| Claude Favre, baron de Perorges, seigneur de Vaugelas est un grammairien né à Meximieu (Ain) le 6 janvier 1595, mort à Paris en février 1650. Son père, Antoine Favre, président du Sénat de Savoie de 1640 à 1624, était un lettré : il fut l'un des fondateurs de l'Académie florimontane et publia des Quatrains moraux. Son fils hérita de la pension que lui servait la France et vint de bonne heure à Paris; mais, s'étant attaché à Gaston d'Orléans, cette pension lui fut supprimée; il vécut dès lors dans une gêne quine fit que s'accroître, et il mourut insolvable. Il fut l'un des premiers membres de l'Académie française et devint, vers la fin de sa vie, précepteur des princes de Carignan, fils de Thomas-François de Savoie. Les Remarques sur la langue françoise, que Vaugelas publia en 1647 (à Paris, chez la veuve Jean Camusat), sont un des livres qui ont exercé sur la langue française la plus profonde et la plus durable influence. Non point que ce livre soit original; au contraire, Vaugelas proclame et répète à satiété qu'il n'est que le secrétaire de l'usage : « Je ne suis, dit-il, qu'un simple tesmoin qui dépose ce qu'il a veü et ouï ». La raison même ne peut rien contre l'usage, qui est « le roi et le tyran » des langues; or l'usage fait beaucoup de choses par raison, d'autres sans raison, beaucoup contre raison. Il ne faudrait pas croire néanmoins que Vaugelas obéisse, en fait de langue, à une tendance démocratique qui eut été alors un anachronisme il se hâte de distinguer le bon usage du mauvais et de restreindre singulièrement la conception qu'il faut se faire du premier; le bon usage, dit-il, c'est celui « de la plus saine partie de la cour et de la plus saine partie des autheurs du temps». Telles sont les autorités qu'il ne cesse de consulter et dont il enregistra les arrêts après trente-cinq ans d'observation et non sans avoir plusieurs fois remanié son livre. Les qualités qu'il poursuit avant tout sont la pureté, la netteté, la douceur, la sobriété, la simplicité, la variété. Pour y atteindre, il recommande d'éviter avant tout les mots bas, vulgaires ou trop techniques pour être en tendus de tous, et les provincialismes. Il proscrit avec une grande énergie les archaïsmes; quoiqu'il regrette « certains beaux mots », il se résigne à la tyrannie de l'usage et condamne, non seulement les mots vieillis, mais ceux qui commencent à vieillir; il n'est guère moins hostile aux néologismes, car il croit notre langue assez riche; il tolère toutefois qu'on l'enrichisse par voie de dérivation. En fait de syntaxe, les tournures qu'il recommande sont les plus brèves et celles qui laissent le moins de place à l'équivoque. - Extrait de la préface des Remarques sur la langue française « Ce ne sont pas ici des lois que je fais pour notre langue de mon autorité privée; je serais bien téméraire, pour ne pas dire insensé; car à quel titre et de quel front prétendre un pouvoir qui n'appartient qu'à l'usage, que chacun reconnaît pour le maître et le souverain des langues vivantes? Il faut pourtant que je m'en justifie d'abord, de peur que ceux qui condamnent les personnes sans les ouïr ne m'en accusent, comme ils ont fait cette illustre et célèbre compagnie, qui est aujourd'hui l'un des ornements de Paris et de l'éloquence française. Mon dessein n'est pas de réformer notre langue, ni d'abolir des mots, ni d'en faire, mais seulement de montrer le bon usage de ceux qui sont faits, et, s'il est douteux ou inconnu, de l'éclaircir et de le faire connaître. Et tant s'en faut que j'entreprenne de me constituer juge des différends de la langue, que je ne prétends passer que pour un simple témoin, qui dépose ce qu'il a vu et ouï, ou pour un homme qui aurait fait un recueil d'arrêts qu'il donnerait au public. C'est pourquoi ce petit ouvrage a pris le nom de Remarques et ne s'est pas chargé du frontispice fastueux de décisions, ou de lois ou de quelque autre semblable; car encore que ce soient en effet des lois d'un souverain qui est l'usage, si est-ce que