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pour bien conduire sa raison et chercher la vérité dans les sciences |
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René Descartes |
Présentation | Ire partie | IIe partie | IIIe partie | IVe partie | Ve partie | VIe partie |
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La
nouvelle méthode ne se borne pas à fonder la métaphysique;
elle renouvellera toutes les sciences notamment la physique,
et plus particulièrement encore la médecine. Descartes
étudiera successivement la lumière, le Soleil, les étoiles
fixes, les cieux, la Terre, les corps, entre autres celui de l'humain.
Il croira retrouver dans les lois du monde une nécessité
fondée sur la perfection divine. La description même du corps
commun aux humains et aux animaux prouve selon lui que l'âme
raisonnable en est indépendante et peut être immortelle.
Je serais bien aise de poursuivre, et de faire voir ici toute la chaîne des autres vérités que j'ai déduites de ces premières; mais, à cause que pour cet effet il serait maintenant besoin que je parlasse de plusieurs questions qui sont en controverse entre les doctes, avec lesquels je ne désire point me brouiller [1], je crois qu'il sera mieux que je m'en abstienne, et que je dise seulement en général quelles elles sont, afin de laisser juger aux plus sages [2] s'il serait utile que le public en fût plus particulièrement informé. Je suis toujours demeuré ferme en la résolution que j'avais prise de ne supposer aucun autre principe que celui dont je viens de me servir pour démontrer l'existence de Dieu et de l'âme, et de ne recevoir aucune chose pour vraie qui ne me semblât plus claire et plus certaine que n'avaient fait auparavant les démonstrations des géomètres; et néanmoins j'ose dire que non seulement j'ai trouvé moyen de me satisfaire en peu de temps touchant toutes les principales difficultés dont on a coutume de traiter en la philosophie, mais aussi que j'ai remarqué certaines lois que Dieu a tellement établies en la nature, et dont il a imprimé de telles notions en nos âmes, qu'après y avoir fait assez de réflexion nous ne saurions douter qu'elles ne soient exactement observées en tout ce qui est ou qui se fait dans le monde [3]. Puis, en considérant la suite de ces lois, il me semble avoir découvert plusieurs vérités plus utiles et plus importantes que tout ce que j'avais appris auparavant ou même espéré d'apprendre. [3] En partant des idées de la perfection et tout particulièrement de l'immutabilité divines, qui sont « imprimées en nos âmes », Descartes a découvert (ou cru découvrir) a priori les lois fondamentales de la mécanique, et progressivement quelques lois de plus en plus particulières, comme celles des tourbillons, de la lumière, de la réfraction, etc.Mais, pour ce que j'ai tâché d'en expliquer les principales dans un traité que quelques considérations m'empêchent de publier [4], je ne les saurais mieux faire connaître qu'en disant ici sommairement ce qu'il contient [5]. J'ai eu dessein d'y comprendre tout ce que je pensais savoir, avant que de récrire, touchant la nature des choses matérielles [6]. Mais, tout de même que les peintres, ne pouvant également bien représenter dans un tableau plat toutes les diverses faces d'un corps solide, en choisissent une des principales, qu'ils mettent seule vers le jour, et, ombrageant [ = occultant] les autres, ne les font paraître qu'autant qu'on les peut voir en la regardant; ainsi, craignant de ne pouvoir mettre en mon discours tout ce que j'avais eu la pensée, j'entrepris seulement d'y exposer bien amplement ce que je concevais de la lumière; puis, à son occasion, d'y ajouter quelque chose du Soleil et des étoiles fixes, à cause qu'elle en procède presque toute; des cieux, à cause qu'ils la transmettent; des planètes, des comètes et de la Terre, à cause qu'elles la font réfléchir; et en particulier de tous les corps qui sont sur la Terre, à cause qu'ils sont ou colorés, ou transparents, ou lumineux; et enfin de l'homme, à cause qu'il en est le spectateur. Même, pour ombrager un peu toutes ces choses, et pouvoir dire plus librement ce que j'en jugeais, sans être obligé de suivre ni de réfuter les opinions qui sont reçues entre les doctes, je me résolus de laisser tout ce monde ici à leurs disputes, et de parler seulement de ce qui arriverait dans un nouveau, si Dieu créait maintenant quelque part, dans les espaces imaginaires, assez de matière pour le composer, et qu'il agitât diversement et sans ordre les diverses parties de cette matière, en sorte qu'il en composât un chaos aussi confus que les poètes en puissent feindre, et que par après il ne fît autre chose que prêter son concours ordinaire [6] à la nature, et la laisser agir suivant les lois qu'il a établies [7]. Ainsi, premièrement, je décrivis cette matière, et tâchai de la représenter telle qu'il n'y a rien au monde, ce me semble, de plus clair ni plus intelligible, excepté ce qui a tantôt été dit dit de Dieu et de l'âme [8]; car même je supposai expressément qu'il n'y avait en elle aucune de ces formes ou qualitésdont on dispute dans les écoles [9], ni généralement aucune chose dont la connaissance ne fut si naturelle à nos âmes qu'on ne pût pas même feindre de l'ignorer. De plus, je fis voir quelles étaient les lois de la nature; et, sans appuyer mes raisons sur aucun autre principe que sur les perfections infinies de Dieu, je tâchai à démontrer toutes celles dont on eût pu avoir quelque doute, et à faire voir qu'elles sont telles qu'encore que Dieu aurait créé plusieurs mondes, il n'y en saurait avoir aucun où elles manquassent