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peinture, dessin |
On appelle paysage, en peinture ou en dessin, la représentation d'un site ou, plus précisément, d'une apparence de la nature. Dans les traités d'autrefois, on distinguait le style héroïque ou idéal, où devaient figurer des temples et des ruines, et le style champêtre ou pastoral; et Watelet énumère les paysages d'après nature qu'il appelle des vues et qui sont à la nature ce que les portraits sont à l'histoire, les paysages mixtes où la nature se mêle à l'imagination, et « les représentations idéales de la nature champêtre ». Classiquement, on a aussi distingué le Paysage historique, héroïque ou académique, qui vise au noble et au grand, emprunte ses sujets à la plus riche nature, préfère les sites ornés de temples, de fontaines, de statues, etc., et les anime même par quelque scène tirée de la mythologie ou de l'histoire; le Paysage poétique ou idéal, où tout est de la composition de l'artiste, qui tend moins à reproduire qu'à interpréter la nature; le Paysage réaliste, qui ne cherche que l'aspect vrai et l'accent particulier, qui prend la campagne comme elle s'offre le plus souvent à nous, dans la pauvreté de sa ligne générale, dans la couleur monotone de sa végétation, avec les accidents vulgaires de ses terrains. Aujourd'hui, nous reconnaissons autant de styles que d'artistes, c.-à-d. autant de styles qu'il y a de manières de sentir la nature; pour le choix de l'heure, de l'atmosphère ou du site, chaque peintre suit son goût et l'on ne songe plus à exiger de lui que la connaissance des lois de la lumière. Même l'on peut s'étonner que, avec les conventions qui les régentaient, des peintres, tels que le Lorrain, aient pu peindre d'aussi admirables oeuvres; car le paysage avait alors ses lois propres : à tel endroit devaient se placer les terrasses, et, en avant du tableau, devaient être figurées les « fabriques » qui pouvaient être d'une architecture grecque ou gothique, neuve ou ruinée, et parmi elles les tombeaux étaient « des fabriques nobles »; et les paysagistes devaient étudier leur art dans les estampes de Titien et des Carrache. Il convient de dire aussitôt que ces entraves s'appliquaient surtout à l'art italien et, par contre-coup, à l'art français, et de noter que, jusqu'au commencement du XIXe siècle, les paysagistes italiens étaient considérés au-dessus de tous les autres, parce que c'est en Italie « que devait s'établir dans toute sa pompe l'art du paysage(». La compréhension moderne de la nature a modifié de telles admirations. Chez tous les peuples, les artistes d'abord se sont prénaturellement de l'être humain, et ils ne se sont intéressés qu'ensuite et accessoirement à l'étude des animaux, des fleurs, de la nature. Dans les civilisations antiques, il semble n'y avoir eu que peu de peintres de paysage. Lorsque les Anciens voulaient représenter une montagne ou une source, ils la personnifiaient dans la figure de quelque dieu. Chez les Grecs, on n'en nomme véritablement aucun, bien qu'on mentionne tel contemporain d'Apelle, Pausias de Sicyone qui, amoureux de Glycère, bouquetière d'Athènes, voulut peindre des fleurs pour en tresser comme elle; chez les Romains, Marcus Ludius, sous le règne d'Auguste, peignit des marines, des paysages avec des figures et des vues; les peintres alors décorèrent beaucoup de maisons en y peignant sur les murs intérieurs des rivières et des bois, telle la maison de Livie qu'on voit au Palatin. Les fresques d'Herculanum et de Pompéi ne donnent que des vues d'édifices, où la campagne tient une place tout à fait accessoire. On trouve des reproductions de paysages anciens dans les Antichite di Ercolano et dans les Monumenti inediti de Winckelmann. La personnification de la nature au moyen de formes humaines se retrouve encore pendant les premiers siècles du Moyen âge : par exemple au baptême de Jésus, on représentait le Jourdain sous la figure d'un homme tenant une urne. Les Byzantins n'eurent pas le sentiment de la nature, bien qu'il se rencontre dans leurs manuscrits des « représentations de pays », bien qu'ils aient eu un goût très déterminé pour les animaux symboliques et pour les feuillages décoratifs. Plus tard, les sujets sacrés eurent un arrière-plan sans perspective, où les maisons, les villes, les torrents, les montagnes s'étageaient comme dans une épaisse tapisserie. Le Christ au Jardin de Gethsemani, par Andrea Mantegna (1455). Au XVe siècle, les paysagistes italiens proprement dits