfecture; le commissaire de police tua un homme, les grenadiers du 41e le dégagèrent et réprimèrent la population.

L'Allier.
Dans l'Allier, les forces démocratiques étaient très grandes et solidement organisées : on s'attendait donc à une vigoureuse résistance au coup d'Etat. Mais les chefs furent enlevés par surprise dans la nuit du 3 au 4 décembre. Ils s'étaient réunis à Iseult, près de Moulins, pour concerter leurs efforts et s'emparer de la ville. Cernés, à l'improviste, par deux escadrons de chasseurs à cheval, ils furent pris. L'insurrection du Donjon prouva combien un mouvement d'ensemble eût été redoutable dans le département de l'Allier. 

Le Donjon est un chef-lieu de canton de l'arrondissement de La Palisse; les chefs des républicains étaient le notaire Terrier, le médecin Giraud de Nolhac, les frères Prévereaud; ils résolurent, dès le 3 décembre, de résister au coup d'Etat; le juge de paix Dollivier et le maire Laboutresse, chefs des réactionnaires, furent arrêtés, puis une centaine d'hommes marchèrent sur La Palisse; le sous-préfet se mit à la tête de la garde nationale; elle fut mise en déroute. Les démocrates défirent ensuite la gendarmerie et restèrent maîtres de la ville, ils revinrent ensuite au Donjon; dans la nuit, ils marchèrent sur Moulins par Jalligny, mais, réduits à leurs forces, ils ne purent tenir tête aux troupes qui, le 5 décembre au soir, occupèrent le Donjon. 

Le département avait été mis en état de siège. Le général Aynard, mis à la tête, s'illustra par un arrêté d'une illégalité complète; il rétablit la confiscation : le 18 décembre 1851, il décida que les biens de vingt inculpés seraient mis sous séquestre. Les calomnies dirigées contre ceux-ci ont été entièrement réfutées.

La Saône-et-Loire.
Le département de Saône-et-Loire, bien que les républicains y fussent nombreux, ne résista que mollement. A Chalon-sur-Saône, on arrêta des conseillers municipaux qui s'étaient réunis pour signer une protestation. A Louhans, la population, après une velléité de lutte, s'apaisa; de même à Tournus, où une trentaine de démocrates venus de Fontaines attaquèrent la mairie; on envoya de Chalon-sur-Saône des dragons qui les dispersèrent. Aux environs de Mâcon, les communes. de Saint-Gengoux, Saint-Sorlin, etc., furent décidées à la résistance par Dismier qui forma une colonne de cinq cents hommes, occupa Cluny et marcha sur Mâcon. Un combat eut lieu auprès de la ville entre les républicains et la troupe assistée des gendarmes; celle-ci l'emporta. Plus tard, les journaux officieux contèrent que les insurgés avaient rançonné Lamartine et de Lacretelle; ce mensonge fut démenti par les prétendues victimes.

Le Jura.
Dans le département du Jura, les républicains de la ville de Poligny et des environs s'assemblèrent dans la nuit du 3 au 4, désarmèrent la gendarmerie et s'emparèrent de la personne du maire, du sous-préfet, du receveur, d'un officier; ils organisèrent ensuite une administration provisoire, nommant un sous-préfet, un maire et un commandant de la garde nationale. Lorsqu'ils apprirent que le préfet avait battu les insurgés des environs de Lons-le-Saunier et marchait contre eux, ils s'enfuirent et se réfugièrent en Suisse. Ce mouvement de Poligny avait été du commencement à la fin tout à fait pacifique; les journaux officiels en firent un récit d'une sinistre fantaisie.

L'Ain.
Dans le département de l'Ain, les efforts isolés de quelques républicains ne purent provoquer d'insurrection. A Saint André-de-Corcy, à Bagé-le-Châtel, ils cessèrent d'eux-mêmes; à Villars, des troupes venues de Lyon les domptèrent. Un sanglant épisode se produisit à la frontière; des réfugiés politiques, en résidence à Genève, voulurent entrer en France pour combattre le coup d'Etat; quatre seulement allèrent jusqu'au bout, Pothier, Perrin, Charlet et Champin; attaqués par deux douaniers, ils en tuèrent un; arrêtés le lendemain, ils ne furent condamnés qu'aux travaux forcés par le conseil de guerre de Lyon; on cassa le jugement pour obtenir une condamnation à mort, et Charlet fut guillotiné à Belley.