d'être observées [10]. Après cela, je montrai comment la plus grande part de la matière de ce chaos devait, en suite de ces lois, se disposer et s'arranger d'une certaine façon qui la rendait semblable à nos cieux [11]; comment cependant quelques unes de ses parties devaient composer une Terre et quelques unes des planètes et des comètes, et quelques autres un Soleil et des étoiles fixes. Et ici, m'étendant sur le sujet de la lumière, j'expliquai bien au long quelle était celle qui se devait trouver dans le Soleil et les étoiles, et comment de là elle traversait en un instant [12] les immenses espaces des cieux, et comment elle se réfléchissait des planètes et des comètes vers la Terre [13]. J'y ajoutai aussi plusieurs choses touchant la substance, la situation, les mouvements, et toutes les diverses qualités de ces cieux et de ces astres; en sorte que je pensais en dire assez pour faire connaître qu'il ne se remarque rien en ceux de ce monde qui ne dût ou du moins qui ne put paraître tout semblable en ceux du monde que je décrivais. De là je vins à parler particulièrement de la Terre. Comment, encore que j'eusse expressément supposé que Dieu n'avait mis aucune pesanteur en la matière dont elle était composée, toutes ses parties ne laissaient pas de tendre exactement vers son centre [14][14]; comment, y ayant de l'eau et de l'air sur sa superficie, la disposition des cieux et des astres, principalement de la Lune, y devait causer un flux et reflux qui fût semblable en toutes ses circonstances à celui qui se remarque dans nos mers [15], et outre cela un certain cours tant de l'eau que de l'air, du levant vers le couchant, tel qu'on le remarque aussi entre les tropiques; comment les montagnes, les mers, les fontaines [= les sources] et les rivières pouvaient naturellement s'y former, et les métaux y venir dans les mines, et les plantes y croître dans les campagnes, et généralement tous les corps qu'on nomme mêlés ou composés s'y engendrer [16]. Et, entre autres choses, à cause qu'après les astres je ne connais rien au monde que le feu qui produise de la lumière, je m'étudiai à faire entendre bien clairement tout ce qui appartient à sa nature, comment il se fait, comment il se nourrit, comment il n'a quelquefois que de la chaleur sans lumière, et quelquefois que de la lumière sans chaleur [17]; comment il peut introduire diverses couleurs en divers corps, et diverses autres qualités; comment il en fond quelques uns et en durcit d'autres; comment il les peut consumer presque tous ou convertir en cendres et en fumée; et enfin comment de ces cendres, par la seule violence de son action, il forme du verre; car cette transmutation de cendres en verre me semblant être aussi admirable qu'aucune autre qui se fasse en la nature, je pris particulièrement plaisir à la décrire. [4]' Galilée venait d'être condamné par le Saint-Office, le 22 août 1633, pour avoir affirmé que la Terre tourne sur elle-même dans son ouvrage intitulé Quatre dialogues sur les systèmes du monde de Ptolémée et de Copernic.; c'est cette considération qui empêcha Descartes de publier l'ouvrage en question, qui était intitulé Traité du Monde et de la Lumière, et dans lequel il établissait aussi le mouvement de la Terre : en cette occasion, Descartes porta l'amour de la tranquillité jusqu'à l'excès : « Pendant qu'en France, dit un historien de Descartes, Deodati, Peiresc, Gassendi s'émeuvent et écrivent à leurs amis et aux cardinaux italiens en faveur du vieillard dont l'Inquisition n'a respecté ni le génie, ni les chevaux blancs, ni l'auréole glorieuse conquise par les services les plus grands rendus à l'esprit humain; pendant qu'ils éveillent pour lui, dans toute l'Europe, une douloureuse sympathie, Descartes n'a ni un sentiment de commisération, ni une parole émue; il jette au contraire sur le papier une critique âpre, mordante, inique des oeuvres de son rival de gloire. Le décret inquisitorial le frappe d'une sorte de frayeur sacrée, et, avec une timidité qui nous étonne, il se cache et appelle le sophisme à son aide; il cherche à se tromper et à tromper les autres; il s'acharne contre Galilée. » (Millet, Histoire de Descartes). |
[1] Relevons ce trait du caractère de Descartes, qui ne veut se brouiller avec personne et qui considère sa tranquillité comme la plus précieux des biens, au risque de ne pas livrer au public tout ce qu'il pense. [2]
Les théologiens scolastiques et les hiérarques de l'Eglise.
[3]
[4] [5]
[6] Par opposition au "concours extraordinaire" que serait le miracle. [7] [8] [9]
[10] [11] [12] Contrairement à l'opinion de Descartes, la lumière ne se transmet pas d'une manière instantanée. La vitesse de transmission de la lumière est seulement très grande (c = 300 000 km/s environ); à l'époque de Descartes, on ne savait la déterminer. Galilée avait cependant tenté de réaliser cette mesure. [13] [14][14]
[15]
[16] Sur tous ces détails, voyez les Principes, partie IV, 44-43-48-53-sqq. [17] « Descartes explique la chaleur de la même façon que la lumière, par l'agitation des petites parties des corps qu'excite l'action de la matière subtile. Cette agitation devient-elle plus grande que de coutume, elle remue les nerfs et produit en notre âme la sensation de la chaleur. Si la chaleur persiste en l'absence de la lumière, c'est que cette agitation elle-même persiste, jusqu'à ce que quelque autre cause vienne l'ôter. Il semble donc que la théorie mécanique de la chaleur, cette grande découverte de la physique [du XIXe siècle], soit aussi un retour à la physique de Descartes ». (Bouillier, Histoire de la philosophie cartésienne, tome I, ch. IX).
