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Les
régions dont se compose la Tripolitaine (Tripolitaine propre et
Cyrénaïque) ont eu pendant de longs siècles leur histoire séparée.
Leurs premiers habitants connus furent des Berbères
: ceux de la côte, proche, parents des Numides
et des Maures, ceux de l'intérieur,
appelés Garamantes, plus ou moins métissés avec des populations sub-sahariennes.
- La Tripolitaine propre. Les navigateurs grecs abordèrent les premiers sur le plateau de Barka (Barca), qui faisait face à leur propre pays. Dans la partie occidentale, s'installèrent des colons, d'origine phénicienne ou carthaginoise. L'histoire bien connue dévouement des frères Philènes témoigne d'âpres luttes entre les deux peuples conquérants. Les Grecs de Cyrène ayant disputé aux Carthaginois un terrain neutre où ces derniers voulaient s'établir, les deux partis convinrent d'envoyer en même temps des représentants. les uns de Carthage, les autres de Cyrène; l'endroit où se rencontreraient les délégations marquerait la limite entre les deux villes. Les deux frères Philènes, désignés par les Carthaginois, s'avancèrent à la rencontre des Grecs avec une telle rapidité qu'ils rencontrèrent seulement au fond de la grande Syrte, vers la sebkha Moktar, la mission partie de Cyrène. Les Grecs, redoutant d'être taxés de négligence par leurs concitoyens, accusèrent de fraude les Philènes; ceux-ci, pour fournir de leur bonne foi une preuve indiscutable, consentirent à se laisser enterrer vivants au point même où ils étaient parvenus. Ainsi fut déterminée la frontière entre Cyrène et Carthage, qui, pour reconnaître l'héroïsme de ses délégués, leur érigea à chacun un autel au point même où ils avaient, par le sacrifice de leur vie, attesté leur patriotisme. Les Grecs en Cyrénaïque.
Elle avait été fondée dans la seconde moitié du VIIe siècle avant J.-C. vers l'an 630, à la suite d'une tentative antérieurement faite pour occuper dans le golfe de Bomba la petite île de Platéia (Plataea), et de reconnaissance, poussées plus loin dans l'Ouest par les Minyens de Théra (Santorin). En un point situé à quelque distance du rivage, auprès d'une source que les poètes grecs racontèrent plus tard avoir été la plus belle des jeunes nymphes de la Thessalie, une nymphe aimée d'Apollon et transportée par lui en Libye sur un char attelé de cygnes, ils avaient debuté par créer un bazar, puis un marché permanent sur le territoire des Asbystes; ils y créèrent enfin une ville, que dirigèrent des chefs pourvus d'un titre royal en usage chez les Libyens, le titre de Battos, qui deviendra un nom propre. Là , il leur était loisible de se faire, conformément aux prescriptions de l'oracle de Delphes, éleveurs de bestiaux; mais, de fait, les Grecs laissèrent ce rôle aux populations nomades qui erraient aux alentours et se livrèrent surtout, avec l'aide de quelques peuples sédentaires (Asbystes, Auschisae, Cabales), à l'exploitation agricole du pays, en particulier à la culture de ce précieux silphium dont les mérites divers ont été si vantés des Anciens, et qu'aujourd'hui il est impossible d'identifier avec certitude. Cependant, par suite
de l'afflux des indigènes dans la ville nouvelle, par suite de l'introduction
d'éléments libyens dans une colonie
qu'avait fondée une poignée de Grecs, Cyrène se trouvait menacée de
perdre complètement, à la longue, son caractère de cité hellénique.
Ses chefs s'en émurent et, pour conjurer le péril, s'adressèrent Ã
l'oracle de Delphes, puis, sur son conseil, accueillirent indistinctement
tous les Grecs désireux de s'établir sur le territoire de Cyrène,
et leur donnèrent des terres. Grâce à cette immigration de nouveaux
colons venus entre 571 et 551 de la Crète,
des îles et du Péloponnèse, l'élément
grec primitif fut considérablement renforcé; maintenu et affermi fut
aussi le caractère hellénique de Cyrène, qui devint bientôt, comme
Marseille
en Gaule, « le point de départ de tout un
groupe de colonies, le centre d'une petite Grèce [...] et réussit Ã
imprégner de civilisation hellénique tout un morceau du continent africain
». (Curtius).
Alors commence pour
Cyrène une ère de révolutions qui, durant des siècles, ne cessent de
la troubler. Privée, par la mort de 7000 de ses hoplites et par le départ
des colons qui viennent de fonder Barca et Hesperides, d'un élément pondérateur,
la cité devient le jouet de partis hétérogènes et contraires qui se
disputent sans relâche le pouvoir.