Lyon, Auvergne, Limousin.
La grande cité républicaine de Lyon ne bougea pas; d'une part les ouvriers partageaient les sentiments de leurs frères de Paris et se souciaient peu de défendre les auteurs de la loi du 31 mai et des répressions de juin; d'autre part, le général Castellane avait massé des forces considérables et pris des mesures telles que toute résistance eut été écrasée. En revanche les six départements baignés par le Rhône, en aval de Lyon, furent tous très agités et hostiles au coup d'Etat. Nous y reviendrons un peu plus bas.

Plusieurs villes du département du Puy-de-Dôme préparèrent une résistance, mais ni à Clermont-Ferrand, ni à Thiers, ni à Issoire, ni ailleurs, on ne prit les armes. Les régions voisines du plateau central ne bougèrent pas non plus. Même Limoges se soumit sans combat au régime nouveau, dès que les chefs qui tentaient de soulever les campagnes voisines eurent été chargés et défaits à Linards par un détachement de cavalerie.

Le bassin de la Garonne.
Dans le bassin de la Garonne la résistance eut un caractère particulier, sensiblement différent de celui qu'elle prit au centre et au midi de la France. Les protestations furent très nombreuses, presque générales dans deux départements (Gers et Lot-et-Garonne), mais on lutta peu et sans grande énergie. La propagande républicaine y était récente; elle avait gagné beaucoup de terrain, mais on s'organisait pour les élections, de 1852 et on n'était pas prêt. L'attitude indécise des démocrates des grandes villes ôta toute possibilité de coordonner les efforts. 

Bordeaux, Toulouse, Bergerac.
A Bordeaux, il n'y avait pas plus de deux mille hommes de troupes et une insurrection l'eût certainement emporté. La décision du préfet Haussmann la prévint. D'accord avec le général d'Arbouville, il suivit une conduite analogue à celle que préconisait Morny : consigner les troupes dans les casernes : n'agir qu'en force, sans émietter les efforts. Les chefs du parti républicain refusaient d'agir, attendant des nouvelles de Paris; la foule sans direction s'amassait dans les rues et les allées de Tourny criant : vive la République! Ces rassemblements étaient aisément dissipés par la cavalerie et peu à peu l'on se résigna au fait accompli. 

A Toulouse, les forces militaires étaient très considérables, disposant d'une artillerie formidable, et toute effusion de sang eût été inutile : les chefs républicains se contentèrent d'une protestation pacifique qui parut le 4 décembre dans la presse locale-: ils furent arrêtés dans la nuit suivante.

Les républicains des petites villes et des campagnes du Sud-Ouest furent plus résolus que ceux de Bordeaux et de Toulouse. Dans les Landes, la Gironde, la Dordogne, il n'y a rien à signaler, sauf à Bergerac où l'on essaya de faire voter par le conseil municipal la déchéance des autorités administratives. 

Le Lot.
Dans le département du Lot, la résistance fut pacifique, mais très nette; à Cahors, le maire, le conseil municipal, le secrétaire général de la préfecture donnèrent leur démission. A Figeac, la mairie, la sous-préfecture, la gendarmerie furent occupées, une commission révolutionnaire constituée; s'appuyant sur l'article 68 de la constitution, elle déclara refuser l'obéissance au président de la République; elle assura l'ordre et se sépara lorsqu'on apprit le triomphe du coup d'État à Paris.

L'Aveyron.
Dans le département de l'Aveyron, à Rodez, les républicains s'emparèrent de le préfecture et formèrent un comité de résistance; expulsés par la garnison, ils formèrent une commission constitutionnelle de seize membres et appelèrent à eux les insurgés de la campagne; aucune collision n'eut lieu et l'arrestation des principaux démocrates mit fin au mouvement. De même à Milhau où un comité de résistance s'installa à la mairie et dans les arrondissement de Villefranche-de-Rouergue et de Saint-Affrique.

Le Lot-et-Garonne.
Le département du Lot-et-Garonne est un de ceux où la protestation fut la plus générale. Un entrepreneur du nom de Darnospil fit prendre les armes au canton de Lavardac et y réunit un petit corps d'environ dix-huit cents-hommes; il traversa la ville réactionnaire de Nérac et arriva devant Agen le 4 décembre; ses amis y avaient été arrêtés; en apprenant cet échec, Darnospil et ses hommes découragés, se croyant trahis, se débandèrent. Villeneuve-sur-Lot fut pendant cinq jours au pouvoir de la commission révolutionnaire, mais celle-ci ne crut pas devoir marcher sur Agen, bien que l'opération eût été concertée avec Darnospil. 

