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Discours de la méthode 
pour bien conduire sa raison
et chercher la vérité dans les sciences
René Descartes

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Le Discours de la Méthode est un ouvrage de Descartes (1637). Par une innovation audacieuse écrit en français, il servait d'introduction à la Géométrie, la Dioptrique, les Météores.  C'est celui des ouvrages de Descartes qui a le plus influé sur les destinées de la philosophie. Ce discours présente une profondeur de vue et une simplicité de style que l'on aime à trouver réunies. L'auteur y fait, avec une naïve candeur, l'histoire de ses réflexions, de son doute, de ses essais et de leurs résultats; il montre comment il est arrivé à sentir le besoin d'une méthode qui lui soit propre, puis à eu poser les règles, enfin à trouver par son aide le point fixe et incontestable sur lequel il voulait établir la philosophie. 

Tous les humains, pour Descartes, possèdent une faculté égale de discerner le vrai du faux; si les sciences, telles qu'elles existent à l'époque de Descartes, ne lui donnent aucune connaissance claire et assurée, cela tient à ce qu'elles ne partent pas de principes solidement établis et n'ont pas de méthode

Descartes va essayer de reconstruire par sa seule raison l'édifice de la science en rejetant toutes les opinions qu'il avait acceptées jusqu'alors, sauf en ce qui concerne la politique et la religion. Il résume d'abord, en quatre préceptes, la méthode qu'il emploiera et qui comprend ce qui il y a de meilleur dans la logique, l'analyse et l'algèbre

1° ne recevoir aucune chose pour vraie qu'elle ne soit connue évidemment être telle; 

2° diviser les difficultés en autant de parcelles qu'il se peut; 

3° conduire par ordre ses pensées en allant par degrés du simple au composé; 

4° faire des dénombrements si entiers et des revues si générales que l'on soit assuré de ne rien omettre. 

Cette méthode établie, quelques règles d'une morale provisoire formulée, Descartes commence par douter de tout. Une proposition, cependant, s'impose nécessairement à son esprit : Je pense, donc je suis. Elle sera le principe fondamental de la métaphysique cartésienne. L'existence de l'âme distincte du corps, le critérium de la vérité, la preuve, de l'existence de Dieu, la détermination des attributs divins, l'existence du monde extérieur garantie par la véracité divine, voilà les principales conséquences du "Je pense, donc je suis". Le monde extérieur n'est pas tel que nous le montrent nos sens, mais tel que notre entendement le conçoit. Des perfections de Dieu se déduisent les lois générales du mouvement; ces lois, agissant sur la matière, produisent l'univers, les corps inanimés, les végétaux, les animaux, dont l'activité est toute mécanique, et aussi le corps de l'humain. L'âme, qui pense seule, n'est pas réductible à de l'étendue et du mouvement.

Le Discours de la méthode, par la clarté et la rigueur de son style, est un monument considérable de la langue française : mais, surtout, il a été le point de départ de la philosophie moderne : il a marqué la libre initiative de la raison humaine, en matière métaphysique. (NLI).
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Discours de la Méthode.
Frontispice le 1re édition du  Discours de la Méthode.

Pour comprendre le Discours de la méthode.
Comprendre le Discours de la méthode, demande de bien connaître le but que Descartes s'est proposé en l'écrivant, et l'ensemble de l'ouvrage auquel le Discours sert d'introduction.

Vers 1629, peu de temps après son arrivée en Hollande, Descartes avait commencé la composition d'un grand ouvrage qui devait être l'exposition complète de son système. Troublé par la nouvelle de la condamnation de Galilée, il s'était brusquement arrêté dans son travail. Rien ne put le décider à reprendre sa tâche; mais, pour donner satisfaction à ses amis, il entreprit la composition de l'ouvrage qui nous occupe ici.

Son objet fut à la fois très net et très simple : donner de son système un aperçu rapide; exposer en détail sa méthode; prouver par des exemples indiscutables la puissance extraordinaire de ses procédés d'investigation Le livre dut être composé de quatre parties : le Discours de la méthode; la Dioptrique; les Météores et la Géométrie. Le Discours de la méthode eut pour objet d'exposer la partie philosophique de l'ouvrage; les trois autres traités renferment les applications de la méthode.