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Toutefois je ne voulais pas
inférer de toutes ces choses que ce monde ait été
créé en la façon que je proposais; car il est bien
plus vraisemblable que dès le commencement Dieu l'a rendu tel qu'il
devait être. Mais il est certain, et c'est une opinion communément
reçue entre les théologiens, que l'action par laquelle maintenant
il le conserve [18],
est toute la même que celle par laquelle il l'a créé;
de façon qu'encore qu'il ne lui aurait point donné au commencement
d'autre forme que celle du chaos, pourvu qu'ayant établi les lois
de la nature, il lui prêtât son concours pour agir ainsi qu'elle
a de coutume, ou peut croire, sans faire tort au miracle
de la création [19],
que par cela seul toutes les choses qui sont purement matérielles
auraient pu avec le temps s'y rendre telles que nous les voyons à
présent; et leur nature est bien plus aisée à concevoir,
lorsqu'on les voit naître peu à peu en cette sorte, que lorsqu'on
ne les considère que toutes faites [20].
[18] C'est la doctrine que les philosophes appellent : doctrine de la création continuée. Sur ce point, les théologiens et les philosophes sont beaucoup moins d'accord que ne le dit Descartes.De la description des corps inanimés et des plantes, je passai à celle des animaux, et particulièrement à celle des hommes. Mais pour ce que je n'en avais pas encore assez de connaissance pour en parler du même style que du reste, c'est-à-dire en démontrant les effets par les causes'[21], et faisant voir de quelles semences et en quelle façon la nature les doit produire, je me contentai de supposer que Dieu formât le corps d'un homme entièrement semblable à l'un des nôtres, tant en la figure extérieure de ses membres, qu'en la conformation intérieure de ses organes, sans le composer d'autre matière que de celle que j'avais décrite, et sans mettre en lui au commencement aucune âme raisonnable, ni aucune autre chose pour y servir d'âme végétante ou sensitive, sinon qu'il excitât en son coeur un de ces feux sans lumière que j'avais déjà expliqués, et que je ne concevais point d'autre nature que celui qui échauffe le foin lorsqu'on l'a renfermé avant qu'il fût sec, ou qui fait bouillir les vins nouveaux lorsqu'on les laisse cuver sur la râpe [22]. Car, examinant les fonctions qui pouvaient en suite de cela être en ce corps, j'y trouvais exactement toutes celles qui peuvent être en nous sans que nous y pensions, ni par conséquent que notre âme, c'est-à-dire cette partie distincte du corps dont il a été dit ci-dessus que la nature n'est que de penser, y contribue, et qui sont toutes les mêmes en quoi on peut dire que les animaux sans raison nous ressemblent [23]; sans que j'y en pusse pour cela trouver aucune de celles qui, étant dépendantes de la pensée, sont les seules qui nous appartiennent, en tant qu'hommes; au lieu que je les y trouvais toutes par après, ayant supposé que Dieu créât une âme raisonnable, et qu'il la joignît à ce corps en certaine façon que je décrivais [24]. Mais afin qu'on puisse voir en quelle sorte j'y traitais cette matière, je veux mettre ici l'explication du mouvement du coeur et des artères, qui étant le premier et le plus général qu'on observe dans les animaux, on jugera facilement de lui ce qu'on doit penser de tous les autres. Et afin qu'on ait moins de difficulté à entendre ce que j'en dirai, je voudrais que ceux qui ne sont point versés en l'anatomie prissent la peine, avant que de lire ceci, de faire couper devant eux le coeur de quelque grand animal qui ait des poumons' [25], car il est en tous assez semblable à celui de l'homme, et qu'ils se fissent montrer les deux chambres ou concavités[ = les ventricules]qui y sont : premièrement celle qui est dans son côté droit, à laquelle répondent deux tuyaux fort larges; à savoir, la veine cave [26], qui est le principal réceptacle du sang, et comme le tronc de l'arbre dont toutes les autres veines du corps sont les branches; et la veine artérieuse [27], qui a été ainsi mal nommée, pour ce que c'est en effet une artère, laquelle, prenant son origine du coeur, se divise, après en être sortie, en plusieurs branches qui vont se répandre partout dans les poumons: puis celle qui est dans son côté gauche, à laquelle répondent en même façon deux tuyaux qui sont autant, ou plus larges que les précédents; à savoir, l'artère veineuse, qui a été aussi mal nommée, à cause qu'elle n'est autre chose qu'une veine, laquelle vient des poumons, où elle est divisée en plusieurs branches entrelacées avec celles de la veine artérieuse, et celles de ce conduit qu'on nomme le sifflet, par où entre l'air de la respiration[28]; et la grande artère qui, sortant du coeur, envoie ses branches partout le corps. Je voudrais aussi qu'on leur montrât soigneusement les onze petites peaux qui, comme autant de petites portes, ouvrent et ferment les quatre ouvertures qui sont en ces deux concavités [29]; à savoir, trois à l'entrée de la veine cave [30], où elles sont tellement disposées qu'elles ne peuvent aucunement empêcher que le sang qu'elle contient ne coule dans la concavité droite du coeur, et toutefois empêchent exactement qu'il n'en puisse sortir; trois à l'entrée de la veine artérieuse [31], qui, étant disposées tout au contraire, permettent bien au sang qui est dans cette concavité de passer dans les poumons, mais non pas à celui qui est dans les poumons d'y retourner; et ainsi deux autres à l'entrée de l'artère veineuse [32], qui laissent couler le sang des poumons vers la concavité gauche du coeur, mais s'opposent à son retour; et trois à l'entrée de la grande artère [33], qui lui permettent de sortir du coeur, mais l'empêchent d'y retourner: et il n'est point besoin de chercher d'autre raison du nombre de ces peaux, sinon que l'ouverture de l'artère veineuse étant en ovale, à cause du lieu où elle se rencontre, peut être commodément fermée avec deux, au lieu que les autres étant rondes, le peuvent mieux être avec trois. De plus, je voudrais qu'on leur fît considérer que la grande artère et la veine artérieuse sont d'une composition beaucoup plus dure et plus ferme que ne sont l'artère veineuse et la veine cave [34]; et que ces deux dernières s'élargissent avant que d'entrer dans le coeur, et y font comme deux bourses, nommées les oreilles du coeur, qui sont composées d'une chair semblable à la sienne [35]; et qu'il y a toujours plus de chaleur dans le coeur qu'en aucun autre