La Tripolitaine, la Cyrénaïque et le Fezzan. En vain le Mantinéen Démonax vient-il, sur l'ordre de la Pythie, donner une constitution à la cité et l'organise-t-il sur le modèle des Etats doriens; il en partage les habitants en trois tribus (les Théréens; les Péloponnésiens et les Crétois; les Grecs insulaires), il rend au peuple la plupart des propriétés et des fonctions publiques, il enlève au roi toute l'autorité réelle, qu'il confie à un sénat et à un conseil d'éphores, et il ne lui laisse que le sacerdoce et les propriétés consacrées. Mais les Battiades ne peuvent pas accepter cette déchéance; ils revendiquent donc bientôt leurs anciens privilèges, et, pour les recouvrer, Arcésilas III se soumet volotairement à payer tribut aux Perses qui viennent de conquérir l'Égypte. Une telle altitude ne peut que lui aliéner le coeur des Cyrénéens; chassé par eux, Arcésilas parvient à remonter sur le trône avec l'appui de nouveaux colons recrutés à Samos et du prince libyen de Barca, mais sa cruauté le fait expulser à nouveau et excite contre lui des haines dont son assassinat à Barca, où il s'est réfugié, atteste la violence (514 ans av. J.-C.). De là résultèrent pour la Cyrénaïque de nouveaux malheurs. Pour venger son fils, en effet, la mère d'Arcésilas, Phérétime, n'hésita pas à se rendre en Egypte et à solliciter l'appui des Perses. Avec l'aide du satrape Aryandès, elle s'empara de Barca après un siège de neuf mois, fit mettre ses ennemis en croix autour de la ville et envoya au Grand Roi, successeur de Cambyse, à Darius Ier, une partie de la population; sans un ordre formel du souverain, Cyrène eût subi le même sort. Mais si elle échappa à la servitude étrangère, si même l'accueil qu'elle fit un peu plus tard aux Grecs partisans d'Inaros révolté contre le Grand Roi ne lui attira pas la colère d'Artaxerxès Ier (455), cette cité ne parvint pas à sortir de l'état troublé dans lequel elle se débattait depuis longtemps déjà . Il semble, en effet, que la constitution de Démonax y soit alors abolie : un peu plus tard, Arcésilas IV, dont Pindare a chanté les victoires aux jeux Pythiques, y gouverne en tyran avec l'aide de mercenaires et y combat l'oligarchie mais son fils Battos ne peut pas faire comme lui, est chassé de Cyrène et contraint de s'enfuir à Barca, où il est tué. En vain un nouveau ban de colons arrive-t-il bientôt après de Messénie; les guerres civiles continuent à désoler la ville, dont l'histoire intérieure aussi bien qu'extérieure, et les luttes avec Carthage sont à peu près complètement inconnues durant la fin du Ve siècle, tout le IVe siècle et la majeure partie du IIIe. C'est seulement à l'époque d'Alexandre le Grand, au temps où, lors de l'expédition à l'oasis d'Ammon (printemps de 331), ses habitants contractèrent alliance avec le vainqueur du Grand Roi, que Cyrène reparaît dans I'histoire. Elle est encore indépendante, mais pour quelques années seulement, car les guerres civiles qui, après la mort d'Alexandre, et peut-être par suite de cette mort même, désolent Cyrène et Barca en 322, ont pour conséquences plusieurs interventions extérieures : celles du Spartiate Thibron et du Crétois Mnésiclès d'abord, celle de Ptoléme Lagide et du Macédonien Ophelas ensuite. La Cyrénaïque est alors annexée à la satrapie de Ptolémée, et commence à dépendre de l'Egypte, mais de la façon la plus intermittente. Sans cesse, en effet, les textes des historiens anciens montrent les villes de la contrée, et Cyrène en particulier, déchirées par les factions, tentant de se rendre indépendantes des Ptolémées, puis retombant bientôt sous le joug. Il en fut ainsi jusqu'au moment où mourut Apion, bâtard de Ptolémée Physcon, pour qui la Cyrénaïque avait été érigée en royaume en 107 av. J.-C. Avec la mort d'Apion (96 ou 95), la Cyrénaïque passe sous le contrôle de Rome. Les comptoirs
carthaginois des Syrtes.