On peut dire, sans rien exagérer, que jamais livre plus extraordinaire ne sortit des mains d'un homme. La Dioptrique expose la loi de la réfraction de la lumière, connue encore aujourd'hui sous le nom de loi de Descartes; l'explication des principaux phénomènes que présente la marche de la lumière à travers des verres de différentes formes, et, par exemple, dans les lunettes d'approche; enfin la première théorie scientifique de la vision. Les Météores renferment la première explication de l'arc-en-ciel double. On n'y rencontre pas, il est vrai, la découverte de la décomposition de !a lumière par le prisme; mais cette invention, qui était réservée à Newton, est admirablement préparée.

La Géométrie est plus étonnante encore. Elle contient une réforme complète de l'algèbre, le moyen de résoudre les équations du troisième et du quatrième degré; elle indique des méthodes absolument nouvelles, d'une fécondité incomparable, comme la méthode des coefficients indéterminés et celle qui est connue aujourd'hui sous le nom de Règle des signes de Descartes. Enfin elle contient l'exposition de toute une science absolument nouvelle, l'application de l'algèbre à l'étude des propriétés des lignes courbes : cette science est poussée si loin, qu'elle enseigne le moyen de trouver en général les tangentes à une courbe quelconque définie par son équation. Quand on songe que toutes ces découvertes apparaissent à la fois dans un livre écrit avec une aisance et une clarté merveilleuses, on s'explique l'admiration des contemporains, et l'on conçoit que les témoignages qu'ils ont donnés de cette admiration ne doivent pas sembler excessifs. On conçoit aussi comment une méthode capable de donner de tels résultats dut s'imposer tout d'abord avec une autorité en quelque sorte absolue.

Pour donner de la façon la plus simple une idée de ce qu'est cette méthode, nous nous servirons pour cela non seulement du Discours de la méthode, mais des Règles pour la direction de l'esprit, qui sont un commentaire naturel du Discours.

La méthode que nous étudions est générale, c'est-à-dire qu'elle s'applique à toutes les questions, quelles qu'elles soient. Elle est de plus tellement compréhensive que tous les procédés d'investigation antérieurement connus, l'analyse des anciens, l'algèbre et la logique' scolastique, n'en sont que des applications particulières. Pour la bien comprendre, il est nécessaire de parcourir toute la suite d'idées qui a conduit Descartes lui-même à la concevoir.

Trouver la solution d'un problème d'arithmétique, c'est trouver par des opérations arithmétiques un ou plusieurs nombres qui satisfont aux conditions indiquées dans l'énoncé de la question. Par exemple, si l'on demande de trouver deux nombres dont la somme soit égale à 30 et la différence égale à 20, la solution du problème consiste à indiquer les opérations arithmétiques qu'il faut exécuter sur les deux nombres donnés, 20 et 30, pour trouver les deux nombres demandés, 25 et 5, qui satisfont à l'énoncé de la question.

Il est facile d'apercevoir que tout problème d'arithmétique peut être généralisé. La généralisation consiste à laisser indéterminées les données de la question, et à chercher seulement les opérations arithmétiques qu'il faut effectuer sur ces données pour trouver la valeur des nombres cherchés.

Pour fixer les idées et simplifier le langage, on désigne tes nombres donnés par des lettres telles que a et b, les nombres cherchés par des lettres telles que x et y. Si l'on traite de cette manière le problème que nous venons d'indiquer, on trouve pour solution les deux formules que voici :

x=(a+b)/2 et y = (a-b)/2

L'arithmétique, ainsi généralisée n'est autre chose que l'algèbre.

La grande découverte mathématique de Descartes est d'avoir reconnu qu'à toute opération arithmétique correspond une opération géométrique. Ainsi, partager un nombre quelconque a en deux parties égales, c'est effectuer sur les deux nombres a et 2 l'opération arithmétique bien connue de tout le monde sous le nom de division : partager une droite a en deux parties égales, c'est faire sur la ligne a des opérations géométriques enseignées dans tous les traités élémentaires. Tout symbole algébrique, tel que a/2 a donc une double signification. Il désigne à la fois une opération arithmétique et une opération géométrique. Ces deux opérations sont distinctes, mais elles se correspondent elles reviennent en quelque sorte l'une à l'autre; car toute quantité arithmétique peut être considérée comme la représentation d'une quantité géométrique, et réciproquement toute opération arithmétique peut être considérée comme la représentation d'une opération géométrique.