endroit du corps; et enfin que cette chaleur est capable de faire que, s'il entre quelque goutte de sang en ses concavités, elle s'enfle promptement et se dilate, ainsi que font généralement toutes les liqueurs, lorsqu'on les laisse tomber goutte à goutte en quelque vaisseau qui est fort chaud. [28] Cette « artère veineuse » est ce que nous appelons aujourd'hui l'oreillette gauche, où se rendent les quatre veines pulmonaires; ce qui le prouve, c'est que Descartes signale plus bas deux « petites peaux » comme séparant l'artère veineuse de la « concavité gauche » ou ventricule gauche du coeur : or ces deux petites peaux constituent sans aucun doute possible la valvule mitrale, qui ferme l'orifice auriculo-ventriculaire gauche. Au reste, la description de Descartes est exacte : l'artère veineuse, où aboutissent les veines pulmonaires, entrelace en effet ses branches avec celles de la veine artérieuse (artère pulmonaire) et avec celles du « sifflet », que nous appelons trachée; seulement, il n'y a enlacement réel qu'entre les dernières ramifications de l'artère veineuse et celles du sifflet, les extrémités des vaisseaux aériens (vésicules bronchiques) étant séparées des extrémités des vaisseaux sanguins (capillaire) par des parois extrêmement minces; au contraire entre les dernières ramifications de l'artère veineuse et celles de la veine artérieuse, il n'y a pas enlacement, les unes étant proprement la continuation des autres. |
[18]
C'est la doctrine que les philosophes appellent : doctrine de la création
continuée. Sur ce point, les théologiens et les philosophes
sont beaucoup moins d'accord que ne le dit Descartes.
[19] Si l'on appelle miracle tout fait qui est en dehors des lois de la nature, la création est un miracle; car le cours ordinaire des lois de la nature n'amène aucun fait de création. [20]
[21] Démontrer les effets par les causes, c'est aller de la loi connue a priori aux faits qu'on en déduit; c'est la méthode géométrique et constructive; en physique, Descartes n'en veut pas suivre d'autre; en physiologie, où les détails sont infiniment plus nombreux, il éprouve davantage le besoin de l'observation, et il s'efforce de soulager l'esprit dans son oeuvre de divination en faisant des dissections, des expériences, en allant, comme il dit, « au-devant des causes par les effets ». [22] Ainsi le corps humain est formé d'une matière identique à celle qui entre dans la composition des corps inorganiques, et pour en expliquer les détails et la complexité, il suffit d'avoir recours à deux notions, celles de l'étendue et du mouvement. Il faut donc rejeter toute intervention de l'âme pensante, qui n'a rien de commun avec les phénomènes organiques, ou d'une âme végétante ou sensitive, qui sont de pures chimères. Le mécanisme explique le monde organisé aussi exactement que le monde physique. (La râpe c'est le marc, le résidu du raisin quant le moût en a été extrait). [23] [24]
[25] Conseil excellent : point d'études biologiques sérieuses, sans dissection, sans observation directe. [26] Il existe deux veines caves qui déversent dans l'oreillette droite le sang veineux destiné à passer dans les poumons pour s'y régénérer; ces deux veines caves sont les « deux tuyaux fort larges » que signale Descartes; s'il paraît ne reconnaître qu'une veine cave, c'est qu'il appelle ainsi l'oreillette droite, simple élargissement, selon lui, des « deux tuyaux fort larges ». [27] C'est l'artère pulmonaire qui va du ventricule droit aux poumons. [28] [29] [30] [31] [32] [33] [34] La grande artère et la veine artérieuse sont des artères; par conséquent elles sont douées d'une plus grande élasticité, elles contiennent plus de fibres musculaires et elles sont plus épaisses que l'artère veineuse et la veine cave, qui sont de véritables veines. [35] De nos jours, les oreillettes sont considérées non comme l'élargissement des veines ou artères qui y aboutissent, mais comme des parties intégrantes du coeur. |
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Car, après cela, je
n'ai besoin de dire autre chose pour expliquer le mouvement du coeur, sinon
que lorsque ses concavités ne sont pas pleines de sang, il y en
coule nécessairement de la veine cave dans la droite et de l'artère
veineuse dans la gauche, d'autant que ces deux vaisseaux en sont toujours
pleins, et que leurs ouvertures, qui regardent vers le coeur, ne peuvent
alors être bouchées; mais que sitôt qu'il est entré
ainsi deux gouttes de sang, une en chacune de ses concavités, ces
gouttes, qui ne peuvent être que fort grosses, à cause que
les ouvertures par où elles entrent sont fort larges et les vaisseaux
d'où elles viennent fort pleins de sang, se raréfient et
se dilatent, à cause de la chaleur qu'elles y trouvent; au moyen
de quoi, faisant enfler tout le coeur, elles poussent et ferment les cinq
petites portes qui sont aux entrées des deux vaisseaux d'où
elles viennent, empêchant ainsi qu'il ne descende davantage de sang
dans le coeur; et, continuant à se raréfier de plus en plus,
elles poussent et ouvrent les six autres petites portes qui sont aux entrées
des deux autres vaisseaux par où elles sortent, faisant enfler par
ce moyen toutes les branches de la veine artérieuse et de la grande
artère, quasi au même instant que le coeur; lequel incontinent
après se désenfle, comme font aussi ces artères, à
cause que le sang qui y est entré s'y refroidit; et leurs six petites
portes se referment, et les cinq de la veine cave et de l'artère
veineuse se rouvrent, et donnent passage à deux autres gouttes de
sang, qui font derechef enfler le coeur et les artères, tout de
même que les précédentes. Et pour ce que le sang qui
entre ainsi dans le coeur passe par ces deux bourses qu'on nomme ses oreilles,
de là vient que leur mouvement est contraire au sien, et qu'elles
se désenflent lorsqu'il s'enfle. Au reste, afin que ceux qui ne
connaissent pas la force des démonstrations
mathématiques, et ne sont pas accoutumés à distinguer
les vraies raisons des vraisemblables, ne se hasardent pas de nier ceci
sans l'examiner, je les veux avertir que ce mouvement que je viens d'expliquer
suit aussi nécessairement de la seule disposition des organes qu'on
peut voir à l'oeil dans le coeur, et de la chaleur qu'on y peut
sentir avec les doigts, et de la nature du sang qu'on peut connaître
par expérience, que fait celui d'un horloge, de la force, de la
situation et de la figure de ses contre-poids et de ses roues [36].
