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La forme et les dimensions de la Terre La géodésie pendant l'Antiquité |
Aperçu | Les Anciens ont d'abord cru que la Terre était plane, conformément . Cette conception, attestée chez la plupart des Présocratiques (Anaximène, Anaximandre, Parménide, Héraclite, Empédocle, etc.) a duré assez longtemps dans l'ancienne Grèce. Cependant, Pythagore et peut-être Thalès, à qui l'on attribue d'avoir connu le mécanisme des éclipses, ont reconnu précocement que la Terre était ronde, ou plutôt sphérique. Progressivement, plusieurs arguments (Argumentation) ont été avancés dans ce sens. Le plus classique, à défaut d'être le plus probant, puisqu'il n'a qu'une portée locale, est celui qui fait noter que lorsqu'un navire apparaît en mer à l'horizon, on n'aperçoit d'abord que la bout des mâts; à mesure qu'il approche, on commence à apercevoir ses basses voiles, et enfin le corps du bâtiment; l'inverse a lieu quand le navire s'éloigne. De même, les personnes placées sur un navire qui s'approche d'un port aperçoivent d'abord le sommet des édifices, puis la partie moyenne, puis enfin le bas, etc. Plus décisif est l'argument qui consiste à remarquer que, lorsqu'on s'avance vers le Nord, on voit l'étoile polaire (Petite Ourse) s'élever de plus en plus au-dessus de l'horizon, ce qui n'aurait pas lieu si la Terre était plate. Enfin, comme on vient de le laisser entendre à propos de Thalès, une explication correcte du phénomène des éclipses de Lune conduit à reconnaître la forme de la Terre dans celle de l'ombre qu'elle projette sur la surface lunaire. A l'époque classique, c'est-à-dire au temps de Platon, d'Aristote, d'Eudoxe, etc, tous ces éléments, ajoutés à des conceptions métaphysiques allant dans le même sens, ont fini par convaincre la plupart des penseurs de la rotondité de la Terre. Celle-ci devait être un globe sensiblement sphérique, libre de toutes parts dans l'espace. Pour Aristote, le plus "raisonneur" de tous, cette conclusion s'ancre dans une conception générale de la nature, autrement dit dans sa physique. Sa conception du mouvement, en particulier, participe en effet de sa théorie des lieux naturels : chaque corps concourt vers le lieu qui lui est propre; Terre, immobile, doit donc se trouver naturellement au centre du cosmos, et ses parties, également concernées par cette logique, s'organiser de sorte qu'elle lui donnent la forme d'un globe parfait. Si l'on excepte les Atomistes et les Epicuriens, dont la physique se veut le contre-pied de celle d'Aristote, tous les courants de pensée de l'Antiquité vont à partir de ce moment admettre l'idée de la Terre sphérique. Un pas reste encore à faire : en donner les dimensions, et ce sont les Alexandrins qui l'accompliront. A commencer par Ératosthène. Celui-ci compare la direction verticale de deux lieux distants (Syène et Alexandrie), situés à peu près sur le même méridien, à partir de la taille de l'ombre projetée par le Soleil au même moment et peut ainsi en déduire le rayon de courbure de la surface terrestre, et, partant, son périmètre. Le résultat obtenu, très proche de la réalité, est surtout l'effet de la chance. Mais la méthode et l'effort intellectuel qui y a conduit sont remarquables. Après Ératosthène, quelques autres tentatives seront encore faites. La plus sérieuse est celle de Posidonius. Il faudra ensuite attendre le renouveau de la géodésie du XVIIe siècle pour de véritables progrès soient accomplis dans ce domaine. | |
Jalons | La sphéricité de la Terre et son isolement dans l'espace paraissent avoir été des conceptions répandues en Grèce à une époque très reculée. A ce propos, il est bon de souligner combien cette notion contraire au témoignage de nos sens était un remarquable progrès pour des peuples qui n'avaient ni instruments d'observation ni horloges, et qui ne connaissaient qu'une très faible portion de la surface terrestre. Cependant quelques philosophes eurent encore, semble-t-il, des opinions extravagantes sur cette matière. Anaximandre (d'après Plutarque) crut que la Terre était semblable à une colonne, Démocrite à un disque creux, Empédocle et Anaximène à un disque plat; enfin Xénophane supposa qu'elle était soutenue par une racine infinie. Cette dernière conception paraît procéder des Indiens qui s'imaginaient la Terre portée par un éléphant. Il est difficile que des théories aussi singulières aient pu rencontrer des adeptes, du moins si l'on admet que Thalès (450 ans av. J.