A Marmande, l'insurrection s'organisa encore plus solidement. Ce qu'elle eut de remarquable, c'est qu'elle fut faite par les républicains modérés qui respectèrent scrupuleusement la légalité. On commença, le 3 décembre, par convoquer le conseil municipal, en grande majorité républicain; on tint une séance de nuit. Après de longues hésitations, on décida qu'en vertu de l'article 68, le président de la République était déchu de ses fonctions et qu'on lui refuserait obéissance; le peuple assemblé accueillit avec joie cette nouvelle. Le sous-préfet, mis en demeure de se prononcer, se déclara pour le président, mais permit de réorganiser la garde nationale. 

Le soir du 4, le conseil municipal destitua le maire et le sous-préfet et transmit ses pouvoirs à une commission de trois membres (Vergnes, Goyneau, Mouron aîné); le sous-préfet et les gendarmes se retirèrent; huit cents fusils furent distribués au peuple, les maraudeurs emprisonnés. On nomma commandant supérieur des gardes nationales de l'arrondissement l'ancien chef d'escadron Peyronni. Il accepta la défense de la constitution, convoqua à Marmande tous les citoyens disponibles des autres communes, les invitant à organiser leur défense intérieure. Les hommes affluaient; il fit mettre en état deux petits canons, fabriquer des muinitions et manoeuvrer ses troupes; il avait près de quatre mille hommes avec lesquels il eut peut-être pu s'emparer de Bordeaux; mais il n'y songeait pas, sa grande préoccupation était de maintenir l'ordre. Il congédia même les paysans, empêcha d'élever des barricades. 

Quand on apprit la répression de Paris et la marche des troupes sur Marmande, la foule accusa Feyronni de lâcheté. Exaspéré, il se mit en campagne, mit en déroute un escadron de gendarmerie, mais emmena ses troupes le plus loin possible de l'adversaire; elles se débandèrent dans la journée du 9 décembre, tandis que les soldats entraient à Marmande. L'état de siège fut proclamé dans le département du Lot-et-Garonne; les insurgés, réfugiés dans les fermes et les bois, furent successivement arrêtés par les colonnes mobiles.

Le Tarn-et-Garonne.
Le Tarn-et-Garonne fut moins profondément agité par  le coup d'Etat du 2 décembre que le Lot-et-Garonne : le préfet, Pardeilhan-Mezin, donna un bel exemple en refusant d'adhérer au gouvernement illégal ; il exhorta ses administrés au calme : 

« Un grand événement vous est annoncé; les circonstances vous demandent plus que jamais l'ordre, l'union, la paix. Vos intérêts les plus chers et les plus sacrés vous y convient. Cependant, la conscience a des appréciations souveraines et des lois inflexibles. J'ai donc demandé un successeur... »
Il n'y eut d'essai de lutte qu'à Castelsarrasin et à Moissac où il fallut appeler des troupes de Toulouse et où l'on fit une foule d'arrestations.

Le Tarn.
Dans le departement du Tarn, la ville ouvrière de Mazamet fut contenue par l'armée.

Le Gers.
Le département du Gers fut un de ceux où la protestation contre le putsch du 2 décembre fut le plus unanime, l'opinion démocratique y dominait complètement. Le fait est d'autant plus remarquable que ce département sera, quelques décennies plus tard, le plus dévoué au parti bonapartiste; rien ne démontre mieux que ce changement l'efficacité de la persécution qu'un préjugé littéraire proclama inefficace. Les proscriptions en masse de 1852 ont eu les conséquences politiques les plus profondes et les plus durables. Ce qui est intéressant dans l'attitude des habitants du Gers en décembre 1851, c'est que la résistance ne vint pas des villes, petites et peu importantes, mais bien plutôt des populations rurales. Celles-ci étaient tout à fait acquises aux idées républicaines; non moins que la petite bourgeoisie elles adhéraient aux sociétés récemment formées et dont l'organisation s'achevait. 

Quand arriva la nouvelle du coup d'Etat, partout on songea à résister. Les autorités du département se contentèrent d'inviter la population au calme, sans se prononcer pour ou contre le président. Dans le chef-lieu, à Auch, l'opinion modérée prévalut; les hussards de la garnison comprimèrent la foule à qui les chefs républicains déconseillaient l'insurrection. Lorsque les insurgés des campagnes se présentèrent venant de Vic-Fezensac, de Jégun, de l'Isle-de-Noé, de Bassones, onu les amusa par des pourparlers; ils étaient d'ailleurs peu belliqueux, observaient un ordre scrupuleux et songeaient plutôt à manifester qu'à combattre. Ils ne songèrent pas à se couvrir par des barricades et, chargés à l'improviste par les hussards, après une trêve négociée avec leurs chefs, ils furent dispersés; les autorités profitèrent de ce succès pour emprisonner les plus influents républicains. 