Mais si on demande comment le sang des veines ne s'épuise point, en coulant ainsi continuellement dans le coeur, et comment les artères n'en sont point trop remplies, puisque tout celui qui passe par le coeur s'y va rendre, je n'ai pas besoin d'y répondre autre chose que ce qui a déjà été écrit par un médecin d'Angleterre [37], auquel il faut donner la louange d'avoir rompu la glace en cet endroit, et d'être le premier qui a enseigné qu'il y a plusieurs petits passages aux extrémités des artères, par où le sang qu'elles reçoivent du coeur entre dans les petites branches des veines [38], d'où il va se rendre derechef vers le coeur; en sorte que son cours n'est autre chose qu'une circulation perpétuelle. Ce qu'il prouve fort bien par l'expérience ordinaire des chirurgiens, qui, ayant lié le bras médiocrement fort, au-dessus de l'endroit où ils ouvrent la veine, font que le sang en sort plus abondamment que s'ils ne l'avaient point lié; et il arriverait tout le contraire s'ils le liaient au-dessous entre la main et l'ouverture, ou bien qu'ils le liassent très fort au-dessus. Car il est manifeste que le lien, médiocrement serré, pouvant empêcher que le sang qui est déjà dans le bras ne retourne vers le coeur par les veines, n'empêche pas pour cela qu'il n'y en vienne toujours de nouveau par les artères, à cause qu'elles sont situées au-dessous des veines, et que leurs peaux, étant plus dures, sont moins aisées à presser; et aussi que le sang qui vient du coeur tend avec plus de force à passer par elles vers la main, qu'il ne fait à retourner de là vers le coeur par les veines; et puisque ce sang sort du bras par l'ouverture qui est en l'une des veines, il doit nécessairement y avoir quelques passages au-dessous du lieu, c'est-à-dire vers les extrémités du bras, par où il y puisse venir des artères. Il prouve aussi fort bien ce qu'il dit du cours du sang, par certaines petites peaux, qui sont tellement disposées en divers lieux le long des veines [39], qu'elles ne lui permettent point d'y passer du milieu du corps vers les extrémités, mais seulement de retourner des extrémités vers le coeur; et de plus par l'expérience qui montre que tout celui qui est dans le corps en peut sortir en fort peu de temps par une seule artère lorsqu'elle est coupée, encore même qu'elle fût étroitement liée fort proche du coeur, et coupée entre lui et le lien, en sorte qu'on n'eût aucun sujet d'imaginer que le sang qui en sortirait vînt d'ailleurs. [38] Harvey a démontré par l'expérience l'existence de ces passages. Celui qui les a vus pour la première fois est le Hollandais Swammerdam. La démonstration est parfaitement rigoureuse. |
[36] Le mécanisme décrit par Descartes est fort ingénieux : la description serait exacte, si, au lieu d'attribuer à la chaleur du coeur l'impulsion donnée au sang, Descartes avait remarqué qu'elle est due à la structure musculaire de cet organe, qui projette la sang dans les artères par ses contractions. [37] William Harvey (1578-1657), professeur d'anatomie et de chirurgie au collège de médecine de Londres. Il communiqua, en 1619, à ses élèves, la découverte de la circulation du sang, et la fit connaître au monde savant en 1628, par une dissertation intitulée : Exercitatio anatomica de motu cordis et sanguines in animalibus (L.). Elle a 72 pages in-quarto, et est dédiée à Charles Ier. Descartes a écrit en marge de la première édition : Harvoeus, de Motu cordis. [38] [39]
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Mais il y a plusieurs autres
choses qui témoignent que la vraie cause de ce mouvement du sang
est celle que j'ai dite. Comme, premièrement, la différence
qu'on remarque entre celui qui sort des veines et celui qui sort des artères
ne peut procéder que de ce qu'étant raréfié
et comme distillé en passant par le coeur, il est plus subtil et
plus vif et plus chaud incontinent après en être sorti, c'est-à-dire
étant dans les artères, qu'il n'est un peu devant que d'y
entrer, c'est-à-dire étant dans les veines. Et si on y prend
garde, on trouvera que cette différence ne paraît bien que
vers le coeur, et non point tant aux lieux qui en sont les plus éloignés.
Puis, la dureté des peaux dont la veine artérieuse et la
grande artère sont composées montre assez que le sang bat
contre elles avec plus de force que contre les veines [40].