Ces considérations ont conduit Descartes à concevoir une algèbre infiniment plus générale que l'algèbre vulgaire. Cette algèbre nouvelle n'est autre chose qu'un art de combiner suivant des règles fixes des symboles, qui ont tous une double signification arithmétique et géométrique. Et maintenant, comme la science de la nature a pour principal objet de découvrir et d'exprimer les relations mathématiques qui existent entre une infinité de grandeurs, telles que des temps, des forces, des vitesses, etc., on conçoit sans peine que l'algèbre, telle que nous venons de la définir, puisse devenir une méthode générale applicable aux mathématiques d'abord puis, sans exception à toutes les sciences physiques. Cependant cette méthode, si générale qu'elle soit, n'est pas encore universelle. On ne voit pas, en effet, comment il serait possible de l'appliquer à d'autres objets que les quantités ou grandeurs mathématiques. Donc Descartes a dû lui faire subir une transformation nouvelle, pour lui donner un nouveau degré de généralité.
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Au fond, trouver la solution d'un problème de mathématiques, quel qu'il soit, c'est découvrir une combinaison d'éléments ou de données de la question, qui satisfasse à des conditions indiquées par l'énoncé. Mais quel autre procédé pourrait-on suivre pour trouver la solution d'une question quelconque, même non mathématique? La vraie méthode, la méthode absolument générale consiste donc dans un art de combiner ou d'ordonner, analogue à l'algèbre, mais plus général que l'algèbre même. Elle enseigne d'abord à découvrir par l'analyse les éléments de la question, puis à s'assurer par une énumération convenable qu'aucun élément essentiel n'a été omis, à distinguer enfin parmi tous ces éléments l'élément essentiel, que Descartes appelle l'absolu de la question : ce premier travail achevé, la méthode doit enseigner à former avec les éléments découverts diverses combinaisons, en commençant par les plus simples pour s'élever ensuite comme par degrés aux plus complexes, jusqu'à ce qu'on arrive enfin à la combinaison qui donne la solution de la question. Que l'on compare cette formule aux quatre règles du Discours de la méthode, on verra que nous ne faisons pas autre chose que les répéter, en les expliquant un peu.

On a dit quelquefois que la méthode de Descartes était une méthode a priori. Ce n'est pas absolument exact. Sans doute, la méthode est a priori quand les éléments de la question peuvent être déterminés sans aucun appoel à l'expérience. C'est le cas de toutes les questions mathématiques. Mais dans les questions physiques, l'expérience seule peut déterminer les éléments de la question. Bien plus, dans les problèmes de ce genre, quand on a cru découvrir la combinaison d'éléments qui donne la solution de la question, l'expérience seule peut décider si la solution ainsi découverte est la solution véritable. Qu'il s'agisse, par exemple, d'expliquer comment se forme l'image d'un objet vu à travers une loupe. Il est évident qu'un des éléments principaux de la question est la modification que les rayons subissent dans leur direction en traversant le verre. Or l'expérience seule peut faire connaître le phénomène de la réfraction, et la loi de la réfraction est ici l'absolu de la question. Maintenant, quand on aura cherché parmi tous les effets de la réfraction celui qui paraît satisfaire à la question qu'on s'est posée, l'expérience seule pourra décider si la combinaison d'effets de la réfraction à laquelle on s'arrête est bien conforme à la réalité des choses. On voit que, dans la méthode cartésienne, la part faite à l'expérience paraît suffisante, et qu'aux yeux de la critique la plus sévère, cette méthode paraît ne rien laisser à désirer.

L'influence qu'elle a eue dès l'origine et qu'elle exerce encore aujourd'hui est vraiment extraordinaire; et cette influence est sensible non seulement dans la philosophie et dans les sciences positives, mais dans les lettres mêmes. Toutefois il ne faut rien exagérer, et le dernier point que nous venons d'indiquer demande une explication précise.