sont rares : on peut citer, à Florence, Mazzieri; mais dès lors les peintres mettent dans leurs tableaux ces délicieux fonds de paysage, calmes ou accidentés, qui semblent peints en miniature, conventionnels, mais d'un exquis sentiment, qu'ont employés tous les maîtres italiens, de Cima da Coneghano, Mantegna (ci-dessus), Filippo Lippi, Marco Basaïti et des Bellini au Pérugin, à Raphaël, à Léonard de Vinci, aussi au Corrège qui les élargit, et qui ont servi de décor à des portraits de Titien ou du Tintoret, jusqu'à la décadence de Francesco Albani et du Romain. Les seuls autres noms importants que l'on puisse mentionner sont : Annibal Carrache, Salvator Rosa, le Dominiquin, le Guaspre, Guardi, Panini et Servandoni. Si l'on s'en tient au paysage même, il faut parler des estampes sur bois de Titien, et nommer Matteino de Sienne, et, chez les Florentins, Fiammingo, Valerio Marucelli et son élève Gaspar Falgoni, surtout Cristoforo Allori, et Viola, à Rome. Au XVIIe sièele, Gaspard Dughet et Claude Lorrain, venus de France, et Salvatar Rosa, venu de Naples, se rencontrent à Rome, et le paysage italien jette alors son plus grand éclat. Plus tard, on peut citer encore Francesco Bassi de Crémone, Zola de Brescia, Sinibaldo Scorza de Gênes, et faire une place à part à Canaletto, le peintre de Venise. La décoration par le paysage se retrouve chez les maîtres allemands qui emploient avec une minuscule délicatesse des fonds d'architecture, comme le Maître de la Mort de la Vierge, ou Altdorfer, ou bien des fonds de nature, comme Martin Schongauer, Strigel, Wolgemut ou Albrecht Dürer. Parmi les paysagistes allemands, on remarquera, au XVIIIe siècle, Wertsch, Hackert et Kobell, qui suivirent une direction réaliste, Tischbein et J. Kock, qui opérèrent une réaction idéaliste. A la fin du XIXe siècle, l'école allemande est revenue presque aux inspirations du Moyen âge pour la simplicité de l'exposition; elle recherche dans l'ensemble l'expression d'une pensée poétique ou même fantastique : tel est le caractère de Lessing, d'Aschenbach, de Scheuren, de Rottmann. On en peut dire autant des artistes norvégiens Gude, Leu et Dohl. A Genève, Diday et Calame cherchent à rendre les impressions terribles, les scènes désolées et sauvages des régions montagneuses. Puis c'est la série des peintres flamands qui vont étudier l'art de l'Italie : Henri de Bles, qui vécut à Venise; Bernard Van Orley, qui est un ami de Raphaël et peint des paysages dans ses tableaux, comme Martin de Vos dans ceux du Tintoret, et qui a composé des chasses pour Charles-Quint; Jan Gossaert, Franz Floris, Paul Bril qui travaille à Rome où il meurt en 1626. Il apparaît alors que les élèves ont à leur tour enseigné leurs maîtres, et dans cette forme du paysage ajouté en accessoire aux tableaux de figures, les Italiens se trouvent être, ainsi que les Allemands, des disciples des Van Eyck. Vue de Tolède, par Le Greco (ca. 1600). Jusqu'à la fin du XVe siècle, le paysage ne forma pas un genre à part; il resta subordonné et accidentel dans les compositions. Ce furent encore deux Flamands, Henri de Bles, déjà cité, et Joachim Patenier, qui osèrent faire des tableaux où le paysage fut le sujet principal. Depuis ce moment une nombreuse école se forma dans les Pays-Bas, tels David Rychkaert, qui peignit d'abord des paysages; tel Breughel de Velours, qui travailla à l'oeuvre de Rubens, avec Snyders, peintre d'animaux, et Daniel Seghers, peintre de fleurs, tels, encore Roland Savri, David Vinckebooms, Hondekoeter, Josse de Momper, etc. Mais les Hollandais, ayant toujours sous les yeux le paysage de leur contrée dont ils ne s'éloignaient jamais, épris de la vérité d'une nature qu'ils aimaient, furent des paysagistes incomparablement supérieurs et aux Flamands et aux Italiens. Dès la XIVe siècle, il existe à Haarlem des peintres de fleurs; Albert Van Ouwater y peint au commencement du XVe. Lucas de Leyde peint et grave des paysages. Au XVIIe siècle, la floraison éclate de toutes parts; chaque ville de ce petit pays a des maîtres, et partout on rencontre des paysagistes: à Utrecht, Abraham Bloemaert et ses élèves Jan et André Both, à Delft, Van der Meer; à Haarlem, Salomon et Jacob Ruysdael, les Wouwermann, Wynants, Nicolas Berghem; à Amsterdam, Aart Van der Neer, les Weenix, Pynacker, Paul Potter, Vann de Capelle, les Van de Velde, Hobbema; à Leyde, Jan Van Goyen; à Alkmaar, Van Everdingen à Dordrecht, les Cuyp. Voici encore Saft-Leven qui peint les bords du Rhin, Swanevelt qui