Ces villes se maintinrent-elles parce qu'elles parvinrent à se soumettre à la domination des Numides? Il n'est pas interdit de le penser en voyant de quelle manière se comporta, au cours de la période, pendant la lutte de Jugurtha contre les Romains, Leptis, la grande et riche cité fondée naguère par les Phéniciens. Située an milieu des Syrtes, mais au débouché de vallées fertiles qui rendaient, au témoignage d'Hérodote, 300 pour 1, cette cité, qui devait au commerce sa magnifique efflorescence, entra en relations avec le général Q. Caecilius Metellus, tandis qu'il assiégeait Thala (107 av. J.-C.), sollicita l'amitié du peuple romain, et obtint une garnison de quatre cohortes liguriennes. Plus tard, après la soumission du royaume de Numidie et l'adjonction de la Tripolitana (106) à la province romaine d'Africa créée en 146, aussitôt après la prise de Carthage, Leptis Magna, Oea et Sabratha semblent avoir formé une sorte de république fédérale, pourvue d'une diète annuelle et dépendant de la province d'Afrique. De cette organisation, qui subsistait encore au IVe siècle après J.-C., on peut voir une preuve dans l'histoire de la querelle qui éclata, en l'an 70 de notre ère, entre Leptis et Oea, la moderne Tripoli : vaincus en bataille rangée par leurs adversaires, les gens d'Oea firent appel aux pillards qu'étaient les nomades Garamantes, et ceux-ci, accourant aussitôt, se jetèrent sur le territoire de Leptis et le désolèrent jusqu'à l'arrivée des cohortes romaines. Ainsi, la situation des trois, villes de la Tripolitaine apparaît comme un peu différente de celle du reste de la contrée. La Tripolitaine
à l'époque romaine.
Ce n'est pas à dire, toutefois, qu'elles n'ont pas, à l'époque de l'Empire, subi les mêmes vicissitudes, souffert des mêmes maux, ni bénéficié des mêmes mesures. Tripolitaine et Cyrénaïque ont profité, par exemple, de l'expédition dirigée par Cornelius Balbus en l'an 19 de notre ère jusqu'en Phasanie (Fezzan) et du rattachement des oasis de cette région à la province d'Africa après la prise de Cydamus (Ghadamès) et de Garama (Djerma / Gherma); elles ont vu un peu plus tard, au cours du Ier siècle de l'ère chrétienne, les Romains travailler avec énergie et persévérance à les débarrasser des nomades qui leur faisaient subir de continuelles déprédations. Commencée sous Vespasien, cette oeuvre de pacification fut achevée par Domitien, qui extermina à peu près complètement les Nasamons, dont les survivants allèrent s'établir dans le sud de la Marmarique et, dès lors, Cyrénaïque et Tripolitaine purent entretenir des relations plus suivies encore qu'auparavant avec l'intérieur du continent et jouer, avec plus de sécurité et d'intensité que jamais, leur rôle de pays de transit entre les contrées de l'Afrique intérieure et le monde méditerranéen. C'est à ce moment
que s'y répandit, venue des pays de l'Orient d'abord, puis de Rome même,
la religion chrétienne. Depuis longtemps
déjà , depuis les captivités de Babylone,
à en croire les familles juives qui existaient
il y a encore peu dans quelques-uns des centres des djebels Nefousa et
Yffren, des israélites étaient venus s'installer en Tripolitaine. Prêché
d'abord dans les communautés juives de la contrée par des voyageurs partis
de Jérusalem, d'Antioche
ou d'Alexandrie, l'évangile, que propagèrent
ensuite des missionnaires italiens, ne tarda pas à se répandre dans les
villes et dans les populations romanisées, puis parmi les locaux, si bien
que, dès le milieu du IIe siècle, les
chrétiens étaient assez nombreux dans les différentes parties de la
Tripolitaine. Ils ne cessèrent d'augmenter en nombre au cours des siècles
suivants, sous la direction de pasteurs zélés et intelligents, comme
Archaeus, évêque de Leptis Magna, comme Synésius
de Cyrène et tant d'autres.