-C.) avait déjà enseigné le moyen de prédire les éclipses; l'explication de ces derniers phénomènes est en effet incompatible avec une telle ignorance de la figure véritable de notre globe. D'ailleurs Aristote, contemporain ou prédécesseur de la plupart de ces philosophes, professa sur ce sujet une saine doctrine et l'établit sur des fondements très solides (Traité du Ciel). Mais c'est une opinion faussement accréditée qu'Aristote entreprit une évaluation de la longueur de la circonférence terrestre; il ne fit que reproduire une estimation enseignée sans doute depuis longtemps. Voici littéralement traduit le passage qui a pu donner lieu à cette erreur : « Ceux d'entre les mathématiciens qui essayent d'apprécier ou de calculer la grandeur de la circonférence terrestre, disent qu'elle peut aller à 40 myriades de stades; d'où l'on peut conclure non seulement que la masse de la Terre est de forme sphérique, mais qu'elle n'est pas grande, si l'on compare cette grandeur à celle des autres astres. »Il ne faut retenir que la déduction; telle est l'opinion de Simplicius, commentateur d'Aristote, qui écrivait à Alexandrie au VIe siècle de l'ère chrétienne. Après avoir rapporté le passage ci-dessus, il ajoute un peu plus loin : « Peut-être aussi Aristote n'admettait-il pas cette mesure comme exacte; mais il n'en prenait que ce qu'il lui fallait, pour montrer que la Terre n'est pas très grande, puisqu'elle n'avait que cette dimension. »Lucrèce, dans son célèbre poème De Natura rerum, a adopté l'opinion d'Anaximène, faisant ainsi rétrograder de plus de trois siècles la science qu'il entendait régénérer! D'ailleurs, la preuve expérimentale de la sphéricité de la Terre devait encore se faire attendre longtemps, puisqu'elle ne fut réalisée qu'en 1519, lorsque Magellan eut accompli son voyage de circumnavigation. La mesure de la Terre par Ératosthène La première tentative des humains pour connaître les dimensions de notre globe, ou du moins la plus ancienne dont nous ayons conservé la trace, est due à Ératosthène, philosophe grec, qui vivait vers l'an 250 av. J.-C. Ptolémée Evergète l'avait appelé à Alexandrie et lui avait confié la direction de sa bibliothèque. Les routes d'Égypte avaient été mesurées par des arpenteurs ou bématistes qui exprimaient les distances en pas (bêma). Ils avaient trouvé que la distance entre Syène (aujourd'hui Assouan, au sud de l'Égypte) et Alexandrie était de 5000 stades. Ératosthène supposa ou crut que ces deux villes étaient situées sur le même méridien; il fit servir leur distance au calcul de la circonférence terrestre. On avait remarqué qu'à Syène, le jour du solstice d'été, à midi, une tige verticale ne projette pas d'ombre. Il en résultait que la direction des rayons lumineux coïncidait avec celle de la verticale et que par conséquent cette ville est placée sous le tropique. Mais à Alexandrie, le même jour à midi, la distance zénithale du Soleil était de 1/50 de circonférence; l'arc compris entre les deux villes avait donc une amplitude semblable et, par suite, la longueur de la circonférence terrestre était cinquante fois plus grande que 5000 stades, c.-à-d. de 250 000 stades, soit 695,5 st par degré. A ces causes d'erreurs qu'il connaissait, il faut en ajouter d'autres : à Syène, l'espace où l'ombre d'un style vertical est nulle s'étend circulairement sur une calotte de 300 m de diamètre, à cause des dimensions du Soleil. Enfin on ignore à l'aide de quel instrument il détermina la hauteur du Soleil à Alexandrie. Delambre a démontré l'impossibilité des faits rapportés à ce sujet par Cléomède, mais il est probable que ce fut à l'aide du gnomon. Or cet instrument ne permet d'observer que la longueur des ombres projetées par le bord supérieur du Soleil; d'où une erreur égale au demi-diamètre du Soleil, c.-à-d. de plus d'un quart de degré, indépendamment de celle provenant de l'évaluation du rapport des longueurs du style et de l'ombre projetée, erreurs qui pouvaient s'ajouter ou se détruire en partie; enfin Syène et Alexandrie ne sont pas sur le même méridien, il s'en faut de 2°. Mais quelque imparfait que fût ce procédé, par suite des erreurs qu'il comportait, ce n'en est pas moins un effort impressionnant. Posidonius s'y colle aussi Deux siècles s'écouleront avant que l'on retrouve un nouvel essai, soit en vue de vérifier le nombre d'Ératosthène, soit en vue d'en obtenir un plus exact. C'est à Posidonius, philosophe stoïcien contemporain de Pompée, que revient cette initiative. Il avait remarqué que l'étoile Canopus (constellation de la Carène) ne se montre que pendant quelques instants, au-dessus de l'horizon de Rhodes, et qu'elle ne quitte pas ce plan, tandis qu'à Alexandrie elle est élevée de 1/4 de ligne, soit 7°30', au moment de sa culmination méridienne (passage au méridien). La différence des latitudes est donc de 7°30' ou 1/8 de circonférence. D'autre part, il supposait ces deux villes à cheval sur le même méridien et distantes de 5 000 stades; il en concluait pour la circonférence terrestre 5000 X 48, c.