outre l'aversion que j'ai à ces titres ambitieux, j'ai dû éloigner de moi tout soupçon de vouloir établir ce que je ne fais que rapporter. Pour le mieux faire entendre, il est nécessaire d'expliquer ce que c'est que cet usage, dont on parle tant, et que tout le monde appelle le roi ou le tyran, l'arbitre ou le maître des langues; car si ce n'est autre chose, comme quelques-uns se l'imaginent, que la façon ordinaire de parler d'une nation dans le siège de son empire, ceux qui y sont nés et élevés n'auront qu'à parler le langage de leurs nourrices et de leurs domestiques pour bien parler la langue de leur pays; et les provinciaux et les étrangers, pour la bien savoir, n'auront aussi qu'à les imiter. Mais cette opinion choque tellement l'expérience générale qu'elle se réfute d'elle-même, et je n'ai jamais pu comprendre comme un des plus célèbres auteurs de notre temps a été infecté de cette erreur. Il y a sans doute deux sortes d'usages, un bon et un mauvais. Le mauvais se forme du plus grand nombre de personnes, qui presque en toutes choses n'est pas le meilleur, et le bon au contraire est composé non pas de la pluralité, mais de l'élite des voix, et c'est véritablement celui que l'on nomme le maître des langues, celui qu'il faut suivre pour bien parler, et pour bien écrire en toutes sortes de styles. » (Vaugelas, Remarques sur la langue française). | Les principes de Vaugelas sont ceux mêmes de nos écrivains classiques, et les qualités qu'il recommande, sont devenues les leurs : on ne saurait donc lui faire une trop large place dans l'histoire de notre langue. Il faut reconnaître toutefois qu'il n'a guère fait que suivre et fortifier des tendances qui se faisaient jour dans les cercles et les salons (où les questions grammaticales étaient fort à la mode), et d'autre part que son livre n'est pas à l'abri de tout reproche : d'abord il est mal composé : les répétitions comme les lacunes y sont nombreuses, et un index est indispensable pour s'y retrouver. Mais surtout Vaugelas est timide et exclusif : entre deux tournures également claires et logiques, il se croit obligé de choisir; il paraît n'avoir pas toujours été observateur perspicace, car plusieurs des faits qu'il donne comme certains sont contestés par des contemporains. Doué d'un esprit médiocrement analytique, il lui arrive, même quand il observe bien, d'interpréter mal et de fonder sur des faits exacts des règles arbitraires. Enfin, il ignorait totalement l'histoire de la langue et n'a pu démêler quelques-unes de ses tendances, auxquelles ses règles sont souvent opposées. Aussi peut-on lui reprocher d'avoir contribué à nous faire une syntaxe trop rigide et parfois irrationnelle. Ces défauts furent peu sensibles au XVIIe siècle, qui fit de Vaugelas son oracle : « parler Vaugelas » était synonyme de bien parler. Au lendemain de l'apparition des Remarques, deux écrivains seulement protestèrent : Lamothe Le Vayer, qui y avait été pris à partie (Lettres touchant les Nouvelles Remarques sur la langue françoise, Paris, 1647), et Scipion Dupleix, alors âgé de plus de quatre-vingts ans, partisan zélé de la langue plus riche et plus libre du XVIe siècle (La Liberté de la langue françoise dans sa pureté; Paris, 1651). Mais ces attaques restèrent sans écho et la soumission fut générale: Corneille corrigea ses pièces pour les mettre d'accord avec Vaugelas; Patru, Thomas Corneille commentèrent les Remarques, et l'Académie les faisait encore réimprimer en 1704. Vaugelas avait en outre laissé une traduction de Quinte-Curce, mainte fois remaniée, où il devait donner une application des règles qu'il avait posées et fournir un incontestable modèle de bon style; Chapelain et Conrart en publièrent une copie (1653), et Patru une autre (1659). ( A. Jeanroy).
| En bibliothèque - Les Remarques de Vaugelas ont été souvent réimprimées; l'édition ancienne la plus commode. est celle de A. Chassang (Paris, 1884, 2 vol. in-8), qui contient aussi les observations des principaux commentateurs. | | |