A Fleurance, où l'on avait arrêté le nouveau préfet du Gers et le sous-préfet de Bayonne, les hussards rétablirent l'ordre. Les gens de Mirande furent plus énergiques. Le sous-préfet fût arrêté et faillit périr; les auteurs du mouvement, Boussès, Paseau, Passama, B. Lasserre, le sauvèrent à grand-peine; un gouvernement révolutionnaire fut institué; la population masculine des communes de l'arrondissement fut convoquée; on la levait en masse pour la défense de la constitution. 

Elle répondit à l'appel; les hussards et les gendarmes furent repoussés, et dans la journée du 4 décembre tout l'arrondissement de Mirande se souleva au son du tocsin; toutes les communes des canton de Masseube, Mirande, Montesquiou, Miélan, envoyèrent leurs contingents an chef-lieu; de même le canton de Marciac. 

On réunit à Mirande plus de six mille hommes armés; pas un excès n'est signalé et les bandes républicaines qui restèrent durant trois jours maîtresses du pays y maintinrent un ordre rigoureux. De Mirande, de Masseube, on marcha sur Auch; mais des renforts (chasseurs et artillerie) arrivaient de Toulouse et de Pau. La résistance était inutile; les chefs se dévouèrent noblement : ils restèrent après avoir licencié leurs hommes, pour endosser seuls la responsabilité; c'était compter bien naïvement sur la générosité des bonapartistes. 

A Condom, les faits ressemblèrent beaucoup à ceux de Mirande. Les républicains occupèrent le pouvoir, constatèrent au nom de l'article 68 de la constitution la déchéance des autorités exécutives, formèrent un gouvernement provisoire. Apprenant les événements de Paris, ils cessèrent spontanément la résistance.

Le 8 décembre le département du Gers fut mis en état de siège. Parcouru par des colonnes mobiles, qui multipliaient les arrestations au point de dépeupler des villages entiers, il fut terrorisé. La répression fut atroce; plus de deux mille républicains furent déportés, exilés ou internés.

Le Midi méditerranéen.
Dans les départements du Midi proprement dits, c.-à-d. dans ceux que baigne la Méditerranée, Pyrénées-Orientales, Aude, Hérault, Gard, Bouches-du-Rhône, Var, les sentiments démocratiques ont toujours été puissants et les divisions entre les partis politiques profondes. Aussi dans toute cette région les sociétés républicaines tentèrent de résister au coup d'Etat, et après le triomphe du président elles furent durement frappées par la proscription. Les passions politiques greffées sur les passions religieuses avaient été très vives depuis la Révolution dans ces pays riverains de la Méditerranée; après le calme relatif de la monarchie de Juillet elles se réveillèrent sous la République la réaction dirigée par le clergé, les jactances et les menaces des légitimistes exaspérèrent les républicains qui se rallièrent en grande majorité à la fraction socialiste.

La société des Montagnards.
La société secrète des Montagnards fut formée principalement par les efforts de l'ancien député à l'Assemblée constituante, Gent, afin de résister au coup d'Etat que l'on redoutait à partir de 1850. Les chefs de la société, compromis dans le complot de Lyon, furent condamnés, mais la société ne fut pas ruinée pour cela; elle fut cependant affaiblie et ne paraît plus avoir eu en 1851 de direction centrale bien efficace; les groupements locaux étaient  à peu près autonomes, au moins dans chaque département. 

On leur donnait la forme de sociétés de secours mutuels. L'organisation était presque militaire. Les affiliés étaient groupés par dix formant une décurie qui élisait un décurion; dix décurions se réunissaient pour nommer un centurion et un sous-centurion lesquels recevaient les instructions d'un comité directeur établi dans la ville voisine. Les paysans entraient en grand nombre dans ces cadres; on ne leur demandait qu'une petite cotisation mensuelle destinée à subventionner les publications démocratiques et à secourir les sociétaires. Au bout de quelque temps l'affilié devenait un initié; il s'engageait à défendre la République par les armes, à s'en procurer, à obéir aux chefs tant pour le vote que pour la lutte éventuelle à main armée. La réception avait lieu avec un cérémonial mystérieux et l'initié jurait de quitter père, mère, femme et enfants pour voler à la défense de la liberté ou encore d'armer son bras contre toutes les tyrannies politiques et religieuses. 