Des historiens d'une grande autorité ont cru pouvoir affirmer que le Discours de la méthode a été pour la prose française ce qu'a été le Cid pour la poésie. C'est une exagération. Le livre qui a vraiment transformé la prose française au XVIIe siècle, ce n'est pas le Discours de la méthode, ce sont les Provinciales. Pour nous, nous acceptons pleinement le jugement de Sainte-Beuve dans Port-Royal :

" Le succès littéraire et mondain que n'avait pas eu Descartes, c'est Malebranche qui l'a eu. Car il ne l'a pas eu, et ce n'est que par une fiction rétrospective, par une pure construction de leur esprit que d'habiles critiques de nos jours lui ont prêté une réputation autre que philosophique, et ont fait du Discours de la méthode une des époques de notre langue. Jamais Descartes, de son vivant, n'a eu d'influence comme écrivain. Ce n'est qu'un témoin de la langue de son temps. Il la parlait bien et l'écrivait naturellement, mais ou ne peut dire qu'il l'ait fait avancer : réservons cet honneur entier à Pascal".
Cependant, l'influence que n'a pas eue le Discours de la méthode, la philosophie cartésienne a pu l'avoir. Fontenelle a fort bien dit dans sa petite Digression sur les anciens et les modernes :
"Ce qu'il y a de principal dans la philosophie et ce qui de là se répand sur tout, je veux dire la manière de raisonner, s'est extrêmement perfectionné dans ce siècle. Avant M. Descartes on raisonnait plus commodément; les siècles passés sont bien heureux de n'avoir pas eu cet homme-là. C'est lui, à ce qu'il me semble, qui a amené cette nouvelle manière de raisonner, beaucoup plus estimable que sa philosophie même, dont une bonne partie se trouve fausse ou incertaine, suivant les propres règles qu'il nous a apprises. "
Sainte-Beuve, qui cite ces paroles de Fontenelle, ajoute :
" Descartes a contribué plus que personne à faire de l'esprit, humain un instrument de précision, et cela mène loin".
Nous pouvons terminer sur ce mot, absolument vrai en tous sens, une introduction destinée à faire sentir l'importance du Discours de la méthode, et à fournir les con. naissances nécessaires pour le bien entendre. (T.V. Charpentier).

Une analyse du texte.
En analysant ce discours, nous laisserons parler l'auteur lui-même. D'abord il en indique le plan dans un avertissement ainsi conçu : 

" Si ce discours semble trop long pour être lu en une fois, on le pourra distinguer en six parties 

Et, en la première, on trouvera diverses considérations touchant les sciences. 

En la seconde, les principales règles de la méthode que l'auteur a cherchée. 

En la troisième, quelques unes de celles de la morale qu'il a tirée de cette méthode. 

En la quatrième, les raisons par lesquelles il prouve l'existence de Dieu et de l'âme humaine, qui sont les fondements de sa métaphysique. 

En la cinquième, l'ordre des questions de physique qu'il a cherchées, et particulièrement l'explication du mouvement du coeur et de quelques autres difficultés qui appartiennent à la médecine; puis aussi la différence qui est entre notre âme et celle des bêtes. 

Et en la dernière, quelles choses il croit être requises pour aller plus avant en la recherche de la nature qu'il n'a été, et quelles raisons l'ont fait écrire."