Et pourquoi la concavité gauche du coeur et la grande artère
seraient-elles plus amples et plus larges que la concavité droite
et la veine artérieuse, si ce n'était que le sang de l'artère
veineuse, n'ayant été que dans les poumons depuis qu'il a
passé par le coeur, est plus subtil et se raréfie plus fort
et plus aisément que celui qui vient immédiatement de la
veine cave [41]?
Et qu'est-ce que les médecins peuvent deviner en tâtant le
pouls, s'ils ne savent que, selon que le sang change de nature, il peut
être raréfié par la chaleur du coeur plus ou moins
fort, et plus ou moins vile qu'auparavant? Et si ou examine comment cette
chaleur se communique aux autres membres, ne faut-il pas avouer que c'est
par le moyen du sang [42],
qui, passant par le coeur, s'y réchauffe, et se répand de
là par tout le corps: d'où vient que si on ôte le sang
de quelque partie, on en ôte par même moyen la chaleur; et
encore que le coeur fût aussi ardent qu'un fer embrasé, il
ne suffirait pas pour réchauffer les pieds et les mains tant qu'il
fait, s'il n'y envoyait continuellement de nouveau sang. Puis aussi on
connaît de là que le vrai usage de la respiration est d'apporter
assez d'air frais dans le poumon pour faire que le sang qui y vient de
la concavité droite du coeur, où il a été raréfié
et comme changé en vapeurs, s'y épaississe et convertisse
en sang derechef, avant que de retomber dans la gauche, sans quoi il ne
pourrait être propre à servir de nourriture au feu qui y est
[43]; ce qui se
confirme parce qu'on voit que les animaux qui n'ont point de poumons n'ont
aussi qu'une seule concavité dans le coeur [44],
et que les enfants, qui n'en peuvent user pendant qu'ils sont renfermés
au ventre de leurs mères, ont une ouverture [45]
par où il coule du sang de la veine cave en la concavité
gauche du coeur, et un conduit [46]
par où il en vient de la veine artérieuse en la grande artère,
sans passer par le poumon. Puis la coction [ = la
digestion] comment se ferait-elle en l'estomac'
[47],
si le coeur n'y envoyait de la chaleur par les artères, et avec
cela quelques unes des plus coulantes parties du sang, qui aident à
dissoudre les viandes qu'on y a mises? Et l'action qui convertit le suc
de ces viandes en sang n'est-elle pas aisée à connaître,
si on considère qu'il se distille, en passant et repassant par le
coeur, peut-être plus de cent ou deux cents fois en chaque jour?
Et qu'a-t-on besoin d'autre chose pour expliquer la nutrition et la production
des diverses humeurs qui sont dans le corps, sinon de dire que la force
dont le sang, en se raréfiant, passe du coeur vers les extrémités
des artères, fait que quelques unes de ses parties s'arrêtent
entre celles des membres où elles se trouvent, et y prennent la
place de quelques autres qu'elles en chassent, et que, selon la situation
ou la figure ou la petitesse des pores qu'elles rencontrent, les unes se
vont rendre en certains lieux plutôt que les autres, en même
façon que chacun peut avoir vu divers cribles, qui, étant
diversement percés, servent à séparer divers grains
les uns des autres? Et enfin, ce qu'il y a de plus remarquable en tout
ceci, c'est la génération des esprits
animaux, qui
sont comme un vent très subtil, ou plutôt comme une flamme
très pure et très vive, qui, montant continuellement eu grande
abondance du coeur dans le cerveau, se va rendre, de là par les
nerfs dans les muscles, et donne le mouvement à tous les membres;
sans qu'il faille imaginer d'autre cause qui fasse
que les parties du sang qui, étant les plus agitées et les
plus pénétrantes, sont les plus propres à composer
ces esprits, se vont rendre plutôt vers le cerveau que vers ailleurs,
sinon que les artères qui les y portent sont celles qui viennent
du coeur le plus en ligne droite de toutes, et que, selon les règles
des mécaniques, qui sont les mêmes que celles de la nature,
lorsque plusieurs choses tendent ensemble à se mouvoir vers un même
côté où il n'y a pas assez de place pour toutes, ainsi
que les parties du sang qui sortent de la concavité gauche du coeur
tendent vers le cerveau, les plus faibles et moins agitées en doivent
être détournées par les plus fortes, qui par ce moyen
s'y vont rendre seules [48].
[48] Dans ce long passage sur la circulation du sang, on voit comment Descartes, malgré son dessein de tirer toutes les connaissances du petit nombre des principes évidents de sa philosophie spéculative, demande à l'observation et aux expériences la vérification des découvertes physiques ou physiologiques modernes. On y voit aussi comment, emporté par le besoin de tout expliquer, il dépasse les faits, se jette dans les hypothèses, s'élance du connu à l'inconnu et tranche en se jouant toutes les difficultés du problème du vivant, comme il croit avoir éclairci précédemment toutes les mystères de la nature, de Dieu et de l'âme humaine. |
[40] Ici Descartes fait un emploi assez malheureux de l'argument des causes finales, qu'il rejette pourtant de la physique : il considère l'épaisseur des artères comme destinée à opposer une résistance au choc vigoureux du sang qui sort du coeur. [41] Descartes ne pouvait pas connaître les phénomènes chimiques qui s'accomplissent dans les poumons. Ces phénomènes n'ont pu être expliqués qu'après la découverte de l'oxygène par Lavoisier. [42] Cela est vrai, mais la cause de la chaleur animale est dans la combustion entretenue continuellement dans le sang par l'oxygène. [43] Conclusions fantaisistes; comme on en rencontre beaucoup chez tous ceux qui emploient dans les sciences d'observation une méthode a priori. [44] Les poissons par exemple; mais les branchies sont de véritables poumons. [45] C'est le trou de Botal qui se ferme au moment de la naissance. [46] Ce conduit est appelé aujourd'hui canal artériel et persiste seulement jusqu'à la naissance : c'est une large anastomose entre la crosse de l'aorte et l'artère pulmonaire. [47]
La digestion dans l'estomac est un ensemble de phénomènes
chimiques et physiologiques que Descartes ne connaissait pas et ne pouvait
pas plus connaître que ses contemporains.
