| Théodicée (du grec théos = Dieu, et dikè = justification). - Ce mot fut introduit dans la philosophie par Leibniz, qui l'employa dans un ouvrage ayant pour titre : Essais de Théodicée sur la bonté de Dieu, la liberté de l'homme et l'origine du mal : il se proposait de repousser les attaques dirigées contre la providence, les objections tirées de l'existence du mal contre la bonté divine, et de concilier la liberté humaine avec la sagesse suprême qui a tout prévu et tout ordonné d'avance. II ne faut donc pas confondre la théodicée avec la théologie rationnelle (Rationalisme), dont elle n'est qu'une partie. En Allemagne, les questions qu'elle embrasse étaient comprises dans la métaphysique; en France, elle fut désignée dans l'enseignement comme une partie de la philosophie, qui a pour objet de démontrer l'existence de Dieu, d'énumérer ses principaux attributs, d'étudier sa sagesse dans le plan de l'univers, afin de mieux pénétrer ses desseins sur l'humain, et d'apprendre à celui-ci, avec sa propre destination, ses devoirs envers le Créateur. Avant Leibniz, les questions dont s'occupe la théodicée avaient été traitées plus ou moins directement, surtout dans Platon, Cicéron, Sénèque; on peut même citer, avant eux, le Livre de Job. Depuis la Théodicée de Leibniz on a écrit sur le même sujet, entre autres ouvrages : De origine mali, de W. King; De la Providence, par G. Sherlock; la Théodicée chrétienne de Mgr Maret. Kant a laissé un petit écrit intitulé Du mauvais succès de tous les essais philosophiques en théodicée. (R.). | |
| Les Essais de théodicée sont un ouvrage de Leibniz (1710) écrit en français. Il fut composé pour répondre aux difficultés soulevées par Bayle sur l'origine du mal, soit physique, soit moral. Il comprend : un Discours sur la conformité de la foi avec la raison, des Essais sur la bonté de Dieu, la liberté de l'homme et l'origine du mal, et deux appendices, consacrés l'un au livre de Hobbes sur la Liberté, la nécessité et le hasard, l'autre à celui de King sur l'origine du mal. La première édition de la Théodicée parut à Amsterdam en 1710 (1 volume); une seconde a paru dans le même format en 1712, encore à Amsterdam. La meilleure est la troisième, faussement indiquée comme la seconde par Erdmann, le savant éditeur de Leibniz, et qui fut publiée à Amsterdam (1 volume) en 1747, par les soins du chevalier de Jaucourt, augmentée d'une histoire de la vie et des oeuvres de Leibniz. C'est dans cette Théodicée que se trouve exposé et développé l'optimisme de Leibniz, si vigoureusement réfuté par Voltaire dans Candide. "La sagesse infinie du Tout-Puissant, dit Leibniz, jointe à sa bonté immense, a fait que, tout compté, rien ne pouvait être créé de meilleur que ce qui a été créé par Dieu, et, par conséquent, que toutes choses sont harmoniques en perfection et concourent ensemble avec le plus parfait accord, les causes formelles ou les âmes avec les causes matérielles ou les corps, les causes efficientes ou naturelles avec les causes finales ou morales, le règne de la grâce avec le règne de la nature." Pour bien comprendre l'économie du plan divin, il ne faut pas s'arrêter à considérer exclusivement telle partie, tel moment, tel acte; il faut embrasser l'ensemble dans le temps et dans l'espace, étendre ses regards au passé et à l'avenir, les, élever au-dessus de notre terre vers ces astres sans nombre que l'on peut supposer habités par des créatures heureuses. Dans cet univers, qui a mérité la préférence divine, se trouvent comprises les douleurs et les mauvaises actions humaines; mais elles font partie de la série la meilleure et la plus avantageuse qui soit possible. Au point de vue métaphysique, le mal a son fondement nécessaire dans la limitation, l'imperfection essentielle des créatures, imperfection qui doit subsister dans le monde le plus parfait, puisque la création n'est pas susceptible d'une perfection infinie. Le mal physique ou la souffrance est une punition et une épreuve; en tant que punition, c'est un bien d'un ordre supérieur, un bien moral; en tant qu'épreuve, non seulement il sera largement compensé, mais il doit servir à l'accroissement de notre mérite et de notre bonheur. Quant au mal moral ou au péché, rien ne nous autorise à affirmer que la perfection du monde, c'est-à-dire la manifestation des attributs de Dieu dans le monde, n'exigeait pas que Dieu permit cet effet du libre arbitre de l'homme. S'il est vrai qu'elle l'exigeait, Dieu non seulement a pu, mais encore il a dû le permettre, puisqu'il n'aurait pu l'empêcher sans préférer par un choix indigne de sa sagesse un monde moins parfait au plus parfait des mondes. Tel est le squelette de cette Théodicée, que Fontenelle juge ainsi : "Elle suffirait pour représenter Leibniz; une lecture immense, des anecdotes curieuses sur les livres et les personnes, beaucoup d'équité et même de faveur pour les auteurs cités, fût-ce en les combattant, des vues sublimes et lumineuses, des raisonnements au fond desquels un sent toujours l'esprit géométrique, un style où la force domine et où cependant sont admis les agréments d'une imagination heureuse, voilà ses titres de recommandation. " A part les Nouveaux essais sur l'entendement humain, la Théodicée de Leibniz est l'ouvrage qui a le plus fait pour sa gloire. Il est vrai que l'auteur n'a pas