Première partie.
Les considérations touchant les sciences annoncées pour la première partie, se résument dans ce qu'il dit de la philosophie :
" Voyant qu'elle a été cultivée par les plus excellents esprits qui aient vécu depuis plusieurs siècles, et que  néanmoins il ne s'y trouve encore aucune chose dont on ne dispute, et par conséquent qui ne soit douteuse, je n'avais point assez de présomption pour espérer d'y rencontrer mieux que les autres; et que, considérant combien il peut y avoir de diverses opinions touchant une même matière, qui soient soutenues par des gens doctes, sans qu'il y en puisse avoir jamais plus d'une seule qui soit vraie, je réputais presque pour faux tout ce qui n'était que vraisemblable. Puis, pour les autres sciences, d'autant qu'elles empruntent leurs principes de la philosophie, je jugeais qu'on ne pouvait avoir rien bâti qui fût solide sur des fondements si peu fermes."
Il raconte ensuite comment, pressé par un extrême désir d'apprendre à distinguer le vrai du faux, il résolut de ne chercher d'autre science que celle qui pourrait se trouver eu lui-même, ou dans le grand livre du monde, et employa le reste de sa jeunesse à voyager, à voir des cours et des armées, à fréquenter des gens de diverses humeurs et conditions, à recueillir diverses expériences et à refléchir sur tout ce qu'il voyait, et enfin comment il prit un jour la résolution d'étudier en lui-même et d'employer toutes les forces de son esprit à choisir les chemins qu'il devait suivre.

Deuxième partie.
Dans la deuxième partie, il présente ses essais, ses recherches, et la méthode qui en a été le résultat. Arrêté pendant un quartier d'hiver dans une ville d'Allemagne, et enfermé tout le jour dans un poêle, où il avait tout le loisir de s'entretenir avec ses pensées, il remarque d'abord que l'oeuvre d'un seul l'emporte en régularité sur un travail dû à plusieurs, et veut essayer de se faire une méthode entièrement neuve. Ce qui l'y engage encore, c'est que les procédés logiques qu'il connaît, le syllogisme et l'analyse des géomètres ou l'algèbre, ne peuvent s'appliquer à tout, et sont assujettis à des règles si nombreuses qu'elles en font un art confus et obscur qui embarrasse l'esprit, et non une science qui le cultive.

" Ainsi, conclut-il, au lieu de ce grand nombre de préceptes dont la logique est composée, je crus que j'aurais assez des quatre suivants, pourvu que je prisse lire ferme et constante résolution de ne manquer pas une seule fois à les observer :

Le premier était de ne recevoir jamais aucune chose pour vraie que je ne la connusse évidemment être telle; c'est-à-dire, d'éviter soigneusement la précipitation et la prévention, et de ne comprendre rien de plus en mes jugements que ce qui se présenterait si clairement et si distinctement à mon esprit, que je n'eusse aucune occasion de le mettre en doute.

Le second, de diviser chacune des difficultés que j'examinerais, en autant de parcelles qu'il se pourrait, et qu'il serait requis pour les mieux résoudre. 

Le troisième, de conduire par ordre mes pensées, en commençant par les objets les plus simples et les plus aisés à connaître, pour monter peu à peu comme par degrés jusqu'à la connaissance des plus composés, et supposant même de l'ordre entre ceux qui ne se précèdent point naturellement les uns les autres.

Et le dernier, de faire partout des dénombrements si entiers et des revues si générales, que je fusse assuré de ne rien omettre."

Telles sont les quatre règles dans lesquelles Descartes résume une méthode qui, bien considérée, n'est encore qu'une application du procédé de la méthode naturelle. Et ce qui le satisfait en cette méthode, c'est que par elle, il est assuré d'user de sa raison, sinon parfaitement, au moins le mieux qu'il soit en son pouvoir. Cependant, il pense qu'en faisant usage de ce moyen pour refaire ses opinions, il ne pont espérer d'en venir à bout avant d'avoir atteint un âge bien plus mûr que celui de vingt-trois ans, qu'il avait quand il a fait ces réflexions.

Troisième partie.
La troisième partie renferme les règles de conduite que se fait Descartes, pour ne pas demeurer irrésolu en ses actions, pendant que la raison l'obligerait de l'être en ses jugements : ces règles pratiques consistent en trois maximes qu'il exprime ainsi :

« La première était d'obéir aux lois et aux coutumes de mon pays, retenant constamment la religion en laquelle Dieu m'a fait la grâce d'être instruit dès mon enfance, et me gouvernant en toute autre chose suivant les opinions les plus modérées et les plus éloignées de l'excès, qui fussent communément reçues en pratique par les mieux sensés de ceux avec qui j'aurais à vivre.

La seconde, d'être le plus ferme et le plus résolu en mes actions que je pourrais, et de ne suivre pas moins constamment les opinions les plus douteuses, lorsque je m'y serais une fois déterminé, que si elles eussent été très assurées.