a été l'élève du Lorrain, et Poelenburg qui a la maladresse de subir l'influence italienne. Rembrandt peint et grave des paysages. Citons aussi Adam Elzheimer, Swanevelt, Pynacker, Zachtleven, Asselyn, Pierre de Laar, qui se préoccupèrent surtout de la composition et du style, de la science des lignes et des masses; ou encore Waterloo, Karel Dujardin, Ruysdaël, Van der Heyden Moucheron, Van Artois,Huysmans, qui peignirent avec un sentiment plus juste et dans le sens du naturalisme. Puis au XVIIIe siècle les oeuvres se multiplient et les maîtres disparaissent. On ne peut plus guère mentionner que Dietrich, Van Os, et Schweichardt. Au XIXe siècle, le réalisme domine en Hollande avec Koekkoek et Schoter. Tandis que l'art du paysage était épuisé en Hollande, deux peintres naissaient en Angleterre, qui devaient avoir sur les paysagistes du XIXe siècle une considérable influence, Turner en 1775 et Constable en 1776; Constable chercha l'expression de la nature, et Turner, qui, après avoir beaucoup appris du maître français Claude Lorrain, devait beaucoup apprendre au maître français Claude Monet, en poursuivit la lumière. Avant eux, on peut citer Samuel Scott, Stanfield, Martin, etc., mais il faut retenir surtout, les beaux fonds de paysage des portraits de Reynolds et de Gainsborough. La France, après Jacques Stella, né à Lyon en 1596, dont les Pastorales avaient été gravées par sa nièce Claudine Stella, et à côté de Laurent de La Hire, de Sébastien Bourdon, de Allegrain, de Patel père et fils, de Jacques Courtois, de Joseph Parrocelet, de Gaspard Dughet, avait eu Nicolas Poussin, maître incomparable du style héroïque, et le grand Claude Lorrain. L'école de David, préoccupée de l'« académie », délaisse la nature, et on ne trouve guère au commencement du XIXe siècle qu'un Bertin ou un Demarne, et ces peintres adonnés à l'étude du détail qui formeront vers 1820 l'école des « mille feuilles ». Mais la réaction se prépare et voici tout à coup la magnifique pléiade des peintres de Fontainebleau (L'Ecole de Barbizon), Corot, Daubigny, Millet, Troyon, Théodore Rousseau, Jules Dupré, animés tous d'un sentiment profond de la nature, et l'exprimant chacun selon le désir qu'il a d'elle et l'émotion qu'il en éprouve : Français et Harpignies devaient les suivre. Venu après Corot, Courbet dans une recherche contraire s'attacha à la représentation immédiate de la nature et, réaliste, il prépara l'impressionnisme. Ville-d'Avray, par Camille Corot (1867). Cependant des peintres s'éprenaient de la couleur ardente des pays que brûle le soleil, et, curieux de l'Afrique et de l'Asie méditerranéennes, ils devenaient des «-orientalistes-» : tels Marilhat, Chassériau, Decamps, Papety, Fromentin, et après eux Guillaumet, à la fin du XIXe siècle , les orientalistes se sont réunis en une société, fondée en 1892 par Bénédite, qui faisait chez Durand-Ruel une exposition annuelle où figuraient Paul Buffet, Girardot, Bompard, Chudant, Dinet. D'ailleurs, les paysagistes sont nombreux à cette époque et fort indépendants les uns des autres; et si l'on réunit dans une énumération Damoye, Montenard, Julien Dupré, Gagliardini, Nozal, Guillemet, René Billotte, et des peintres du Nord habitués à Paris comme Harrison, Zorn ou Mesdag, il est très difficile de leur trouver un caractère commun. Au surplus, un nom se détache parmi ces noms, celui de Cazin, qui a exprimé l'émotion humaine que peut donner la nature - aussi celui de Muenier; à côté d'eux, il convient de nommer les peintres qui ont employé le paysage comme un accessoire réel de l'homme qu'ils plaçaient dans un milieu de plein air, ainsi que Roll ou Bastien-Lepage, ou comme un cadre idéal s'harmonisant avec leurs figures, ainsi que Puvis de Chavannes ou Henner, et de retenir les paysages de René Ménard. Mais ce qu'il faut noter comme la marque essentielle de l'époque en matière du paysage, c'est la recherche de la lumière par l'étude de ses décompositions qu'a poursuivie, en s'appuyant sur les découvertes de Chevreul, l'école impressionniste, et en citant Raffaëlli, peintre de la rue, et Sisleyet Pissarro, peintres de la campagne, garder la place d'un maître à Claude Monet. D'autres jalons seront posés par Cézanne, Gauguin et Vincent Van Gogh. Ces trois peintres, avec les Impressionnistes, fourniront tout le socle sur lequel a reposé la peinture de paysage au XXe siècle. (Etienne Bricon). Paysage urbain n°1, par Richard Dienbenkorn (1963).
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