Le théâtre romain de Sabratha. Il a été restauré dans les années 1920-1930. Source : The World Factbook. Cette époque est celle où, sous le régime de la pax romana, les différentes parties de la Tripolitaine semblent avoir atteint leur apogée. Alors, la Cyrénaïque est vraiment « le jardin de l'Afrique » et doit, non pas au blé, mais au silphium, - qui est exporté par tout l'empire et se vend à Rome son poids d'argent, - aux essences de roses, à l'huile, - la meilleure qui fût alors au monde, - et aussi aux vins une remarquable prospérité matérielle, qu'accroissent encore les produits de l'industrie des cinq grandes villes de la Pentapole; de là , dans ces villes, une civilisation très raffinée, une mollesse et une gourmandise qu'attestent des textes anciens, un luxe dont les auteurs classiques et de nombreux documents figurés fournissent des preuves multiples. Quant à la Tripolitaine propre, elle rivalise avec la Pentapole, surtout depuis le temps de Septime-Sévère, qui est né à Leptis Magna en 146 et qui est demeuré jusqu'à dix-huit ans dans son pays. Une fois devenu empereur (en 193), cet Africain travaille de son mieux à donner, non pas seulement à sa ville natale, mais à son pays d'origine tout entier, un grand essor. Déjà avait été établie, depuis le Rif marocain jusqu'à la Cyrénaïque, une grande chaîne de postes militaires (castella, castra, praesidia), reliés par une piste bien tracée; à l'abri de ces établissements de frontières, du limes tripolitanus, dont H. Mehier de Mathuisieulx a retrouvé les stations, les gens de la Tripolitaine proprement dite ont pu, sans crainte des nomades tenus en respect, se livrer à Ia culture du sol et, au delà de l'aride Djeffara, mettre en valeur la région du Djebel. Quant à ces belles collines de Msellata, ces « montagnes des Grâces », dont Hérodote vantait déjà la fertilité, les Romains en ont fait, grâce à de puissants travaux d'irrigation, à des barrages colossaux, de vastes citernes, des puits profonds, un pays de culture intense. Que l'on tienne compte, d'autre part, des relations commerciales entretenues par les habitants de Sabratha (près de Zouagha) et d'Oea avec Ghadamès et le Fezzan, sur la roule duquel, au puits de Bondjem, se dresse encore une station des troupes impériales, un édifice romain bâti avec d'énormes quartiers de rues, dont l'inscription est au nom de Septime-Sévère, et l'on comprendra comment Apulée a été amené à se fixer définitivement à Oea, où il avait trouvé richesse et succès, et pourquoi les ruines de Sabratha et de Leptis sont si considérables. Les invasions
en Tripolitaine.
L'éloquent Synésius, le philosophe néoplatonicien, le disciple et l'ami d'Hypatie, qui mourut évêque de Ptolémaïs, a décrit les maux dont souffrit alors la Cyrénaïque. A ces maux l'empereur byzantin Justinien s'efforça, durant son règne (527-565), de porter remède; non content de faire restaurer ou édifier en Cyrénaïque les monuments civils et religieux dont l'historien Procope a parlé dans une section de l'ouvrage qu'il a spécialement consacré aux édifices bâtis par ordre de l'empereur, il couvrit la contrée de travaux de défense, y établit des régiments préposés à la garde de la frontière (limitanei) et leur confia le soin de faire sentir sa puissance aux tribus des oasis méridionales (Aoudjila). Mais les plaies que Justinien avait travaillé à panser se rouvrirent et s'aggravèrent après lui : en 616, le Grand Roi sassanide Chosroès II, maître de l'Egypte, dévasta la Cyrénaïque et, peu après, en 647, sous le troisième successeur de Mahomet, sous Othman, les Arabes, renforcés des Bédouins et des Berbères nomadisant autour de l'Egypte, conquéraient à leur tour le pays de Barka, puis, bientôt, poussaient leurs chevauchées, jusqu'au fond du golfe de Gabès. Beaucoup plus encore
que la Cyrénaïque, cette partie plus occidentale de la contrée avait
souffert au cours des deux siècles précédents. Aux déprédations des
nomades du Midi s'étaient en effet ajoutés, dès la seconde moitié du
IVe siècle, les maux de l'invasion germanique.
A l'époque de Théodose, en effet, les Gétules
vinrent piller et tuer ,jusque dans les faubourgs des villes de la Tripolitaine,
et Leptis fut assiégée pendant huit jours, en 369. Au siècle suivant,
non contents de dévaster les cultures du pays, les Vandales
de Genséric contribuèrent encore à en ruiner
les villes, dans l'enceinte desquelles ils étaient incapables de vivre,
et ils détruisirent les remparts de Sabratha et de Leptis, afin d'empêcher
les Romains de s'y retrancher de nouveau. Destruction bien inutile et qui,
après la défaite de Gélimer par Belisaire
à Tricameron, n'empêcha pas les troupes impériales de reprendre facilement
tout le pays soulevé contre les Vandales jusqu'aux frontières de la Cyrénaïque.
Le grand bâtisseur qu'est Justinien fait alors
relever les murailles de Leptis et de Sabratha
et, mû par une pensée pieuse, reconstruit à Leptis la maison natale
de Septime-Sévère; il s'efforce, d'autre part, de protéger la Tripolitaine
propre comme la Cyrénaïque et d'asseoir sa suzeraineté sur les gens
de Ghadamès comme sur ceux d'Aoudjila. Mais, là encore, la mort de l'empereur
byzantin
marque la reprise de la décadence, si bien que les Arabes purent, près
d'un siècle plus tard, depuis les côtes de la Cyrénaïque, s'avancer
sans difficulté jusqu'aux frontières les plus occidentales de la Tripolitaine.