La troisième, de tâcher toujours à me vaincre plutôt que la fortune, et à changer mes désirs plutôt, que l'ordre du monde, et généralement de m'accoutumer à croire qu'il n'y a rien qui soit entièrement en notre pouvoir que nos pensées. »

Enfin, juge qu'il ne peut mieux faire que d'employer toute sa vie à cultiver sa raison et à s'avancer dans la connaissance de la vérité, en suivant la méthode qu'il s'est prescrite. Neuf ans s'écoutèrent dans la pratique de ces maximes, avant qu'il entreprît de toucher aux difficultés de la science et de la philosophie, et neuf autres encore avant qu'il composât et publiât ce discours.

Quatrième partie.
La quatrième partie nous offre les résultats des applications lentes et réfléchies de sa méthode aux principales vérité, de la métaphysique

"Désirant vaquer uniquement à la recherche de la vérité, je pensai, dit-il, qu'il fallait que je rejetasse comme absolument faux tout ce en quoi je pourrais imaginer le moindre doute, afin de voir s'il ne resterait point après cela, en ma croyance, quelque chose qui fût entièrement indubitable. Ainsi, à cause que nos sens nous trompent quelquefois, je voulus supposer qu'il n'y avait aucune chose qui fût telle qu'ils nous la font imaginer; et parce qu'il y a des hommes qui se méprennent en raisonnant, même touchant les plus simples matières de géométrie, et y font ales paralogismes, jugeant que j'étais sujet à faillir autant qu'aucun autre, je rejetai comme fausses toutes les raisons que j'avais prises auparavant pour démonstrations; et enfin, considérant que toutes les mêmes pensées que nous avons, éveillés, nous peuvent aussi venir quand nous dormons, sans qu'il y en ait aucune pour lors qui soit vraie, je me résolus de feindre que toutes les choses qui m'étaient jamais entrées en l'esprit, n'étaient non plus vraies que les illusions de mes songes. Mais aussitôt je pris garde que, pendant que je voulais ainsi penser que tout était faux, il fallait nécessairement que moi qui le pensais, je fusse quelque chose; et remarquant que cette vérité : je pense, donc je suis, était si ferme et si assurée, que toutes les plus extravagantes suppositions des sceptiques n'étaient pas capables de l'ébranler, je jugeai que je pouvais la recevoir sans scrupule pour le premier principe de la philosophie que je cherchais."
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L'hypothèse du mauvais génie

Descartes reproduit l'histoire de son doute dans le premier livre ses ses Principes de philosophie, et, avec plus de développement encore, dans la première de ses Méditations matéphysiques. C'est là, après avoir infirmé les connaissances contingentes intuitives en montrant la faillibilité des facultés qui nous les donnent, et les connaissances déduites en considérant les erreurs possibles du raisonnement, il attaque les croyances absolues par une hypothèse des plus hardies : 

"Ne puis-je, dit-il, supposer, à la place de Dieu, un certain mauvais génie, non moins rusé et trompeur que puissant, qui aurait employé toute son industrie à nous tromper, en nous les imposant?"
Il arrive donc ainsi à considérer comme autant de fictions, les faits, les corps, la figure, le mouvement, le temps et l'espace, et il s'écrie :
"Qu'est-ce donc qui pourra être assuré véritable? Peut-être rien autre chose, sinon qu'il n'y a rien au monde de certain!"
Mais à l'instant même il reprend :
"je me suis persuadé qu'il n'y avait rien du tout au monde, mais me suis-je aussi persuadé que je n'étais point? Tant s'en faut; j'étais, parce que je me suis persuadé quelque chose. Mais il y a là un je ne sais quel trompeur, très puissant et très rusé, qui emploie toute son industrie à me tromper; il n'y a donc point de doute que je suis, s'il me trompe, et qu'il me trompe tant qu'il voudra, il ne saura jamais faire que je ne sois rien, tant que je penserai être quelque chose... Je pense, donc je suis : Cogito ergo sum! Mais que suis-je? Une chose qui pense, c'est-à-dire qui doute, qui entend, qui conçoit, qui affirme, qui nie, qui veut, qui ne veut pas, qui imagine aussi, et qui sent".
Certain de son existence et de sa pensée, de ce point fixe et incontestable, il s'élève encore à Dieu pour redescendre au monde, signale la simplicité et l'identité parfaite de l'âme, et en conclut son immortalité.

