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Histoire de l'art > La peinture > L'Italie |
L'École
Napolitaine est une des écoles
italiennes de peinture.
Quelques auteurs la considèrent comme la plus ancienne, et pensent
même qu'elle a existé sans interruption depuis l'âge
byzantin
: ils parlent de madones faites dans le XIe
siècle, tandis que, dans les autres parties de l'Italie,
les arts étaient presque entièrement oubliés. Ce qui
est plus certain, c'est que l'école de Naples,
à toutes les époques, n'a eu qu'un éclat d'emprunt
: on n'y trouve pas un style original, un ensemble de principes imposés
par un artiste hors du commun et suivis par des disciples, mais toutes
sortes d'influences exercées par des étrangers et souvent
opposées les unes aux autres.
Les premiers maîtres, remontant jusqu'aux débuts de la Renaissance, touchent ainsi aux peintres inconnus de la primitive école gréco-itatienne. On les nomme trecentisti, pour exprimer, qu'ils ont appartenu au XIVe siècle, à celui dont les dates se marquent entre : 1300 et 1400. Tel est, le premier de tous, ce Tommaso de' Stefani, qui, né dans le royaume de Naples en 1324, fut surnommé Giottino pour avoir été l'un des plus heureux imitateurs du grand Giotto, qui, appelé à Naples, y exécuta des fresques à la Santa-Chiara et à l'Incoronata : Simone est le plus connu des peintres qui imitèrent ses exemples. Il ne paraît pas que l'art ait beaucoup progressé dans espace un siècle, puisqu'on a pu attribuer à Simone quelques ouvrages de Col'antonio del Fiore (Nicol' Antonio del Fiore), mort en 1444. Une impulsion plus marquée fut donnée à la peinture par le gendre de Colantontio, Antoine Solario, plus connu sous le nom de lo Zingaro (le Bohémien), et les oeuvres faites après lui furent qualifiées de zingaresques. Il y a, dans le musée degli Studi, un célèbre tableau du premier, Saint Jérôme ôtant une épine de la patte du lion, tout à fait dans la manière des Flamands de cette époque, Lucas de Leyde ou le Maréchal d'Anvers. Quant au Zingaro, l'on a justement placé dans la salle des capi d' opera sa Vierge glorieuse adorée par un groupe de bienheureux. Cette oeuvre capitale offre un intérêt singulier, parce qu'on peut y lire toute la vie de son auteur. Antonio Salario fut d'abord chaudronnier ambulant. A vingt-sept ans, il s'avisa d'aimer la fille de Col' Antonio del Fiore, qui la lui refusa durement, ne voulant la donner qu'à un artiste de sa profession. L'amour, fit le Zingaro peintre : il étudia, voyagea, et, dix ans après, épousa sa maîtresse. C'est elle, dit-on, qu'il a représentée sous les traits de la Madone; il s'est placé, lui-même derrière le jeune évêque saint Aspremus, et l'on croit qu'un laid petit vieillard, blotti dans un coin, est le portrait de son beau-père. Au nombre de ses disciples, on remarque les frères Donzelli (Ippolito et Pietro), puis Bernard Tesauro, qui montra plus d'invention et de naturel. Notons aussi Antonello de Messine, qui apprit du peintre flamand-Van Eyck la manière de peindre à l'huile, et qui la propagea en Italie. Au XVIe
siècle, lorsque la peinture
prit tant de développement à Rome,
à Florence, à Venise,
à Parme, à Mantoue,
etc., l'école de Naples ne fit que reproduire les principales qualités
des autres écoles; si elle eut le feu de l'invention, la fougue
du pinceau et la rapidité de l'exécution, elle pécha
toujours par le dessin, et, attachée
à l'imitation directe de la nature, ne poursuivit pas le beau idéal.
André Sabbatini (Andrea Sabattino), de Salerne, le premier peintre
de cette nouvelle période, étudia sous Raphaël,
dont il rapporta les principes. Le sac de Rome par les Allemands,
en 1527, en contraignant les artistes de fuir à Naples, fortifia
dans cette ville l'influence de l'école
romaine : Polydore de Caravage, Penni, dit
il Fattore, et Perino del Vaga, y laissèrent quelques modèles.
En même temps, les principes de Michel-Ange
eurent pour représentants dans l'école napolitaine Vasari
et Marco de Sienne, tandis que d'autres
artistes s'attachaient à Titien, au Tintoret
et aux autres maîtres de Venise.