Une ancienne vue d'une rue de Tripoli. La domination
arabe.
Très mouvementée est la destinée de cette ville, qui, après avoir tenté de se rendre indépendante des princes aghlabites de Kairouan (Les dynasties musulmanes au Moyen âge) au temps de son gouverneur El-Mansour (IXe s.), finit par tomber sous leur domination, comme le firent également les Houara qui avaient, durant tout le VIIIe siècle, dévasté d'une manière continue le Sud tunisien. Dès lors, pendant plusieurs siècles, les destinées de la Tripolitaine sont liées à celles de l'lfrikya; comme elle, elle obéit aux Fatimides; comme elle, et même avant elle, mais toutefois après le pays de Barka - dont la capitale semble avoir été alors frappée à mort, sinon immédiatement détruite, et d'où la vie se retire complètement, sauf à Benghazi, peu après - elle subit (1050) l'invasion des Arabes Hilaliens et Soleimites qui refoulent les Houara, les Louala et les Nelzaoua dans les djebels plus méridionaux; comme elle encore, elle n'est plus au XIIe siècle, qu'une province du vaste empire almohade, qui s'étend depuis Tanger jusqu'au plateau de Barka, mais qui n'englobe pas le Fezzan où les Berbères Houara ont fondé un royaume indépendant; comme elle, enfin, les Arabes Kaoub une fois battus et réfugiés dans le pays de Barka, elle obéit, au XIVe siècle, aux Hafsides de Tunis, et ce n'est plus seulement la Djeffara qui en subit la loi, mais aussi les djebels. Là , dans les citadelles taillées à même le roc, au sommet de la grande falaise qui domine la plaine, s'étaient réfugiés ces Berbères irrédents; pendant des siècles, ces « montagnards » surent demeurer indépendants et virent le flot des invasions se briser au pied de leurs curieux villages troglodytiques. Quand, enfin, ils ne purent plus résister, du moins conservèrent-ils leur individualité, et n'adoptèrent-ils que cet islam mitigé, imprégné de traditions primitives, dont le chef réside, non pas à Constantinople, mais dans un coin ignoré de l'Oman. Relations de la
Tripolitaine avec les peuples méditerranéens au Moyen âge.
Le négoce que les
chrétiens, que les Vénitiens en particulier,
faisaient avec Tripoli, en souffrit pendant un temps, mais finit, après
une période de malaise au cours de laquelle ne fut pas toujours strictement
observé par les Tripolilains le traité de commerce conclu en 1356 par
leur « seigneur » avec Venise, par redevenir
prospère. On voit alors les marchands européens (Vénitiens surtout,
mais aussi Pisans et Florentins,
Génois, Marseillais) entretenir avec la Tripolitaine propre des relations
commerciales fort lucratives. A Zouara et à Tadjourah (La Melaa), ils
exploitent les salines. A Tripoli et à Misrata, ils vendent les verroteries,
les soieries et les brocarts, les bois de construction et les bois de teinture,
les vins, les liqueurs, les épices, la quincaillerie, les armes, les agrès
de navires, le plomb, le cuivre, l'étain, le vif-argent (mercure), etc.
En échange de ces différentes marchandises, ils acquièrent des fruits
secs, de l'huile, des céréales, du sel, des peaux de mouton, des cuirs
de chameau et de boeuf, des tapis, des étoffes de laine, des chevaux,
du safran, du miel, de l'alun, du séné, des éponges, de l'or ouvré
ou en poudre, de l'ivoire et des plumes d'autruche.
L'oasis de Misrata (début du XXe s.). Les corsaires
barbaresques à Tripoli.