Cette société des Montagnards, qui comptait ses adhérents par dizaines de mille dans chaque département, s'étendait sur ceux de la vallée du Rhône, Ardèche, Drôme, Vaucluse et Basses Alpes, non moins que sur ceux de la Méditerranée, Gard, Hérault, Bouches-du-Rhône et Var. C'est elle qui dirigea la résistance qui dans la Provence fut acharnée.

Les Pyrénées-Orientales.
Le département des Pyrénées-Orientales, bien que dévoué aux idées républicaines et hostile an coup d'Etat, ne vit aucune tentative de résistance armée. L'agitation fut considérable à Perpignan, à Estagel, à Collioure, à Elne, à Prades, mais n'aboutit pas. Le préfet déploya une réelle énergie; il fit disperser la foule à Perpignan par la troupe; il se rendit avec les soldats à Estagel ou une tentative faite pour délivrer les républicains arrêtés, provoqua une décharge qui tua deux habitants. Ultérieurement un grand nombre de Roussillonnais furent arrêtés et déportés, malgré le caractère pacifique de l'opposition. Il en fut de même dans le département voisin de l'Aude.

L'Hérault.
Dans le département de l'Hérault, la ville de Montpellier, qui allait au 20 décembre 1851 voter en majorité contre le président, fut contenue par la garnison grâce surtout à l'incarcération des principaux membres du parti républicain. A Béziers, les Montagnards, dirigés par Péret, décidèrent la résistance armée dès le 3 décembre. Les quatre mille affiliés furent convoqués au cimetière Vieux sur la route de Bédarieux où vinrent se réunir aux Bitterrois les paysans de tous les villages des environs. 

On était persuadé que la troupe ne tirerait pas sur le peuple et on négligea de se barricader dans ces rues étroites et tortueuses où l'insurrection eût été inexpugnable. Les délégués du peuple, Redon et Pujol, vinrent sommer le sous-préfet de résigner ses fonctions. Il refusa. Quand les insurgés avancèrent, les soldats après une longue hésitation firent feu à bout portant; l'effet fut terrible; une courte lutte s'engagea, mais bientôt la garnison eut le dessus dans toute la ville. A ce moment on apprit l'atroce assassinat de Bernard Maury et de  Vernes par des misérables du bas peuple. Ce crime, dont on allait les rendre responsables, démoralisa les républicains. 

La ville de Béziers était domptée. Les campagnes environnantes avec les bourgs et petites villes de Pézenas, Servian, Florensac, Vias, Bessan, Capestang, Marseillan, étaient insurgés. Ce mouvement n'eut d'ailleurs à aucun moment le caractère d'une jacquerie et il n'y eut ni meurtre ni pillage. A Pézenas, on se contenta de faire relâcher les républicains arrêtés et consigner les soldats dans les casernes. A Capestang, on occupa la mairie, malgré les gendarmes; les démocrates furent maîitres de la ville jusqu'au 10 décembre où une colonne mobile vint l'occuper sans résistance.

La ville industrielle de Bédarieux fut le théâtre de scènes déplorables. La population ouvrière, en conflit fréquent avec les gendarmes, avait conçu contre eux un ressentiment profond. Le mot d'ordre de l'insurrection vint de Béziers; on décida d'occuper la mairie, ce qui fut fait malgré le refus du maire que remplaça l'horloger Bonnal. Le maréchal des logis Léotard et le gendarme Bruguière, exaspérés par la surveillance des insurgés, firent feu sur des passants inoffensifs, dont l'un, Cabrol, vieillard de soixante-dix ans, fut tué. Cet assassinat mit la ville en fureur. On se rua sur la caserne de gendarmerie; on y mit le feu dans la nuit du 4 au 5 décembre; les gendarmes s'évadèrent, mais furent découverts; les plus détestés, Léotard, Bruguière et Lamm, furent tués; un seul des insurgés commit un vol; c'est celui qui plus tard dénonça les autres auteurs du meurtre de Léotard et fut non seulement relâché, mais traité avec faveur par l'administration. Après ces malheureux événements les insurgés rétablirent et maintinrent l'ordre. Le 8 décembre, le département de l'Hérault fut mis en état de siège; le 10, le général Rostolan occupa Bédarieux. Les insurgés s'étaient enfuis dans les forêts des Cévennes; ils furent pourchassés par des colonnes mobiles qui tuaient sans hésiter quiconque essayait de s'enfuir. Il y eut plus de trois mille arrestations, plus de deux mille déportations.