acquis, grâce à lui, la réputation d'un chrétien très orthodoxe, mais plutôt celle d'un théiste et d'un moraliste de premier ordre. "On a vu de tout temps, dit-il dans sa préface, que le commun des hommes a mis la dévotion dans les formalités; la solide piété, c'est-à-dire la lumière et la vertu, n'a jamais été le partage d'un grand nombre. Il ne faut point s'en étonner, rien n'est si conforme à la faiblesse humaine; nous sommes frappés par l'extérieur, et l'interne demande une discussion dont peu de gens se rendent capables. Comme la véritable piété consiste dans les sentiments et dans la pratique, les formalités de dévotion l'imitent et sont de deux sortes : les unes reviennent aux cérémonies de la pratique et les autres aux formulaires de la croyance. Les cérémonies ressemblent aux actions vertueuses, et les formulaires sont comme des ombres de la vérité et approchent plus ou moins de la pure lumière. Toutes ces formalités seraient louables si ceux qui les ont inventées les avaient rendues propres à maintenir et à exprimer ce qu'elles imitent; si les cérémonies religieuses, la discipline ecclésiastique, les règles des communautés, les lois humaines étaient toujours comme une haie à la loi divine pour nous éloigner des approches du vice, nous accoutumer au bien et nous rendre la vertu familière. " Leibniz est loin d'estimer qu'il en soit ainsi. Il n'a pas une meilleure opinion des formules dans lesquelles les religions s'enferment, sans toutefois les mépriser entièrement : "Elles seraient passables; dit-il, s'il n'y avait rien qui ne fût conforme à la vérité salutaire, quand même toute la vérité dont il s'agit n'y serait pas. " Malheureusement, le plus souvent, les opinions personnelles tiennent la place de la vérité; aussi l'auteur s'est-il proposé, en écrivant sa Théodicée, de dégager Dieu et ses attributs moraux des erreurs accumulées sur cette matière difficile. Outre ce but, des motifs particuliers engagèrent aussi Leibniz à entreprendre sa Théodicée. Il avait fréquemnient traité ce sujet dans ses conversations et dans ses lettres; interrogé par beaucoup de personnes sérieuses, il voulut répondre toutes les questions en une fois, tout en réfutant Bayle, qu'il admirait : "Je suis d'un autre sentiment, écrivait-il, mais je suis bien aise qu'un si beau génie ait fourni l'occasion d'approfondir ces matières aussi importantes que difficiles. " Avant d'entamer la discussion sur Dieu et ses attributs, Leibniz donne un Discours sur la conformité de la foi avec la raison. Il conseille l'emploi de la philosophie dans la théologie. "L'objet de la foi, comme celui de la raison, est la recherche de la vérité. Quoique les vérités qu'elles recherchent ne soient pas du même ordre, elles se touchent par une foule de points notables." Le titre complet de l'ouvrage : Essais de théodicée sur la bonté de Dieu, la liberté de l'homme et l'origine du mal, en indique suffisamment la distribution. Il se divise en trois parties et se termine par un Abrégé de la controverse réduite à des arguments en forme. Il s'agit de la controverse engagée par Bayle dans son Dictionnaire, et qui avait eu un immense retentissement en France, en Allemagne et en Angleterre. On trouve ordinairement, à la suite de la Théodicée, quelques opuscules se rattachant au même sujet ou à des opinions contradictoires; ce sont : 1° Réflexions sur l'ouvrage que M. Hobbes a publié en anglais, De la liberté, de la nécessité et du hasard; 2° Remarques sur le livre Sur l'origine du mal, publié depuis peu en Angleterre; 3° Causa Dei asserta per justitiam ejus cum caeteris perfectionibus cunctisque actionibus conciliatam. Ce dernier opuscule, écrit en latin et que l'on regarde d'ordinaire comme faisant partie intégrante de la Théodicée de Leibniz, en est peut-être le morceau le plus considérable par la valeur, sinon par l'étendue. La méthode syllogistique, en dépit du dédain de Descartes et de toute l'école cartésienne, était restée en usage parmi les plus grands écrivains du siècle, comme dans les collèges. Leibniz écrivit donc sa Théodicée d'après les règles de cette méthode, ce qui nuit beaucoup à sa valeur littéraire, et partant à son intérêt. L'auteur de la Théodicée l'a surtout écrite pour s'opposer à l'envahissement des esprits par la doctrine de la nécessité, mise en crédit par Hobbes et Spinoza. C'était, aux yeux de Leibniz, la grande hérésie du XVIIe siècle. "L'idée mal entendue de la nécessité étant employée dans la pratique, écrit-il, a fait nature ce que j'appelle Fatam mahometanum, le Destin à la turque, parce qu'on impute aux Turcs de ne pas éviter les dangers et de ne pas même quitter les lieux infectés par la peste sur des raisonnements qu'on peut réduire à ces maximes : Tout est écrit; Ce qui est écrit est écrit, etc. Ce qu'on appelle Fatum stoicum n'était pas si noir qu'on le fait; il ne détournait pas les hommes du soin de leurs affaires, mais il tendait à leur donner la tranquillité à l'égard des événements, par la considération de la nécessité, qui rend nos soucis et nos chagrins inutiles." Quoi qu'il en soit, Leibniz n'a réellement combattu le fatalisme qu'on lui opposant l'optimisme, et à la place de la formule de Mahomet : "C'était écrit", il a voulu mettre celle du docteur Pangloss : "Tout est pour le mieux dans le meilleur des mondes possibles!" (PL). |