Les Turcs s'établirent donc à Tripoli et dans les oasis du littoral, derrière les remparts et dans les quelques châteaux que les Espagnols avaient élevés dans le pays (à Tripoli, à Tadjourah), et, en dépit des efforts que tenta Philippe II pour les en expulser (en 1560), ils y demeurèrent et en firent une province de l'Empire ottoman. En théorie tout au moins, car les pachas de Tripoli, s'ils relevaient nominalement du sultan de Constantinople (Istanbul), en étaient en fait absolument indépendants, bien avant même qu'au début du XVIIIe siècle, Ahmed-el-Karamanli eût secoué l'autorité de la Sublime Porte et fût devenu le chef d'une dynastie qui, jusqu'en 1830, se maintint à la tête du gouvernement. Ce n'est pas ici le lieu de raconter l'histoire intérieure de Tripoli durant les trois siècles qui s'étendent depuis 1551 jusqu'en 1835 des intrigues, des compétitions, des révoltes, des rivalités implacables, des assassinats, voilà les monotones épisodes de cette histoire que dominent les figures du fondateur de la dynastie des Karamanli et du Karamanli Youssouf-Pacha, dont le règne se prolonge sans interruption de 1796 à 1830. Non moins monotone
est l'histoire extérieure de ce repaire de corsaires,
dont la population vit à peu près exclusivement des bénéfices que lui
procurent les déprédations, les « courses » de ses marins, véritables
écumeurs, comme les autres corsaires barbaresques, des eaux méditerranéennes
et, parfois même, des eaux atlantiques. Les Tripolitains s'en prennent
aux chrétiens de toutes les manières, enlèvent leurs navires de commerce,
désolent les rivages de l'Europe méridionale,
et, par leur audace, attirent sur leur ville des attaques qu'ils repoussent
avec plus ou moins de bonheur. C'est l'Anglais Narborough;
ce sont sous Louis XIV, les Français commandés
par d'Estrées qui, en 1685, bombardent Tripoli et l'obligent à capituler.
Entreprise sans grand effet, puisque, en 1693, en 1720, en 1728, les Français
se retrouvent encore à combattre les corsaires de Tripoli, contre lesquels
doit encore sévir Grandpré en 1798. Un peu plus tard, c'est le tour des
Américains qui, de 1802 à 1805, font contre Tripoli et contre Derna,
sur la côte de la Cyrénaïqne, une série d'expéditions qu'illustrent
de brillants épisodes, tels que la destruction du Philadelphia
par Stephen Decatur... Dès lors, l'attention de l'Europe se porte presque
exclusivement sur les autres ports des Etats
barbaresques, en particulier sur Alger, dont Ia prise par la France
marque vraiment la fin de la piraterie dans le nord de l'Afrique (1830).
Bombardement américain de Tripoli, en août 1809. A ce moment même, abdiquait Youssouf-Pacha, qui était naguère arrivé au pouvoir en faisant assassiner son frère aîné et en évinçant le cadet. Avec lui, l'ordre cesse de régner dans Tripoli; ce ne sont, comme tant de fois déjà auparavant, que dissensions et luttes intestines, auxquelles s'ajoutent des incursions et des razzias de la grande tribu guerrière des Aoulad Slimân. Las d'un tel régime, les Tripolitains, qui avaient déjà accepté durant quelques mois, en 1793, la direction d'un pacha venu de Constantinople avec une escadre, recourent au sultan. Une flotte turque parut donc bientôt devant Tripoli, s'empara facilement des forts qui défendaient la ville et y installa un commissaire en qualité de gouverneur général. Tripoli redevenait effectivement ce qu'elle n'aurait jamais dû cesser d'être depuis 1551, ce qu'avait entendu la faire le célèbre corsaire Dragut, qui y est enterré depuis 1565 une ville turque. La Tripolitaine
province de l'Empire ottoman.
Ils ont commencé par ramener sous leur autorité ce groupe des oasis du Fezzan dont, dès le XVIe siècle, ils avaient cherché à s'emparer et dont, en 1811 seulement, un lieutenant de Youssouf-Pacha avait réussi à se rendre maître, après avoir tué le dernier représentant de la vieille dynastie locale indépendante des Aoulâd Mehammed. A partir de cette date, tant que régna Youssouf-Pacha, les Fezzaniens payèrent tribut à Tripoli; mais, après l'abdication de ce Karamanli, ils tombèrent sous la domination d'un chef arabe de la tribu des Aoulâd Sliman, qui s'affranchit de toute marque de vasselage à l'égard des Tripolitains et qui prétendit agir de même envers la Sublime Porte. Il fallut une lutte de plusieurs années et la défaite et la mort d'Abd-el-Djil (tel était le nom de ce chef) à El-Baghla (1840) pour amener les Fezzaniens à se soumettre. Maîtres du Fezzan,
les Turcs, par delà la Djeffara qu'ils ne songèrent pas plus à occuper
que ne l'avaient fait les Anciens, se tournèrent contre les populations
des djebels tripolitains. A force d'assauts meurtriers, les troupes bien
armées du sultan finirent par maîtriser politiquement les vaillantes
populations du Dahar. Cette période est marquée par l'apparition d'un
mouvement politique et religieux, forgé à La
Mecque et d'inspiration soufie, le senoussisme ou sanoussisme (du nom
de son fondateur Sa'id Muhammad ben 'Ali al-Sanusi ou Senoussi
el Medjahiri). Cette confrérie, dont le centre est en Cyrénaïque
à partir de 1843, à Beida, puis dans l'oasis de Djahbûb,
deviendra pendant un siècle le fer de lance de toutes les luttes contre
les Turcs d'abord, puis contre les Italiens. (Dans les premières années
du XXe siècle, les Senoussis ont aussi
combattu la colonisation française dans le Sahel,
et celle des Britanniques en Egypte et au
Soudan).