Le Gard.
Dans le département du Gard, l'insurrection fut très étendue, mais sans grande énergie, et il n'y eut pas d'effusion de sang. Dans les communes protestantes principalement se formèrent des bandes qui marchèrent sur les villes, Nîmes, Uzès, mais se retirèrent sans combattre et se dispersèrent spontanément dès qu'elles connurent les préparatifs de l'autorité. De même dans les arrondissements d'Alès et du Vigan. Aucun excès ne fut commis ni contre les personnes ni contre les propriétés. L'état de siège fut proclamé le 8 décembre et la répression fut très dure.

Les départements provençaux déployèrent plus d'énergie que ceux du Languedoc. La société des Montagnards y était maîtresse du terrain. Il est possible qu'elle eut réussi à provoquer une véritable guerre civile, si la capitale désignée de l'insurrection ne lui eût manqué. 

Marseille.
Marseille, qui a dans cette région une influence prépondérante, fut maintenu au pouvoir du gouvernement comme l'avaient été Bordeaux et Toulouse. A la nouvelle des décrets présidentiels, les ouvriers se préparèrent à la lutte, formant de grands rassemblements qui n'attendaient qu'un mot d'ordre. Celui-ci ne vint pas; les chefs temporisèrent le 3 et le 4, puis furent arrêtés dans la nuit du 4 au 5; la foule sans direction recula devant les démonstrations militaires; et le 7 décembre l'annonce du triomphe du président à Paris acheva la soumission de Marseille. La garnison fut employée contre les insurgés du Var et des Basses-Alpes.

Le Var.
Dans le département du Var, surtout dans les arrondissement de Toulon, Brignoles et Draguignan, la population, en grande majorité républicaine, s'était préparée de longue main pour la lutte que l'on prévoyait devoir éclater en 1852. Les villes furent contenues par l'armée. Celle de Toulon ne pouvait espérer venir à bout des forces considérables qui y séjournaient; la menace suffit pour dissiper les rassemblements. La ville d'Hyères et les villages du littoral environnant furent maîtrisées par un vaisseau de guerre et ses compagnies de débarquement. Le nouveau préfet Pastoureau et le colonel Trauers du 50e de ligne, deux hommes qui se firent dans ces événements une sinistre réputation, comprimèrent aisément la petite ville de Cuers où le brigadier de gendarmerie Lambert avait été tué en voulant défendre la mairie. 

Sur d'autres points la résistance fut plus violente. Le bourg du Luc, au centre du département, forma une commission révolutionnaire qui se déclara au nom de la loi en état de défense contre le chef du pouvoir exécutif. La Garde-Freinet, au centre des exploitations forestières, et Vidauban furent le centre de mouvements analogues. Partout les autorités furent destituées, emprisonnées avec la gendarmerie; on fit plus, on procéda à l'arrestation arbitraire des plus notables légitimistes, lesquels servirent d'otages. La commission révolutionnaire fut maîtresse de ces cantons à partir du 4 jusqu'au 8 décembre. 

A Brignoles, l'insurrection fut provoquée par le journaliste marseillais, Camille Duteil; tout l'arrondissement suivit l'exemple du chef-lieu, et plusieurs milliers d'hommes s'armèrent pour la défense de la constitution. 

A Draguignan, la garnison intimidait les démocrates; après de vives discussions, leur chef, opposé à l'insurrection, réussit à l'empêcher; il fit dire aux cantons du nord du département et à ceux de l'arrondissement de grasse qu'il ne fallait pas bouger. Il n'en fut pas moins exilé ensuite. On obéit à ce mot d'ordre, sauf dans le canton de Fayence et dans celui de Cagnes où on essaya un mouvement. 

A Draguignan, la garnison fut renforcée par les cléricaux de la société de Saint Martin, et la foule se borna à des manifestations tumultueuses. On prit des mesures pour résister à l'attaque prévue des contingents républicains des cantons voisins; la troupe barricada les rues, fortifia la préfecture, amassa des vivres et des munitions. En effet, les contingents du Luc et de La Garde-Freinet, renforcés par ceux de la région de Saint-Tropez, marchaient sur le chef-lieu. La nuit du 6 au 7, ils étaient à Vidauban au nombre d'environ trois mille. De ce moment leurs derrières étaient menacés par le colonel Trauers et le préfet Pastoureau qui venaient de Toulon. 