[48] |
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J'avais expliqué
assez particulièrement toutes ces choses dans le traité que
j'avais eu ci-devant dessein de publier. Et ensuite j'y avais montré
quelle doit être la fabrique des nerfs
et des muscles
du corps humain [49],
pour faire que les esprits animaux étant dedans aient la force de
mouvoir ses membres, ainsi qu'on voit que les têtes, un peu après
être coupées, se remuent encore et mordent la terre nonobstant
qu'elles ne soient plus animées; quels changements se doivent faire
dans le cerveau
pour causer la veille, et le sommeil, et les songes [50];
comment la lumière, les sons, les odeurs, les goûts, la chaleur,
et toutes les autres qualités des objets
extérieurs y peuvent imprimer diverses idées, par l'entremise
des sens [51];
comment la faim, la soif, et les autres passions
intérieures y peuvent aussi envoyer les leurs [52];
ce qui doit y être pris pour le sens commun
où ces idées sont reçues, pour la mémoire
qui les conserve, et pour la fantaisie [53]
qui les peut diversement changer et en composer de nouvelles, et, par même
moyen, distribuant les esprits animaux dans les muscles, faire mouvoir
les membres de ce corps en autant de diverses façons, et autant
à propos des objets qui se présentent à ses sens et
des passions intérieures qui sont en lui, que les nôtres se
puissent mouvoir sans que la volonté les
conduise: ce qui ne semblera nullement étrange à ceux qui,
sachant combien de divers automates ou machines mouvantes, l'industrie
des hommes peut faire, sans y employer que fort peu de pièces, à
comparaison de la grande multitude des os,
des muscles, des nerfs, des artères, des veines, et de toutes les
autres parties qui sont dans le corps de chaque animal, considéreront
ce corps comme une machine, qui, ayant été faite des mains
de Dieu, est incomparablement mieux ordonnée et a en soi des mouvements
plus admirables qu'aucune de celles qui peuvent être inventées
par les hommes [54].
Et je m'étais ici particulièrement arrêté à faire voir que s'il y avait de telles machines qui eussent les organes et la figure extérieure d'un singe ou de quelque autre animal sans raison, nous n'aurions aucun moyen pour reconnaître qu'elles ne seraient pas en tout de même nature que ces animaux; au lieu que s'il y en avait qui eussent la ressemblance de nos corps, et imitassent autant nos actions que moralement il serait possible, nous aurions toujours deux moyens très certains pour reconnaître qu'elles ne seraient point pour cela de vrais hommes, dont le premier est que jamais elles ne pourraient user de paroles ni d'autres signes en les composant, comme nous faisons pour déclarer aux autres nos pensées. Car on peut bien concevoir qu'une machine soit tellement faite qu'elle profère des paroles, et même quelle en profère quelques unes à propos des actions corporelles qui causeront quelque changement en ses organes, comme, si on la touche en quelque endroit, qu'elle demande ce qu'on lui veut dire; si en un autre, qu'elle crie qu'on lui fait mal, et choses semblables; mais non pas qu'elle les arrange diversement pour répondre au sens de tout ce qui se dira en sa présence, ainsi que les hommes les plus hébétés peuvent faire. Et le second est que, bien qu'elles fissent plusieurs choses aussi bien ou peut-être mieux qu'aucun de nous, elles manqueraient infailliblement en quelques autres, par lesquelles on découvrirait qu'elles n'agiraient pas par connaissance, mais seulement par la disposition de leurs organes. Car, au lieu que la raison est un instrument universel qui peut servir en toutes sortes de rencontres, ces organes ont besoin de quelque particulière disposition pour chaque action particulière; d'où vient qu'il est moralement impossible qu'il y en ait assez de divers en une machine pour la faire agir en toutes les occurrences de la vie de même façon que notre raison nous fait agir. Or, par ces deux mêmes moyens, on peut aussi connaître la différence qui est entre les hommes et les bêtes. Car c'est une chose bien remarquable qu'il n'y a point d'hommes si hébétés et si stupides, sans en excepter même les insensés, qu'ils ne soient capables d'arranger ensemble diverses paroles, et d'en composer un discours par lequel ils fassent entendre leurs pensées; et qu'au contraire il n'y a point d'autre animal, tant parfait et tant heureusement né qu'il puisse être, qui fasse le semblable. Ce qui n'arrive pas de ce qu'ils ont faute d'organes. Car on voit que les pies et les perroquets peuvent proférer des paroles ainsi que nous, et toutefois ne peuvent parler ainsi que nous, c'est-à-dire en témoignant qu'ils pensent ce qu'ils disent; au lieu que les hommes qui étant nés sourds et muets sont privés des organes qui servent aux autres pour parler, autant ou plus que les bêtes, ont coutume d'inventer d'eux-mêmes quelques signes, par lesquels ils se font entendre à ceux qui étant ordinairement avec eux ont loisir d'apprendre leur langue. Et ceci ne témoigne pas seulement que les bêtes ont moins de raison que les hommes, mais qu'elles n'en ont point du tout. Car on voit qu'il n'en faut que fort peu pour savoir parler; et d'autant qu'on remarque de l'inégalité entre les animaux d'une même espèce, aussi bien qu'entre les hommes, et que les uns sont plus aisés à dresser que les autres, il n'est pas croyable qu'un singe ou un perroquet qui serait des plus parfaits de son espèce n'égalât en cela