En 1874, pour contrer
les prétentions des Français dans l'Ouest de la Tripolitaine, la Sublime
Porte a fait officiellement occuper par ses soldats les oasis de Ghat et
de Ghadamès. Ainsi a été définitivement constitué le vilayet
de Tripoli. Ce vilayet est gouverné par un vali qu'assiste à Benghazi
un moutasserif ou sous-gouverneur, particulièrement chargé du moutasseriflik
indépendant de Benghazi et (à partir de 1869) directement responsabe
envers la Sublime Porte. Un certain nombre d'autres moutasserifs,
de kaïmakans ou chefs de canton, distribués dans les châteaux
forts aux points stratégiques de la contrée, de mouidirs dans les communes,
aident le vali de Tripoli - avec une armée d'environ 10.000 hommes dont
les officiers les plus considérables sont des Turcs - à maintenir
le pays sous la domination de Constantinople. Domination qui ne paraissait
solide que sur les points où se trouvaient des garnisons turques, et qui,
même là , semblait plutôt précaire, à en juger par le soin avec lequel
les maîtres du pays isolaient la Tripolitaine de l'Europe, par les précautions
qu'ils mettaient à surveiller les rares étrangers débarquant dans les
ports du littoral.
La colonisation
italienne de la Tripolitaine.
« La Tripolitaine, déclarait-il dans son ouvrage intitulé Cirene e Cartagine, ouvre les bras aux Siciliens et les attend. La terre est la même qu'en Tunisie, sinon plus fertile; [...] mais, de même qu'en Tunisie, ce sont des richesses qui ne se développent pas toutes seules et en vertu d'un processus inconnu de génération ignorée. Il faut qu'il y ait là un gouvernement sachant faire ou aider à faire. »« Faire ou aider à faire », voilà précisément ce que les Turcs n'estimaient pas admissible de la part de l'Italie, ce que, de toutes les manières, il, s'efforcèrent d'empêcher. De là , du côté des autorités ottomanes, une opposition sournoise, un mauvais vouloir parfait, dont même la Haute Cour italienne a pu, lors du procès Nasi, recueillir de curieuses preuves; de là une intervention militaire envisagée peut-être de longue date par le gouvernement du Quirinal, et facilitée par des accords conclus avec la France et l'Angleterre, accords par lesquels ces deux puissances reconnaissaient l'action prédominante de l'Italie dans une région de la Méditerranée libre de toute ingérence. Ainsi s'expliquent les termes de l'ultimatum remis par l'Italie, le 28 septembre 1911, à la Sublime Porte, après une campagne énergique menée par les principaux organes de la presse d'outre-monts en faveur d'une intervention en Tripolitaine, à un moment où la France obtenait de Allemagne la reconnaissance de son protectorat sur le Maroc. « Pendant une longue suite d'années, dit cet ultimatum, le gouvernement italien n'a jamais cessé de faire constater à la Porte la nécessité absolue que l'état de désordre et d'abandon dans lequel la Tripolitaine et la Cyrénaïque sont laissées par la Turquie prenne fin, et que ces régions soient enfin admises à bénéficier des mêmes progrès réalisés par les autres parties de l'Afrique septentrionale. Cette transformation, imposée par les exigences générales de la civilisation, constitue, en ce qui concerne l'Italie, un intérêt vital, de tout premier ordre, en raison de la faible distance séparant ces contrées des côtes italiennes.Le sultan protesta contre ces récriminations et déclara « avoir vainement cherché les circonstances dans lesquelles la Sublime Porte se serait montrée hostile aux entreprises italiennes intéressant la Tripolitaine et la Cyrénaïque »; il nia, d'autre part, l'agitation et la propagande d'excitation dont s'était plainte l'Italie. Aussi la guerre entre l'Empire ottoman et le royaume d'Italie éclata-t-elle immédiatement (29 septembre) et eut-elle pour conséquence la rapide conquête des côtes de la Tripolitaine par les troupes italiennes. Tripoli, dès le 5 octobre, Tobrouk (le 8), Khoms et Derna (le 18), Benghazi (le 20), ont été successivement occupés par les agresseurs, qui, après avoir aboli dès le 9 octobre l'esclavage en Tripolitaine (ce qui a mis fin aux razzias d'esclaves qui ont dépeuplé le Ouadaï, et aux lamentables caravanes de captifs qui traversaient le Sahara, décimées plus qu'aux trois quarts par la maladie et la fatigue), ont, le 5 novembre, annexé tout le pays à l'Italie. Le traité d'Ouchy (15 