-à-d. 240 000 stades. Cette détermination est inférieure à celle d'Eratosthène, car la distance maritime de Rhodes à Alexandrie ne pouvait être qu'une approximation fort douteuse, bien moins certaine que la distance de Syène à Alexandrie. Ensuite, la réfraction à l'horizon est de 33'48"; à 7° du zénith elle est de 7'26", soit une erreur de 26' sur l'amplitude de l'arc, indépendante de celle qui pouvait exister dans l'appréciation de la hauteur de l'étoile à Alexandrie; enfin ces deux villes ne sont pas sur un même méridien, il s'en faut de plus de 1°30'. Il est d'ailleurs impossible de savoir à quel point ces deux mesures pouvaient s'accorder, attendu que les stades employés ne sont sans doute pas identiques et que nous ne possédons aucune indication permettant de les comparer et de les rapporter à nos mesures itinéraires. Il est donc encore plus impossible d'apprécier leur exactitude absolue, au moyen des données de la science moderne. Vers la fin du XVIIIe siècle, quelques auteurs se sont épuisés à cette tache ingrate, pour satisfaire à cette étrange conception d'un peuple ancien (par exemple, comme le croyait Bailly, les habitants de l'Atlantide, dont les Grecs auraient fait les personnages de leur mythologie...), avant possédé les connaissances scientifiques les plus étendues dont la tradition aurait conservé quelques bribes. D'Alembert a fait justice de cette hypothèse dans une lettre adressée à Voltaire: « Le rêve de Bailly d'un peuple ancien qui nous a tout appris, excepté son nom et son existence, me paraît un des plus creux qu'on ait jamais eus. »Strabon, le célèbre géographe, qui semble avoir été fort peu versé dans la science astronomique, corrigea néanmoins la mesure de Posidonius. Il dit expressément que la distance de Rhodes à Alexandrie est de 4 000 stades, puis, un peu plus loin, il ajoute que de toutes les mesures, celle qui fait la terre la plus petite est celle de Posidonius qui lui donne 480 000 stades. Cette conclusion est inexplicable, car il aurait dû trouver 200 000. Ptolémée, « le prince des astronomes », passe également à tort pour avoir donné les dimensions de la Terre. A la vérité, il a indiqué dans sa géographie un procédé pour les déterminer, mais rien n'autorise à penser qu'il l'ait appliqué. Voici ce qu'il écrit : « Nos prédécesseurs, pour déterminer le rapport des distances à la circonférence entière d'un grand cercle, ont exigé que l'arc mesuré dans une direction constante fût tout entier dans un méridien. Observant aux sciothères la position des zéniths de deux lieux [Le repérage des astres], ils en ont conclu l'arc du méridien compris entre les deux lieux. Nous avons enseigné la construction d'un instrument propre à ce genre d'observations. Outre beaucoup d'autres usages importants, cet instrument peut servir à prendre chaque nuit la hauteur du pôle et à toute heure la position de la méridienne et les angles azimutaux. Par ces moyens, on peut encore connaître l'angle au pôle entre les deux méridiens, ou, ce qui revient au même, l'arc de l'équateur qui exprime cet angle. Il nous suffit donc d'un arc mesuré dans une direction quelconque pour trouver le nombre de stades de la circonférence entière. »Delambre remarque judicieusement que « tout ceci est géométriquement vrai, mais, que dans la pratique, le moyen serait à la fois long et incertain. Les deux extrémités de l'arc seraient en effet invisibles l'une pour l'autre, à moins que cet arc ne fût d'une petitesse extrême; par suite, on ne pourrait orienter la direction de la ligne à mesurer, c.-à-d. l'azimut de cette ligne, que pour l'une des deux stations. Il faudrait calculer l'angle avec la plus grande exactitude, ce qui est peu aisé et devait l'être bien moins enfin, il faudrait être sûr que l'on ne s'est point écarté de la ligne à parcourir. Il garde le silence sur la manière dont il s'y est pris pour mesurer cet azimut, quoique cette observation soit la seule de ce genre dont il parle dans ses divers ouvrages. Enfin, il ne nous donne ni l'amplitude de l'arc mesuré, ni la grandeur de l'arc qu'il en a tiré. Est-ce ainsi qu'on rendrait compte d'opérations si neuves et si importantes, si elles étaient réelles? »Il n'y a rien à ajouter à ces réflexions sages et éclairées qui semblent bien prouver qu'on ne saurait attribuer à Ptolémée, sur ce point, d'autre mérite que celui de l'invention d'une méthode d'ailleurs médiocre. S'il eût appliqué son procédé, il n'eût point manqué de nous dire en quels lieux et de nous fournir les éléments de son calcul. Le silence de Théon, son commentateur, sur ce point si intéressant, ne fait que corroborer cette opinion. |
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