Les insurgés acceptèrent pour chef le journaliste Duteil, bavard irrésolu qui leur fit grand tort. Il marcha sur Salernes par Les Arcs et Lorgues; dans cette dernière ville, d'opinion légitimiste, on désarma les gardes nationaux et on fit une quinzaine de prisonniers. Ceux-ci furent traités très cordialement. Arrivés à Salernes et reçus triomphalement, les insurgés apprirent la victoire du président à Paris et l'approche des troupes. Ils se laissèrent surprendre à Aups où les soldats les dispersèrent aisément le mercredi 10 décembre; seul le contingent de La Garde-Freinet battit en retraite en bon ordre et, par les Basses-Alpes, se réfugia dans le Piémont. Le reste des insurgés se dissipa; cinquante étaient morts, quatre-vingts prisonniers; ils furent traités avec la plus extrême dureté. Alors eurent lieu avec la connivence du préfet des crimes atroces. L'insurgé Martin, dit Bidouré, arrêté comme éclaireur et fusillé sur place, avait survécu à ses blessures; livré par le fermier qui l'avait recueilli, il fut fusillé une seconde fois le 14 décembre. A Salernes, on décida pour l'exemple de tuer deux prisonniers; on choisit au hasard; heureusement le gendarme chargé de l'exécution les manqua. Un autre gendarme demanda qu'on lui remit quatre hommes qui l'avaient blessé dans l'insurrection; on lui livra ceux qu'il crut reconnaître, dont un enfant de dix-sept ans, victime d'une méprise, et il les assassina de sang-froid. Enfin, lorsque l'ordre fut rétabli, on déporta ou exila plus de seize cents habitants du Var.

Les Basses Alpes.
Le département des Basses-Alpes (auj. Alpes de Haute-Provence), le plus pauvre de France, sans ville importante, était entièrement acquis aux idées démocratiques. Les sociétés des Montagnards y avaient été admirablement organisées; Buisson, ancien maire de Manosque, était le chef du parti. II avait préparé de longue main la levée en masse pour 1852. Quand arriva la nouvelle du coup d'Etat, il agit sur-le-champ. La nuit du 4 au 5 décembre, le tocsin sonna dans tous les villages de l'arrondissement de Forcalquier. On se forma à Manosque et on marcha sur Forcalquier en bon ordre; le sous-préfet fut arrêté et maltraité, mais remis en liberté par les chefs du mouvement. Dans presque tout le département, le mouvement éclata avec un ensemble parfait; bourgeois et paysans partirent en armes, se groupant en contingents bien ordonnés par communes et cantons. 

La ville de Digne fut bloquée; elle fut occupée par les insurgés. Ceux-ci étaient animés d'un grand enthousiasme, persuadés que dans toute la France on faisait de même son devoir. La garnison de la ville signa une capitulation. Les caisses des différents services furent centralisées à la préfecture; le comité central de résistance procéda méthodiquement; organisant des comités communaux et cantonaux pour remplacer les municipalités, désarmant la gendarmerie, remplaçant les juges de paix, abolissant l'impôt impopulaire sur les boissons. Les forces réunies à Digne se montaient à huit mille hommes environ. Mais le comité apprenait la défaite générale des républicains, l'inertie de Marseille, la marche du 14e léger sur Digne. 

On décida de résister; l'armée républicaine se porta à Malijay; les soldats de ligne furent repoussés et le lieutenant-colonel Parson dut battre en retraite. Le soir de leur victoire, les républicains, sentant l'inutilité d'une plus longue résistance, décidèrent de poser les armes. Successivement, les divers centres du département furent réoccupés par les troupes. Pendant tout le temps qu'ils avaient été maîtres des Basses-Alpes, les comités révolutionnaires avaient assuré l'ordre et, sauf une ou deux exceptions, il n'y eut aucune violence commise. Aillaud (de Volx), qui voulait continuer jusqu'au bout la résistance, fut poursuivi (par le colonel Vinoy) dans la montagne de Lure où il se maintint jusqu'au mois de janvier, puis gagna Marseille où il fut pris; on le déporta à Cayenne. Les vainqueurs fusillèrent ou égorgèrent de sang-froid plusieurs républicains. 

L'insurrection fut terminée par la reprise de Barcelonnette qui eut lieu le 15 décembre. C'est le point de France où la résistance se prolongea le plus tard. Quand ils furent redevenus maîtres, les fonctionnaires eurent grand-peine à réorganiser le département; personne ne voulait accepter les fonctions publiques; il fallut imposer par la menace les fonctions de maires et de conseillers municipaux à des gens du pays. Des villages furent dépeuplés par la proscription; les bras manquèrent pour les travaux des champs. La population terrorisée remit ses armes et vota en masse oui au 20 décembre. Les abus commis furent tels que le colonel de Sercey fut bientôt condamné pour concussion. Le récit de l'insurrection dans les Basses-Alpes montre ce qu'auraient pu faire des sociétés républicaines solidement organisées dans toute la France.