octobre 1913) sanctionna cette annexion et permit à l'Italie de pousser son autorité jusqu'aux confins du Sahara et jusqu'au Fezzan. - La Tour de l'Horloge, à Tripoli. Elle date de l'occupation italienne. Quand éclate la Première Guerre mondiale (1914-1918), une révolte générale éclate en Tripolitaine, sous la conduite du « lion du désert », Omar el-Mokhtar, chef des Senoussistes. Elle est soutenue par les Turcs et les Allemands, et ramène en 1915 les Italiens à la côte. C'est seulement à la fin de 1916 qu'à la suite d'un accord intervenu entre l'Italie et la Grande-Bretagne les Senoussistes sont maintenus aux limites du désert. Au lendemain du conflit,
les Italiens vont tenter de canaliser les revendications locales par des
concessions en apparence singulièrement larges : les statuts de 1919 accordent
à chacune des deux colonies, Tripolitaine et Cyrénaïque, un parlement
élu au suffrage universel, et constituent en somme un état musulman
simplement conseillé par le gouvernement italien. La Tripolitaine est
considérée comme une république (jusqu'en 1922) et Muhammad Idris al-Sanusi
(el-Senoussi) (1889-1983), petit-fils du fondateur de la confrérie sénoussie,
est même reconnu prince (émir) de Cyrénaïque. Mais cet extrême libéralisme
de façade, qui encourage l'installation de nombreux colons italiens dans
la région de Tripoli, ne parvient pas à mettre fin aux troubles.
L'artillerie italienne en Tripolitaine. La Tripolitaine et les autres possessions italiennes en Afrique du Nord vont avoir, pendant la période fasciste, des statuts et des noms divers. Cette époque surtout caractérisée par l'installation de plus en plus importante, surtout à la fin des années 1930, de colons italiens dans la régions de Tripoli, qui est allée de pair avec une violence accrue contre les populations locales. On estime que la population bédouine a été réduite de moitié environ sous l'effet de la répression (principalement à cause de maladies et de la famine). En 1934, le régime mussolinien a repris le nom de Libye (en référence à l'Antiquité) pour désigner officiellement la colonie italienne d'Afrique du Nord. Le pays a aussi alors des limites correspondant aux frontières de la Libye actuelle, grâce à des concessions territoriales faites par la France (portions de territoires détachés de l'Algérie et de l'Afrique occidentale française en 1919) et le Royaume-Uni (portions de territoire détachés de l'Egypte et du Soudan anglo-égyptien entre 1919 et 1934). Le territoire détaché de la France à l'Afrique Equatoriale française en 1935 (bande d'Aouzou) sera par la suite disputé entre la Libye et le Tchad.La Tripolitaine post-coloniale. Idris, qui s'était enfui en Egypte en 1922, revient en Libye après le déclenchement de la Seconde Guerre mondiale, pour ranger ses forces aux côtés des Britanniques et de leurs alliés contre l'armée allemande de Rommel. Victorieux, sur ce champ de bataille, les Alliés divisent à partir de 1943 la Libye en trois zones : la Tripolitaine et la Cyrénaïque passent sous administration britannique; le Fezzan est mis sous le contrôle de la France libre. Quand la guerre s'achève, l'Italie, débarrassée de Mussolini, a rejoint le camp allié, et peut prétendre revenir en Libye. Il est alors question d'un partage du pays entre l'Italie, le Royaume-Uni et la France. Mais la découverte de pétrole, et la pression des compagnies pétrolières américaines, qui rejoint pour l'occasion l'action anticolonialiste de l'ONU (Organisation des Nations Unies), met fin à ces ambitions. L'Italie renonce à sa colonie en 1947. Le 2 décembre 1950, Idris el-Senoussi devient le roi élu de la Libye, qui acquiert officiellement son indépendance un an plus tard, le 24 décembre 1951. Le pays est alors un Etat fédéral, et la Tripolitaine en est une des composantes. Quand l'organisation fédérale est supprimée en 1963, l'histoire de la Tripolitaine se confond avec l'histoire générale de la Libye contemporaine. La chute du régime de Kadhafi, en 2011, a cependant montré, au travers de la lutte des clans qui a déchiré le pays depuis, l'existence d'un antagonisme persistant entre la Tripolitaine et la Cyrénaïque (Benghazi), deux régions à l'histoire intimement liée, mais aux identités restées distinctes. (Henri Froidevaux). |
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