De cette époque datent trois compositions, toutes napolitaines, de Domenico Gargiuoli, qu'on appelle communément Micco Spadaro. L'une représente la Peste de Naples en 1656; l'autre, les Moines de la Chartreuse priant leur patron saint Martin de les affranchir du fléau, voeu quelque peu égoïste, car il n'en coûtait pas plus aux pieux cénobites d'étendre leur prière à toute la ville; la troisième enfin, la Révolution de 1647, sous Masaniello. Ce dernier ouvrage est très curieux, parce que, dans un cadre assez vaste, rempli par une foule de figurines, on voit toutes les particularités de cet étrange épisode de la vie de Naples, racontées en quelque sorte par un témoin oculaire et impartial. A cette période appartiennent encore Matia Preti, dit il Calabrese, habile imitateur du Guerchin, Giuseppe Cesari, surnommé le Josépin, Aniello Falcone, peintre de batailles, et son élève Salvator Rosa (1615-1673), l'un des maîtres les plus originaux de l'Italie; et dont il est permis d'être désappointé en ne trouvant dans son pays natal que d'incomplets échantillons des talents de cet artiste si varié, si fécond, qui fut non seulement peintre, mais encore poète, musicien, acteur, et qui raconte ainsi lui-même, en trois vers charmants, l'emploi des années de sa vie insoucieuse : L'estate all'ombra, il pigro verno al foco,Mais Salvator ne fit jamais de longs séjours à Naples; il en fut chassé trois fois : par la misère d'abord; puis par le dédain et la haine de ses confrères, qu'il ne ménageait pas; puis enfin par la chute du parti populaire et patriote, du parti de Masaniello, qu'il avait embrassé avec ferveur sous son maître Aniello Falcone, chef de la Compagnie de la Mort, où s'étaient enrôlés la plupart des artistes. Nous le trouverons plutôt à Florence, à Madrid, à Paris, à Munich, à Londres. S'il fallait citer le plus célèbre des tableaux de Salvator, il faudrait nommer sans doute la Conjuration de Catilina, du palais Pitti. C'est le nom qu'on donne à un tableau qui réunit plusieurs personnages romains présentés à mi-corps. Ce n'est pas un chef-d'oeuvre. Il ne fait que confirmer, au contraire, l'opinion que des demi-figures ne suffisent jamais à rendre clairement un sujet quelque peu com pliqué. Le manque de clarté est, en effet, le défaut capital de cette composition, défaut que ne sauraient ra cheter entièrement de rares et brillants mérites d'exécution. Salvator Rosa excelle dans les batailles, et plus encore dans les paysages et les marines. C'est ce que prouve, même au palais Pitti, la vue de deux magnifiques marines, les plus vastes, et peut-être les plus belles qu'il ait jamais peintes. C'est ce que prouve encore, à Madrid par exemple, le grand paysage où l'on voit saint Jérôme étudier et prier, car rien ne convient mieux à son imagination sombre et bizarre, à son pinceau hardi et capricieux, que la représentation du désert, d'une contrée inculte, abandonnée, où les ronces croissent au bord des flaques d'eau, et qui n'a pour ornements qu'un stérile, un tronc brûlé par la foudre. Nous prendrons à Paris la même opinion et nous porterons le même jugement. Devant l'Apparition de l'ombre de Samuel à Saül, il faudra bien avouer qu'en dépit de l'orgueilleuse opinion qu'il avait de lui-même, Salvator a pleinement échoué, et toujours par ce défaut de la confusion, dans les hauts sujets historiques; et il faudra reconnaître en même temps qu'il prend pleinement sa revanche dans un simple Paysage, animé de quelques figures. Pour montrer un repaire de bandits, une nature sauvage et tourmentée, des rochers abrupts, des torrents écumeux, des arbres pliés sous la tempête, Salvator se sent à l'aise et déploie ses vraies qualités. L'école napolitaine a fini avec un peintres distingué, Luca Giordano (1622-1705), dont le surnom de Fa presto a été justifié par une prodigieuse rapidité d'exécution. Si l'on rend, comme, il est juste, Ribera à l'Espagne, Giordano est le plus, complet et le plus célèbre des peintres napolitains. Il eut, en Italie et en Espagne à la fois, le funeste honneur de marquer l'extrême limite entre l'art, dont il fut le dernier représentant, et la décadence, que son exemple précipita. Son père, l'un des peintres à la douzaine, qui rendaient aux maîtres les mêmes services que les praticiens aux sculpteurs, demeurait à Naples porte à porte avec Ribera. Montrant, dès son jeune âge, un penchant décidé pour la peinture, le petit Luca passait, sa vie dans l'atelier du Spagnuolo. A sept ans, il peignait de petits ouvrages qu'on citait avec admiration dans la ville entière. A seize ans, il s'enfuyait, gagnait Rome, ou le rejoignait son père, parcourait ensuite toute l'Italie, Florence, Bologne, Parme, Venise, étudiait tous les maîtres, tous les styles, devenait un imitateur universel, et, tandis qu'il fortifiait son talent par des études si variées, il enrichissait son père, qui vendait à fort bon prix les copies des vieux chefs-d'oeuvre, que le jeune homme faisait avec une rare perfection. Affriandé par ce double avantage, le père ne cessait d'exciter son fils au travail, lui répétant du matin au soir : Luca, fa presto. Ce mot, devenu proverbial parmi les