un enfant des plus stupides, ou du moins un enfant qui aurait le cerveau troublé, si leur âme n'était d'une nature toute différente de la nôtre. Et on ne doit pas confondre les paroles avec les mouvements naturels, qui témoignent les passions, et peuvent être imités par des machines aussi bien que par les animaux; ni penser, comme quelques anciens, que les bêtes parlent, bien que nous n'entendions pas leur langage. Car s'il était vrai, puisqu'elles ont plusieurs organes qui se rapportent aux nôtres, elles pourraient aussi bien se faire entendre à nous qu'à leurs semblables. C'est aussi une chose fort remarquable que, bien qu'il y ait plusieurs animaux qui témoignent plus d'industrie que nous en quelques unes de leurs actions, on voit toutefois que les mêmes n'en témoignent point du tout en beaucoup d'autres : de façon que ce qu'ils font mieux que nous ne prouve pas qu'ils ont de l'esprit, car à ce compte ils en auraient plus qu'aucun de nous et feraient mieux en toute autre chose; mais plutôt qu'ils n'en ont point, et que c'est la nature qui agit en eux selon la disposition de leurs organes : ainsi qu'on voit qu'un horloge, qui n'est composé que de roues et de ressorts, peut compter les heures et mesurer le temps plus justement que nous avec toute notre prudence [55]. [55] Telle est la fameuse hypothèse de l'animal-machine, qui eut un si grand succès au XVIIe siècle; hypothèse insoutenable et absolument abandonnée aujourd'hui. Quant à l''imperfectibilité apparente, des animaux, elle aurait pu être un des meilleurs arguments en faveur de la thèse cartésienne. (Bossuet, Traité de la connaissance de Dieu et de soi-même, ch. V). La découverte de l'évolution des espèces (animales et végétales) a mis à bas cette conception. |
[49]
« Véritablement l'on peut fort bien comparer les nerfs de
la machine que je vous décris (l'organisme) aux tuyaux des machines
de ces fontaines, ses muscles et ses tendons aux autres divers engins et
ressorts qui servent à les mouvoir, ses esprits animaux à
l'eau qui les remue, dont le coeur est la source et dont les concavités
du cerveau sont les regards. » (Traité de l'Homme).
[50] Le sommeil vient de ce que le coeur envoie moins d'esprits animaux au cerveau. Les rêves sont causés par le mouvement des esprits animaux agitant les endroits du cerveau où sont les empreintes des sensations antérieures. [51] [52] [53] [54] Conclusion : tout organisme est une admirable machine. |
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J'avais décrit après
cela l'âme raisonnable, et fait voir qu'elle ne peut aucunement être
tirée de la puissance de la matière,
ainsi que les autres choses dont j'avais parlé, mais qu'elle doit
expressément être créée [56];
et comment il ne suffit pas qu'elle soit logée dans le corps humain,
ainsi qu'un pilote en son navire, sinon peut-être pour mouvoir ses
membres [57],
mais qu'il est besoin qu'elle soit jointe et unie plus étroitement
avec lui, pour avoir outre cela des sentiments et des appétits semblables
aux nôtres, et ainsi composer un vrai homme. Au reste, je me suis
ici un peu étendu sur le sujet de l'âme, à cause qu'il
est des plus importants: car, après l'erreur de ceux qui nient Dieu,
laquelle je pense avoir ci-dessus assez réfutée, il n'y en
a point qui éloigne plutôt les esprits faibles du droit chemin
de la vertu, que d'imaginer que l'âme des
bêtes soit de même nature que la nôtre, et que par conséquent
nous n'avons rien à craindre ni à espérer après
cette vie, non plus que les mouches et les fourmis [58];
au lieu que lorsqu'on sait combien elles diffèrent, on comprend
beaucoup mieux les raisons qui prouvent que la nôtre est d'une nature
entièrement indépendante du corps, et par conséquent
qu'elle n'est point sujette à mourir avec lui; puis, d'autant qu'on
ne voit point d'autres causes qui la détruisent, on est naturellement
porté à juger de là qu'elle est immortelle [59].
(R. Descartes, 1637; notes d'après : G.
Vapereau,T.-V. Charpentier, L.
Carrau, et al.).
[57] Voici le jugement de Leibniz sur cette opinion de Descartes « M. Descartes a cru que l'âme pourrait avoir le pouvoir de changer la direction des mouvements qui se font dans le corps, à peu près comme un cavalier, quoiqu'il ne donne point de force à son cheval qu'il monte, ne laisse pas de le gouverner en dirigeant cette force du côté que bon lui semble. Mais comme cela se fait par le moyen du frein, du mors, des éperons, et d'autres aides matérielles, on conçoit comment cela se peut : mais il n'y a point d'instruments dont l'âme se puisse servir pour cet effet ; rien enfin, ni dans l'âme, ni dans le corps, c'est-à-dire ni dans la pensée ni dans la masse, qui puisse servir à expliquer ce changement de l'un par l'autre. En un mot, que l'âme change la quantité de la force et qu'elle change la ligne de la direction, ce sont des choses également inexplicables. » (Leibniz, Théodicée, part. I, § 60.). |
[56]
L'âme est absolument séparée du corps, et la pensée
ne résulte pas d'une combinaison des organes; elle est donc l'objet
d'une création spéciale.
[57]
[58] Descartes se flatte d'avoir supprimé toutes les difficultés du matérialisme. Mais il ne prend pas garde à ceci : quand on admet que de simples machines peuvent faire ce que font les animaux, on n'est pas fort loin d'admettre que des machines un peu plus parfaites peuvent faire ce que font les humains. [59]
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