Le Vaucluse.
Le département du Vaucluse, malgré la violence des passions politiques, fut moins agité que celui des Basses-Alpes : l'insurrection fut tardive et provoquée par l'exemple du département voisin. Avignon ne bougea pas; Orange fut troublée, mais ne prit pas les armes. Le 7 décembre, des gens venus de Forcalquier s'emparèrent d'Apt où bientôt se trouvèrent assemblés plus de deux mille insurgés. De tous les villages voisins on accourut; les campagnards se réunissaient au son du tocsin. On marcha sur Avignon. Une colonne militaire dut se replier; Lisle fut occupé. Toutefois, les nouvelles du reste de la France découragèrent les insurgés qui rentrèrent chez eux; les bandes restées en armes furent dispersées aux environs de Lisle, de Cavaillon; il y eut plusieurs exécutions sommaires et ensuite beaucoup de proscriptions.

L'Ardèche.
Le département montagneux de l'Ardèche était un des plus travaillés par les sociétés démocratiques; sur bien des points, la résistance s'organisa; mais, par  la nature même du sol, elle était forcément locale et peu redoutable. De plusieurs localités de l'arrondissement de Privas, des bandes considérables se portèrent sur le chef-lieu; on se battit devant la ville; le général Faivre l'emporta et au bout de quelques jours les bandes se dispersèrent; les plus résolues se maintinrent vers Aubenas, Vals et Bourg-Saint-Andéol. D'autres s'armèrent en face de Valence, vers Saint-Péray, Guilleraud, etc. La ville de Largentière fut également attaquée sans succès.

La Drôme.
Le département de la Drôme était, comme celui de l'Ardèche, en état de siège. On y attendait impatiemment l'échéance de 1852; les plus énergiques républicains avaient déjà été condamnés et se cachaient dans les forêts et les montagnes. Commandant les communications avec le Midi, ce département avait une importance stratégique. Les républicains ne purent s'emparer ni de Valence, ni de Montélimar. Ils attendaient les ordres des sociétés secrètes. Celles-ci, qui avaient dans la Drôme trente mille affiliés, agirent tard et mollement. On essaya vainement de convoquer le conseil général. Le chef des Montagnards refusa de donner l'ordre du soulèvement et d'attaquer la préfecture; il fit perdre deux jours, retard irréparable. Puis il céda et envoya le mot d'ordre aux cantons ruraux, pour le décommander quelques heures après, quand il sut les nouvelles de Paris. Le contre-ordre arriva trop tard sur certains points, et par l'énergie qui y fut déployée, on peut juger de la gravité qu'aurait eu le soulèvement général du département qui eût probablement entraîné tout le Midi. 

Le canton de Crest et le pays au Sud de la rivière de la Drôme prirent les armes au son du tocsin; beaucoup de bandes étaient conduites par leur maire, drapeau en tête. Elles marchèrent sur Crest qui était solidement gardé; l'attaque fut intrépide, mais échoua; une des bandes venant de Grane et Chabrillant eut l'idée peu généreuse de placer en tête des otages, prêtres et réactionnaires. Les cantons de Dieulefit, de Bourdeaux et de Marsanne se soulevèrent également et concentrèrent leurs volontaires à Saou, marchant, eux aussi, sur Crest où la troupe renforcée s'était fortifiée solidement avec de l'artillerie. Il y eut là une véritable bataille rangée autour de la redoute qui couvrait le pont. Au soir, les républicains se retirèrent. Au bruit du canon, les gens du voisinage s'étaient mis en mouvement et avaient pris Loriol et menacé Valence. Ils se débandèrent d'eux-mêmes. 

Dans l'arrondissement de Montélimar, l'agitation fut générale, mais il n'y eut de prise d'armes que dans le canton de Marsanne; cinq cents hommes environ se postèrent à Saint-Marcel où ils furent attaqués par deux compagnies d'infanterie; ils les mirent en déroute. Un retour offensif de forces plus considérables détermina la retraite des insurgés. Les plus compromis se réfugièrent dans la forêt de Saou où l'on tira encore quelques coups de feu au mois de janvier. La répression fut moins violente que dans les autres départements. (A.-M. B.).

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