artistes, sert depuis lors à désigner Giordano, et c'est avec d'autant plus de justesse que, tout en rappelant comment se firent ses études, il exprime à la fois sa qualité principale et son principal défaut. Luca Giordano a laissé en Italie deux vastes compositions suffisantes pour démontrer qu'avec plus de goût et de conscience, il pouvait égaler les plus grands maîtres. Ce sont la Consécration du Mont-Casssin, à Naples, et la Descente de croix, à Venise. Dans tous ses autres ouvrages, on trouve des traits d'esprit, d'originalité, quelquefois de génie, une couleur fraîche et transparente, beaucoup de fécondité, une audace égale, toutes les ressources d'un pinceau puissant et exercé; puis, à côté de ces mérites, un style commun, dépourvu de noblesse autant que de naïveté, une composition tourmentée, invraisemblable, un mélange absurde d'histoire et de mythologie, l'abus des allégories poussé jusqu'à la confusion et la puérilité, des attitudes forcées, des raccourcis à tout propos, des lumières inutiles, des `ombres impropres, des tons discordants, et, pour produit de tout cela, des effets maniérés et faux, qui forment dans l'art une véritable mode, aussi futile et passagère que celle des vêtements, sans avoir l'excuse d'une variété que ne comporte pas l'immuable nature. Lorsqu'après avoir passé neuf années en Espagne, où l'appela Charles II, que l'on avait persuadé que le plus grand des peintres devait servir le plus grand des monarques, Luca Giordano revint en Italie; il y fut reçu avec la plus haute distinction par le grand-duc de Toscane et le pape Clément XI, qui lui permit d'entrer au Vatican avec l'épée, la cape et les lunettes. A Naples, un accueil semblable l'attendait, avec tant de commandes, que Giordano, riche et vieux, ne put jouir un seul jour avant sa mort de cet otium cum dignitate, dernier bonheur d'un homme illustre pendant sa vie. Ce fut à cette époque qu'un de ses amis l'engageant à peindre avec réflexion et loisir quelque grande oeuvre pour la gloire de son nom : « La gloire, répondit Giordano, je la veux seulement dans le paradis.»Luca Giordano avait inondé l'Italie de ses oeuvres. Il en inonda l'Espagne également : On ne saurait décrire ni même compter les énormes travaux d'ornementation qu'il fit à l'Escurial, au Buen Retiro, dans la cathédrale de Tolède, dans la chapelle du palais de Madrid. Pour donner une idée de la prodigieuse rapidité de son exécution, il suffit de raconter qu'un jour la reine étant venue visiter Giordano dans son atelier, elle lui demanda des nouvelles de sa famille. Le peintre répondit avec ses pinceaux en traçant aussitôt sur la toile qu'il avait devant, lui sa femme et ses enfants. La reine, enchantée, lui jeta au cou son collier de perles. Ensuite, pour faire comprendre ce que peut produire une telle facilité, quand elle est secondée par un travail assidu, il suffit de mentionner seulement par leur nombre les tableaux que Giordano exécuta pendant son séjour en Espagne. Outre ces grands travaux commandés pour le roi, le livre de Cean-Bermudez donne une liste nominale de cent quatre-vingt-seize tableaux répartis entré les églises et palais de Madrid, la Granja, le Pardo, Séville, Cordoue, Grenade, Xerez, etc. Il faudrait y joindre la liste, impossible à faire, de ceux qu'achetèrent les simples amateurs. Semblable à Lope de Vega par une fécondité d'invention intarissable et une facilité d'exécution prodigieuse, Luca Giordano faisait un tableau en un jour, comme le poète une comédie, et comptait aussi ses oeuvres par centaines. Mais tous deux ont mérité d'être donnés en preuve de l'abus dès facultés naturelles et des fautes où il entraîne. Une différence radicale sépare, cependant, le poète du peintre. Lope de Vega créait, ou du moins fixait le théâtre en Espagne; il ouvrait devant lui une vaste carrière où le suivirent, en le dépassant, Calderon, Moreto, Rojas, Alarcon, Tirso de Molina, et son influence s'étendit jusqu'à Corneille et Molière. Au contraire, Luca Giordano fut le dernier de cette magnifique génération de peintres qui s'étaient succédé, en Italie, depuis les maîtres de Raphaël, en Espagne, depuis ses disciples. Il eut une foule d'élèves, éblouis par ses succès faciles; aucun ne put le suivre dans la voie périlleuse ou il s'était lancé; tous s'égarèrent sur ses traces, et les plus célèbres d'entre eux, les Mattei, les Simonelli, les Bossi, les Pacelli ne furent que des artistes médiocres, imitant un imitateur. Seul François Solimène, qui peignit jusqu'à 90 ans et remplit de sa réputation toute l'Europe, semble pouvoir être dégagé du lot, mais il ne suffit pas à relever l'école napolitaine. Luca Giordano avait détruit comme à plaisir, au profit d'une funeste agilité d'esprit et de main, les dernières règles protectrices du bon goût, les derniers retranchements de l'art. Il laissa derrière lui le vide, le néant, et son nom restera comme la plus solennelle démonstration de cette vérité qu'outre les dons naturels, il faut, pour faire un artiste, deux qualités de la tête et du coeur : la réflexion et la dignité. (B. / Louis Viardot). |
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