Voyant ensuite qu'il pouvait feindre qu'il n'avait pas de corps et que le monde n'existait pas, il n'est donc encore entièrement assuré que de l'existence de son moi, de son âme, bien distincte du corps, plus aisée à connaître que loi, et qui sans lui ne laisserait pas d'être ce qu'elle est. Mais, dans sa pensée, il trouve l'idée de l'infini, du parfait qu'il ne peut tenir ni de lui-même, vu qu'il se conçoit comme fini, ni encore bien moins du néant, et il en conclut l'existence nécessaire d'un Etre parfait de qui seul elle peut lui venir. Le voilà donc encore tout aussi assuré de l'existence de Dieu que de la sienne propre. De plus, puisque Dieu est parfait, il ne saurait être trompeur, et puisque tout ce qui en nous vient de lui, les facultés par lesquelles nous percevons les corps sont véridiques, et les notions claires que nous en avons ne peuvent être que vraies. C'est ainsi qu'allant du moi à Dieu, et de Dieu au monde, il rétablit sur une base inébranlable l'édifice de la connaissance qu'il semblait d'abord avoir anéanti par son doute.
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Cinquième partie.
La cinquième partie contient des applications de la méthode à des questions de physique, de physiologie végétale et animale, et surtout à la circulation du sang, qui, récemment constatée par Harvey (1628), préoccupait les esprits; enfin à la diférence que Descartes met entre l'âme de l'humain et celle des animaux, dont il fait de pures machines.

Sixième partie.
Dans la sixième enfin, il expose les motifs de sa publication, revient sur la marche de ses études physiques, et annonce l'intention de se livrer à l'étude de la médecine. Cette partie est très inférieure au reste du discours.

Conclusion.
Tel est en résumé de livre qui a fait révolution dans la philosophie, et imprimé à la réflexion humaine une nouvelle direction. L'effet ne se fit pas attendre, et tandis que écrits de Bacon, bien qu'antérieurs de plusieurs années à ceux de Descartes, étaient a peine connus, la méthode de celui-ci agitait partout et fécondait les esprits.

Des applications qu'on en fit plus tard aux faits qui constituent la pensée, sortira la psychologie, et cependant, cette méthode, il faut l'avouer, n'est encore qu'imparfaitement psychologique. Descartes s'est borné à indiquer le point de départ de cette science, puis s'élevant aussitôt jusqu'à Dieu, il s'élance dans l'ontologie. Il ne fait qu'un pas sur la route qu'il trace, et il l'abandonne à l'instant, pour revenir à la méthode rationnelle. Il semble qu'il n'ait voulu que chercher une base à son raisonnement : à peine a-t-il trouvé dans la pensée ce point fixe et inébranlable, qu'il retourne à l'emploi des anciens procédés. Aussi n'existe-t-il de lui dans la philosophie que ce point de départ, et l'impulsion qu'il a donnée à l'esprit humain. La prétendue démonstration de l'existence de Dieu par l'idée de l'infini, remonte à saint Anselme, et peut-être plus haut; la théorie des idées qui régnait encore, laisse penser à Descarles que plusieurs sont innées. De pIus, en faisant de la conscience la seule faculté légitime et la plus puissante de fonctions intellectuelles, il étend sur toutes le caractère subjectif qui lui appartient, et prépare ainsi le scepticisme de Berkeley et l'idéalisme subjectif de Kant. D'un autre côté, tout préoccupé du fait de la connaissance, il ne voit que lui dans la pensée, et sans nier l'activité volontaire, il ne dégage pas. De là, l'oubli de la personnalité individuelle et la tendance à un idéalisme panthéiste, que réalisera Spinoza. Telles sont, en effert, les deux directions que suit le Cartésianisme. (DPC, L.-F. Jéhan).

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Dictionnaire Le monde des textes
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